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Introduction

La naissance d’un premier enfant est une opportunité d’apprentissages et de défis pour les pères et comme telle, représente un moment clé de la trajectoire familiale. De multiples facteurs individuels, relationnels et contextuels influent sur l’expérience des pères durant cette période de transition (Dulude, Belanger & Wright, 1999). Plusieurs facteurs ont déjà été investigués, citons à titre d’exemple l’importance de la qualité de la relation conjugale sur l’expérience paternelle de cette période de transition (Bolté, 1994). Malgré les recherches relativement abondantes portant sur l’expérience de la grossesse, de la naissance et de la transition à la paternité depuis la fin des années soixante-dix (Fein, 1976 ; Fishbein, 1984 ; Henderson & Brouse, 1991 ; Mercer, Ferketich & deJoseph, 1993 ; Parke & Sawin, 1976 ; Wente & Crockenburg, 1976), il demeure que les études portant sur l’expérience des premiers moments de cette transition, en période postnatale immédiate, sont rares. On peut se demander quels sont les événements de ces premiers jours qui sont importants et significatifs pour les pères primipares. De même, aucune recherche n’ayant investigué les relations entre les événements de la période postnatale et les perceptions d’efficacité des pères, il semble important d’explorer l’apport de ces événements à la construction des perceptions d’efficacité parentale des pères, afin d’adapter les interventions des professionnelles de la santé. Cette recherche contribue au champ des connaissances sur la paternité, car elle permet d’appréhender l’expérience des pères dans les premiers moments de leur transition à la paternité et d’identifier les événements significatifs. Les écrits recensés portent sur les premiers moments de la transition à la paternité en période postnatale immédiate et sur les perceptions d’efficacité des pères.

Problématique et recension des écrits

Les premiers moments de la transition à la paternité en période postnatale immédiate

Depuis dix ans, nous sommes témoins de modifications de soins et de pratiques hospitalières dans le système de santé québécois, changements guidés tant par le besoin de rationaliser les coûts que par l’évolution des valeurs de la société. Ainsi, le séjour en centre hospitalier en période postnatale est maintenant de 24 à 72 heures. La cohabitation mère-enfant, et dans certains cas, la création d’unités familiales où le père est invité à séjourner, font partie intégrante de l’expérience des nouveaux parents. On connaît les besoins d'information des pères par rapport au parentage, de même que l'influence que peut avoir la compréhension des soins sur la participation du père (Dulac, 1998; Fein, 1976; Geifer & Nelson, 1981; Wandersman, Wandersman, & Kahn, 1980). Les recherches se sont moins attardées à décrire les circonstances particulières entourant la période postnatale immédiate, lors du séjour en maternité, du point de vue des pères. Les événements critiques de la période postnatale, c’est-à-dire les événements majeurs ayant une importance pour l’individu (Flanagan, 1954) sont méconnus. Pourtant, ces événements sont susceptibles d’être suffisamment marquants pour influencer le processus d’adaptation à la paternité (deMontigny, 2002).

Une étude récente effectuée auprès de treize pères québécois primipares a permis d’identifier des événements significatifs pour les pères lors des premiers moments en période postnatale, en centre hospitalier (deMontigny & Lacharité, 2002, 2004). Faits marquant, ces pères notent de nombreux événements négatifs durant cette brève période, tels des difficultés à composer avec les changements physiques et psychologiques de la période postnatale, à composer avec les exigences du rôle parental, à maintenir le fonctionnement de la cellule conjugale, à composer avec les exigences de l’environnement hospitalier, et à échanger de l’information avec le personnel infirmier. Ce séjour de 24-72 heures, témoin des premières heures de la formation de l’unité familiale, est lourd d’expériences difficiles pour les pères de cet échantillon. Ces premières constatations incitent l’exploration du point de vue des pères des événements critiques de la période postnatale, auprès d’un plus grand nombre de pères primipares.

Les perceptions d’efficacité parentale des pères

La théorie sociale cognitive (Bandura, 1997, 2003) inspire l’examen des perceptions d’efficacité des pères, car elle est le cadre de référence de nombreuses investigations sur ce thème, tant auprès des pères que des mères. En effet, les parents sont perçus comme étant engagés, en période postnatale, dans la construction de leurs perceptions d’efficacité parentale, c’est-à-dire « leurs croyances en leurs capacités à exécuter les tâches reliées au parentage » (deMontigny & Lacharité, 2004). Par ce processus cognitif, le père évalue ses capacités à faire face à des situations diverses reliées à être père et à accomplir les tâches requises (Bandura, 1977b, 1982, 1986). Les perceptions d'efficacité parentale varient selon que le père perçoit qu'il obtiendra des résultats à s'engager dans certains comportements et selon qu'il perçoit avoir les capacités pour exécuter les comportements nécessaires pour obtenir ces résultats. Les perceptions d’efficacité parentale ne sont pas, selon Bandura (1977b, 1982, 1986, 1991), un trait global de la personnalité ou une caractéristique personnelle mais varient plutôt selon la tâche requise et le contexte auquel l’individu est confronté.

