Corps de l’article

Introduction

Les problèmes de toxicomanie[1] touchant les adolescents[2] sont un objet important de préoccupation au plan social. Les enquêtes épidémiologiques québécoises (Guyon et Desjardins, 2002), canadiennes (Adlaf, Bégin et Sawka, 2005) et américaines (Johnston, O’Malley et Bachman, 2002) indiquent une hausse de la consommation de diverses substances psycho-actives (SPA) depuis le début des années 1990. Cependant, une certaine stabilisation de la prévalence de la consommation de SPA s’observe au Québec depuis le début des années 2000 (Pica, 2005). La proportion de jeunes présentant une consommation abusive et nécessitant le recours à des services spécialisés demeure stable à un peu plus de 5 % (Pica, 2005). Cette consommation abusive de SPA n’est pas sans conséquence ; elle est associée à la présence de multiples problèmes, soit judiciaires, de santé mentale, ainsi qu’aux conduites à risque (par ex., conduite en état d’ébriété) (Brochu, 2006 ; Cormier, Brochu et Bergevin, 1991 ; Irwin, 1993). En outre, les coûts sociaux de la toxicomanie sont très élevés (Brochu, 2006). C’est pourquoi une meilleure compréhension des facteurs liés à l’aggravation de l’abus de SPA chez les adolescents semble si nécessaire. L’objectif de cette étude est d’évaluer, chez de jeunes toxicomanes en traitement spécialisé, les liens entre, d’une part, la présence de diverses transitions familiales (séparation, recomposition, décès de parents) ou de situations de placement[3] (présence et durée) et, d’autre part, la gravité de la consommation actuelle de substances psychoactives, évaluée par la nature du produit et sa fréquence de consommation.

Une multitude de facteurs de risque sont associés à l’apparition de la consommation de SPA ou à son aggravation. Pour n’en nommer que quelques-uns, citons l’influence des pairs (White, Thompson, Loeber et Stouthamer-Loeber, 2001 ; Xiaoming et coll., 2001 ; Youniss, 1997), l’accessibilité aux SPA et la surconsommation parentale (Nadeau et Biron, 1998), la perception collective du risque associé aux SPA (Vitaro, Gosselin et Girard, 2002) ou la présence de troubles de santé mentale (Diamond, Leckrone et Dennis, 2005 ; Mercier et Beaucage, 1997 ; Provost et Mercier, 1993 ; Vitaro, Carbonneau, Gosselin, Tremblay et Zoccolillo, 2000 ; White et coll., 2001). Parmi ces facteurs, les composantes liées à la vie familiale tiennent une place importante. À noter notamment le rôle crucial de la qualité des relations, des patrons d’interaction et de l’histoire familiale à titre d’éléments importants pour comprendre le développement de l’usage et de l’abus de substances chez les adolescents (Cormier et coll., 1991 ; Galaif, Stein, Newcomb et Bernstein, 2001 ; Gerard et Buehler, 1999 ; Nadeau et Biron, 1998). Les travaux récents de Juby, Marcil-Gratton et Le Bourdais (2005) mettent en lumière le concept général de « transition familiale » pour désigner « qu’il y a transition familiale lorsque la situation familiale des parents change (par exemple, lorsqu’ils se marient, divorcent, forment une union libre ou dissolvent cette union). Certains changements de “situation parentale” sont également considérés comme des transitions familiales » (p. 2). Ces changements façonnent la trajectoire familiale et engendre une nouvelle organisation de la structure familiale. C’est le cas, par exemple, lors de l’arrivée d’un nouveau conjoint. Certaines modifications de la structure de la famille provoquées par la séparation des parents et la recomposition familiale constituent des transitions familiales très importantes. Le décès d’un parent est aussi qualifié de transition familiale puisqu’il induit évidemment une modification profonde de la structure parentale. D’autres événements, tels que les placements, qui sont issus d’une perturbation globale significative du fonctionnement familial et des difficultés vécues par le jeune dans la relation avec ses parents, ne peuvent pas être qualifiés de transitions familiales. Toutefois, ils sont également considérés comme des événements venant marquer la vie familiale d’un jeune, modifiant les relations mutuelles parents/enfant.

Une des transitions familiales les plus fréquentes est certainement la séparation ou le divorce des parents. Plusieurs enfants ou adolescents s’adaptent bien à ce type de transition familiale (Booth et Amato, 2001 ; Kelly, 2003 ; Moxnes, 2003 ; Palmer, 2002). Cependant, il semble que, pour une portion significative de jeunes, la séparation ou le divorce des parents soit associé à un accroissement des risques d’apparition de problèmes divers (Amato, 2000 ; Emery, 1999 ; Kelly et Emery, 2003 ; Kelly, 2000, 2003). On considère généralement que de 20 à 25 % des enfants qui proviennent de familles divorcées ont des problèmes psychologiques, comportementaux et sociaux, ce qui est plus élevé que pour les enfants n’ayant pas vécu la séparation ou le divorce parental (Hetherington et Kelly, 2002 ; McLanahan, 1999). Entre autres, l’abus de SPA est plus prévalent chez les jeunes provenant de familles divorcées (Hetherington, 2003 ; Kelly, 2003). Ces propos sont toutefois à nuancer, car d’autres auteurs soulignent que les enfants provenant de familles -biparentales intactes, vivant des niveaux de conflits élevés, paraissent plutôt bénéficier de la séparation de leurs parents (Booth et Amato, 2001). Donc, le contexte menant à la séparation est aussi un modulateur des effets de cette transition.

