Corps de l’article

En octobre 2009, la ministre de la Justice du Québec, Kathleen Weil, déposait un avant-projet de loi touchant la filiation et l’autorité parentale intitulé Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et d’autorité parentale. Celui-ci faisait suite aux travaux du Groupe de travail sur le régime québécois d’adoption dirigé par Carmen Lavallée et qui avait donné lieu en mars 2007 à la publication d’un rapport intitulé Pour une adoption québécoise à la mesure de chaque enfant[2]. Comme le constatait ce groupe de travail, depuis les années 90, les pratiques adoptives au Québec s’étaient grandement diversifiées, ce qui nécessitait des rajustements. Les modifications proposées dans l’avant-projet de loi tentent de répondre à la variété de situations rencontrées en adoption. Si l'Assemblée nationale entérine ce document, qui modifiera le Code civil ainsi que d'autres dispositions législatives, c'est toute la notion de filiation et de responsabilité parentale qui sera remise en question au Québec. Les nouvelles dispositions auront un impact aussi bien sur les enfants adoptés que sur leurs parents adoptifs et de naissance.

Presque en même temps, en décembre 2009, la Commission de la science de l’éthique et de la technologie, placée sous la présidence d’une autre juriste, Édith Deleury, et mandatée par le gouvernement du Québec pour réfléchir sur les questions de procréation assistée (PA), déposait de son côté un rapport intitulé Avis Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire (AEPA). Il ne s’agit, comme l’indique le titre de ce document, que d’une réflexion soutenue, d’un avis éthique et non d’un avant-projet de loi. Malgré tout, les pistes de réflexion et recommandations que contient ce document risquent fort bien d’avoir aussi un impact important sur l’orientation de futures législations touchant la filiation dans le cadre de la PA au Québec.

Ces deux textes, par l’ampleur des changements qu’ils proposent, méritent une lecture attentive pour en dégager toutes les implications et suivre l’évolution des normes et représentations concernant la famille et la parenté au Québec ainsi que les rapports entre le droit, l’individu et la famille. L’avant-projet de loi sur l’adoption et l’autorité parentale en particulier indique un tournant majeur en ce qui touche à la possibilité légale de pluriparentalité et de pluriparenté qui vont nous concerner plus spécifiquement ici. Mais de quelle pluriparentalité ou pluriparenté s’agit-il ici? La question est délicate, comme on le sait, car les chercheurs en sciences sociales ne s’entendent pas vraiment sur la définition de ces concepts, les différences disciplinaires entre sociologues, anthropologues, psychologues et travailleurs sociaux étant ici majeures. Qui plus est, dans l’avant-projet de loi sur l’adoption et l’autorité parentale, comme dans l’avis soumis par la Commission de la science et de la technologie concernant la PA, ces concepts de pluriparentalité ou de pluriparenté ne sont jamais utilisés par les juristes. On ne parle que de filiation, de délégation juridique d’autorité parentale, d’obligation alimentaire, de tutelle, d’adoption sans rupture du lien de filiation, d’anonymat, etc. (sauf bien sûr si l’on cite des chercheurs). Si néanmoins l’on décrypte ces documents pour voir ce qu’ils impliquent en termes de pluriparentalité ou de pluriparenté, observe-t-on à tout le moins une cohérence d’ensemble entre les propositions de modifications des lois gérant l’adoption et l’autorité parentale et celle régissant la procréation assistée, ainsi qu’une vision claire des fondements de la parenté et leur mode de fonctionnement? Pour tenter de répondre à ces questions, je m’attacherai à analyser la façon dont ces deux textes traitent de parentalité, de filiation ainsi qu’aux conséquences des propositions soumises en ce qui concerne la germanité, relation de filiation commune qui émerge actuellement et qui apparait comme très importante dans les nouvelles formes d’adoption ou de procréation assistée et qui, je pense, peut apporter un éclairage nouveau à ce débat.

Tout d’abord, pour que le lecteur ou la lectrice puisse mieux suivre les particularités de cette étude de cas, je commencerai mon propos en donnant quelques informations générales sur la situation législative du Québec.

I. La singularité législative du Québec

La situation juridique du Québec est complexe et difficile à clarifier pour les non-initiés.

Le Québec est jusqu’à nouvel ordre, une province du Canada. Dans la confédération, le partage des « compétences » entre l’État fédéral et les provinces est source de querelles multiples et variées. Singulièrement, dans les relations jamais simples entre Ottawa, la capitale fédérale, et Québec, la capitale de l’État québécois, la définition du mariage est de compétence fédérale, tandis que les règles de filiation sont de compétence provinciale […]. De plus, si dans les autres provinces canadiennes, on vit sous le régime de common law (qui inspire aussi très largement les décisions de la Cour suprême), le Québec, lui, est régi par un Code civil (Tahon, 2010, p. 111-112).

Le cadre juridique entourant la procréation assistée est tout aussi complexe que celui qui réglemente la filiation et l’adoption et fait actuellement l’objet de disputes encore plus acharnées entre l’État fédéral et les provinces, mais le débat s’y joue sur un autre terrain, celui de la santé et des droits de la personne, et pas – comme on aurait pu s’y attendre – sur celui de la famille, en partie, on l’aura compris, à cause de la division des mandats entre l’État fédéral et les provinces dont il vient d’être question. Ainsi, en mars 2004, le Parlement fédéral du Canada a adopté la Loi sur la procréation assistée et la recherche connexe. Cette loi interdit un certain nombre de pratiques et vient encadrer au niveau des cliniques et des procédures celles qui sont considérées comme légales.