Les facteurs contribuant aux perceptions d’efficacité des pères

Selon Bandura (1997, 2003), quatre sources d’informations sont utilisées dans la construction des perceptions d'efficacité d’un individu. L'histoire de réussites et d'échecs de l'individu ou l'expérience active de maîtrise est la source la plus significative d'information pour celui-ci pour mesurer ses capacités et ses limites. Les écrits révèlent peu comment l'expérience antérieure influe sur les perceptions d'efficacité des pères, alors que l’on sait que l'expérience acquise en centre hospitalier en période postnatale immédiate par la mise en pratique de ses habiletés et par la cohabitation mère-enfant (Rutledge & Pridham, 1987) est un des facteurs déterminant les perceptions d'efficacité chez les mères.

Les perceptions d'efficacité personnelle sont aussi influencées par l'observation d'un modèle ou l'expérience vicariante, qui offre un point de référence à l'individu pour juger de ses propres capacités à maîtriser une situation donnée (Bandura, 1997). On ne dispose pas d’information dans les écrits sur l’influence de l’expérience vicariante sur les pères. On sait toutefois que les sessions d'information sur les soins du bébé en période postnatale (Rutledge & Pridham, 1987) contribuent aux perceptions d'efficacité des mères.

Des fluctuations dans l'état physiologique et émotionnel de l'individu peuvent être interprétées par celui-ci comme des indices de vulnérabilité et même, d'inefficacité (Bandura, 1997). C'est ainsi qu’un niveau de préoccupations élevé chez les pères est associé à une baisse des perceptions d'efficacité parentale (Bolte, 1994).

Par la persuasion verbale, on peut renforcer les croyances des individus à l'effet qu'ils possèdent les habiletés pour réussir ce qu'ils désirent. Bandura (1997) soutient qu'il est plus facile pour un individu de maintenir un sentiment d'efficacité personnelle lorsqu’il est encouragé par des personnes significatives qui croient en ses capacités et le lui disent. C'est ainsi que plusieurs recherches ont pu établir que les pères qui se disent satisfaits du soutien de leur conjointe se sentent plus compétents comme parents d’un nouveau-né (Bolté, 1994; Gibaud-Wallston, 1977; Gibaud-Wallston & Wandersman, 1978).

Objectifs visés

La recension des écrits portant sur les événements critiques de la période postnatale révèle qu’une seule étude à ce jour a dévoilé les événements, surtout négatifs, vécus par les pères dans les premiers moments de l’expérience de devenir père. L’état de la recherche sur les perceptions d’efficacité des pères met en évidence le manque d’informations disponibles sur les facteurs déterminant les perceptions d'efficacité des pères en période postnatale, les recherches sur le sujet ayant principalement porté sur les mères. Il s’ensuit que les objectifs visés par la présente étude sont d’identifier les perceptions des pères des événements critiques de la période postnatale et d’examiner la contribution de ces événements à la construction de leurs perceptions d’efficacité, en tenant compte d’un ensemble d’autres variables.

Méthode

Une étude descriptive quantitative s’effectue auprès de 160 pères d’un premier enfant, après approbation du projet par le comité d’éthique de l’Université du Québec en Outaouais et de l’établissement où se fait le recrutement.

Participants

Les sujets de l’étude proviennent de la région urbaine immédiate et environnante de l’Outaouais québécois. La sélection des pères participants se déroule de mars à août 2000. La composition de l’échantillon tient compte des critères de sélection suivants :

  • Le père est le parent biologique d'un premier enfant et vit avec ce dernier ;

  • il vit en couple (marié ou union de fait) au moment de la naissance ;

  • il est francophone ou capable de parler, comprendre et lire le français ;

  • l'enfant est de poids supérieur à 2 500g, né après 37 semaines de grossesse, et ne présente pas de problème de santé important nécessitant un séjour en néonatalogie de plus de 24 heures ;

  • la mère ne présente pas de problème de santé important lié à l'accouchement.