La recomposition familiale ou le remariage semble aussi accroître les risques de problèmes d’adaptation et de comportement. Dans l’enquête menée par Bordeleau et Perron (2003), il ressort qu’« environ 23 % des élèves vivant dans une famille monoparentale ou recomposée présentent une consommation de SPA dite à risque ou problématique tandis que cette proportion est moindre (14 %) chez ceux provenant d’une famille biparentale intacte » (p. 163). Cependant, la revue des écrits de Saint-Jacques, Lépine et Parent (2002) nous révèle que la majorité des jeunes de famille recomposée fonctionne normalement. Il y est souligné que 10 % des jeunes provenant de familles biparentales intactes éprouvent des problèmes de comportement atteignant un seuil clinique, alors que cette proportion est de 20 % à 29 % chez les jeunes vivant dans une famille recomposée (Saint-Jacques et coll., 2002). Sachant que les problèmes de comportement augmentent le risque d’initiation à l’alcool et aux drogues (St-Amand, 2001 ; Xiaoming, Feigelman et Stanton, 2000), ces données apparaissent importantes bien qu’aucun lien direct ne puisse être fait avec la toxicomanie. Des auteurs affirment également que l’accroissement de la sécurité financière amenée par l’arrivée d’un nouveau beau-parent a un effet stabilisateur sur les conditions économiques, ce qui contribue à réduire les risques de difficultés d’adaptation chez le jeune (Hetherington, 2003 ; Kelly, 2003, Moxnes, 2003).

Les écrits révèlent que le décès d’un parent entraîne des effets substantiellement négatifs chez les enfants et les adolescents, comme des troubles de comportement, des difficultés psychologiques (par ex. : dépression, anxiété) (Lightfoot et Rotheram-Borus, 2000). Kendler, Sheth, Gardner et Prescott (2002) ont tenté de vérifier si l’usage de l’alcool pouvait être relié au fait d’avoir vécu le décès d’un parent et ils n’ont pas observé de relations significatives. Peu d’études relient -directement le risque du développement de la toxicomanie chez l’adolescent et la perte d’un parent. Notons que les circonstances du décès, le type de décès, le moment développemental et la qualité des liens sociaux établis sont des variables modulant le degré d’adaptation du jeune face au deuil. À titre illustratif, rappelons que la perte d’un parent par suicide est nettement associée à une hausse significative des problèmes psychosociaux chez des enfants en comparaison à des jeunes non endeuillés (Pfeffer, Jiang, Kakuma, Hwang et Metsch, 2002).

Des études ont montré des liens étroits, mais non causaux, entre le ou les placements vécus par un jeune et les risques de développer un problème de toxicomanie. D’abord, le fait de vivre un ou plusieurs placements peut avoir comme conséquence de favoriser le développement de certains troubles de comportement, dont l’abus de SPA (Newton, Litrownik et Landsverk, 2000[4] ; Saint-Jacques, McKinnon et Potvin, 2000 ; Zlotnick, Robertson et Wright, 1999). Les données rapportées par Guyon et Desjardins (2002) montrent que près de 25 % des jeunes vivant en centre jeunesse déclarent avoir des problèmes avec leur consommation d’alcool et cette proportion grimpe à 40 % pour la consommation de drogues. Autre fait important, plus de 50 % des jeunes placés en centres d’accueil (centres jeunesse) de la région montréalaise rapportent avoir déjà consommé de la cocaïne avant leur placement (CPLT, 2000).

Soulignons qu’aucune étude recensée ne porte sur les liens entre certaines transitions familiales telles que la séparation, la recomposition, le décès d’un parent d’une part, et d’autre part, la gravité de la consommation de SPA. Il n’y a pas plus d’étude recensée qui relie la présence de placements (ou d’un placement) au degré de gravité de l’abus de substances. En fait, les études ne portaient que sur la prédiction de l’apparition du recours aux drogues et à l’alcool et non sur la prédiction de la gravité de cet éventuel recours. Pourtant, du point de vue des cliniciens travaillant avec des jeunes ayant une toxicomanie, il apparaît intéressant de mieux comprendre les liens entre la présence ou non de différentes transitions familiales ou de placements vécus par le jeune et la gravité du recours aux SPA. L’étude actuelle tente donc d’évaluer les liens entre, d’une part, la présence de transitions familiales et de placements (auto-rapportés, rétrospectivement) et, d’autre part, le degré de gravité de la surconsommation d’alcool et de drogues chez des adolescents en traitement spécialisé pour leur toxicomanie. Nous tiendrons également compte des jeunes provenant d’une famille biparentale intacte quant à la gravité de leur consommation pour des besoins de comparaison.

Dans l’étude des variations de la gravité de la consommation de substances psychoactives, il est incontournable de considérer les rôles respectifs de l’âge et du sexe. En effet, les études montrent systématiquement que la gravité ou l’importance de la consommation de substances psychoactives augmente de façon soutenue en fonction de l’accroissement de l’âge, et ce, tant dans la population générale (Bordeleau et Perron, 2003 ; Guyon et Desjardins, 2002 ; Pica, 2005 ; Vitaro et coll., 2002) que dans les échantillons cliniques de traitement de la toxicomanie, quoique de façon moins importante dans ces derniers milieux (Tremblay, Blanchette-Martin et Garceau, 2004). Quant au sexe, il est établi que les garçons issus de la population générale consomment plus que les filles et plus sévèrement, tant en ce qui concerne l’alcool que les drogues (Bordeleau et Perron, 2003 ; Guyon et Desjardins, 2002 ; Pica, 2005 ; Vitaro et coll., 2002). Par contre, au sein d’échantillons de jeunes en traitement pour leur toxicomanie, le phénomène tend à être inversé, c’est-à-dire que les filles rapportent consommer plus fréquemment de l’alcool et utiliser un plus grand nombre de substances illicites différentes, et ce, plus souvent que les garçons (Tremblay et coll., 2004). Ces observations incitent à contrôler la variance attribuable à ces variables dans toute analyse des variations de la gravité de la consommation d’alcool et de drogues.

