Corps de l’article

Au Québec, au cours des dernières années, la proportion de couples qui choisissent de se séparer[1] approche un rapport d’un sur deux (Statistiques Canada, 2005). Ce taux élevé de ruptures ne représente cependant qu’une sous-estimation du phénomène; en effet, les couples non mariés mais vivant en union libre ne sont pas comptabilisés dans ces statistiques, et l’union libre est particulièrement populaire au Québec (en 2001, plus d’un demi-million de couples la préférait au mariage (Statistiques Canada, 2004). De plus, les statistiques canadiennes démontrent que les unions libres sont des unions plus fragiles que les unions maritales (Statistique Canada, 2007). Dans la plupart des cas, le divorce implique de jeunes enfants (Marcil-Gratton et Lebourdais, 1999), bien que certaines études s’étant penchées sur la question estiment que le fait d’avoir des enfants représente pour les couples, mariés ou vivant en union libre, un facteur de protection de l'union (Dumas et Bélanger, 1997). Ainsi, on estime qu’un enfant sur trois vivra la séparation de ses parents avant qu’il n’atteigne l’âge de dix ans (Juby, Marcil-Gratton et Le Bourdais, 2004). L’adaptation des enfants à la rupture d’union conjugale a fait l’objet de nombreuses études, et ce, depuis les premières vagues de recherches menées par des psychologues et des sociologues de la famille, dans les années 1950 et 1960, surtout aux États-Unis (Kempeneers et Dandurand, 2001). À l’époque, ces chercheurs estimaient souvent que les enfants du divorce avaient forcément des problèmes parce qu’ils ne vivaient pas dans une « famille intacte » (Dandurand, 1994). Depuis les années 1970, les appréhensions quant au sort des enfants du divorce sont devenues moins normatives et la recherche traite maintenant plutôt des « effets » du divorce sur les enfants (Dandurand, 1994).

Les résultats de la plupart des études récentes démontrent que les enfants de parents divorcés ou séparés risquent de présenter plusieurs difficultés (Kelly et Wallerstein, 1976; Kurdek et Berg, 1983; Hetherington, 1994; Jenkins et Smith, 1993; Guttmann et Lazar, 1998; O’Connor, Caspi, DeFries et Plomin, 2000). On observe chez ces enfants significativement plus de troubles intériorisés et extériorisés que chez les enfants de familles intactes (Hetherington et Stanley-Hagan, 1999; Simons, Lin, Gordon, Conger et Lorenz, 1999; Hetherington, Cox et Cox, 1985; Hetherington, 1987; Kurtz, 1995) ainsi que deux fois plus de risques d’éprouver des difficultés d’adaptation que les enfants de familles intactes (Greene, Anderson, Hetherington, Foregatch et DeGarmo, 2003). Ces impacts négatifs du divorce sur l’adaptation de l’enfant ont également été trouvés dans les méta-analyses d’Amato et Keith (1991), Amato (2001) et Reifman, Villa, Amans, Rethinam et Telesca (2001). Dans ces trois méta-analyses, les auteurs regroupent au total les résultats de plus d’une centaine de recherches dans le but de comparer les enfants de familles intactes aux enfants de familles éclatées sur une série d’indicateurs de bien-être (tels des mesures de performance académique, de la conduite, d’ajustement psychologique, de concept de soi et de relations sociales). Globalement, il en ressort que les enfants de familles séparées ou divorcées obtiennent des scores plus faibles à ces indicateurs de bien-être que les enfants de familles intactes (Amato et Keith, 1991; Amato, 2001; Reifman et al., 2001). Malgré ce constat, il est important de garder en tête qu’une proportion importante (variant entre 75 et 80 %) des enfants ayant vécu le divorce de leurs parents réussissent à bien s’adapter à cette situation (Greene et al., 2003)

