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CONTEXTUALISATION DU NUMÉRO THÉMATIQUE

L’école contemporaine est confrontée à de nombreux défis, dont certains sont étroitement liés à sa nature d’institution. Une institution est un système qui se structure comme réponse à des demandes d’une société donnée, mais qui a aussi le potentiel de produire un référentiel de principes et d’identifications culturelles qui cimente sa distinction dans la société (van Zanten, 2008). Selon Bonny (2012), une institution

[…] trouve sa source première dans le processus par lequel le pouvoir structure, encadre et régule la vie sociale à travers des principes et des valeurs, des missions et des finalités, des domaines de compétences, des qualifications professionnelles, des mandats, des statuts et des rôles, des formes organisationnelles, des cadres matériels d’exercice, des référentiels et des paradigmes, des modes de régulation.

Bonny, 2012, p. 12

Donc, l’école en tant qu’institution est un système. On parle ainsi de système scolaire. Pour comprendre une problématique spécifique, comme celle des enjeux de diversité ethnoculturelle au sein de l’école, il y a lieu de ne pas perdre de vue l’essence de cette dernière et les questionnements plus généraux qui l’ont touchée au fil de l’histoire et jusqu’à l’époque contemporaine (Lessard, 2020). Par exemple, depuis les travaux fondateurs de Bourdieu et Passeron dans les Héritiers (1964) et la Reproduction (1970), le débat scientifique perdure sur la capacité ou la volonté de l’école de déconstruire les inégalités qui affectent des élèves dès leur entrée dans le système, et tout au long de leur parcours scolaire; en d’autres mots, de promouvoir la justice scolaire (Felouzis, 2020; Lessard, 2019; Conseil supérieur de l’éducation, 2016; Millet et Thin, 2012; Tardif, 2013). Aussi, une institution a tendance à résister au changement, même lorsque la demande dans ce sens émane du politique ou d’une mobilisation sociétale, et que les données issues de la recherche scientifique invitent à considérer un tel changement. Par conséquent, pour mettre sous analyse continuelle le système scolaire, il faut en appréhender la complexité institutionnelle et user d’une stratégie de questionnement sous des angles multiples.

Cela implique de s’intéresser à diverses facettes, dimensions et protagonistes du système scolaire : l’élève et son expérience socioscolaire; le curriculum scolaire; le personnel enseignant et les autres professionnels scolaires, et leurs pratiques; les directions d’établissement et leur approche de leadeurship; les parents et leur accompagnement de l’élève; les relations école-famille-communauté; etc.

Ce numéro thématique qui aborde les enjeux de diversité ethnoculturelle à l’école s’intéresse en particulier à l’expérience d’élèves et de membres du personnel scolaire d’origine immigrante. Les migrations humaines ne datent pas d’aujourd’hui. Elles se sont intensifiées grâce à l’accessibilité et à la diversité des moyens de déplacement permettant à des individus, pas nécessairement confrontés à l’urgence d’un changement de pays, d’envisager une mobilité spatiale pour un nouveau projet de vie. L’intensification du phénomène migratoire est aussi due à la récurrence de grands bouleversements qui ont des répercussions sur la stabilité des individus dans divers contextes (guerres, conflits, persécutions, catastrophes naturelles, etc.). Les courants migratoires, intra et extracontinentaux, traversent ainsi une majorité de pays, même si l’accent médiatique est souvent mis sur les courants dits Sud-Nord. Certains pays, comme le Canada, traitent le phénomène migratoire comme constitutif de l’évolution de leur démographie et de leur histoire. Les statistiques compilées sur le profil des personnes immigrantes adultes reçues au Canada témoignent de la consistance du capital humain d’une bonne partie d’entre elles à leur arrivée. Le capital humain est fait d’un ensemble, acquis par la personne, de connaissances, de savoirs, de compétences, de qualifications, d’aptitudes et de diverses expériences, et notamment lié au niveau de scolarité et aux activités professionnelles (Cappelletti, 2010). Ce profil prometteur à l’arrivée n’est pas toujours un facteur de protection lors du processus de recherche d’un emploi, et ce, en raison de multiples facteurs, parmi lesquels les caractéristiques du marché de l’emploi dans un contexte donné, la déqualification professionnelle et les situations de discrimination (Homsy et Scarfone, 2016; Hou et al., 2016). Les flux migratoires influencent la démographie générale d’une société et se reflètent par conséquent dans les profils sociodémographiques des publics scolaires.