En décembre 2004, le gouvernement du Québec a demandé l’avis de la Cour d’appel du Québec sur la constitutionnalité de cette loi fédérale, au motif qu’elle excédait la compétence législative du Parlement du Canada et qu’elle empiétait sur le pouvoir des provinces de légiférer en matière de santé. La Cour d’appel a invalidé les dispositions faisant l’objet du renvoi dont elle avait été saisie. Cette décision a elle-même fait l’objet d’un pourvoi devant la Cour suprême du Canada dont la décision devrait être rendue sous peu (AEPA, 2009, p. XVII).

À ce jour, donc, rien n’est encore résolu, mais devant cette longue attente, ce vide juridique, le gouvernement du Québec, sûr de son bon droit, a néanmoins décidé d’aller de l’avant dans sa réflexion et de mandater une Commission pour ce faire. Il a par ailleurs aussi sanctionné en juin 2009 la Loi sur les activités cliniques et de recherche en matière de procréation assistée.

II. Parentalité, parenté et approches disciplinaires

Tout récemment, Marie-Blanche Tahon suggérait qu’« il faudrait sérieusement argumenter entre sociologues et anthropologues pour baliser l’envahissement de la notion de parentalité qui tend à recouvrir celle de parenté » (2010, p. 123). Elle faisait écho au problème déjà soulevé par plusieurs, notamment Geneviève Delaisi qui, en 2006, faisait le bilan suivant concernant le concept de parentalité :

À la lecture des livres, articles et supports de presse dans lesquels il est employé, on remarque à la fois la polysémie de ce vocable et de son usage. Occasionnellement présentée comme l’art d’être parent, la parentalité est parfois synonyme de fonction parentale ou même de parenté. Dans certains cas, elle se trouve liée aux liens familiaux et à la consanguinité; dans d’autres, elle en est clairement distinguée

2006, p. 847

Je tenterai de différencier ces deux notions en prenant ici une définition juridique étroite de la parentalité comme référant à l’autorité parentale dans l’exercice du rôle parental auprès d’un enfant (laissant donc de côté l’art d’être parent, la parentalité au quotidien et la parenté – c'est-à-dire les relations de filiation, alliance, germanité –, évitant ainsi par ce parti pris d’une définition juridique étroite l’envahissement dont cette notion a été victime (mais qui en a sans aucun doute fait son succès). En ce qui a trait aux concepts plus anthropologiques de parenté et de pluriparenté, je tenterai de qualifier chaque fois, dans mon examen des propositions, dans quelle mesure et sur quelles bases on peut parler de pluriparenté du point de vue juridique, arguant que la parenté n’est pas tout ou rien, mais qu’elle comporte aussi des degrés ainsi que des modalités différentes d’exercice qui relèvent d’idéologies concurrentiellement présentes dans la société occidentale. En effet, comme l’a montré Florence Weber (2005), trois fondements à la parenté occidentale agissent de façon concomitante tout en étant chacun en évolution aussi : le nom ou la parenté légale, le sang (la nature) et le quotidien (la parenté pratique), ce qui peut déboucher sur des situations parfois complexes et des agencements instables.

Tournons-nous maintenant vers l’analyse du premier document qui est le plus abouti en termes des modifications proposées, car il traite de questions d’adoption et d’autorité parentale sur lesquelles on a plus de recul temporel pour penser.

III. Avant-projet de Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et d’autorité parentale

A. Sommaire des changements apportés

Les propositions de modifications étant clairement identifiées et résumées au début du document dans les notes explicatives, je les reprends largement ici :

L’avant-projet de loi modifie le Code civil du Québec en matière d’adoption et d’autorité parentale en introduisant, entre autres, de nouvelles formes d’adoption et de prise en charge de l’enfant.

L’avant-projet de loi prévoit ainsi l’adoption ouverte et l’adoption sans rupture du lien de filiation d’origine. L’adoption ouverte [valable aussi dans les cas d’adoption internationale, je le précise] permettrait aux adoptants et aux parents d’origine de conclure une entente de communication visant à faciliter la divulgation ou l’échange d’informations concernant l’adopté ou visant le maintien de relations personnelles durant le placement ou après l’adoption. L’adoption sans rupture du lien de filiation [qui, je le souligne, est réservée à l’adoption nationale] permettrait le maintien du lien préexistant de filiation de l’enfant. L’acte de naissance dressé à la suite de cette adoption ferait état de la filiation d’origine de l’enfant, à laquelle la filiation adoptive sera ajoutée.

L’avant-projet prévoit aussi la possibilité d’une délégation judiciaire de l’autorité parentale pour permettre aux père et mère de partager avec leur conjoint l’exercice de leur autorité parentale ou au tribunal de transférer l’exercice de leurs droits et devoirs liés à l’autorité parentale et à la tutelle légale (p. 2).