L’enfant n’est évidemment pas le seul membre du système familial à ressentir les contrecoups de la séparation, celle-ci étant un évènement tout aussi majeur dans la vie des adultes. Alors que les résultats de recherche démontrent que le mariage est bénéfique pour la santé mentale des individus (Horwitz, White et Howell-White, 1996), la rupture conjugale pourrait, à l’inverse, avoir des conséquences adverses. En effet, en regard de l’ajustement psychologique, on estime que les adultes séparés ou divorcés vivent plus fréquemment des états dépressifs que ne le font les individus mariés ou célibataires (Zimmerman, Brown et Portes, 2004; Hope, Rodgers et Power, 1999; Simons, 2002), et ce, peu importe leur âge, le temps passé depuis la séparation ou le nombre d’enfants qu’ils ont eus (Zimmerman et al., 2004). Des auteurs estiment que cette propension à la dépression s’explique par les nombreuses pertes associées au divorce et au fait qu’il existe une forte connexion entre la perte et la dépression (Hilton et Kopera-Frye, 2006). De plus, il semblerait que la relation entre le divorce et la détresse psychologique soit plus prononcée chez les femmes que chez les hommes (Hope et al., 1999; Aseltine et Kessler, 1993; Simon et Marcussen, 1999; Hitlon et Kopera-Frye, 2006; Simons, 2002). Une des hypothèses avancées par les auteurs pour expliquer cette différence est la baisse du revenu familial plus importante pour les femmes. Les femmes qui obtiennent la garde de leur enfant (80 % des familles monoparentales canadiennes et québécoises ont à leur tête une femme, Statistiques Canada, 2002) voient leur revenu familial chuter de 25 à 45 % comparativement à 10 % pour les hommes (Hetherington et Stanley-Hagan, 1999), signifiant ainsi en moyenne une baisse de 20 000 $ du revenu annuel des femmes (Zimmerman et al., 2004), ce qui est associé à une augmentation de la détresse et à une source de stress importante (Miller, Smerglia, Gaudet et Kitson, 1998). En effet, 46 % des mères québécoises monoparentales se perçoivent comme étant pauvres ou très pauvres, comparativement à 17 % chez les mères vivant dans une famille biparentale (Institut de la Statistique du Québec, 2001). D’autres hypothèses pour expliquer la plus grande détresse vécue par les femmes à la suite du divorce serait l’étiquetage et les pratiques linguistiques négatives dont elles seraient particulièrement victimes (Van Schalkwyk, 2005) ainsi que la charge accrue qui leur incombe après le divorce, nommément la garde des enfants, le fait de maintenir un foyer pour les enfants et de devenir le principal pourvoyeur de la famille (Hilton et Kopera-Frye, 2006). Finalement, d’autres auteurs estiment que ce qui pourrait augmenter la détresse psychologique des femmes divorcées serait l’association du divorce avec les responsabilités parentales accrues ou avec la baisse de mobilité (Hope, et al., 1999) ainsi que l’isolement social et l’augmentation des responsabilités professionnelles (Garvin, Kalter, et Hansell, 1993).

Ces résultats quant aux conséquences de la rupture d’union conjugale sur l’état psychologique de l’adulte, plus lourdes chez la femme, et les observations sur l’état psychologique de l’enfant après le divorce de ses parents, ont amené les chercheurs à formuler l’hypothèse de liens entre ces deux variables. Les recherches traitent spécifiquement d’un lien direct et d’un lien indirect entre l’état psychologique de la mère et l’état psychologique de l’enfant. Toutefois, ces études ne s’inscrivent pas nécessairement dans un contexte de séparation conjugale. Néanmoins, la recherche démontre, comme il a été exposé plus haut, que les femmes divorcées sont lourdement affectées par le divorce et que cela se traduit entre autres par leur haut niveau de détresse psychologique. D’où l’intérêt de vérifier l’existence de liens entre l’état psychologique des mères divorcées et celui de leurs enfants.