Les recherches en éducation ont opéré un recentrage majeur sur l’expérience socioscolaire de l’élève, en lien avec l’enfant et le jeune qu’il est, membre d’une famille, d’une communauté. Parler d’expérience socioscolaire de l’élève d’origine immigrante, c’est tenir compte à la fois des logiques proprement scolaires et des socialisations plurielles qu’il vit, c’est considérer l’ensemble de sa situation et les facteurs (scolaires, politiques, culturels, sociaux et psychologiques) qui l’influencent (Jacquet et Masinda, 2014; Potvin et al., 2013). Un numéro thématique est une belle occasion pour proposer une vue d’ensemble actualisée des défis qui auront une incidence sur l’expérience socioscolaire de l’élève d’origine immigrante, en lien avec les enjeux suivants :

  • la maitrise de la langue d’enseignement, l’affiliation linguistique et les enjeux identitaires, la catégorisation (Alais et al., 2020; Bastien et Fleuret, 2020; Sérusclat-Natale, 2020);

  • la socialisation à la culture scolaire, l’appropriation d’un nouveau curriculum, le rapport aux savoirs scolaires (Lafortune et Kanouté, 2019);

  • les répercussions sur les élèves du cumul de vulnérabilités affectant leur famille, interactions sociales avec les pairs ainsi qu’avec les acteurs et actrices scolaires, la confrontation potentielle à des dynamiques d’exclusion, la construction d’un sentiment d’appartenance à divers niveaux (école, quartier, communauté, société) (Kanouté et al., 2016; Magnan et al., 2016; Steinbach et Grenier, 2013).

Des études antérieures se sont plutôt intéressées à l’influence des politiques scolaires, des pratiques d’enseignement-intervention et des modèles de gestion des établissements sur l’expérience socioscolaire des élèves d’origine immigrante ou sur la prise en compte de la diversité ethnoculturelle, en général par l’école (Gérin-Lajoie, 2020; Mc Andrew et Audet, 2020; Magnan et al., 2018; Jacquet, 2016). Les angles retenus ici, soit celui des stratégies et des pratiques parentales en lien avec l’accompagnement scolaire de l’élève, ainsi que celui des relations école-famille-communauté, ont été privilégiés par d’autres études (Charette, 2018; Kanouté et al., 2008).

Ce numéro thématique voudrait aussi renouveler l’éclairage scientifique sur la situation des membres du personnel scolaire d’origine immigrante ou en situation de minoration (Duchesne, 2018; Morrissette et Demazière, 2018; Niyubahwe et al., 2018). L’étude des expériences complexes et variées de ces personnes permet de mettre en évidence les défis auxquels elles sont confrontées, ainsi que les stratégies qu’elles déploient pour les relever.

APERÇU DES ARTICLES DU NUMÉRO THÉMATIQUE

Les textes qui forment ce numéro abordent l’expérience d’élèves d’origine immigrante ou de minorités ethnoculturelles (1, 2, 3, 4, 5); les points de vue de protagonistes autour de cette expérience et la relation école-famille-communauté (6, 7, 8); la situation de membres du personnel scolaire, ou de stagiaires, en situation de minoration (9, 10, 11); et l’analyse de politiques scolaires en lien avec la diversité (12). Au-delà des différences de problématisation-conceptualisation des objets d’étude, il y a une convergence autour de postures émancipatoires et de leurs intersections, qui remettent en question les inégalités scolaires, les pratiques discriminatoires, voire racistes, et les discours qui érigent la diversité ethnoculturelle comme une anomie sociétale. Nous espérons que leurs questionnements diversifiés et leurs recommandations contribueront à bonifier les politiques et les pratiques scolaires pour une meilleure équité en éducation, et donc une meilleure qualité d’expérience socioscolaire pour tous les élèves.

1. « Les autres ne le voient pas, mais toi, tu le vois » : du climat interculturel au racisme au quotidien dans l’école secondaire québécoise (St-Pierre, X., Borri-Anadon, C. et Audet, G.)

Cette étude propose une analyse du racisme au quotidien à travers l’expérience vécue par des élèves et leurs interactions avec des membres du personnel enseignant. Grâce à une analyse secondaire de données issues d’une recherche sur le climat interculturel dans les écoles, cet article s’intéresse notamment au phénomène de l’occultation du racisme en éducation par plusieurs actrices et acteurs, mais aussi par la recherche en éducation. Trois configurations du racisme au quotidien sont dégagées, permettant de mieux comprendre l’expérience scolaire des élèves : l’injonction à l’assimilation; l’expérience directe du racisme et l’indifférence du personnel enseignant à son égard; et la dédramatisation et la neutralisation.