La délégation judiciaire de l'autorité parentale pourrait ainsi, dans certains cas, constituer une option à l'adoption. Un parent pourrait partager son autorité avec son conjoint qui n'est pas le père ou la mère de l'enfant ou encore la transférer à un membre de la famille (grands-parents de l'enfant, oncle, tante, frère, soeur, par exemple). Le parent légal resterait néanmoins tenu de garder son obligation alimentaire vis-à-vis de l’enfant. « L’avant-projet de loi, de plus, apporte des modifications importantes au régime de la confidentialité des dossiers d’adoption en permettant, pour les adoptions futures, la divulgation de l’identité des parties et les retrouvailles entre le parent d’origine et l’adopté, en l’absence d’opposition de leur part » (p. 2).

B. Analyse : pluriparentalité et fosterage 

Si l’on s’en tient à l’acceptation restrictive juridique du terme « parentalité », concernant donc l’autorité parentale, la pluriparentalité au quotidien est pour la première fois légalement reconnue au Québec par le partage de l’autorité parentale avec les conjoints des parents, ce qui était réclamé depuis longtemps par les familles recomposées en ce qui concerne le statut mal défini des beaux-parents. Néanmoins, lorsque la délégation parentale entérinée par le tribunal touche un enfant qui réside ailleurs que chez ses père et mère légaux, il s’agirait plutôt de fosterage[3] ou de confiage, situation bien connue des anthropologues dans bon nombre de sociétés qui pratiquent activement la circulation enfantine entre maisonnées, mais le font directement, sans passer comme ici par un tribunal et le biais de la tutelle (Lallemand, 1993; Leblic, 2004). En outre, ici, le confiage ne semble envisageable qu’entre apparentés et ne pas s’appliquer (sauf exceptions) à des voisins ou amis, comme c’est le cas dans bon nombre de sociétés[4]. Il s’agit donc d’un fosterage timide, supervisé par l’État, qui n’annonce pas pour le futur une grande mobilité enfantine entre maisonnées non apparentées (sinon peut-être pour les communautés autochtones du Québec) et qui semble plutôt réservé aux situations de crise familiale. Notons que dans tous les cas de délégation judiciaire de l’autorité parentale, les parents d’origine conservent seuls le droit de consentir à une adoption ainsi que l’obligation alimentaire vis-à-vis de l’enfant. Il n’y a donc pas là pluriparentalité équivalente entre les parents en titre et les autres, ce qu’indique d’ailleurs clairement le terme de « délégation » et, a fortiori donc, encore moins pluriparenté du point de vue juridique, car la filiation légale reste unique. Au jour le jour, par contre, en ce qui concerne la parenté du quotidien, certaines situations à la longue pourraient bien se qualifier comme telles, voire même déboucher plus tard sur des demandes de reconnaissance légale de parenté par le biais de l’adoption sans rupture de liens de filiation. En effet, comme l’ont souvent remarqué les anthropologues, le fosterage est souvent non défini en termes de temps et peut à la longue se transformer en adoption de facto ou de jure (Lallemand, 1993).

C. Pluriparenté au plus proche des liens de filiation et d’alliance

L’adoption sans rupture des liens de filiation d’origine, qui existe depuis longtemps sous des formes avoisinantes dans d’autres pays francophones, dont la Belgique et la France (Lavallée, 2005), devient pour la première fois possible au Québec. Dans ce cas, il n’y a pas pluriparentalité (sinon successive dans le temps), mais il y a bien pluriparenté légale par addition des parentés de naissance et adoptives qui se retrouvent toutes deux inscrites sur l’acte de naissance et se marque dans la double nomination de l’enfant. L’obligation alimentaire est aussi maintenue avec les parents d’origine au cas où les parents adoptifs ne pourraient pourvoir aux besoins de l’enfant. Selon le texte de l’avant-projet, cette forme d’adoption paraît particulièrement appropriée pour ne pas rompre des liens de filiation qui sont encore significatifs pour l’enfant, par exemple : « […] dans les cas d’adoption d’un enfant plus âgé, d’adoption par le conjoint du père ou de la mère de l’enfant ou d’adoption par un ascendant de l’enfant, un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou par le conjoint de cet ascendant ou parent » (article 573). Notons qu’en faisant spécifiquement référence à l’adoption de l’enfant par un ascendant, par un parent en ligne collatérale jusqu’au troisième degré ou par le conjoint de cet ascendant ou parent, ce texte rappelle les limites ou les zones de la parenté. Le problème non résolu dans cet avant-projet est que cette pluriparenté qui se joue au proche de la consanguinité ou de l’alliance la plupart du temps, n’est possible qu’en adoption interne, alors qu’en adoption internationale, il y a aussi des adoptions intrafamiliales qui posent des problèmes identiques et qui aboutissent elles aussi à des situations légales pour le moins bancales[5]. Par ailleurs, comme on le sait, on compte beaucoup plus d’adoptions internationales que nationales actuellement au Québec. Il est toutefois clair que l’adoption internationale relève de plusieurs paliers de juridiction[6] et que le gouvernement du Québec ne peut à lui seul corriger cette situation qui a aussi des implications importantes sur l’immigration.