Les hypothèses de l’étude sont les suivantes. La présence de transitions familiales telles que mesurées par l’auto-révélation comme une séparation parentale, une recomposition familiale ou encore le décès d’un parent sera associée à un profil plus problématique de consommation de SPA chez les adolescents en traitement spécialisé pour la toxicomanie en comparaison avec les adolescents n’ayant pas vécu de transitions familiales. De même, les placements vécus, tels que révélés par les jeunes de l’étude, et une plus grande durée de ceux-ci, seront associés à une gravité plus élevée du recours aux SPA par rapport aux jeunes n’ayant pas vécu de placement.

Méthode

Participants

Les données de l’étude sont issues des évaluations d’admission, réalisées de façon consécutive entre septembre 1999 et juin 2003, auprès des 889 jeunes âgés de 14 à 17 ans, ayant des problèmes de toxicomanie et qui ont consulté pour une demande d’aide dans un centre spécialisé de traitement des dépendances aux SPA de la région de Québec dans le cadre du programme d’évaluation régional nommé PAJT[5]. Préalablement à leur évaluation d’admission en centre spécialisé, ces jeunes ont fait l’objet d’un dépistage à l’aide de la DEP-ADO[6] (Landry, Tremblay, Guyon, Bergeron et Brunelle, 2004) par les services de première ligne (centres locaux de services communautaires [CLSC], milieux scolaires ou centres jeunesse) afin de s’assurer d’une gravité suffisante de leur problématique de toxicomanie pour justifier des services spécialisés.

Ainsi, les jeunes sont âgés en moyenne de 15,4 ans (é.-t. = 1,1), l’échantillon étant composé de 66,4 % de garçons. Cette proportion de participants selon le sexe est cohérente avec les proportions observées dans les clientèles jeunes ou adultes des centres de réadaptation en toxicomanie au Québec (Landry, Bergeron, Provost, Germain et Guyon, 2000). Dans la population adolescente générale, les garçons sont également plus nombreux que les filles à présenter une consommation excessive d’alcool et de drogues (Bordeleau et Perron, 2003 ; Pica, 2005).

Instrument de mesure

L’Indice de gravité d’une toxicomanie pour les adolescents (IGT-ADO) (Landry et coll., 2000) a été utilisé pour évaluer la situation des adolescents lors de leur admission en centre spécialisé de traitement. L’IGT-ADO est une entrevue semi-structurée qui permet d’évaluer la situation biopsychosociale en fonction de huit échelles : la consommation d’alcool, de drogues, l’état de santé physique, les occupations, l’état psychologique, les relations interpersonnelles, les relations familiales, le système social et judiciaire. En fonction de l’objet de l’étude, seules les échelles concernant la consommation d’alcool, de drogues, les relations familiales et le système social sont utilisées. La gravité des problèmes éprouvés dans chacune des huit sphères est quantifiée par une cote nommée score composé. Cette cote s’échelonne entre 0 et 1, 0 indiquant aucun problème dans cette sphère et 1, le maximum de difficultés pouvant être rapporté. Les questions incluses dans le score composé ne portent cependant que sur la période des 30 derniers jours. Les jeunes de l’échantillon actuel sont, pour la moitié d’entre eux, déjà dans une situation quelconque de placement et en ce sens, la période du dernier mois ne représente pas leur situation habituelle.

Ainsi, pour décrire la consommation de SPA, nous avons opté pour la fréquence de consommation au cours de la dernière année. Trois scores distincts, que l’on appellera indices de gravité de consommation, sont ainsi obtenus à partir de la fréquence de consommation d’alcool, de cannabis et des fréquences cumulées de consommation des autres drogues. La fréquence de consommation des divers produits, au cours des 12 derniers mois, s’évalue à partir d’une échelle de type Likert en six points (allant de 0 « Pas de consommation » à 5 « Tous les jours »). Ainsi, pour l’alcool et le cannabis, l’indice est représenté par une cote allant de 0 à 5, indiquant la fréquence d’usage au cours des derniers 12 mois. Pour les autres drogues, l’indice est calculé par l’addition des cotes de fréquence de consommation des sept autres drogues (hallucinogènes, cocaïne, héroïne, sédatifs, barbituriques, speed, colles/solvants), pouvant théoriquement donner une cote allant de 0 à 35. En fait, il a semblé nécessaire de créer un indice unique pour le cannabis (séparé des autres drogues) à la suite des résultats de Landry et de ses collègues (2004), lesquels soulignent l’importance de créer des indices de consommation distincts entre le cannabis et les autres drogues en raison de la trajectoire de développement unique de la consommation de cannabis au cours des dernières années. Quant à l’utilisation de la fréquence de consommation comme indice de gravité, elle semble tout à fait adéquate, puisqu’elle a été validée à travers les études de développement de la DEP-ADO, et ce, tout particulièrement pour le cumul de fréquences des drogues illégales autres que le cannabis (Landry et coll., 2004). Pour l’alcool et le cannabis, il aurait été intéressant d’avoir d’autres informations portant sur cette même période de 12 mois et concernant des données telles la quantité et les conséquences de cette consommation. Cependant, outre les scores composés qui ne concernent que les trente derniers jours, ces informations n’étaient pas disponibles dans l’IGT-ADO. Il est tout de même estimé que la fréquence de consommation d’alcool et de cannabis est un indicateur valide de la gravité de l’abus de ces SPA (par ex., une fois par mois versus plusieurs fois par semaine), même si les données sont incomplètes.