2. Enjeux et tensions associés à la scolarisation des élèves du secondaire issus des minorités visibles au Saguenay–Lac-Saint-Jean, au Québec (Amboulé-Abath, A.) 

Cette étude décrit l’expérience socioscolaire d’élèves issus des minorités visibles dans des écoles du secondaire, dans une région à faible densité ethnoculturelle. Grâce à des entretiens semi-directifs, l’auteure a abordé les dimensions relationnelle et identitaire de la représentation de soi de ces élèves. Ces derniers se sentent en général bien à l’école, et ils nuancent la portée des discriminations à leur endroit, tout en exprimant un besoin de reconnaissance sociale. L’analyse transversale des données permet de retracer leurs stratégies d’adaptation, mais aussi de compensation-refoulement devant les actes racistes.

3. Curriculum caché d’altérisation au secondaire : les récits des élèves musulmanes issues de l’immigration à Montréal (Darchinian, F.)

Cet article démontre que l’interprétation du curriculum à l’école, dans le cadre des activités d’enseignement et d’apprentissage, n’est pas qu’enjeu de transmission de connaissances; elle peut être le lieu d’une altérisation problématique. À l’aide d’une méthodologie narrative, utilisant des récits rétrospectifs de jeunes femmes musulmanes issues de l’immigration, et prenant appui sur les concepts critiques de curriculum caché et de racialisation, l’auteure met en lumière les processus contribuant à l’altérisation de ces élèves musulmanes au cours de leurs études secondaires.

4. Points de vue de jeunes musulmans issus de l’immigration sur leur expérience socioscolaire à Montréal (Guennouni Hassani, R. et Kanouté, F.)

Par le biais de récits biographiques, cet article expose la complexité qui caractérise l’expérience socioscolaire de jeunes musulmans issus de l’immigration vivant à Montréal. Les récits révèlent divers enjeux et défis, des cas de réussite scolaire et d’autres marqués par de nombreuses vulnérabilités, certaines en lien avec des pratiques discriminatoires subies en contexte scolaire. Les auteures invitent le milieu scolaire à considérer l’expérience socioscolaire des jeunes musulmanes et musulmans d’une manière systémique afin d’atténuer les répercussions des moments de ruptures et de discontinuités auxquels ils ou elles font face dans le cadre du processus d’acculturation. Ces considérations doivent aussi inclure leurs expériences (pré)migratoires et leurs histoires familiales.

5. La médiation sociale pour comprendre l’expérience socioscolaire d’élèves immigrantes : regards croisés d’enseignantes et d’élèves autour des pratiques de soutien à l’apprentissage (Koubeissy, R., Malo, A. et Borges, C.)

Par des observations en classe et des entretiens, sont documentées les pratiques de soutien aux apprentissages d’élèves immigrantes récemment arrivées au Québec et intégrées dans des classes ordinaires multiethniques au primaire. Mobilisant le concept de médiation sociale et croisant les regards d’élèves et d’enseignantes, les auteures dégagent trois aspects de la médiation sociale identifiée comme « empêchée », « fluide » ou « opaque ». Cette typologisation reflète les enjeux de l’appropriation des outils de soutien par les élèves et, par conséquent, leur expérience socioscolaire.

6. Points de vue de parents immigrants à l’égard d’un modèle de services d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français hybride au Centre-du-Québec (de Oliveira Soares, R., Borri-Anadon, C., Russo, K. et Gonçalves, G.)

Cet article documente les points de vue de parents immigrants concernant les modèles de service d’accueil et de soutien à l’apprentissage du français, en contexte scolaire à l’extérieur de la métropole montréalaise. Les résultats, issus de données recueillies grâce à des entretiens semi-dirigés, portent sur le processus d’intégration linguistique, scolaire et sociale de l’enfant, sur la relation établie avec l’école ainsi que sur les espaces de scolarisation fréquentés au sein d’un modèle hybride. Les auteures soulignent l’importance de considérer la dimension sociale du processus d’intégration, d’informer davantage les parents du modèle de services mis en oeuvre ainsi que de les impliquer réellement dans les prises de décisions.   

7. La francisation des élèves nouveaux arrivants et ses effets sur leur intégration socioscolaire : dynamique collaborative entre les organismes d’accueil et l’école francophone du Nouveau-Brunswick (Kamano, L. et Benimmas, A.)

