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Introduction

L’objectif de cette revue de littérature est de présenter des données sur la consommation excessive chez les personnes âgées. Nous aborderons la difficulté de l’identification du problème d’alcool dont la prévalence est souvent sous-estimée. La prévalence de la consommation est significative et pourrait prendre de l’ampleur dans les années à venir. Nous aborderons les facteurs facilitants et les conséquences spécifiques de la consommation à cet âge. La transposition d’outils d’évaluation de la consommation alcoolique employés tant chez l’adulte que la personne âgée ne donne pas grande satisfaction. Les études montrent la nécessité de développer des outils spécifiques pour les personnes de cet âge. De tels outils devraient prendre en considération le style de vie de la personne, ses capacités cognitives, la prise de médicaments et les lieux de vie (hôpital, maison de retraite, au domicile). Des programmes d’aide ont été aussi mis en place et demandent à être davantage développés.

La sous-estimation de la consommation excessive chez la personne âgée

La perte de la qualité de vie lors du vieillissement semble perçue comme normale par la plupart des gens (Stelle et coll., 2007). Par conséquent, les troubles psychiatriques des personnes âgées [1] (plus de 65 ans) sont sous-détectés et sous-traités (Glasser et Gravdal, 1997 ; Davidson et Meltzer-Brody, 1999 ; Maheut-Bosser, 2007 ; Mahgoub, 2009). Les problèmes d’alcool ne sont pas une exception. Il y a eu peu d’intérêt et donc peu de travaux de recherche sur la consommation de la personne âgée, et certaines enquêtes, comme le Baromètre santé de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), en France, excluent les personnes de plus de 75 ans (Michaud et Lecallier, 2003). La consommation d’alcool des personnes âgées reste donc méconnue (Malet et coll., 2009) : l’usage, le mésusage et l’abus d’alcool sont « sous-estimés, sous-identifiés, sous-diagnostiqués et donc sous-traités » (SAMHSA, 2004 ; Onen, 2008). Une explication à cette sous-estimation est peut-être que l’attention portée aux plaintes de la personne varie en fonction de son âge. Même si elles déclarent des plaintes similaires, les personnes âgées obtiennent moins de diagnostics d’alcoolisme que les jeunes adultes (Booth et coll., 1992). Cette minimisation de ces difficultés contraste avec le constat que les personnes âgées sont plus vulnérables aux effets de l’alcool (Patterson et Jeste, 1999) à cause des modifications de leur métabolisme et autres changements physiques et de l’augmentation des maladies chroniques (O’Connel et coll., 2003). Par exemple, un verre à 30 ans n’a pas le même effet sur le corps qu’à 70 ans, d’autant plus qu’il est plus probable qu’il y ait une interaction avec des antipsychotiques. Les signes d’abus d’alcool sont souvent confondus avec ceux d’autres maladies ou troubles, comme les troubles anxieux, la dépression ou la démence (Stelle et coll., 2007), mais aussi avec les effets iatrogènes d’une surconsommation médicamenteuse.

Cette sous-estimation peut aussi être expliquée par les critères diagnostiques utilisés, les comorbidités médicales et psychiatriques, la prise de conscience des équipes soignantes (Onen, 2008). Pour ces raisons, la consommation d’alcool est peu sondée et l’abus d’alcool est moins identifié. Certains symptômes, par exemple la perte d’intérêt, les chutes, la détérioration cognitive ou l’hypertension, sont mis sur le compte de l’âge au lieu d’une éventuelle conduite d’alcoolisation ou d’une prise excessive de médicaments et du mélange des deux. L’abus d’alcool chez la personne âgée s’accompagne de symptômes qui imitent ceux de la dépression, de la démence, des attaques et problèmes cardiaques, et qui pourraient expliquer les chutes et les accidents attribués souvent à d’autres causes, ainsi que les prescriptions et les réactions aux médicaments (Stelle et coll., 2007.) Il est reconnu que les personnes âgées font un usage excessif de médicaments; l’alcool en affecte l’absorption, la distribution et le métabolisme (Onder et coll., 2002). Plus précisément, il altère les niveaux sanguins des médicaments et amplifie la sédation. Pour mieux identifier ce qui est une manifestation de l’alcool et ce qui est dû à d’autres maladies, une évaluation de la consommation et la proposition d’une réduction, même temporaire, permettraient de considérer l’interaction et les changements.