La validité de l’instrument (IGT-ADO) est bien établie. Bien qu’aucune analyse factorielle n’ait été menée jusqu’à maintenant, on note cependant des corrélations inter-échelles oscillant entre ,03 et ,52, indiquant ainsi une certaine parenté conceptuelle entre quelques échelles, mais aussi une indépendance suffisante pour considérer les sphères comme distinctes (Landry et coll., 2000). L’IGT-ADO permet de discriminer les jeunes issus du monde scolaire de ceux consultant un centre de réadaptation en toxicomanie sur la base des scores composés concernant la consommation d’alcool ou de drogues, les occupations, l’état psychologique, les relations familiales et le système social/judiciaire. Les scores composés portant sur la santé physique et les relations interpersonnelles ne permettent pas de discriminer entre les jeunes de la population générale et ceux consultant en centre de réadaptation pour la toxicomanie.

La fidélité de l’instrument est excellente, avec des corrélations test-retest de ,81 et plus, à l’exception des sphères interpersonnelle (r = ,77) et occupationnelle (r = ,69) pour lesquelles les corrélations sont légèrement plus faibles, mais largement acceptables (Landry et coll., 2000). La cohérence interne des échelles est très bonne, présentant des coefficients alpha de Cronbach de ,83 et plus pour cinq des huit échelles, les trois autres sphères obtenant des indices de cohérence interne largement acceptables (drogues, α = ,70 ; relations interpersonnelles, α = ,78 ; système social et judiciaire, α = ,75).

Résultats

Afin de s’assurer que les jeunes à l’étude, c’est-à-dire un sous-groupe de jeunes admis en centres de traitement pour toxicomanes, sont différents de la population générale, leurs profils de consommation de SPA ont été comparés aux données fournies par Pica (2005) au sujet des jeunes Québécois. Pour tous les types de SPA, les jeunes à l’étude signalent avoir consommé au cours des 12 derniers mois (figure 1), et ce, dans une plus grande proportion que ce qui a été observé chez les adolescents de la population générale du Québec (Pica, 2005). En ce qui concerne le cannabis, la quasi-totalité des participants admet avoir consommé cette substance dans les 12 derniers mois alors que dans la population générale, un peu plus du tiers -indique en avoir consommé durant la même période (Pica, 2005). Le cannabis apparaît nettement comme la substance la plus consommée. Près des trois quarts des jeunes mentionnent avoir fait usage de cannabis trois fois et plus par semaine au cours de la dernière année. Pour ce qui est des autres substances, deux jeunes sur trois révèlent avoir consommé des hallucinogènes dans les 12 derniers mois alors que la prévalence observée dans la population adolescente générale est d’environ un jeune sur dix. Le quart des jeunes à l’étude dévoile avoir consommé de la cocaïne dans la dernière année alors que c’est le cas pour un adolescent sur vingt issus de la population générale. La proportion des utilisateurs d’héroïne s’avère être près de deux fois plus élevée que dans la population adolescente générale (Pica, 2005).

Figure 1

Pourcentage des jeunes de l’échantillon PAJT/CRUV indiquant avoir consommé des substances psychoactives au cours des 12 derniers mois comparativement aux adolescents de la population générale du Québec en 2004 (âgés de 12-17 ans)* (n = 889)

Pourcentage des jeunes de l’échantillon PAJT/CRUV indiquant avoir consommé des substances psychoactives au cours des 12 derniers mois comparativement aux adolescents de la population générale du Québec en 2004 (âgés de 12-17 ans)* (n = 889)

* Les données concernant la population générale proviennent de Pica (2005). Lorsque l’information était absente de l’enquête de l’Institut de la statistique du Québec, la colonne de données a été laissée vide dans la figure.

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Les résultats issus des indices de gravité de consommation pour l’alcool, le cannabis et les autres drogues au cours des 12 derniers mois révèlent que les jeunes de l’étude seraient des consommateurs plus fréquents de cannabis que d’alcool. En effet, les jeunes rapportent consommer du cannabis à raison de trois fois et plus par semaine en moyenne (m = 3,9) alors qu’ils prennent de l’alcool principalement la fin de semaine (m = 1,8 ; t(888) = 39,17, p < .0001).

Selon ce qu’ils confient, il apparaît que plus des trois quarts des jeunes (77,9 %) ont consommé une des sept substances illicites autres que le cannabis (héroïne, sédatifs, cocaïne, amphétamines, hallucinogènes, colles ou barbituriques). Parmi ceux rapportant avoir consommé une de ces SPA, la moitié (51,3 %) n’aurait eu recours qu’à une seule d’entre elles, alors que plus du quart (29,8 %) mentionne avoir utilisé deux de ces drogues dites « dures » et 18,9 % en auraient utilisé trois et plus au cours de la dernière année. La cote de l’indice varie de 0 à 18, avec une moyenne de 2,0 (é.-t. = 2,5). Rappelons que l’indice est le fruit d’une addition de la fréquence de consommation des sept SPA mentionnées et reflète ainsi la gravité globale en tenant compte à la fois du nombre de SPA et de la fréquence de consommation de chacune.

En ce qui concerne les transitions familiales vécues par les participants (tableau 1), un peu plus de la moitié d’entre eux signalent avoir vécu la séparation de leurs parents biologiques ou adoptifs au cours de leur vie. La moitié des jeunes de l’étude rapporte avoir vécu une recomposition familiale et un jeune sur seize rapporte le décès de l’un ou l’autre de ses parents.