Déroulement

Tous les nouveaux pères admissibles à l’étude sont systématiquement approchés par l’assistante de recherche avant leur congé du centre hospitalier, afin de participer à l’étude. Celle-ci communique ensuite par téléphone avec les pères ayant consenti à participer, après leur retour à la maison, pour prendre un rendez-vous. Les pères sont rencontrés à leur domicile, à un temps qui leur convient, en moyenne la 16ième journée postnatale (+/-9 jours), afin de compléter individuellement, pendant environ une heure, un cahier-questionnaire regroupant les instruments de mesure.

Variables à l’étude et instruments de mesure

Les perceptions d'efficacité parentale en période postnatale[1]

La variable dépendante, les perceptions d'efficacité parentale, se définie comme « l'ensemble des croyances qu'un parent construit sur ses capacités à mobiliser la motivation, les ressources cognitives et les comportements nécessaires pour rencontrer les exigences du parentage » et se mesure à l'aide de la version française du Parenting Expectations Survey (PES) de Reece (1992; Reece & Harkless, 1998). Cet instrument a été construit pour mesurer les perceptions et croyances d'efficacité personnelle des mères tôt en période postnatale, et a été validé auprès de mères et de pères d’enfants d’un mois par Reece (1998). Comportant 25 énoncés, le PEPP utilise une échelle de type Likert en dix points (je ne peux le faire / je peux certainement le faire). Le score est établi en additionnant tous les énoncés et en divisant par le nombre total de questions.

Les événements de la période postnatale

La variable indépendante, les événement critiques de la période postnatale immédiate, se définie comme « les événements significatifs pour les parents dans la période postnatale immédiate susceptibles d’influer sur leur adaptation parentale » (deMontigny & Lacharité, 2002, 2004). L’inventaire des événements critiques de la période postnatale (deMontigny & Lacharité, 2002) est conçu à partir des résultats d’une recherche qualitative auprès de 26 parents primipares en période postnatale immédiate.

Il comporte 85 énoncés décrivant des incidents critiques de la période postnatale regroupés en cinq catégories : composer avec les changements physiques et psychologiques de la période postnatale; composer avec les exigences du rôle parental ; maintenir le fonctionnement de la cellule conjugale ; échanger de l’information avec le personnel infirmier ; et composer avec les exigences de l’environnement hospitalier. Le parent doit dire s’il a vécu l’incident (échelle a) (non = 1, oui = 2) et déterminer si cet incident a été négatif ou positif pour lui (échelle b), sur une échelle de 1 (très difficile) à 9 (très facile). Le score global est fonction de la moyenne de la quantité d’événements multipliés par la moyenne de la valence (xq X xv), un score bas signifiant peu d’événements et/ou des événements à valence négative, un score élevé reflétant des événements nombreux et positifs, selon une approche conçue par Fishbein & Ajzen (1975 : voir Valois, Godin & Desharnais, 1991).

Autres variables à l’étude

Les écrits en rapport avec la période entourant la naissance du premier enfant et le développement des perceptions d’efficacité des parents déterminent un ensemble de facteurs susceptibles de contribuer à l’expérience des pères, dont certains ont été mentionnés précédemment. En ce sens, l’alliance parentale, le soutien social, les perceptions des pères du tempérament de l’enfant, l’anxiété situationnelle, les pratiques d’aide des infirmières, les perceptions de contrôle des pères, l’expérience antérieure avec des enfants, le revenu et l’éducation sont retenus. Le tableau 1 présente les caractéristiques des instruments utilisés pour mesurer l’ensemble des variables. Les qualités métrologiques de l’ensemble de ces instruments ont été vérifiées et sont adéquates, avec une consistance interne >0,76 (deMontigny, 2002).

Tableau 1

Caractéristiques des instruments de mesure

Caractéristiques des instruments de mesure

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Traitement et analyses des données

L’examen des tendances centrales pour chacune des variables utilisées indique que l’échantillon semble normatif et représentatif des pères avec de jeunes enfants, tel que comparé avec les pères des études de deMontigny (2002) et de Lacharité, deMontigny, Miron, Devault, et al (2005). Une analyse descriptive des incidents rapportés par les pères se fait avec le logiciel SPSS 12.0. Les corrélations entre les variables sont examinées, afin de retenir les variables corrélées significativement avec la variable dépendante (R>15, p=0,05). Une analyse de régression hiérarchique est faite avec les variables corrélées. Le logiciel Answer Tree (3.1) est utilisé pour examiner les associations entre les variables correlées.