Prévalence des problèmes d’alcool

L’alcoolisme, l’abus et le mésusage de substances sont des problèmes qui prennent rapidement de l’ampleur aux États-Unis, où la population vieillissante présente des attitudes plus indulgentes envers l’alcool comparativement aux générations précédentes (Rowan et Faul, 2007). Il en résulte l’attente que l’alcoolisme prendra de l’ampleur dans les années à venir.

Est-ce que la consommation de la personne âgée est propre à l’âge ? Les recherches montrent que le mode de consommation varie en fonction de l’âge. Les jeunes, par exemple, ont tendance à consommer massivement (binge-drinking) en fin de semaine, avec les amis. Plus on avance dans l’âge, plus la consommation devient quotidienne, plus régulière, plus fréquente et la quantité par prise diminue. Selon Petersen et coll. (1977), le groupe des sujets âgés est caractérisé par un nombre plus important de personnes abstinentes, mais aussi par des taux élevés d’intoxication dans les lieux publics, par moins d’hospitalisations pour cause d’alcoolisme et par une augmentation importante de l’utilisation de médicaments et de narcotiques. Enfin, contrairement à une croyance communément partagée, les sujets âgés acquièrent des techniques d’adaptation pour éviter un contrôle extérieur de leur consommation.

Après l’âge de 55 ans, la consommation moyenne a tendance à diminuer (Stelle et coll., 2007) et cela continue après 65 ans. Certaines enquêtes auprès des adultes âgés (55-65 ans) montrent que la quantité d’alcool consommée diminue ainsi que le nombre de personnes dépendantes. Onen (2008) constate que la prévalence des troubles addictifs chez les personnes âgées est moins élevée que chez les sujets plus jeunes. Les personnes âgées consomment moins d’alcool, mais elles risquent plus de complications avec une quantité consommée inférieure à celle des jeunes. L’hypothèse d’une autolimitation de la consommation chez les personnes âgées doit être contrebalancée par l’excessive mortalité dans les formes les plus sévères d’alcoolisme et par un début tardif souvent inextricablement lié aux événements de vie (retraite, isolement social et émotionnel, maladie physiquement handicapante, épisodes dépressifs) (Malet et coll., 2009). La prévalence de problèmes associés à l’alcool chez la personne âgée varie beaucoup, de 2 à 22 % (Dufour et Fuller, 1995). Dans une autre revue épidémiologique, on trouve une prévalence de 2 à 45 % d’abus d’alcool (Johnson, 2000). Les études chez des patients hospitalisés font état d’une prévalence de consommation problématique qui dépasse toujours 10 % (Dufour et Fuller, 1995). Dans une étude récente (Merrick et coll. 2008), les deux tiers des personnes âgées ne consommaient pas d’alcool, le quart buvaient dans des quantités limitées et une personne sur dix dépassait les 30 verres par mois ou les trois verres par jour (limites d’une consommation « sans risque »). En France, dans la population générale, la prévalence d’une consommation problématique est estimée à 10 % pour les adultes de plus de 65 ans. Quelques études évoquent d’ailleurs une prévalence de 11 à 40 % pour les personnes âgées institutionnalisées (Brousse et coll., 2003). Dans une étude récente (Ki Woong et coll., 2009) sur la prévalence de problèmes d’alcool chez un groupe de 741 Coréens, diagnostiqués à l’aide du DSM-IV, les sujets ont été catégorisés en six groupes en fonction de la consommation d’alcool : abstinents à vie (abstinent de première intention), anciens buveurs, buveurs sociaux, consommateurs à risque, consommateurs abusifs et dépendants de l’alcool. La prévalence du mode de consommation sociale était estimée à 13,6 %, celle de consommateurs à risque à 5,42 %, de l’abus d’alcool à 2,28 % et celle des personnes dépendantes à 2,92 %.