Tableau 1

Transitions familiales et placements vécus ou non par les jeunes de l’échantillon PAJT (n = 889)*

Transitions familiales et placements vécus ou non par les jeunes de l’échantillon PAJT (n = 889)*

*Note : L’addition des pourcentages ne donne pas un total de 100 % puisque les jeunes peuvent avoir vécu et rapporté plusieurs types de transitions familiales.

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Les adolescents de l’étude mentionnent avoir vécu une expérience de placement dans une très grande proportion (tableau 1) comparativement aux proportions observées chez les adolescents de la population générale. De l’ensemble des jeunes (N = 889), un peu plus de la moitié mentionnent avoir été l’objet d’une mesure de placement au cours de leur vie alors que 1,6 % des jeunes âgés de 0 à 17 ans de la population générale auraient vécu un placement dans leur vie (ACJQ, 2004). Le tableau 2 montre qu’un peu plus des deux tiers des jeunes ayant été placés ont vécu un placement sous la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) alors que le tiers a été placé en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC)[7].

Tableau 2

Épisodes de placement selon le type de loi

Épisodes de placement selon le type de loi

LPJ : Loi sur la protection de la jeunesse ; LJC : Loi sur les jeunes contrevenants.

* Pourcentage calculé sur l’échantillon total, soit n = 889.

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Pour vérifier l’hypothèse d’un lien entre les transitions familiales et les placements, d’une part, et la gravité de consommation de SPA, d’autre part, des analyses de régression multiple de type hiérarchique ont été utilisées. Ce type d’analyse permet de regrouper en unités conceptuelles des variables et d’en considérer le poids statistique. Un premier bloc conceptuel (étape 1) concerne les informations sociodémographiques -telles que le sexe et l’âge, reconnues pour être associées à des degrés divers à la consommation d’alcool et de drogues chez les -jeunes (Bordeleau et Perron, 2003 ; Nadeau et Biron, 1998 ; Pica, 2005). Ensuite sont insérées (étape 2) les variables portant sur les transitions familiales qui ont ou non été vécues (famille biparentale intacte, famille séparée, famille recomposée, décès d’un parent). À l’origine, une variable composée de l’addition du nombre de transitions familiales avait été incluse. Toutefois, elle s’est avérée non significative dans tous les modèles et elle a par conséquent été exclue dans la poursuite des analyses. Un troisième bloc (étape 3) regroupe exclusivement les variables relatives aux placements (nombre de ressources de placement sous la LPJ, nombre total de mois en placement en vertu de la LPJ, placement en vertu de la LJC, nombre total de mois en placement en vertu de la LJC).

Pour l’indice de gravité de la consommation d’alcool (c.-à‑d. la fréquence de consommation au cours des 12 derniers mois), on constate que l’ensemble du modèle de variables à l’étude (modèle complet : alcool) permet de prédire 8,4 % de la variance de l’indice de gravité de consommation de l’alcool pour les 12 derniers mois, F(10, 863) = 7,91, p < .001. Le pouvoir prédictif du modèle est principalement attribuable à l’âge et au sexe, ces variables expliquent 6,7 % de la variance de la fréquence de consommation d’alcool pour les 12 derniers mois F(2, 871) = 31,30, p < .001. Ainsi, plus les individus sont âgés, plus il est probable qu’ils aient consommé fréquemment de l’-alcool au cours de la dernière année. Ensuite, la valence positive du coefficient de régression indique que le fait d’être une fille (homme = 0 ; femme = 1) ajoute à la probabilité d’avoir bu plus souvent au cours de la dernière année. Les résultats obtenus par l’ajout du deuxième bloc de variables, relatives à la structure familiale, ne sont pas significatifs. Les variables touchant la transformation de la structure familiale vécue par les jeunes ne permettent pas de prédire la variation de la gravité de la consommation d’alcool au cours des 12 derniers mois, pas plus que le fait de provenir d’une famille biparentale intacte.

L’ajout du troisième bloc des variables relatives au placement est significatif F(4, 863) = 3,55, p < .01 et permet d’expliquer 1,5 % de plus de la variance de l’indice de gravité de consommation d’alcool des jeunes à l’étude pour les 12 derniers mois. Ce surplus de variance expliqué est principalement attribuable aux variables évaluant la durée des placements sous les deux lois : plus la durée totale des placements a été longue, plus il est probable d’observer aussi une augmentation de la fréquence de consommation d’alcool au cours de la dernière année.

L’ensemble du modèle visant à prédire la fréquence de consommation de cannabis explique 4,6 % de la variance de l’indice de gravité de consommation du cannabis des adolescents de l’étude pour les 12 derniers mois, F(10, 863) = 4,07, p < .001. Il s’agit d’une partie significative de la variance de l’indice de gravité de consommation du cannabis qui est expliquée. Le premier bloc de variables (âge, sexe) explique 2,7 % de cette variance, F(2, 871) = 11,89, p < .001. La variance expliquée par ce bloc semble principalement attribuable au sexe : le fait d’être de sexe masculin ajoute à la probabilité d’avoir été un plus important consommateur de cannabis au cours de la dernière année. L’ajout du deuxième bloc de variables n’est pas significatif, indiquant que les variables relatives aux transformations de la structure familiale n’ajoutent pas à la compréhension de l’indice de gravité de consommation du cannabis pour les 12 derniers mois. Pour ce qui est du troisième bloc, soit les variables relatives au placement, il permet d’ajouter 1,4 % de variance expliquée au modèle complet, F(4, 863) = 3,16, p < .05. Dans ce bloc de variables, la variable portant sur le nombre de placements en vertu de la LPJ contribue principalement au modèle, mais de façon inverse à ce qui était attendu : plus le nombre de placements a été élevé, moins la consommation de cannabis fut fréquente au cours de la dernière année.