Influence de l’état psychologique de la mère sur celui de l’enfant

Lien direct

La recherche a mis en évidence une relation à long terme entre la détresse émotionnelle de la mère et le fonctionnement psychologique et social des enfants (Ensminger, Hanson, Riley et Juon, 2003) et leurs troubles de santé mentale (Essex, Klein, Miech et Smider, 2001). Les enfants de mères ayant un problème de santé mentale auraient significativement plus de problèmes de comportement, à la fois extériorisés et intériorisés (Rishel, Greeno, Marcus et Anderson, 2006; Essex et al., 2001). Lorsque les enfants sont exposés à une dépression maternelle persistante, la recherche démontre que cette situation est associée à une plus forte probabilité de développement ultérieur de dépressions chez les filles et avec un haut taux d’abandon scolaire chez les garçons (Ensminger et al., 2003). De plus, la dépression maternelle ainsi que l’anxiété maternelle affectent la santé psychologique du jeune enfant ainsi que sa santé somatique (Mathiesen, Tambs et Dalgard, 1999). Spécifiquement, en ce qui a trait à l’anxiété, la recherche démontre une corrélation entre l’histoire d’anxiété de la mère et l’anxiété que l’enfant rapporte pour lui-même (Frick, Silverstone et Evans, 1994). En somme, les enfants dont la mère présente de la détresse psychologique sont à risque de présenter plusieurs difficultés. De plus, le fait que la détresse psychologique de la mère soit particulièrement élevée au moment de la séparation conjugale met les enfants à risque de présenter également des difficultés d’adaptation à cette transition familiale. En effet, il a été démontré qu’il existe une forte association entre le fonctionnement psychologique de la mère et l’ajustement de l’enfant à la séparation parentale (Zimmerman et al., 2004).

Lien indirect

La détresse émotionnelle de la mère a aussi un impact indirect sur l’état psychologique de l’enfant via sa propre perception des comportements de l’enfant. De prime abord, les mères provenant d’échantillons non cliniques et leur enfant ne décrivent pas de la même façon les comportements de l’enfant (Najman, Williams, Nikles, Spence, Bor, O’Callaghan, LeBrocque, Andersen et Shuttlewood, 2001). En fait, il n’existe qu’un accord relativement faible entre les mères et les enfants lorsqu’ils décrivent le même comportement (Najamn et al., 2001). Cet accord serait plus fréquent lorsque les questions concernent des symptômes concrets, observables, sévères et non ambigus (Herjanic et Reich, 1982); il serait plus grand pour les troubles extériorisés que pour les troubles intériorisés (Stanger et Lewis, 1993); et serait aussi significativement plus élevé lorsqu’on interroge des enfants de 6 à 11 ans plutôt que des adolescents (Achenbach, McConaughy et Howell, 1987). Ces différences entre la perception de l’enfant et la perception de la mère concernant le comportement de l’enfant ne sont pas surprenantes en ce sens que le rapport que fait la mère de l’état émotionnel de l’enfant représente une description de deuxième main des sentiments vécus par l’enfant (Najman et al., 2001). Toutefois, indépendamment de la psychopathologie maternelle, les mères rapportent communément des problèmes de comportement de leur enfant qui ne sont pas confirmés ni par l’enfant ni par son professeur (Briggs-Gowan, Carter et Schawab-Stone, 1996).

Par ailleurs, les rapports maternels produits par des mères déprimées ou anxieuses au sujet des problèmes de leur enfant sont systématiquement différents de ceux obtenus auprès des mères ne présentant pas de difficultés (Najman, Williams, Nikles, Spence, Bor, O’Callaghan, LeBrocque et Andersen, 2000). Sur chaque mesure de fonctionnement de l’enfant, les mères déprimées rapportent significativement plus de difficultés que les mères des groupes non cliniques (Weissman, Feder, Pilowsky, Olfson, Fuentes, Blanco, Lantigua, Gameroff et Shea, 2004; McFarland et Sanders, 2003). Une étude effectuée par Weissman et son équipe (2004) rapporte que les mères déprimées, en comparaison avec les mères qui ne présentent pas de tels désordres psychiatriques, sont trois fois plus à risque de rapporter que leurs enfants ont de sérieux problèmes émotionnels, sont quatre fois plus à risque de rapporter que leurs enfants ne reçoivent pas le traitement nécessaire pour un problème émotif et dix fois plus à risque de rapporter qu’elles ont vécu des périodes de discorde avec leurs enfants (Weissman et al., 2004). Ces résultats ne sont toutefois pas unanimes, puisqu’une autre équipe de recherche n’a pas trouvé de relations entre les symptômes de dépression maternelle et les problèmes extériorisés de l’enfant que la mère rapporte (Mowbray, Lewandowski, Bybee et Oyserman, 2005)