Les hommes consomment plus que les femmes, le pourcentage variant de 70 à 63 % (Jinks et Raschko, 1990). Moos (2004) remarque aussi une augmentation des abstinents : 12,9 % des hommes et 7,9 % de femmes sont abstinents entre 55 et 65 ans contre respectivement 20,6 % et 20 % entre 65 et 75 ans. L’auteur mesure également une diminution de la quantité maximale d’alcool par occasion et une stabilité de la fréquence des occasions. Moos (2004) trouve que 30 % des hommes et 13 % de femmes entre 55 et 65 ont des problèmes d’alcool contre 22 % des hommes et 8 % des femmes entre 65 et 75 ans.

Dans une autre étude épidémiologique, Blazer et Wu (2009) ont interrogé 10 953 sujets, dont 4 236 avaient plus de 65 ans. Les auteurs ont trouvé que les personnes âgées (plus de 65 ans) présentent moins fréquemment une consommation à risque et moins d’épisodes de boire excessif (binge-drinking) que les personnes de moins de 65 ans. Parmi ces dernières, 13 % des hommes et 8 % des femmes rapportaient une consommation à risque et plus de 14 % des hommes et 3 % des femmes ont fait mention d’un épisode de binge-drinking. Les auteurs recommandent de poser l’attention sur la consommation d’alcool de la personne âgée et sur l’interaction avec d’autres médicaments.

La consommation en maison de retraite

Dans les structures gériatriques, la consommation de la personne âgée pose souvent des problèmes aux équipes soignantes, surtout qu’elle est aussi plus importante que dans la population de personnes âgées non hospitalisées (Brousse et coll., 2003; Dufour et Fuller, 1995). L’alcoolodépendant tardif bascule dans une consommation excessive et à risque à la suite d’une mauvaise adaptation aux changements imposés par la vieillesse : perte du conjoint, d’amis chers, perte d’autonomie, mobilité réduite, dégradation physique, mentale, etc.

En fonction de l’institution, l’évaluation du risque sur la santé et les règles de consommation peuvent différer : certaines maisons sont permissives d’autres intransigeantes. Certaines autorisent le quart de vin pendant le repas, d’autres, un verre les jours festifs. De plus, les contre-indications médicales peuvent réduire la fréquence et la quantité. La maison de retraite est aussi un lieu où les conséquences des alcoolisations excessives sont très visibles du fait de la proximité avec les autres résidents et de la « surveillance » de l’équipe médicale. Quand un abus est observé, il reste difficile pour l’équipe de gérer ce problème (Michaud et Lecallier, 2003).

Le risque associé à la consommation d’alcool a été défini pour les jeunes et les adultes (moins de 65 ans). Aux États-Unis, il est recommandé aux sujets de plus de 65 ans de ne pas boire plus d’un verre par jour (Aira, 2005).