Au sujet de la consommation d’autres drogues, le modèle complet permet de prédire 13,0 % de la variance F(10, 863) = 12,85, p < .001. Rappelons que la catégorie « autres drogues » désigne les SPA suivantes : hallucinogènes, cocaïne, héroïne, sédatifs, barbituriques, speed, colles/solvants. Les variables « âge » et « sexe » entrées dans le modèle permettent d’expliquer à elles seules 6,1 % de la variance de l’indice de gravité de consommation des autres drogues pour les 12 derniers mois F(2, 871) = 28,10, p < .001. Plus l’individu est âgé, plus il aura consommé fréquemment et un plus grand nombre d’autres drogues au cours de la dernière année. De plus, la valence positive du coefficient de régression de la variance pour le sexe indique que le fait d’être une fille (homme = 0 ; femme = 1) ajoute à la probabilité d’avoir consommé plus fréquemment et un plus grand nombre d’autres drogues depuis un an. L’ajout du bloc 2, soit les variables relatives à la structure familiale, n’est pas significatif. Par ailleurs, l’ajout des variables relatives au placement permet de prédire 6,3 % de la variation de l’indice de gravité de consommation des autres drogues pour les 12 derniers mois F(4, 863) = 15,60, p < .001. Il est à noter que trois variables ont un apport significatif. D’abord, plus la durée des placements a été longue, plus le nombre de drogues utilisées et leur fréquence de consommation seront élevés au cours de la dernière année. Cette plus grande gravité de consommation des autres drogues au cours des 12 derniers mois est aussi associée à un plus grand nombre de placements sous la LJC.

Discussion

Aucune étude recensée ne s’est penchée sur les liens entre la présence de différents événements de vie tels que les transitions familiales ou les placements et la gravité de la consommation de SPA au sein de groupes de jeunes toxicomanes en traitement. En effet, les recherches ont plutôt porté sur les liens entre ces événements et la présence ou non d’abus de SPA. L’étude actuelle a donc voulu vérifier si de tels liens entre ces -événements majeurs de vie et l’intensité de l’abus de SPA peuvent être mesurés.

Tableau 3

Prédiction de la gravité de la consommation d’alcool, de cannabis et d’autres drogues : analyses de régression multiple de type hiérarchique

Prédiction de la gravité de la consommation d’alcool, de cannabis et d’autres drogues : analyses de régression multiple de type hiérarchique

*p < .05. **p < .01. ***p < .001.

Note : Autres drogues : hallucinogènes, cocaïne, héroïne, sédatifs, barbituriques, speed, colles/solvants ; Recomposition : un des parents a reconstitué une union ; Intacte : famille dont les deux parents biologiques ou adoptifs vivent encore ensemble ; Décès : un des parents est décédé ; Séparation : les parents se sont déjà séparés ; Placement ressource LPJ : Nombre de ressources de placement où un jeune a été placé en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) ; Mois placement LPJ : Nombre total de mois en placement en vertu de la LPJ ; Placement LJC : Y a-t-il eu un placement sous la Loi sur les jeunes contrevenants (LJC) (Oui/Non) ; Mois placement LJC : Nombre total de mois en placement en vertu de la LJC.

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Les résultats ne confirment pas l’hypothèse d’un lien entre la présence de transitions familiales et la gravité de la consommation actuelle de SPA. La seconde hypothèse reçoit un appui partiel, particulièrement en ce qui concerne les liens entre les placements et la gravité de consommation des drogues illégales, autres que le cannabis.

Tout d’abord, les jeunes consultant un centre spécialisé de traitement de la toxicomanie présentent, selon ce qu’ils rapportent, un profil important de consommation de diverses SPA : tous consomment du cannabis, les deux tiers prennent des hallucinogènes et un jeune sur quatre fait usage de cocaïne, ce qui est nettement supérieur aux prévalences observées chez les jeunes de la population générale (Pica, 2005). Le profil de consommation de SPA mentionné par les adolescents de l’étude est similaire à celui observé au sein de groupes équivalents (Landry et coll., 2000). Le vaste échantillon de l’étude, ainsi que le fait qu’il soit constitué de données tirées des évaluations d’admission en traitement pour la toxicomanie pour une période de quatre années consécutives, a pour conséquence que les résultats obtenus sont généralisables aux adolescents débutant un traitement pour une toxicomanie.

Malgré l’absence de liens significatifs entre la présence de séparation, de recomposition ou de décès et l’importance de l’abus de SPA, les données indiquent toutefois que les jeunes en traitement pour abus de SPA présentent des proportions de transitions familiales diverses très élevées, et ce, bien au-dessus des proportions observées pour ce groupe d’âge dans la population générale. En effet, dans la population générale, on s’attend à ce que moins d’un jeune sur trois ait vécu la séparation de ses parents ou encore que 70 % des jeunes vivent avec leurs deux parents d’origine (famille biparentale intacte), comme c’est le cas dans la population générale (Bellerose et coll., 2002). Ces prévalences sont à l’opposé au sein du groupe à l’étude où seulement le tiers des jeunes a rapporté vivre avec leurs deux parents. Dans la population générale, on aurait pu s’attendre à ce que 12 % des jeunes de ce groupe d’âge aient vécu au sein d’une famille recomposée (Bellerose et coll., 2002) alors que dans l’échantillon actuel près de 50 % des jeunes du groupe rapportent vivre cette situation. Il est à noter que les jeunes toxicomanes en traitement pour abus de SPA affichent des proportions beaucoup plus élevées de transitions familiales vécues que les jeunes de la population générale, sans toutefois que la présence ou non de ces transitions familiales soit associée à la gravité de la toxicomanie.