En ce qui a trait à l’anxiété, il ne semble pas y avoir de relations entre l’anxiété parentale et le rapport que le parent fait de l’anxiété de l’enfant (Krain et Kendall, 2000). Toutefois, les mères ont tendance à surrapporter des symptômes d’anxiété chez l’enfant et cette exagération est corrélée avec l’anxiété propre de la mère (Frick et al., 1994).

Bien que les études précédentes nous renseignent à la fois sur les implications de la séparation pour les adultes et pour les enfants et sur l’impact, à la fois direct et indirect, de l’état psychologique de la mère sur celui de l’enfant, aucune étude, à notre connaissance, ne nous renseigne sur les liens entre ces variables dans le contexte québécois de séparation maritale. Pourtant, l’étude des relations entre ces diverses variables est d’un grand intérêt, et le contexte québécois en la matière est unique et mérite d’être approfondi. En effet, en matière de divorce, le Québec obtient le taux le plus élevé au Canada pour les 30 premières années du mariage (Statistiques Canada, 2005) et ces chiffres sont sous-représentatifs de la réalité, puisque les unions libres ne sont pas comptabilisées dans ces statistiques et que le Québec compte un peu moins de la moitié des couples vivant en union libre au Canada (Statistique Canada, 2004).

La présente étude vise deux objectifs. D’une part, vérifier en contexte de séparation si l’état psychologique de la mère (détresse psychologique) est en lien avec les troubles de comportement chez l’enfant selon le point de vue de la mère. D’autre part, vérifier si, en contexte de séparation, l’état psychologique de la mère (détresse psychologique) est en lien avec les troubles de comportement de l’enfant selon le point de vue de l’enfant.

Méthodologie

Participants

L’échantillon est composé de 37 dyades mère-enfant ayant vécu un divorce ou une séparation dans les 12 mois précédent l’étude et qui ont été référées par des médiateurs familiaux exerçant dans la province de Québec, tous accrédités par l’organisme accréditeur des médiateurs familiaux au Québec, le COAMEF[2]. Dans 45 % des cas, la séparation du couple remontait, au moment de l’étude, à six mois ou moins, alors que dans 55 % des cas, la séparation s’était produite au cours d’une période se situant entre six mois et un an. Soixante-treize pour cent des femmes de l’échantillon étaient auparavant mariées, alors que 27 % d’entre elles vivaient en union libre. La durée moyenne de l’union a été de 13.5 ans. L’âge des mères varie entre 26 et 54 ans avec une moyenne à 40.2 ans. L’échantillon est composé à 92 % de participants d’origine québécoise. La population recrutée est de classe moyenne. En effet, 95 % des femmes rapportent avoir eu un revenu familial avant la séparation de 40 000 $ et plus et 54 % d’entre elles déclarent un revenu de 70 000 $ et plus. Néanmoins, les femmes ont un revenu plus faible dans le couple. Ainsi, pour 24 % des mères, le revenu personnel est de 40 000 $ et plus, alors que pour 41 % d’entre elles, il se situe entre 39 999 $ et 30 000 $. De plus, une forte proportion des mères avait complété des études universitaires, soit 41 %, et 35 % avaient fait des études collégiales. Du côté des enfants, l’échantillon comprend 18 garçons et 19 filles âgés de 6 à 14 ans. En vue de maintenir la validité interne de l'étude, la sélection des sujets s’est effectuée en tenant compte de certaines considérations d'ordre éthique et pratique, à l'instar d'autres études dans le domaine (Emery et Wyer, 1987; Emery, Matthews et Wyer, 1991). Ainsi, ont été exclus de l'étude les couples où l'on retrouve, concurremment au divorce, des allégations d'abus sexuel, de violence conjugale ou de négligence. Les couples qui avaient repris leur vie commune ont également été exclus de l’étude.