Résultats

Les résultats portent sur la description d’un portrait des événements critiques de la période postnatale et sur l’examen de la contribution de ces événements à la construction des perceptions d’efficacité des pères. Préalablement, un profil sociodémographique des pères participants est présenté au tableau 2, un profil sociodémographique des familles est présenté au tableau 3, ainsi qu’un aperçu des données obstétricales au tableau 4. De ces tableaux se dégagent un portrait des participants à l’étude qui est similaire aux profils des pères rencontrés dans d’autres études auprès de pères québécois (deMontigny, 2002; Lacharité & al, 2005).

Tableau 2

Profil socio-démographique des pères à l’étude

Profil socio-démographique des pères à l’étude

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Tableau 3

Profil socio-démographique familial

Profil socio-démographique familial

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Tableau 4

Portrait des données obstétricales

Portrait des données obstétricales

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Pour compléter ce portrait des participants à l’étude, notons que 78% des pères (N : 124) ont suivi, en période prénatale, des cours prénataux et 98% étaient présents à l’accouchement. Les nouveaux-nés se répartissent également entre les deux sexes (50% de filles, et 50% de garçons). Le séjour en centre hospitalier des mères a été de un à trois jours pour 75% de l’échantillon. Cinquante pour cent des pères de l’échantillon ont cohabité le premier jour après la naissance, et 36 % cohabitait toujours la troisième journée de séjour. Pourtant, 46% d’entre eux disposaient de moins de deux jours de congé de paternité. Seuls huit pour cent des pères avaient plus d’un mois de congé de paternité.

Portrait des incidents critiques de la période postnatale décrits par les pères

Les événements les plus cités par les pères, ainsi que leur valence positive et négative, sont rapportés, afin de cerner le portrait des incidents critiques pour les pères durant la période postnatale. Pour les fins de présentation des résultats de l’analyse descriptive des incidents rapportés par les pères, ceux-ci ont été regroupés selon les dimensions identifiées dans des travaux antérieurs de deMontigny et Lacharité (2002), soit : composer avec les changements physiques et psychologiques de la période postnatale; composer avec les exigences du rôle parental ; maintenir le fonctionnement de la cellule conjugale ; composer avec les exigences de l’environnement hospitalier ; échanger de l’information avec les infirmières.

Composer avec les changements physiques et psychologiques de la période postnatale

Cette dimension regroupe dix incidents ayant trait à l’adaptation du père et de la mère aux bouleversements physiques et psychologiques intenses de cette période de transition (deMontigny et Lacharité, 2002). Cent-deux pères (67%) disent que revivre l’expérience de l’accouchement est un incident marquant au niveau psychologique durant la période postnatale. Pour 84% d’entre eux, cette réminiscence s’avère positive. Par contre, 83% pour cent des pères ont vu leur conjointe éprouver des douleurs physiques en période postnatale, et 73 % d’entre eux donnent une valeur négative à cette expérience. L’épuisement est noté par 75% des pères de cet échantillon et constitue un événement négatif pour 62 % d’entre eux.

Composer avec les exigences du rôle parental

Cette dimension touche 30 incidents propres à l’adaptation du père et de la mère aux exigences du rôle parental en période postnatale immédiate (deMontigny et Lacharité, 2002). Elle comporte, entre autres, des incidents liés à faire connaissance avec son bébé. Dans cette catégorie, plus de 92% des pères rapportent que l’expérience de prendre son bébé, de se sentir en amour avec lui et de le réconforter sont des expériences positives. Notons que 95% des pères ayant cohabité à l’hôpital ont apprécié l’expérience. Par ailleurs, 82 pères (51%) ont éprouvé de l’inquiétude face à l’état de santé du bébé et 37 ont vécu une situation inattendue avec leur bébé, ce qui a été une expérience négative pour 82 % et 62% de ces pères, respectivement.

Une autre exigence du rôle parental est liée aux soins prodigués au bébé. C’est ainsi que la majorité des pères ont fait l’expérience de changer la couche de leur enfant (N : 133) et ont apprécié cette expérience (91%). Quatre-vingt-onze pères ont vécu positivement l’expérience de donner le bain à leur bébé.