Pourtant, plusieurs études montrent que vivre dans une famille biparentale intacte est un facteur de protection face au développement de l’abus de SPA (Hetherington, 2003 ; Hetherington et Kelly, 2002 ; Kelly, 2003). De plus, plusieurs études illustrent de quelle manière les transitions familiales sont associées à l’apparition d’un problème d’abus de SPA (Gerard et Buehler, 1999 ; Hetherington, 2003 ; Saint-Jacques et coll., 2002). Au-delà des liens avec l’apparition du phénomène d’abus de SPA, la présence de transitions familiales ne semble pas être associée à une variation du degré de gravité de la toxicomanie, du moins à l’intérieur d’un groupe passablement homogène, c’est-à-dire où l’importance de la toxicomanie est élevée pour tous.

Il est légitime de remettre en question la mesure de la présence de ces transitions familiales sous un mode binaire (oui/non). En fait, ces événements de vie sont très complexes et la compréhension de leurs impacts dans le développement d’un enfant ou d’un adolescent s’inscrit au sein de modélisations complexes, tenant compte de multiples variables médiatrices ou modératrices. À l’inverse, d’autres études ont noté des liens entre des mesures simples de transitions familiales et l’importance de la toxicomanie (Guyon et Desjardins, 2002). Toutefois, ces auteurs bénéficiaient d’échantillons où l’étendue de la gravité de l’abus de SPA couvrait tout le continuum, soit d’aucun problème à de graves difficultés. Les jeunes à l’étude ont possiblement présenté trop d’homogénéité.

Des variables médiatrices pourraient expliquer les liens observés ou même l’absence de relations significatives notées. Rappelons ici que la qualité des relations avec les parents et la constance du lien dans le temps sont autant de facteurs qui viennent pondérer l’effet d’une séparation ou d’un divorce. Selon plusieurs, la résilience face aux impacts des transitions familiales peut s’expliquer par des facteurs personnels, psychologiques et contextuels (Hetherington, 1999), liés à la qualité des relations intra familiales (Kufeldt, Simard et Vachon, 2002). La séparation pourrait même réduire le degré de conflits et être adaptative (Booth et Amato, 2001 ; Turcotte, Beaudoin, Champoux et St-Amand, 2002). Il n’y avait aucun moyen d’évaluer le degré d’adaptation du jeune aux différentes transitions familiales ni les variables médiatrices telles la qualité des liens d’attachement, la constance des contacts ou la variation d’intensité des conflits familiaux avant et après la transition familiale dans la présente étude. Il s’agirait certainement là d’une piste de recherche intéressante.

Quant aux situations de placement, on note que moins de 2 % des jeunes du Québec, âgés de 0 à 17 ans, sont en situation de placement (ACJQ, 2004). En comparaison, plus de la moitié des jeunes de l’étude révèlent avoir vécu une situation de placement. Il ressort de nos analyses que la présence de placements et leur durée sont associées à une problématique plus importante d’abus de drogues autres que le cannabis au moment de l’admission en traitement, ce qui apporte un certain appui à la seconde hypothèse. Plus le placement est de longue durée et plus le nombre de placements est élevé, plus la gravité de consommation d’alcool et d’autres drogues augmente chez les jeunes de l’échantillon. Cependant, cette association, quoique significative, est plus ténue en ce qui concerne la gravité de la consommation d’alcool.

Comment expliquer cette association observée. Soulignons d’abord que nous étions dans l’impossibilité de pouvoir contrôler l’ampleur des troubles de la conduite et leur association à la consommation de SPA, ce qui constitue une limite de l’étude. Cette information aurait pu apporter des vérifications à l’hypothèse largement connue que plus un jeune consomme et abuse de drogues, plus la nature des liens drogue – commission de délits évolue (Brunelle, Brochu et Cousineau, 2005) ; d’ailleurs, cette dernière composante est associée à une plus grande probabilité de placement. Il se peut donc qu’une des explications aux résultats obtenus soit, par exemple, l’association à des pairs déviants qui incitent à commettre des délits et à utiliser les SPA (Brunelle, Brochu et Cousineau, 2000). Un modèle économico-compulsif où les nécessités de consommation incitent à commettre des délits lucratifs en vue d’acheter des drogues (Brochu, 2006 ; Goldstein, 1985) pourrait tout aussi bien expliquer les résultats actuels par son effet indirect sur les probabilités de placement. On sait d’ailleurs que plus de la moitié des jeunes présentant une toxicomanie commettent des délits pour acheter des drogues (Farabee, Shen, Hser, Grella et Anglis, 2001).

À l’inverse, d’autres travaux ont documenté le lien entre les placements et leur impact sur la qualité de l’attachement de même que les effets possibles de cette transition sur le développement de la consommation de SPA (Born, Chevalier et Humblet, 1997[8] ; Slesnick et Meade, 2001). Plusieurs recensions d’écrits montrent que le fait de vivre un ou plusieurs placements peut avoir comme conséquence de favoriser le développement de certains troubles de comportement incluant l’abus de SPA (Newton et coll., 2000 ; Saint-Jacques et coll., 2000 ; Zlotnick et coll., 1999).

Les données actuelles ne permettent donc pas de discerner si un accroissement d’abus de SPA a été la cause du placement ou si l’effet du placement agit sur l’intensité de consommation et d’abus de SPA. Ainsi, aucune relation causale ne peut être ici invoquée. Les données rappellent néanmoins l’importance clinique des liens entre la consommation de SPA et une histoire de vie marquée par divers événements majeurs, dont les -placements.