Instruments

L’Indice de Symptômes Psychiatriques (ISP) de Ilfeld (1976), un instrument servant à évaluer la présence de symptômes de détresse psychologique au cours des sept derniers jours a été utilisé dans sa version française abrégée (Préville, Boyer, Potvin, Perrault et Légaré, 1992). Cet instrument comprend 14 items auxquels on doit répondre sur une échelle de type Likert en 4 points : jamais (0), de temps en temps (1), assez souvent (2) et très souvent (3), répartis en quatre sous-échelles (dépression, anxiété, hostilité et problèmes de concentration). Le score total est sur 100. La validité de construit a été démontrée et la fidélité test-retest varie entre 0.76 et 0.94 (Ilfed, 1976; Préville et al., 1992; Tousigant et Kovess, 1985). L’indice de cohérence interne de la version française abrégée (α = .89) est similaire à celui de la version originale (Préville et al., 1992).

Le Child Behavior Checklist (CBCL) (Achenbach, 1991) sert à évaluer les troubles intériorisés et extériorisés observés chez l’enfant au cours des six derniers mois. Il a été complété par la mère, dans sa version française. Cet instrument comprend 118 items à coter sur une échelle de type Likert en trois points : pas vrai ou jamais vrai (0), à peu près vrai ou parfois vrai (1) et très vrai ou souvent vrai (2). Les résultats sont reportés en scores T sur 100 et un score supérieur à 63 indique un problème de comportement. Le CBCL présente une bonne fidélité test-retest (r = .93), des coefficients de cohérence interne élevés (variant entre .68 et .97) de même qu’une validité convergente satisfaisante (Achenbach, 1991; Achenbach et Rescorla, 2001). Dans la version française (Fortin et al., 2000), des coefficients de cohérence interne élevés sont rapportés (.88 pour l’échelle des troubles intériorisés et .92 pour les troubles extériorisés (Fortin, Cyr et Lachance, 2000).

Le Revised Children’s Manifest Anxiety Scale (RCMAS) (Reynolds et Richmond, 1985), traduit en français (Cyr, Wright et Thériault, 1996) a servi à évaluer le degré d’anxiété chez l’enfant. Cet instrument peut être utilisé auprès des enfants de 6 à 17 ans. Il comprend 28 items auxquels l’enfant répond par l’affirmative ou la négative et permet d’obtenir le degré d’anxiété général de l’enfant (de 0 à 28). Les indices de cohérence interne du RCMAS varient de 0,78 à 0,86, selon le groupe d’âge et l’indice test-retest de l’instrument atteint 0,88 (Wisniewsky, Mulick, Genshaft et Coury, 1987).

Le Child Depression Inventory (CDI) (Kovacs, 1992), rempli par l’enfant, a été utilisé pour évaluer la présence de symptômes dépressifs et le niveau de dépression au cours des deux dernières semaines. Cet instrument comprend 27 items et peut être administré aux enfants de 7 à 17 ans. Chaque item se décline en trois énoncés parmi lesquels l’enfant doit choisir celui qui représente le mieux ses idées ou ses sentiments. Un score de 0 à 2 est attribué à chaque énoncé, en fonction de sa gravité. Les données psychométriques de la version québécoise de cet instrument sont comparables aux données américaines (Saint-Laurent, 1990). La cohérence interne (alpha = 0.92) et la fidélité test-retest (r = 0.70) ont été démontrées (Saint-Laurent, 1990) de même que les validités de contenu et de critère (Kovacs, 1980-1981).

