Mot de présentationDrogue et société : par-delà les frontières du sens[Notice]

  • Marc Perreault

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  • Marc Perreault
    Éditeur responsable

Nous poursuivons dans ce deuxième numéro notre parcours sur la piste de la drogue aux limites de la société. La polysémie variable selon les contextes et les usages du signifiant drogue – parfois pharmakon, souvent toxikon, toujours analogon – se révèle un prétexte pour explorer la multidimensionnalité du social. L’expérience des drogues – sans égard à leurs propriétés et à leurs fonctions – nous renvoie d’emblée dans les marges de la vie en commun (Perreault, 2009), aux confins de multiples frontières inclusives et exclusives (permis/défendu, privé/public, nature/culture, corps/esprit, classe/genre, etc.) sans cesse à redéfinir. Autant « les effets d’une drogue sont protéiformes » et varient selon les personnes et les savoirs (Becker, 2016 : 90), autant les conceptions de la société changent selon les perspectives déployées. Nous entrons, aux dires de certains, dans une ère postsociale où l’idée même de société est en crise alors qu’« elle désigne de moins en moins des appartenances et de plus en plus des conflits internes et externes » (Touraine, 2014 : 35-75). Savons-nous en fait ce qu’est une société, où commence-t-elle et où se termine-t-elle ? Existent-elles réellement (Ingold, 2013 : 434) ? Nous ne prétendons pas pouvoir répondre à ces questions complexes. Chaque article réuni dans ce numéro thématique double de la revue Drogues, santé et société explore différentes dimensions constitutives et normatives de cette abstraction conceptuelle que l’on appelle « société ». Or, faut-il le souligner, pour la plupart des auteurs, la société demeure dans le développement de leur propos une notion fluide difficilement saisissable qui se confond avec différents aspects des réalités matérielles et immatérielles des formes de vie tantôt partagées, tantôt séparées. Le lecteur est invité à son tour à repenser le « social » en entremêlant les itinéraires de recherche qui composent l’unité des deux numéros. Chacun des textes pose un regard spécifique sur les frontières du social – qui sont autant des limites et des passages – que les représentations autour des drogues aident à mieux saisir. Dans le premier numéro, sur la piste des usages des « drogues » et de leurs usagers nous avons entraperçu, parmi d’autres, les dimensions transnationales, métaphysiques et virtuelles qui composent une vie sociale toujours en processus de formation où le global et le local s’entrechoquent et s’interpénètrent et où les mondes du vivant et des esprits s’enlacent. Le recours aux substances psychotropes s’inscrit dans ce multivers de sens tout en tension, dans une démarche relationnelle orientée par un « devenir autre » qui se révèle avec la volonté de l’agir un devenir soi-même. Dans ce deuxième numéro, la focalisation sur la drogue et les pratiques nous amène à examiner de plus près les lignes de tensions qui traversent dans les « sociétés » les relations entre les groupes, les personnes et les institutions. Sont abordées plus spécialement des situations vécues par les peuples premiers, relatives à la morale ou reliées à la sortie des dépendances. En ouverture du numéro, les anthropologues Leila Inksetter et Marie-Pierre Bousquet nous présentent les relations ambivalentes que les Anicinabek entretiennent à l’égard de l’alcool. Les auteures nous introduisent à l’histoire de la fracture sociale qui marque les relations tendues entre les colonisateurs eurocanadiens et les peuples autochtones, fracture qui se répercute jusque dans la vie des communautés et qui est particulièrement perceptible dans la confrontation entre la pratique chamanique héritée de la tradition et la pratique religieuse inculquée par les missionnaires. L’originalité de l’article est de juxtaposer les versions autochtones et non autochtones en montrant comment leur incompatibilité est l’expression de rapports de force et de pouvoir inégaux. Nous découvrons comment …

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