Notons ce fait surprenant, le lien inversé entre la présence de placement sous la Loi sur la protection de la jeunesse et une plus faible consommation de cannabis. Ce lien, quoique significatif, est très ténu et difficile à expliquer. Encore ici, il faut constater que les jeunes de l’étude actuelle présentent peu de variation quant à la gravité de consommation de cannabis : 75 % d’entre eux sont des consommateurs réguliers (trois fois semaine et plus), dont 40 % en prennent tous les jours. Ainsi, l’homogénéité du comportement rend difficile la prédiction des variations de consommation. Par ailleurs, le cannabis est la drogue illicite la plus utilisée par les adolescents (Bachman, Johnston et O’Malley, 1998 ; Bordeleau et Perron, 2003 ; CPLT, 2003 ; Guyon et Desjardins, 2002 ; MSSS, 1998 ; Vitaro et coll., 2002 ; Zoccolillo, Vitaro et Tremblay, 1999) et il se peut, dès lors, que la consommation d’autres drogues illicites présente un meilleur pouvoir discriminant de la gravité de la problématique de toxicomanie.

D’un point de vue clinique, les données de l’étude mettent en évidence l’importance de considérer le recours à des -substances illicites autres que le cannabis. En effet, on observe que les placements, plus importants en termes de durée totale, sont associés à une fréquence plus élevée de consommation et au recours à un plus grand nombre de substances illicites autres que le cannabis. Il est bien connu que les jeunes en situation de placement, notamment en centre jeunesse, ont une histoire importante de recours à l’alcool et aux drogues illicites (CPLT, 2000), mais la nature des liens entre ces deux phénomènes reste à clarifier.

Nous croyons donc que ces données peuvent servir d’appuis dans l’élaboration ou la poursuite de programmes de traitement ou de surveillance chez les jeunes touchés par le placement et présentant des indices de surconsommation. Plus particulièrement, il apparaît important de poursuivre les mesures de prévention et d’intervention précoce pour contrer l’apparition ou l’aggravation de l’utilisation de drogues illicites chez les jeunes vivant des situations de placement. Les constats de notre recherche quant à la lourdeur de la problématique de consommation chez les jeunes de l’étude confirment également que les services spécialisés d’intervention portant sur la toxicomanie déjà offerts dans les centres jeunesse sont essentiels, judicieux et doivent être maintenus. Par ailleurs, nous sommes d’avis que les interventions au sein des centres de réadaptation pour les jeunes toxicomanes doivent tenir compte de ces données. Par exemple, sans effectuer une discrimination négative, les jeunes ayant vécu un placement pourraient être ciblés afin d’intégrer aux services qu’ils reçoivent déjà des mesures visant, dans un premier temps, à identifier l’impact produit par le ou les placements vécus et, par la suite, tenir compte de cette information dans le choix des interventions mises en place. Une concertation étroite entre les centres jeunesse et les centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres toxicomanes (CRPAT) doit exister ; ces derniers pourraient en effet veiller à l’instauration de mesures de prévention et d’intervention de la toxicomanie durant et après les épisodes de placement vécus par les jeunes. Cette concertation pourrait ainsi se traduire par un accroissement du soutien apporté aux intervenants des centres jeunesse par les intervenants en toxicomanie des CRPAT. Les pratiques déjà existantes entre ces deux types de services aux jeunes devraient donc être maintenues et bonifiées. D’autant plus que, comme nous l’avons mentionné, nos résultats sont généralisables à une population de jeunes consultant en centre spécialisé pour des problèmes de toxicomanie ayant vécu un ou des placements.

Plusieurs limites de l’étude ont été précédemment mentionnées. Il faut y ajouter le fait que les données sont toutes auto-révélées et par conséquent, elles ne peuvent être considérées comme une mesure objective des phénomènes à l’étude. Ainsi, est-ce que les participants ont fidèlement rapporté les prévalences des différentes transitions familiales ? Ont-ils révélé de façon juste leur consommation de SPA ? Toutefois, un large pan des sciences sociales s’appuie sur ce type de données, lesquelles semblent tout de même valables. Une autre limite concerne la transversalité du protocole de recherche. En effet, au sein de recherches ultérieures, on devrait recourir à des protocoles longitudinaux afin de mieux apprécier le rôle d’événements de vie tels que les transitions familiales ou les placements. Quant aux études rétrospectives, elles devraient permettre de contrôler la variance attribuable à divers éléments médiateurs.

En conclusion, l’étude actuelle met en évidence différents éléments. Tout d’abord, en fonction des données auto-révélées, les jeunes issus des centres jeunesse et consultant en centre spécialisé pour la toxicomanie rapportent une prise de SPA plus importante, et ce, bien au-delà des niveaux observés dans la population générale. Le cannabis est la substance la plus appréciée, mais plusieurs autres drogues sont utilisées. Les jeunes en traitement pour abus de SPA rapportent avoir vécu diverses transitions familiales dans des proportions nettement plus élevées que les jeunes de la population générale. Par contre, la présence de ces transitions n’est pas associée au degré de gravité de leur consommation de SPA. Différentes limites de l’étude peuvent expliquer ces observations, la principale étant le manque de variation quant à la consommation de SPA au sein de l’échantillon (c.-à-d. la présence de jeunes non toxicomanes qui auraient aussi vécu des transitions) et l’absence de protocoles longitudinaux. La présence de ces placements ou de leur durée est associée à une légère augmentation de la gravité de la consommation d’alcool et à une hausse plus significative de la consommation de drogues autres que le cannabis.