Conséquences propres à la consommation du sujet âgé

Nous avons souligné que la vieillesse est un facteur de fragilisation face à la consommation d’alcool, en particulier si la personne âgée a des problèmes de santé. La présence d’une consommation excessive peut s’expliquer par une fréquence plus élevée d’événements stressants (Finlayson et coll., 1988) comme la solitude, le deuil, l’isolement, la perte du soutien social, l’anxiété, la dépression (Bressi et coll., 2008), le stress (Schonfel et Dupree, 1990), des difficultés financières (Moos et coll., 1991). Les personnes âgées ont tendance à considérer les événements d’une manière plus sérieuse que les plus jeunes (Carroll et coll., 2005), et une consommation excessive risque d’amplifier ce phénomène et de favoriser le stress. Les personnes âgées se suicident plus fréquemment que les moins de 65 ans (Karvonen et coll., 2008), et boire excessivement augmente encore plus le risque de suicide chez les femmes âgées (Bressi et coll., 2008). Une consommation excessive d’alcool accroît le risque de blessures par chute et les accidents de voiture (Sorok et coll., 2006) et augmente la consommation de tabac (Ki Woong et coll., 2009). D’autres conséquences sont la diminution des capacités à réagir contre les infections et les cancers (altération du système immunitaire), de la qualité et de la quantité alimentaire (perte d’appétit), les chutes, une augmentation des cancers, de l’hypertension, des troubles cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des cirrhoses, des troubles cognitifs, des troubles sexuels, de la négligence de soi, de la dépendance tabagique, l’incontinence, les tremblements et des complications à cause de l’interaction avec les médicaments (Stoddard et Thompson, 1996). Par contre, une consommation d’alcool non excessive, sur un mode social, diminue le risque de dépression (Ki Woong et coll., 2009).

Facteurs de protection et d’influence de la consommation

La prise de conscience du rôle joué par l’alcool dans l’étiologie de ces problèmes et du fait que ceux-ci ne découlent pas uniquement de la vieillesse pourrait faciliter la décision d’une réduction de la consommation. L’âge avancé, l’hypertension, le diabète, les maladies physiques et les problèmes cardiaques sont des facteurs de protection et facilitent l’arrêt de la consommation d’alcool chez les femmes (mais pas chez les hommes, voir Satre et Areán, 2005).

Les sujets âgés alcooliques présentaient un fonctionnement cognitif moins bon que des sujets du même âge non alcooliques, mais également comparativement à des adultes alcooliques plus jeunes de 45 à 54 ans (Mohamed et coll., 2006). L’arrêt de la consommation d’alcool peut améliorer les performances cognitives de la personne âgée. Fein et McGillivray (2007) ont étudié les performances cognitives (attention, fluence verbale, psychomotricité, mémoire immédiate, temps de réaction…) chez des patients âgés alcooliques abstinents depuis une période moyenne de 14,8 ans (l’abstinence allant de 6 mois à 45 ans). Ils ont trouvé que les performances cognitives de ces personnes sont similaires à celles du groupe témoin. Ils en ont conclu que seulement les personnes alcooliques âgées ayant abusé de l’alcool tard dans leur vie, mais qui ont au moins six mois d’abstinence peuvent avoir un fonctionnement cognitif normal.

La bonne image sociale attribuée à l’alcool est aussi un facteur qui influence la consommation. Michaud et Lecallier (2003) dénoncent l’influence de la valorisation politique et économique du vin qui a été faite en France à partir de quelques études ayant mis en évidence ses effets positifs sur la santé. Par contre, 22 études ont toutefois montré ses effets délétères. Cette stratégie de maximalisation des effets positifs et de minimisation des effets négatifs de l’alcool sur la personne âgée est facilitée par l’attribution des nuisances aux effets de l’âge. Il s’agit d’une sorte de déni qui facilite la consommation sans culpabilité.

Un autre facteur de consommation est l’automédication. L’utilisation de l’alcool pour ses effets psychotropes est fréquente, surtout chez les femmes. Une étude finlandaise (Aira et coll., 2008) s’est intéressée à l’utilisation de l’alcool comme automédication chez 1 000 sujets (699 vivaient dans un logement ou structure pour personnes âgées) de plus de 75 ans. Ceux-ci ont été interviewés sur leurs habitudes de consommation et d’utilisation d’alcool et aussi sur leurs habitudes de vie, leur utilisation des médicaments et les maladies. Aira et coll. ont trouvé que 50 % des sujets interrogés consommaient de l’alcool, dont 40 % à des fins pharmacologiques. Il n’y avait pas de différences entre les hommes et les femmes. La quantité utilisée était la moitié d’unité d’alcool (une unité = 10 millilitres d’alcool pur) ou moins dans 68 % des cas. Le brandy ou d’autres alcools étaient les plus communément utilisés. Les raisons les plus souvent évoquées pour justifier la consommation étaient des troubles cardiaques et vasculaires (38 %), des troubles de sommeil (26 %) et des difficultés mentales (23 %). On constate que 8,4 % des sujets ont répondu ne pas consommer d’alcool, tout en évoquant son utilisation pour l’automédication. L’égalité dans le nombre de consommations entre les hommes et les femmes montre que celles-ci ont plus de facilité à parler de leur consommation en termes d’automédication (Aira et coll., 2008), plutôt qu’en termes directs de conduite d’alcoolisation.