D. Pluriparenté informelle, volontaire et sélective : l’adoption ouverte

Outre la pluriparenté légale, avec addition des liens de filiation, la possibilité d’adoption ouverte visant seulement la divulgation d’informations entre famille d’origine et adoptive en adoption nationale ou internationale, voire même le maintien de relations après une adoption plénière, ouvre sur une pluriparenté que l’on pourrait qualifier d’informelle et de sélective (parce qu’elle résulte d’un choix), mais pas sur la pluriparentalité juridique, car l’autorité parentale réside toujours dans ces cas avec les parents adoptifs. Comme l’ont montré les chercheurs qui ont travaillé sur le sujet (voir notamment Modell, 2001), le plus souvent, dans l’adoption ouverte, il s’agit d’échanges d’informations et très rarement de contacts continus entre les deux familles. Là encore, dans ces adoptions ouvertes il s’agit de coopérer pour le bien-être de l’enfant et non pas de nouer ou de renforcer des alliances entre adultes comme c’est le cas dans d’autres sociétés qui s’échangent des enfants aussi dans ce but. On prévoit au contraire que cette ouverture peut engendrer des conflits entre ces personnes, même si les parents adoptifs détiennent toujours l’autorité parentale, et il est bien stipulé dans l’avant-projet de loi que le tribunal peut agir comme intermédiaire en cas de désaccord (article 581.3).

E. Pluriparenté résiduelle : les interdits de mariage ou d’union civile avec la parenté d’origine

Néanmoins, tout n’est pas neuf en ce qui concerne la pluriparentalité. En effet, une pluriparenté, que je qualifierais faute de mieux de résiduelle, existait aussi depuis longtemps dans les textes de loi, comme en témoigne l’article 577 du C.c.Q (1991, c. 64, a. 577; 2002, c. 6, a. 32) remanié ainsi dans la proposition de l’AEPA pour tenir compte de la possibilité d’adoption sans rupture du lien d’origine :

« L’adoption confère à l’adopté une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine et, sous réserve des empêchements de mariage ou d’union civile, l’adopté cesse d’appartenir à sa famille d’origine, à moins que le tribunal ait décidé de ne pas rompre le lien préexistant de filiation[7] ». L’importance de cette réserve concernant les empêchements de mariage et d’union civile a échappé à beaucoup de chercheurs qui n’en ont pas bien saisi la portée en termes de pluriparenté. Maurice Godelier (2004) avait bien vu qu’être parent, c’est aussi s’interdire certaines relations avec ses enfants et note que toutes les études sur les familles recomposées parlent de cet interdit d’inceste, notamment avec le beau-parent, que cet interdit fasse l’objet d’une loi ou seulement d’une coutume (voir en particulier Martial, 2003). C’est pourquoi il avait étendu les fonctions parentales proposées par Esther Goody (1982) en y ajoutant une septième portant sur les interdits d’inceste ou de mauvais usages du sexe avec des enfants[8]. Ce maintien de la loi d’exogamie avec la parenté d’origine, même dans les cas où il y a rupture du lien de filiation, est intéressant, car il montre qu’une certaine « odeur de parenté », pour reprendre l’expression de Françoise Héritier (2004), continue de flotter en ce qui concerne les adoptés après leur adoption. Notons qu’à l’inverse, les empêchements de mariage ou d’union civile dans la parenté adoptive sont moins contraignants que ceux qui on trait à la filiation d’origine, comme en témoigne l’article 578 du C.c.Q : « L'adoption fait naître les mêmes droits et obligations que la filiation par le sang. Toutefois, le tribunal peut, suivant les circonstances, permettre un mariage ou une union civile en ligne collatérale entre l'adopté et un membre de sa famille d'adoption » (1991, c. 64, a. 578; 2002, c. 6, a. 33). On ne peut dire mieux : deux poids, deux mesures subsistent dans la parenté légale en ce qui a trait à la prohibition de l’inceste et à la loi d’exogamie selon que cette parenté est charnelle ou non. Dans le premier cas, la prohibition est automatique, car elle découle de la nature; dans l’autre cas, elle est liée à l’histoire de la parenté au quotidien et est possiblement moins extensive, lorsque par exemple l’adoption de l’enfant a été tardive. Comme on le voit, ces deux articles de loi utilisent des fondements différents de la parenté : le premier, le sang; le deuxième, le quotidien. Dans l’adoption, la pluriparenté n’est donc équivalente pour les deux familles ni du point de vue de l’extension des liens ni du point de vue des fondements qui la soutiennent.

F. La connaissance des liens biologiques de consanguinité comme règle constitutive de la parenté

La réserve concernant les empêchements de mariage ou d’union civile avec la parenté de naissance comporte, on s’en doute, des difficultés d’application, car bien sûr il faut avoir accès à l’information sur ses origines pour être en mesure de les respecter. Néanmoins, en cas de découverte tardive et fortuite d’un lien prohibé entre conjoints, s’il n’y a pas de poursuites judiciaires, le mariage ou l’union civile seront annulés. Selon Marilyn Strathern (1999) et Janet Carsten (2007), ceci démontre que la connaissance des liens biologiques est une règle constitutive (et non régulatrice) de la parenté qui a pour fondement le sang. En effet : « Once biological links are known, they cannot be laid aside » (Strathern, 1999, p. 79). Comme on l’a vu, les interdits exogamiques s’appliquent dès la découverte de l’existence de liens de parenté entre deux personnes et l’on ne peut revenir en arrière, faire comme si cette connaissance n’existait pas et l’ignorer. Le droit reconnait ainsi pleinement cette règle constitutive de la parenté selon la nature.