Déroulement

La cueillette de données a été effectuée sous forme d’entrevues semi-structurées auprès de l’enfant et de la mère, après l’obtention du consentement écrit des deux parents et du consentement verbal de l’enfant. L’entrevue auprès de l’enfant, d’une durée d’environ une heure, se déroulait dans un lieu calme du domicile familial où l’enfant se sentait libre de répondre en toute confidentialité. Une assistante de recherche a également rencontré la mère avec qui elle a rempli les questionnaires qui lui étaient destinés. Une fois les questionnaires remplis, une somme de 20 $ a été remise à chaque parent et l’enfant a reçu un petit cadeau.

Résultats

Des femmes rencontrées, 60 % présentaient des symptômes de dépression variant de modérés à graves. Près de la moitié montraient des indices de détresse psychologique atteignant le seuil clinique. Du point de vue des mères, seulement 33 % des enfants présentaient des troubles extériorisés, et 30 % d’entre eux, des troubles intériorisés. Néanmoins, 19 % des enfants atteignaient le seuil clinique pour les troubles intériorisés, selon les mères interrogées. Quant aux enfants, la majorité ont rapporté ne pas présenter de symptômes d’anxiété (89 %) ni de dépression (97 %). Ils se situaient tout à fait dans la norme. D’emblée, on observe que la perception des mères et celle des enfants concernant l’état de ces derniers sont divergentes.

Afin de vérifier, en contexte de séparation, si l’état psychologique de la mère est lié aux difficultés de l’enfant telles qu’elles ont été rapportées par la mère et par l’enfant, des corrélations de Pearson ont été effectuées sur ces variables avec les données recueillies auprès des 37 dyades mère-enfant. La taille des effets de ces liens a également été évaluée (Cohen, 1992)

Le tableau 1 présente les corrélations entre l’état psychologique de la mère et les difficultés de l’enfant rapportées par la mère. De façon générale, la détresse psychologique totale de la mère est fortement liée aux difficultés globales de l’enfant que la mère rapporte au CBCL. La taille de l’effet pour le lien entre ces variables est grande, si bien que la détresse psychologique totale de la mère explique 30 % de la variance des difficultés globales qu’elle rapporte chez son enfant. Les composantes de la détresse psychologique de la mère, à l’exception des troubles cognitifs, sont liées aux difficultés globales de l’enfant qu’elle rapporte au CBCL. Dans ce cas, les tailles de l’effet sont considérées comme moyennes, mais les corrélations entre la dépression de la mère, son anxiété et son hostilité se rapprochent de 0,50, ce qui est considéré comme un grand effet (Cohen, 1992). De plus, ces composantes de la détresse de la mère expliquent de 21 % à 24 % de la variance des difficultés globales de l’enfant.

Tableau 1

Corrélations entre l’état psychologique de la mère et l’adaptation de l’enfant telle que rapporté par la mère

Corrélations entre l’état psychologique de la mère et l’adaptation de l’enfant telle que rapporté par la mère

* p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

-> Voir la liste des tableaux

En outre, la détresse psychologique de la mère n’est pas liée aux troubles extériorisés qu’elle rapporte chez son enfant, tel que le démontre la corrélation non significative entre ces deux variables. L’hostilité est la seule des composantes de la détresse psychologique de la mère qui est reliée aux troubles extériorisés (agressivité et délinquance) qu’elle rapporte chez son enfant (r = .433., p<0,05.). Le lien entre l’hostilité et les troubles extériorisés de l’enfant rapportés par la mère est de taille moyenne et le pourcentage de variance expliquée est de 18 %.

Par ailleurs, il existe une corrélation significative forte entre la détresse psychologique de la mère et les troubles intériorisés qu’elle rapporte chez son enfant (r = .543., p<0,001). Ces variables sont fortement liées et partagent 29 % de variance. Chacune des composantes de la détresse psychologique de la mère est liée aux troubles intériorisés qu’elle rapporte chez son enfant. Ces liens suggèrent des tailles d’effet moyen. De plus, les composantes de la détresse psychologique de la mère expliquent de 14 % à 20 % de la variance des troubles intériorisés qu’elle rapporte chez son enfant.