L’alimentation du bébé au sein est une exigence du rôle parental qui est le plus fréquemment teintée d’ambivalence du coté paternel. C’est ainsi que seulement 80% des pères de bébés allaités perçoivent cette expérience positivement contre 99% des pères dont le bébé est au biberon. Les inconforts que vit la mère durant l’allaitement (seins ou mamelons douloureux, gerçures) ainsi que les impacts psychologiques (l’absence d’intimité, les inquiétudes, par exemple un bébé qui tète mal) sont rapportés comme aspects négatifs de cette expérience. Par ailleurs, reconnaître les signes de satisfaction de son bébé est un moment positif pour 75% des pères de l’échantillon.

Maintenir le fonctionnement de la cellule conjugale

Le maintien du fonctionnement de la cellule conjugale comporte dix incidents se divisant en trois thématiques, portant sur la communication et l’expression des émotions, la réponse affective et la résolution de problèmes. On note qu’il est fréquent pour les pères de l’échantillon de partager ses besoins émotifs avec sa conjointe. En effet, 87% d’entre eux le font, et 90% notent que ces échanges sont positifs. Il faut noter toutefois que lorsqu’ils partagent leurs besoins physiques, leurs inquiétudes de l’état de santé de l’enfant ou de leur conjointe, ou encore, leurs préoccupations face à l’allaitement, le quart des pères rapportent que ces échanges sont des expériences négatives ou ambivalentes.

Plus des trois quarts des pères de l’échantillon disent se sentir soutenus par leur conjointe (N : 132), donner (N : 123) et recevoir de la rétroaction de leur conjointe (N : 119). Ces réponses affectives sont positives pour plus de 93 % des pères qui les vivent. Le cinquième de l’échantillon (N : 33) confie ressentir une perte d’intimité avec sa conjointe en période postnatale, et seuls neuf d’entre eux s’en accommodent facilement. Une forte proportion des pères (N : 143) ont eu l’occasion de prendre des décisions, comme couple et comme parent en période postnatale, et 93% d’entre eux voient positivement ces moments.

Composer avec les exigences de l’environnement hospitalier

Cette dimension touche 12 incidents reliés à la connaissance des routines hospitalières, aux actions à poser pour composer avec ces routines, et à la perte de contrôle sur le temps. Près du trois quarts des pères notent avoir été informés du déroulement de la cohabitation, de l’utilisation du matériel et de l’espace. Ils sont généralement positifs devant cette expérience (89% et 81% respectivement). Toutefois, moins de la moitié de l’échantillon a été informée spécifiquement sur les droits des pères qui cohabitent, ce que 23% d’entre eux connotent négativement.

Devoir aller chercher le bébé à la pouponnière (78%), avoir des heures précises pour les soins (62%) et recevoir des soins d’infirmières différentes tous les jours (74%) sont les événements les plus fréquemment vécus par les pères. Les pères s’accommodent bien de la routine d’aller chercher leur bébé et du rythme régulier imposé sur les unités de maternité, mais la moitié des pères vivent négativement ou avec ambivalence les changements quotidiens de personnel infirmier.

Dans la gestion du temps en période postnatale, un certain nombre de pères, soit 17% d’entre eux, trouve difficile d’établir un bon moment pour recevoir de la visite. Près de la moitié des pères notent d’ailleurs leurs impressions de ne pas avoir de répit, et de toujours être en situation d’attente, que ce soit un boire, les soins ou la permission de rentrer chez eux. Il apparaît difficile pour ces pères de composer avec les exigences de l’environnement hospitalier.

Échanger de l’information avec les infirmières

Cette dimension regroupe 23 incidents portant sur les interactions avec les infirmières, soit en terme d’obtenir une réponse de la part des infirmières, de donner ou recevoir des informations des infirmières, ou de recevoir de la rétroaction des infirmières. L’obtention d’une réponse des infirmières par rapport aux besoins reliés à l’allaitement, aux besoins physiques et émotionnels des mères est rapportée par plus des trois quarts des pères, qui se disent positifs dans une proportion de quatre pères sur cinq. Fait à noter, moins de la moitié des pères ont obtenu une réponse des infirmières à leurs besoins émotifs propres, et seulement le tiers des pères a reçu une attention à ses besoins physiques. Toutefois, ceux qui ont vécu l’expérience se disent satisfaits à plus de 70%.