G. Le nouveau rôle de l’État comme support de l’identité psychologique des personnes

Mais la parenté de naissance ne se limite pas à la nature. Connaître d’où l’on vient est jugé crucial de nos jours dans notre société occidentale, non seulement pour éviter les dangers génétiques de l’inceste, mais aussi pour la construction de l’identité de soi. Jusqu’à tout récemment, on pensait qu’il suffisait de connaître ses parents de naissance, mais plus maintenant, car l’on reconnaît désormais aux germains un rôle tout aussi structurant qu’aux ascendants dans la formation de l’identité, ce que souligne par exemple ainsi Françoise-Romaine Ouellette :

Dans les récits de retrouvailles, un frère ou une soeur est souvent présenté comme un double, un jumeau. Il semble que cette figure du double, qui permet de se faire une image plus précise de soi, libère d’un sentiment de confusion intérieure sur sa propre identité

2008, p. 168

Fait nouveau, comme le note Agnès Fine, l’État prend désormais à sa charge cette quête identitaire :

[…] les juristes s’accordent à observer qu’il existe aujourd’hui une véritable mutation des fonctions de l’état civil. Alors que celui-ci n’était naguère envisagé que comme moyen de preuve de l’identité civile, il occupe désormais un rôle reconnu dans la constitution de l’identité psychologique

2008, p. 7

Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire de ce point de vue en ce qui concerne la levée de l’anonymat des ascendants ou collatéraux, même si un pas en ce sens a été fait dans l’avant-projet, point que relèvent Françoise-Romaine Ouellette et Alain Roy dans leur mémoire déposé devant la Commission des institutions de l’Assemblée nationale :

Selon l’article 582.1 C.c.Q. (tel qu’introduit par l’article 20 de l’avant-projet), l’adopté pourra, à partir de 14 ans, s’adresser au Centre jeunesse responsable de son dossier pour obtenir les renseignements lui permettant d'identifier ou de retrouver ses parents d'origine, sauf si ces derniers ont inscrit un veto à la divulgation de leur identité ou un veto au contact. Si la règle proposée inverse le processus actuel[9], en postulant non plus la fermeture des dossiers d’adoption, mais leur ouverture, elle sanctionne encore et toujours le droit absolu des parents d’origine de faire échec à la quête identitaire de l’enfant adopté.

Notons que l’adopté a lui aussi un droit de veto et que ses parents d’origine ne peuvent le contacter que s’il ne s’y oppose pas. Par ailleurs :

L'adopté mineur de moins de 14 ans a également le droit d'obtenir les renseignements lui permettant de retrouver ses parents, si ces derniers, ainsi que ses parents adoptifs, y ont préalablement consenti. Ces consentements ne doivent faire l'objet d'aucune sollicitation; un adopté mineur ne peut cependant être informé de la demande de renseignements de son parent

2009, p. 8

Il découle de cette règlementation un problème en ce qui concerne les germains, car seul l’ascendant commun, gardant pour ainsi dire ses droits d’auteur liés à l’engendrement, détient pour l’instant la clé de la connaissance :

L’autre limite de la loi québécoise (et de l’avant-projet) réside dans l’absence de disposition ou de mécanisme pouvant répondre aux demandes de renseignements sur les fratries ou de la part des fratries, surtout après le décès des parents de naissance. En Alberta[10] et en Colombie britannique[11], un registre passif est mis en place dans le but de faciliter l’échange de renseignements entre membres d’une même fratrie. Un homme qui, adopté à la naissance, recherche son frère biologique peut là-bas inscrire une demande formelle de renseignements et de retrouvailles et espérer que ce dernier ait également déposé une demande similaire. En cas de concordance, les données nominatives sont transmises par le registraire aux personnes concernées. Non seulement les fratries ne bénéficient-elles pas d’un tel mécanisme en droit québécois, mais elles voient bien souvent leurs espoirs de retrouvailles s’évanouir à la suite de décès des parents biologiques […]. Lorsque les parents biologiques décèdent sans avoir de leur vivant exprimé de consentement aux retrouvailles selon les principes du Code civil, les autorités ne peuvent révéler à l’adopté les renseignements lui permettant de connaître leur identité, et partant, celle de ses frères et soeurs (Ouellette et Roy, 2009, p. 31).

IV. Avis Éthique et procréation assistée : des orientations pour le don de gamètes et d’embryons, la gestation pour autrui et le diagnostic préimplantatoire (AEPA) 

Comme on va le voir dans l’examen de ce document, de nombreuses références aux pratiques courantes en adoption ainsi que les propositions contenues dans l’avant-projet de loi concernant l’adoption et l’autorité parentale informent la réflexion de la Commission éthique et procréation assistée (EPA) mandatée pour réfléchir sur la procréation assistée (PA). Je me limiterai ici à une lecture très partielle de cet avis, laissant notamment de côté le diagnostic préimplantatoire, pour ne traiter que ce que contient ce document concernant la filiation, l’anonymat et la pluriparenté, le but ici étant d’examiner la congruence des deux textes dans ces domaines.