Les croyances liées à l’alcool et le rôle facilitant de l’âge

L’approche clinique et la thérapie cognitive des addictions mettent l’accent sur la présence de croyances concernant le produit utilisé par la personne dépendante (Graziani et Gackière, 2003). Ces croyances concernent l’anticipation des effets positifs de l’alcool, par exemple : « L’alcool me permet d’oublier, de me détendre, d’être plus gai » ; « L’alcool réchauffe ». Certaines croyances sont en rapport aux attentes d’un soulagement. Il s’agit ici de lutter contre une souffrance comme l’isolement, la solitude, la douleur, l’inactivité, la dépression, l’incompréhension ou l’ennui par manque d’occupation dans l’institution, par exemple : « Il me faut de l’alcool pour être mieux » ; « L’alcool diminue la douleur physique et morale » (Hautekèete et coll., 1999; Tison et Hautekèete, 1998).

Quand des inconvénients sociaux (reproches de la famille ou de l’équipe soignante), physiques (maladie associée à l’alcoolisation ou autres maladies), psychologiques (l’alcool augmente l’anxiété, diminue les capacités de mémorisation, augmente la désorientation…) sont présents, la personne âgée déploie des autorisations, des pensées permissives : « Vu mon âge, je ne risque rien » ; « J’ai toujours bu, je ne vais pas m’arrêter maintenant » ; « Je n’ai plus rien à perdre » ; « Au point où j’en suis… ». Dans le discours du sujet âgé dépressif, il est fréquent d’entendre des phrases telles que : « Je suis nul » ; « Ma vie est fichue » ; « Personne ne me comprend ». Tison et Hautekèete (2001 et 2005) ont identifié deux autres groupes de croyances : il s’agit de l’idée d’une Banalisation des Symptômes Dépressifs avec l’Âge (BSDA) : « C’est normal d’être déprimé à mon âge » ; et l’idée d’un Changement Impossible avec l’Âge (CIA) : « Je suis trop vieux pour changer ». La croyance que les problèmes à un âge avancé ne peuvent pas être résolus devient une prophétie autoréalisante et les traitements possibles ne sont pas considérés (Stelle et coll., 2007).

Certaines de ces pensées sont en lien avec des habitudes de consommation : « J’ai toujours bu deux ou trois verres par repas, ce n’est pas maintenant que je vais arrêter » ; « Il faut bien mourir de quelque chose ». Plus la personne aura des arguments pour justifier sa consommation, plus elle pourra consommer sans se sentir en conflit avec son système de valeurs ou avec la demande de l’entourage. Ce qui peut favoriser la consommation d’alcoolisation des personnes âgées, ce sont aussi les croyances facilitantes de l’entourage qui aurait tendance à justifier et à tolérer : « On ne va pas le priver maintenant » ; « Il est veuf, seul. Si on lui interdit l’alcool, il ne lui reste plus rien » ; « Il l’a bien mérité après une vie de sacrifices ». Ces sont des BSDA et CIA de l’entourage ; l’âge devient une pensée facilitante pour les tiers aussi. La possibilité d’aider le patient à considérer d’autres pensées permet de réduire l’envie de boire et augmente le sentiment de contrôle. Ceci peut être considéré en termes de contrôle de la conduite addictive. Il serait ainsi important d’adapter des outils thérapeutiques spécifiques.