En terme d’incidents portant sur l’information donnée et reçue des infirmières, les pères confient avoir généralement reçu de l’information prompte et appropriée sur la santé de la mère et du bébé ainsi que sur l’allaitement. Ils ont eu l’occasion de partager leurs inquiétudes avec les infirmières face à l’état de santé du bébé (69%) et de la mère (53%), ainsi que leurs besoins face aux soins du bébé (77%). Seuls dix pour cent des pères ont vécu ces incidents négativement. Du tiers de l’échantillon qui a tenté de partager avec les infirmières ses besoins physiques et émotifs, et de la moitié qui a confié ses préoccupations envers l’allaitement, de 15 à 20% se disent ambivalents ou négatifs face à l’expérience. Notons que le tiers de l’échantillon dit avoir reçu des conseils contradictoires face à l’allaitement, ce qui représente une expérience négative ou incertaine pour 86% de ces pères. Finalement, être valorisé par les infirmières est vécu par 74% des pères, et positifs pour 97% d’entre eux. La moitié de l’échantillon a reçu du feedback positif dans son expérience d’allaitement, ce qui est aussi apprécié par 90% d’entre eux. Dix pour cent des pères se sont vus dévalorisés par les infirmières, ce qui constitue une expérience négative pour 77% d’entre eux.

Facteurs déterminant les perceptions d’efficacité des pères

Les corrélations de Pearson entre les variables et la variable dépendante sont présentées au tableau 5. Les variables « les événements de la période postnatale, « l’alliance parentale », « l’anxiété situationnelle », « les pratiques d’aide des infirmières », « le revenu » et « l’éducation » sont corrélées significativement à la variable dépendante, « perceptions d’efficacité » (R>0,15, p = 0,05). La régression hiérarchique effectuée avec ces variables démontrent que 24% de la variance est expliquée par l’alliance parentale (beta = 0.35, t = 4.47, p<0.001) et l’anxiété (beta = 0.15, t = 2.00, p = 0.047).

Tableau 5

Corrélations entre les variables à l’étude

Corrélations entre les variables à l’étude
**

p< 0.01

*

p< 0.05

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Analyses complémentaires

Le logiciel Answer Tree 3.0 est utilisé pour vérifier les formes d’associations entre les perceptions d’efficacité, les facteurs déterminant les perceptions d’efficacité, soit l’alliance parentale et l’anxiété, ainsi que les événements critiques vécus. Des associations sont observées entre les perceptions d’efficacité, l’alliance parentale et les événements, ainsi qu’entre les perceptions d’efficacité, l’anxiété et les événements de la période postnatale.

On constate que l’alliance parentale est associée aux perceptions d’efficacité parentale (p<0.0001 ; F = 18,91, df = 2,16) de façon telle que le père qui a une perception très positive de son alliance conjugale (score de 4,65 à 5, N : 83) maintient une perception très positive de son efficacité (X = 8,6, e.t.=1,16). L’inverse est remarqué, une perception d’alliance faible (moins de 4,4, N : 49) étant associée à des perceptions d’efficacité faibles (X = 7,42, e.t. = 1,05). Dans ces deux cas, les événements ne sont pas associés de façon significative aux perceptions d’efficacité des pères. Les pères ayant une perception moyenne de leur alliance parentale (4,40-4,65) ont généralement une perception d’efficacité moyenne (X = 8,06, e.t. 0,87). Pour ces pères (N : 28), les événements critiques sont associés aux perceptions d’efficacité (p = 0,06 ; F = 10,20, df = 1,26) de façon telle que lorsque les scores d’événements sont faibles (moins de 9,82), les perceptions d’efficacité chutent (X = 7,54, e.t.= 0,87), alors que lorsque les scores d’événements sont élevés (plus de 9,82), les perceptions d’efficacité le sont aussi (X = 8,45, e.t. = 0,64).

L’anxiété est aussi associée aux perceptions d’efficacité parentale (p<0.03 ; F = 10,34, df= 1,16) de façon telle que les pères moins anxieux (score >3,6, N : 46) ont une perception plus positive de leur efficacité (X = 8,62, e.t. 0,89) que la moyenne, alors que les pères plus anxieux (score < 3,6, N : 114) ont une perception d’efficacité plus faible (X = 7,96, e.t. 1,25). Pour ces derniers, l’on constate que les événements critiques sont associés aux perceptions d’efficacité (p<0.03 ; F = 11,18, df = 1,11 de sorte que les pères qui rapportent un score d’événements plus faibles (<10,45), ont des perceptions d’efficacité plus faibles (X : 7,71, e.t.1,31), alors que les pères qui rapportent un plus grand nombre d’événements positifs (<10,45) ont des perceptions d’efficacité plus élevées (X : 8,52, e.t. 0,92).