A. Principes généraux, valeurs mises de l’avant

Tout d’abord, l’AEPA met sur un pied d’égalité adoption et procréation assistée, sans en privilégier aucune, se contentant de souligner que la famille contemporaine prend des formes plurielles et se crée de plusieurs façons. En effet, comme le note la Commission, désormais, la procréation assistée (PA) constitue un mode d’établissement de la filiation à part entière et autonome, puisque la PA est devenue en 2002 accessible aux femmes seules et aux couples homosexuels, créant par là de la turbulence en ce qui concerne les formes de filiation possibles qu’y s’en trouvent par là même diversifiées. La Commission EPA considère néanmoins qu’il n’existe pas de droit à avoir un enfant et que, par conséquent, l’État n’est pas tenu d’accéder à toutes les demandes des citoyennes et des citoyens en matière de procréation assistée. En ce qui concerne les valeurs principales qui informent ses réflexions et recommandations, elle identifie le bien-être de l’enfant, la dignité de la personne humaine, l’égalité, l’autonomie reproductive (c'est-à-dire la capacité de décider en toute indépendance de se reproduire ou non et de choisir les moyens pour le faire) et le droit à la vie privée. L’autonomie reproductive, reconnaît la Commission, est une valeur paradoxale, car il est souvent fait appel à la contribution d’un tiers au projet parental en PA. C’est bien sûr à propos de cette tierce personne donneuse ou porteuse que se posent en PA les questions de pluriparenté. Voyons ce qu’il en est dans le cas de la gestation pour autrui et du don d’embryon pour lesquels cette question se pose avec le plus d’acuité.

B. Gestation pour autrui (GPA) : adoption par consentement spécial ou pluriparenté par adoption simple?

La GPA au Québec ne peut faire l’objet d’aucun contrat exécutoire et n’est tolérée que si elle est volontaire et gratuite. La Commission EPA s’oppose à ce qu’une mère porte un enfant pour sa fille, dans le but de maintenir le principe de la séparation et de la succession des générations, ce grand vecteur d’ordre de la filiation dans la parenté[12]. En droit québécois, c’est l’accouchement qui, par la voie du constat de naissance, détermine la maternité. Il faut ensuite que la gestatrice pour autrui ou la mère porteuse remette l’enfant en adoption, renonçant donc par là à ses droits de mère. Dans le cas envisagé ci-dessus, cela aurait donc été la grand-mère qui aurait été désignée comme mère de l’enfant sur l'acte de naissance.

Si la Commission EPA tient à assurer la séparation des générations, elle tient néanmoins à donner à la gestatrice ou mère porteuse une place reconnue de parenté, ancrée bien sûr dans la tradition du droit québécois. Elle suggère que la formule la plus appropriée serait l’adoption par consentement spécial (article 555 C.c.Q) qui permettrait à la gestatrice ou mère porteuse qui remet un enfant en adoption de désigner un destinataire à ce don d’enfant (dans ce cas, la mère d’intention), ce qui est un immense pas en avant. En effet, cette formule permettrait de sortir la GPA de sa (fausse) situation actuelle, qui suit la procédure habituelle concernant les enfants issus d’un adultère marital, où la gestatrice ou mère porteuse abandonne l’enfant, ce qui autorise par la suite son adoption par la conjointe de l’époux et père légal de l’enfant[13]. On reconnait ainsi que, dans la GPA, une femme aide une autre femme choisie et connue. Enfin, le dernier avantage de cette procédure d’adoption par consentement spécial est qu’elle permettrait à la mère porteuse ou à la gestatrice de voir leur identité conservée, rendant ainsi possibles d’éventuelles retrouvailles avec l’enfant qu’elles ont porté. Mais la Commission, dans un grand mouvement féministe et créatif, dit aussi, mais hélas sans l’élaborer, cette phrase tout à fait innovatrice et intéressante : « On pourrait penser également à des solutions telles que l’adoption sans rupture du lien de filiation, comme le prévoit l’avant-projet de loi modifiant le Code civil en matière d’adoption et d’autorité parentale déposé en octobre 2009 » (p. 77).

Dans ce cas, le nom de la mère porteuse ne serait pas absent du nouvel acte de naissance de l’enfant dressé suite à son adoption, mais y figurerait toujours aux côtés de celui des parents d’intention. La mère porteuse conserverait donc logiquement aussi les obligations alimentaires vis-à-vis de l’enfant, celles-ci allant de pair avec l’adoption sans rupture du lien d’origine. Comme on le sait, il est fréquent que les parents d’intention gardent un contact, même peu fréquent, avec la gestatrice ou mère porteuse, ce qui est loin d’être le cas avec une donneuse d’ovocyte, même lorsque celle-ci est connue (Ragoné, 1994; Delaisi et Collard, 2007). Mais c’est la première fois à ma connaissance qu’un rôle de parenté accompagné d’obligations alimentaires vis-à-vis de l’enfant est pensé dans un projet de législation. Si cette recommandation est suivie d’effet, il y aurait bien pluriparenté, ou plus exactement, plurimaternité.