Évaluer la consommation de la personne âgée

L’abus et la dépendance de la personne âgée concernent essentiellement l’alcool (Maheut-Bosser, 2007). La consommation d’alcool n’est pas un acte isolé, elle s’intègre dans un contexte et varie en fonction des événements de vie rencontrés. Elle est à analyser en rapport au mal-être de la personne âgée et elle est souvent à entendre en termes de demande d’effets pharmacologiques par rapport à l’anxiété et la dépression que le statut de personne âgée. La transposition de la notion de risque de l’adulte à la personne âgée n’est pas justifiée. Les outils d’évaluation de l’alcoolodépendance chez l’adulte ne sont pas adéquats pour les personnes âgées (Atkinson, 1990). Il est nécessaire de construire des connaissances spécifiques pour les plus de 65 ans. Certaines études ont essayé de répondre à cette absence de données, mais l’évaluation de l’usage et du mésusage de l’alcool par la personne âgée souffre de l’absence de mesures fiables et valides de l’abus d’alcool (Maheut-Bosser, 2007 ; St. John et coll., 2009). La plupart des outils de dépistage ne sont pas suffisamment adaptés à cette population (Reid et coll., 2003). L’estimation de l’abus d’alcool, la sensibilité et la spécificité de l’instrument varient largement en fonction des méthodes utilisées pour déterminer l’abus, par exemple, les critères du DSM-IV ou ceux du NIAAA (National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism), les définitions de consommation à risque, consommation excessive, problème d’alcool, dépendance alcoolique, etc., les caractéristiques de vie de la population étudiée (maison de retraite, hôpital, à domicile, et en fonction de la localité géographique : voir Stelle et coll., 2007), des caractéristiques cliniques de la population (O’Connell et coll., 2004), de la culpabilité (Aira et coll., 2008). La sélection de l’instrument doit ainsi tenir compte de la facilité de l’utilisation, de l’acceptabilité du patient, de sa sensibilité et de sa spécificité, ainsi que des caractéristiques cognitives et des habitudes de la population étudiée. Gavetti et Constantine (2001) montrent que l’utilisation de papier et crayon peut être inadaptée pour les sujets âgés à cause de leurs limitations physiques.

Dans une étude de validation du Michigan Alcoholism Screening Test (MAST) auprès de 122 hommes âgés brésiliens, dans un service gériatrique de consultation externe, 35 hommes présentaient une consommation d’abus ou de dépendance à l’alcool. Le score seuil de 4 sur 5 avait une sensibilité de 91,4 % (Hirata et coll., 2001). Les auteurs concluent que le MAST est un bon instrument pour détecter l’abus d’alcool et la dépendance. Ils conseillent de l’utiliser avec d’autres instruments mesurant la fréquence et la quantité de la consommation d’alcool afin d’optimaliser la détection des patterns de consommation (Hirata et coll., 2001). Un autre questionnaire utilisé est le CAGE. Il n’y a pas de consensus sur son efficacité : certains présentent le CAGE comme un des outils les plus performants chez les hommes âgés (Bradley et coll., 2001), et il est donc généralement employé comme questionnaire de routine, tandis que d’autres ont montré qu’il ne parvient pas à détecter de manière fiable les problèmes d’alcool actuels dans une population âgée (Luttrell et coll., 1997; Fink et coll., 2002). Luttrell et coll. (1997) conseillent d’utiliser l’UCLS : la première question consiste à demander au patient s’il boit de l’alcool dans une semaine normale. Si la réponse est positive, on lui pose les quatre questions suivantes, lesquelles sont plus sensibles à détecter des problèmes d’alcool et dérivent du MAST-G (Michigan Alcoholism Screening Test – Geriatric Version) :

  1. En parlant avec d’autres, ne pensez-vous pas que vous sous-estimez votre consommation ?

  2. Avez-vous des règles pour vous-même afin de ne pas boire avant une certaine heure dans la journée ?

  3. Avez-vous déjà établi des règles pour gérer votre consommation d’alcool ?

  4. Le fait de boire un verre vous aide-t-il à dormir ?

Pour Berks, l’AUDIT est efficace pour la détection de la consommation à risque et excessive des personnes âgées, tandis que le CAGE est mieux adapté à l’évaluation de la dépendance (Berks et coll., 2008).