Discussion

Cette étude contribue aux connaissances sur la paternité en révélant la richesse et la diversité de l’expérience des pères des premiers moments de leur transition à la paternité. Elle soutient les résultats d’études antérieures portant sur les facteurs déterminant les perceptions d’efficacité des pères en période postnatale immédiate, en identifiant l’importance de l’alliance parentale et de l’anxiété du père dans la construction de ses perceptions d’efficacité parentale.

Les résultats de la présente étude viennent à la fois confirmer et nuancer le portrait de l’expérience des pères de la période postnatale dressé par deMontigny et Lacharité (2004) lors d’une étude qualitative sur le même thème. Dans cette première étude, l’expérience des pères de « composer avec les changements physiques et psychologiques de la période postnatale » était unanimement négative, alors que les pères du présent échantillon apportent une nuance à ces propos. Bien que les deux tiers d’entre eux identifient aussi la fatigue comme un élément clé de la période postnatale, ils sont aussi nombreux à avoir du plaisir à revivre l’expérience de l’accouchement.

Faire connaissance avec son enfant et en prendre soin en période postnatale constituent des expériences positives pour les pères de cette étude, ce qui va dans le sens des résultats antérieurs observés (deMontigny, 2002). La cohabitation est fortement appréciée par les pères. L’allaitement maternel demeure, tout comme dans l’étude de deMontigny et Lacharité (2004), fréquemment teintée d’ambivalence du coté paternel. Les résultats ne nous permettent pas de dire si le malaise ici exprimé est relié aux besoins de contrôle sur les événements, propre à la socialisation masculine (Dulac, 1997), ou s’il témoigne, plus insidieusement, d’un sentiment d’exclusion de la relation mère-enfant. Des études américaines ont relaté qu’il est assez fréquent pour les pères de ressentir un malaise, voire un sentiment de rejet et d’exclusion de la dyade mère-enfant (Gamble et Morse, 1993; Jordan et Wall, 1990). On peut se demander si, tout comme certains pères américains (Gamble et Morse, 1993), des pères québécois voient leur engagement avec leur nouveau-né retardé durant l’allaitement.

L’expérience des pères avec les infirmières tend à être positive. On note toutefois qu’une proportion importante de pères vit des événements négatifs lorsqu’en relation avec le personnel infirmier. Ces pères ont de la difficulté à partager leurs préoccupations et besoins avec le personnel, ce qui corrobore les résultats de l’étude de deMontigny et Lacharité (2004). Gérer leur emploi du temps, afin d’avoir du temps pour recevoir la visite et du temps de répit, et obtenir de l’information sur leurs droits et la cohabitation sont des défis à relever par les pères en période postnatale.

La communication conjugale est aussi une dimension touchée durant la période postnatale. Il devient difficile pour les pères de recevoir de la rétroaction ainsi que de partager des besoins et préoccupations avec leur partenaire. La thématique de la perte de l’intimité conjugale est mise en évidence dans les propos des pères. Il est bien connu que les femmes sont les principales sources de soutien des hommes (Dulac, 1997). Le constat de la distance rapportée en période postnatale immédiate est préoccupant, le soutien conjugal étant régulièrement identifié comme un des facteurs déterminant les perceptions d’efficacité des pères en période postnatale (deMontigny, 2002).

L’examen des facteurs déterminant les perceptions d’efficacité confirme en effet que l’alliance parentale et l’anxiété sont des facteurs déterminant des perceptions d’efficacité parentale des pères primipares lors de la période postnatale. La qualité de la relation avec la conjointe avait été observée comme un facteur déterminant des perceptions d’efficacité des pères dans une étude de Bolté (1994). De son coté, Bandura avait noté que des fluctuations dans l'état physiologique et émotionnel pouvaient être interprétées par un individu comme des indices d'inefficacité (Bandura, 1997). Cette étude apporte des informations complémentaires en faisant ressortir que les pères dont l’alliance parentale est moyenne ou qui sont plus anxieux sont plus sensibles aux événements de la période postnatale, de sorte que des événements négatifs ou peu nombreux les amènent à se sentir inefficaces.

Ces résultats nous informent de la forme des événements qui sont signifiants pour les pères en période postnatale immédiate. Ainsi, alors que les études antérieures avaient mis de l’avant l’importance pour les mères de la fatigue en période postnatale (Martell, 2001), leurs besoins de connaissances par rapport à l’alimentation du bébé (Beger & Cook, 1998) et leur facilité d’acclimatation à l’environnement physique (deMontigny, 2002), les présents résultats élargissent les connaissances en informant sur l’expérience des pères. Ils permettent de confirmer l’apport de l’alliance parentale et de l’anxiété à la construction des perceptions d’efficacité des pères en période postnatale, et de constater la contribution particulière et importante des événements de la période postnatale au développement des perceptions d’efficacité des pères.