Il est clair que pour les membres de la Commission, ce deuxième modèle d’adoption sans rupture du lien de filiation d’origine est d’autant plus attrayant qu’il suppose que c’est souvent une parente de la même génération en ligne collatérale ou une amie qui accepte « gratuitement » de porter un enfant pour un autre couple ou pour une autre personne, ce qui n’est explicitement pas toujours le cas. Néanmoins, il est intéressant de noter que souvent, les mères d’intention disent que la mère porteuse de leur enfant devient après cette expérience partagée « comme une soeur » pour elles. Par contre, la gestatrice non parente est généralement pensée par les parents d’intention comme une « nounou » ou une gardienne de l’enfant, et pas comme une mère (Ragoné, 1994; Thompson, 2005; Delaisi de Parseval et Collard, 2007; Teman, 2010). Elle-même, d’ailleurs, se perçoit ainsi. La Commission attribue à cette femme une pleine place de mère d’origine sans préciser la différence qu’il y a lorsque c’est la mère d’intention qui fournit ses ovocytes, ou lorsqu’il y a don d’ovocytes. Bien sûr, en droit québécois, la maternité est définie par l’accouchement et le modèle de l’adoption ne connaît pas de mère partielle – c’est bien là le problème. La Commission EPA rechigne à innover et à sortir du deux parental. Mais tant qu’à faire figurer la gestatrice ou mère porteuse dans un document officiel (qui reflète donc des valeurs communes), ne serait-ce pas le lieu d’indiquer clairement la nature de sa contribution au projet parental? Ne serait-il pas justifié aussi dans le cas d’un don d’ovocyte que ce don figure au document, qu’il soit anonyme ou non? Il semble qu’à vouloir décourager la pratique de GPA, en demandant le statu quo, en voulant aussi protéger les mères porteuses ou gestatrices de tout, y compris d’elles-mêmes, les membres de la Commission EPA n’ont pas été tellement enclins à penser à de nouvelles formules de « mères » partielles.

C. Acceptation enthousiaste du don d’embryon

Le deuxième point intéressant dans l’AEPA concerne le don d’embryon, une pratique totalement acceptée, ce qui est relativement original si l’on considère le nombre de pays l’ayant interdite en Occident (mais ni la Belgique ni la France[14] qui, là encore, semblent influencer la législation québécoise). Comme on le sait, la demande d’enfants excède de beaucoup l’offre en adoption internationale, alors qu’en procréation assistée, une quantité non négligeable d’embryons sont cryopréservés depuis le début des pratiques de la fécondation in vitro (FIV) et entreposés dans les banques des cliniques de fertilité en attente de la destruction ou d’une utilisation à des fins de procréation ou de recherche. C’est pourquoi la Commission :

Considérant l’importance d’informer adéquatement les acteurs en présence, l’amélioration des techniques de congélation des embryons, et considérant aussi que le don d’embryons évite aux receveuses les risques et les inconvénients associés à la FIV recommande :

  • que les personnes qui recourent à la procréation assistée reçoivent toutes les informations nécessaires à la prise d’une décision éclairée quant au don d’embryons surnuméraires, en début de démarche, mais aussi plus tard, lorsque les démarches sont terminées ou abandonnées et qu’il reste des embryons surnuméraires;

  • que les programmes de dons anonymes d’embryons surnuméraires soient favorisés. À cet effet, que les personnes soient encouragées, après une première réussite de la procréation assistée, à consentir par écrit au don de leurs embryons surnuméraires. Après un délai de trois ans, à moins d’une demande expresse d’utilisation, de prolongation de la conservation ou de destruction de la part des propriétaires, les embryons devront faire l’objet d’un don anonyme (Recommandation n° 8, p. XXVIII).

C’est à ma connaissance le premier avis qui prend pour appui les avantages du don d’embryon pour la santé des femmes ainsi que le faible coût économique de cette procédure pour la société. Comme on peut le noter, il n’est ici aucunement question de sauvetage d’enfants pas encore nés, préoccupation qui concerne bien des personnes pour qui, selon leurs croyances religieuses, un embryon est un enfant potentiel (voir le programme d’adoption des embryons Snowflakes, Collard et Kashmeri, 2009). Cette procédure pose néanmoins de façon plus cruciale encore le droit pour l’enfant d’avoir accès à ses origines. Que dit le document à ce sujet?

D. Levée progressive et volontaire de l’anonymat des dons en PA selon le modèle qui prévaut en adoption

On remarque, dans l’AEPA, une volonté de mettre un peu de cohérence dans la législation de la filiation et d’aller en PA, comme en adoption, vers une levée progressive de l’anonymat et vers plus d’ouverture, comme l’ont déjà fait plusieurs pays occidentaux (mais pour l’instant pas la France). Présentement, des mécanismes existent au Québec et au Canada pour fournir des informations à caractère médical lorsque cela est jugé nécessaire pour la santé de l’enfant (article 542.2 du C.c.Q et articles 18 de la Loi fédérale sur la procréation assistée). En outre, si les donneurs ont consenti à ce que leur identité soit divulguée, des mécanismes sont aussi en place dans les législations fédérales et provinciales pour ce faire. La législation fédérale permet même de divulguer l’information, non seulement aux personnes nées à l’aide de ces dons, mais aussi à leurs descendants : « L'Agence communique, sur demande, les renseignements médicaux sur le donneur aux personnes ayant recours à une technique de procréation assistée au moyen du matériel reproductif humain ou d'un embryon in vitro de ce donneur ainsi qu'aux personnes qui sont issues d'une telle technique et à leurs descendants » (Loi fédérale sur la procréation assistée et la recherche connexe, article 18.3).