L’évaluation de la consommation alcoolique n’est pas encore dans les habitudes médicales et Mahgoub (2009) recommande d’évaluer de manière routinière la consommation de la personne âgée.

Quelle intervention thérapeutique ?

Même si la consommation problématique est repérée par la personne âgée elle-même ou par l’entourage, le sentiment d’échec et la honte induisent une réticente à chercher une solution (Stelle et coll., 2007). La condition de sujet âgé implique une évaluation de la consommation actuelle, laquelle à quantités égales peut être à risque pour le sujet âgé par rapport au plus jeune et nécessiter un travail motivationnel (Prochaska et DiClemente, 1988; Prochaska et coll., 1992) autour de l’éventuel changement du style de consommation. Les résultats des interventions sur les cas d’abus d’alcool chez les adultes âgés soulignent l’efficacité des interventions brèves (Stelle et coll. 2007). Une simple mise en garde du médecin peut suffire à diminuer la consommation d’alcool (Fleming et coll., 1999) et doit être individualisée en tenant compte des conditions médicales du patient et de sa prise de médicaments (Aira et coll., 2005). Dans une étude clinique contrôlée auprès d’alcooliques âgés et plus jeunes (moins de 65 ans), Lemke et Moos (2002) trouvent les mêmes résultats aux traitements dans les deux groupes.

Fleming et coll. (1999) et Schonfel et Dupree (1995) ont testé l’efficacité des thérapies d’inspiration psychodynamique, les 12 étapes (plus ou moins longues) des Alcooliques Anonymes, la thérapie basée sur le soutien social, la thérapie comportementale et la thérapie cognitivo-comportementale. Seules les interventions comportementales et cognitivo-comportementales (conditionnement, autorégulation et prévention de la réponse) ont démontré une efficacité chez les adultes âgés. Un traitement basé sur le modèle de réduction des risques semble efficace pour diminuer la consommation d’alcool et encore plus efficace pour traiter la consommation excessive ponctuelle (Lee et coll., 2009). Les personnes âgées sont réceptives aux traitements et peuvent changer leurs habitudes de consommation. Satre et coll. (2004) montrent, qu’après cinq ans, les adultes âgés ont des résultats aux traitements des addictions qui sont bons ou meilleurs que ceux des adultes plus jeunes. Ceci concorde avec d’autres études (Oslin et coll., 2002 ; Satre et coll., 2003).

Conclusion

Les données de la littérature soulignent les risques d’une sous-estimation de la consommation d’alcool de la personne âgée qui est souvent régulière et excessive. Les seuils de risque sont augmentés, par exemple, une quantité donnée aurait peu d’effets chez un jeune consommateur, mais peut être à risque pour la personne âgée. Le fait de voir dans l’âge une permission à la consommation est un paradoxe et ne peut qu’aggraver une dégradation physique et cognitive : elle augmente le risque de chutes, de troubles de la mémoire, de l’orientation, les troubles dépressifs et anxieux, etc. De plus, l’association de la consommation avec des traitements médicamenteux ne peut qu’amplifier les risques existants et d’en créer de nouveaux. L’âge avancé et les symptômes présents devraient se traduire par une réflexion avec la personne âgée sur les moyens pour réduire les risques. Imposer l’abstinence a priori peut se heurter à certaines règles éthiques et déontologiques et traduit une conception de la personne âgée comme quelqu’un d’irresponsable. Les entretiens motivationnels sont un bon exemple de méthode pour travailler la consommation d’alcool avec la personne âgée et sont un préalable à une démarche de changement de l’intérieur.

D’autres prises en charge existent et donnent des résultats prometteurs. Elles peuvent être encore mieux adaptées à cette population. Force est aussi de constater que les connaissances ne sont pas encore suffisantes pour la maîtrise du problème.