Cette étude présente la perspective de membres du personnel enseignant et d’animation en francisation concernant les principaux facteurs de choix de l’école francophone du Nouveau-Brunswick par les parents d’élèves allophones ou parlant peu le français. L’analyse des données, issues d’entrevues semi-dirigées, révèle que ce choix est structuré autour de deux logiques principales influencées par le contexte de dualité linguistique au Nouveau-Brunswick : les parents souhaitent pour leurs enfants la continuité des apprentissages dans leur nouvel environnement d’études et l’acquisition d’un certain bilinguisme (anglais-français). Les résultats révèlent la mobilisation de stratégies par les parents en cohérence avec ces logiques.

8. Intervenantes et intervenants tiers dans les dynamiques de collaborations école-familles immigrantes -communauté : négociation d’une place à (re)définir (Charette, J., Conus, X., Audet, G. et Morin, G.)

L’article s’intéresse au rôle des intervenantes et intervenants tiers dans le triptyque école-familles immigrantes-communauté. La démarche méthodologique est une métasynthèse réalisée à partir de deux recherches au Québec et de deux autres en Suisse. Une analyse typologique révèle trois catégories saillantes, non exclusives, qui cristallisent les configurations de cette place : porte-parole de l’école, porte-parole des parents et intermédiaire de médiation. Les résultats laissent voir aussi que, dans les deux contextes, la mise en oeuvre du rôle est fortement influencée par la place prise par l’institution scolaire et son fonctionnement, guidé par des cadres et des normes.

9. « Être soi-même ou s’ajuster au cadre » : le poids de la fatigue raciale pour des enseignant·e·s et directrices d’école noir·e·s à Montréal (Lafortune, G. et Kanouté , F.)

Par le biais d’entretiens semi-dirigés, les données présentées témoignent de l’expérience socioprofessionnelle de personnes noires, membres de direction et du corps enseignant dans des écoles primaires et secondaires publiques à Montréal. Elles racontent ce qui les a menées à l’enseignement, leur insertion dans la profession et leur quotidien à l’école en tant que minoritaires et noires. Mobilisant le cadre de référence des théories critiques, notamment le concept de « fatigue raciale », les auteures mettent en lumière les répercussions, professionnelles et identitaires, des dynamiques discriminatoires vécues au quotidien, et l’agentivité dont font preuve ces personnes pour réagir, survivre et se projeter.

10. L’insertion professionnelle des enseignantes et enseignants d’origine immigrante et des minorités visibles en contexte francophone et immersif en Alberta (Jacquet, M.)

Cette recherche exploratoire examine l’insertion professionnelle du personnel enseignant débutant d’origine immigrante dans le contexte francophone scolaire albertain. Les résultats révèlent un processus de (re)construction de l’identité professionnelle et de soi, en situation de minoration, leur permettant de s’adapter à un milieu scolaire et à une culture éducative différents. Ce personnel reçoit un certain soutien à l’entrée en poste, mais celui-ci n’est ni généralisé ni spécifique. Le jumelage avec un mentor d’expérience ayant une affinité avec le processus migratoire est apprécié par les participantes et participants qui se sentent appuyés et compris.

11. Inégalités d’accès à l’enseignement au Québec : analyse critique de la voie réservée aux personnes qualifiées à l’extérieur du Canada (Larochelle-Audet, J., Magnan, M.-O. et Legrand, J.)

En contexte de pénurie de personnel enseignant au Québec, cet article analyse les obstacles que rencontrent les personnes enseignantes qualifiées à l’extérieur du Canada dans leur parcours de requalification professionnelle. Recueillies grâce à une méthodologie d’ethnographie institutionnelle, les données de cette étude révèlent que ces personnes font face à des inégalités structurelles d’accès à la profession et à des conditions d’évaluation, notamment du stage probatoire, qui soulèvent des questions d’équité et appellent à des changements en profondeur du processus de requalification.

12. Les politiques et les dispositifs qui façonnent l’expérience des élèves immigrants et de leurs familles en contexte minoritaire francophone ontarien (Fleuret, C. et Dulude, É.)

Cet article propose une analyse documentaire qualitative de la manière dont les politiques éducatives conçoivent la participation parentale des familles immigrantes à l’école en contexte franco-ontarien. La prémisse de départ des auteures est que l’école, comme institution, reproduit les valeurs culturelles des classes dominantes. Les résultats de leur démarche révèlent, entre autres, que la place de la famille immigrante est très peu présente au sein de l’école ontarienne, y compris celle de langue française, et que les choix politiques en oeuvre prônent davantage des valeurs libérales institutionnalisées cherchant à modifier les habitus familiaux afin qu’ils correspondent aux priorités ministérielles.