Limites

Cette étude présente certaines limites méthodologiques. En premier lieu, la participation volontaire à l’étude peut avoir un effet sur le type, le nombre et la valence d’événements rapportés, ceux choisissant de participer pouvant avoir une expérience plus ou moins riche ou positive que celle des non participants. De même, bien que répartis sur un vaste territoire urbain, ces pères provenaient d’un seul centre hospitalier, ce qui peut influer sur leur expérience de la période postnatale, qui peut ne pas refléter celles des pères québécois primipares.

Les instruments de mesures utilisés constituent une autre limite de cette étude. L’inventaire des incidents critiques de la période postnatale a été construit à partir de résultats d’une précédente étude des auteurs (deMontigny et Lacharité, 2002). Cette étude avait uniquement révélé des incidents significatifs entre les parents et les infirmières. Le questionnaire reflète donc ces premiers résultats et n’explorait pas les incidents vécus par les pères lorsqu’en relations avec d’autres professionnels que les infirmières. Il se peut que les pères de la présente étude aient eu une expérience différente à raconter. De même, la qualification binaire des incidents critiques, bien que nuancée par la possibilité de répondre « neutre » ne permet pas aux pères de rendre compte des aspects à la fois positifs et négatifs d’un même événement.

Retombées

Diverses applications de ces résultats sur le plan de la pratique clinique auprès des pères, de la formation à l’intervention auprès des pères, ainsi que de la recherche sur la transition à la paternité s’avèrent d’ores et déjà envisageables.

Retombées pour la pratique clinique auprès des pères

Les professionnels de la santé, particulièrement les infirmières, peuvent faire une différence dans l’expérience des pères de la période postnatale en connaissant mieux l’expérience des pères, en reconnaissant leur expertise et en leur offrant du soutien varié pour faire en sorte de répondre de façon plus efficace aux besoins des pères. L’étude démontre que les pères sont sensibles aux approches d’aide visant l’empowerment, et que celles-ci contribuent à leurs perceptions des événements de la période postnatale. Il importe donc d’intégrer dans les pratiques cliniques ces approches, de façon à soutenir les pères dans leurs interactions avec leur nouveau-né et leur conjointe, et les renforcer dans leurs croyances en leurs capacités et leurs forces. Il devient nécessaire de créer un contexte pour le changement, où les pères ont leur espace propre pour entrer en relation de collaboration avec les professionnels de la santé.

Retombées pour la recherche auprès des pères

Cette recherche nous dirige vers la nécessité d’examiner les perceptions des intervenants des approches qu’ils utilisent dans leur pratique auprès des pères. De même, il serait intéressant de répliquer cette recherche auprès d’un échantillon de pères multipares, afin de comparer les perceptions d’efficacité et la teneur des incidents partagés. Finalement, l’ampleur de l’ambivalence des pères envers l’allaitement maternel nous amène à recommander que des recherches portent spécifiquement sur l’examen des représentations des pères de l’allaitement maternel et de ses effets sur leur engagement avec leur enfant et leurs perceptions d’efficacité.

Retombées pour la formation à l’intervention auprès des pères

Les résultats de cette recherche apportent de l’information novatrice, pertinente pour l’enseignement des professionnels de la santé, tant au premier qu’au deuxième cycle. Les incidents critiques des premiers moments de la paternité, tel que décrits par les pères, sont des points d’ancrage intéressants à des activités de formation à l’intervention auprès des pères.

Conclusion

La naissance d’un enfant représente sans conteste un événement très spécial qui marque la vie des hommes. La participation du père à cette période de transition est cruciale pour établir son implication future dans la vie de l’enfant. La littérature scientifique démontre aujourd’hui sans l’ombre d’un doute que les pères qui s’engagent activement, tôt dans la vie de l’enfant, sont plus susceptibles d’être disponibles à leurs enfants et de participer à leurs soins et à leur éducation lorsque l’enfant a deux ans (Lamb et al, 1988). La naissance représente un moment privilégié pour l’intervention, puisque les pères sont plus réceptifs durant cette période (Litton, Fox, Bruce et Combs-Orme, 2000). Les interventions doivent permettre de consolider l’établissement de la relation père-enfant, soutenir la relation conjugale ainsi que la relation des pères avec leur réseau. La naissance d’un enfant transforme l’individu d’un fils à un père (Badolato, 1997) et ce, pour la vie.