La Loi permet aussi de fournir certains renseignements permettant d’éviter en amont les dangers d’inceste :

Sur demande écrite de deux personnes qui sont fondées à croire qu'au moins l'une d'elles est issue d'une technique de procréation assistée au moyen du matériel reproductif humain ou d'un embryon invitro d'un donneur, l'Agence les informe du fait qu'elle a ou non en sa possession des renseignements qui indiquent qu'elles sont génétiquement parentes et, le cas échéant, de la nature du lien de parenté

article 18.4

On ne peut être plus clair : il est question de parenté « génétique ». Comme on l’a vu plus haut, la connaissance de liens biologiques entre parents et enfants est une règle constitutive de la parenté (qui prend pour fondement la nature). Cet article de loi montre que cette règle constitutive de la parenté s’applique aussi à la PA, mais avec un léger déplacement, puisque l’on ne parle plus de parenté naturelle ou biologique, mais de « parenté génétique ». Si donc il n’y a pas de rapports sexuels procréatifs en PA, la nature comme fondement de la parenté est malgré tout réintroduite par le biais du génétique (Thompson, 2005; Cadoret, 2006).

Par ailleurs, la Commission invoque l’importance des origines pour l’identité psychologique des personnes, ainsi que l’inégalité qui existe actuellement entre enfants adoptés et enfants conçus par PA, selon le Code civil du Québec. Mais considérant qu’il est préférable de laisser d’abord aux donneurs et aux donneuses de gamètes la possibilité de briser l’anonymat concernant leur don plutôt que de proposer d’emblée une levée complète de l’anonymat, la Commission recommande :

Que le gouvernement du Québec amende le Code civil du Québec pour résoudre l’inégalité de droit entre les enfants adoptés et les enfants issus de dons quant à l’accès à leurs origines en appliquant les mêmes pratiques qu’en matière d’adoption;

  • qu’un counseling approprié s’inscrivant dans un cadre normatif qui ne relève plus de l’autorégulation soit offert de façon systématique. Un tel counseling devrait s’adresser tant aux donneurs de gamètes qu’aux personnes qui feront appel à un don de gamètes ou d’embryons afin de les sensibiliser à l’importance pour l’enfant de connaître ses origines et aux répercussions de la levée de l’anonymat (Recommandation no 2, p. 50).

Conclusion

Comme l’a rappelé récemment Maurice Godelier (2004), nulle part un homme et une femme ne suffisent à faire un enfant, car il y a toujours intervention d’un tiers dont la définition varie selon les sociétés (les ancêtres, Dieu, les esprits, d’autres humains). Ce tiers procréateur toujours présent contribue d’ailleurs dans la pensée symbolique à séparer l’animalité de l’humanité. Néanmoins, l’Occident a depuis longtemps vécu avec l’idée qu’en dehors ou à côté de Dieu et des ancêtres, on n’a que deux parents seulement, le secret sur les origines de l’enfant en adoption supportant la possibilité d’une fiction biologique. La question de la pluriparenté formelle ou informelle sous toutes ses formes a ainsi pu être évitée par cette méconnaissance socialement instituée des origines. Dans ce paradigme, la filiation commune était également occultée, la relation de germanité ne pouvant être activée que si les auteurs de la filiation commune l’autorisaient en levant le secret sur les origines, mais seulement une fois l’enfant devenu adolescent ou adulte (il en résultait donc, au mieux, une relation optionnelle de germanité « retardée »). Ce paradigme s’effondre depuis déjà quelque temps un peu partout dans les sociétés occidentales démocratiques, mais à des vitesses variables. En effet, actuellement, le modèle de famille nucléaire traditionnelle n’est plus le seul socialement accepté même s’il reste encore dominant, et les modèles de famille se sont grandement diversifiés; les modèles de filiation aussi. La fiction biologique dans les cas d’adoption ou de PA semble perdre son sens, voire même devenir immorale en ce qui concerne le bien-être de l’enfant. Dans les propositions soumises, la pluriparentalité et la pluriparenté sous diverses formes et faisant appel à divers fondements de la parenté (le sang, le nom, le quotidien) sont, comme on l’a vu, acceptées, ce qui constitue un grand pas pour les familles recomposées et les familles adoptives. Cependant, une sérieuse réflexion sera nécessaire dans le cadre de la PA pour trouver, dans le paradigme de la nature comme fondement de la parenté, la place de chacun, même si on note des avancées concernant les propositions qui sont faites dans la continuité du droit québécois. On bute ici en particulier sur la possibilité qu’il y ait plus que deux mères dans le cas de la gestation pour autrui, ce qui paraît inimaginable, car ni le modèle de filiation biologique ni le modèle de filiation adoptive ne peuvent dans ce cas s’appliquer. Ces mères partielles, mais aussi surnuméraires, obligent les chercheurs, plus que dans toutes les autres formes de pluriparenté, à repenser celle-ci et surtout à la qualifier.