Le tableau 2 rapporte les corrélations entre l’état psychologique de la mère et l’adaptation de l’enfant telles que rapportées par l’enfant. On y observe que la dépression de l’enfant, telle qu’il la rapporte lui-même, est liée à la détresse de la mère. Il existe en effet une corrélation significativement forte entre la dépression et l’anxiété chez la mère et la dépression selon le point de vue de l’enfant (r = .595., p<0,01). La dépression de l’enfant est donc fortement liée à la détresse de la mère et en explique 17 % de la variance. Spécifiquement, la dépression autorapportée par l’enfant est fortement liée à la composante de dépression de la détresse psychologique de la mère et en explique 25 % de la variance. De plus, il y a une corrélation moyenne entre la dépression autorapportée par l’enfant et la composante d’anxiété de la détresse psychologique de la mère, avec un pourcentage de variance expliquée de 18 %. Les autres composantes de la détresse psychologique de la mère, soit l’hostilité et les troubles cognitifs, ne seraient pas liées à la dépression de l’enfant, telle qu’il le rapporte lui-même.

Tableau 2

Corrélations entre l’état psychologique de la mère et l’adaptation de l’enfant telle que rapportée par l’enfant

Corrélations entre l’état psychologique de la mère et l’adaptation de l’enfant telle que rapportée par l’enfant

* p < 0,05, ** p < 0,01, *** p < 0,001

-> Voir la liste des tableaux

Discussion

La présente étude s’est intéressée aux relations entre l’état psychologique de la mère et les difficultés présentées par l’enfant, auprès de dyades mère-enfant ayant récemment fait face à un divorce ou à une séparation maritale, selon le point de vue de la mère et de son enfant.

Premièrement, elle montre que la détresse psychologique de la mère est fortement liée aux difficultés de l’enfant qu’elle rapporte au CBCL (score total obtenu). Cette relation a déjà été démontrée dans des études précédentes où les auteurs ont découvert que les scores de l’enfant au CBCL, complété par la mère, confirmaient que les femmes déprimées rapportent des niveaux de symptomatologie plus élevés pour leur enfant que les femmes ne présentant pas de dépression (McFarland et Sandlers, 2003). Notre étude permet aussi de mettre en lumière le fait que quatre dimensions de la détresse psychologique de la mère, soit la dépression, l’anxiété, l’hostilité et la détresse globale, sont liées aux difficultés globales que la mère rapporte au sujet de son enfant sur le CBCL, alors que ce lien n’est pas trouvé pour la dernière dimension, soit les troubles cognitifs. Pour expliquer cette relation, nous émettons l’hypothèse que le regard que pose la mère sur les difficultés globales de son enfant est coloré et en quelque sorte déformé par sa propre détresse. Conséquemment, en contexte de séparation, une mère en détresse psychologique rapporterait des difficultés similaires chez son enfant, et ce, peu importe que de telles difficultés soient nécessairement observées par celui-ci.

Notre étude fait également ressortir le fait que la détresse psychologique de la mère n’est pas liée aux troubles extériorisés qu’elle rapporte chez son enfant. Ces résultats ont déjà été trouvés, en partie, par l’équipe de Mowbray et al. (2005), alors qu’elle mettait en lumière l’absence de relation entre les symptômes de dépression maternelle et les problèmes extériorisés de l’enfant que la mère rapportait. Toutefois, l’étude de Najman et al. (2000) trouvait au contraire que les mères anxieuses ou déprimées rapportaient en général davantage de problèmes de comportement chez leur enfant que ne le faisaient les mères non déprimées. Cette différence pourrait s’expliquer par le fait que notre étude ainsi que celle de Mowbray ont utilisé un échantillon d’enfants âgés, pour nous, de 6 à 14 ans, et pour Mowbray, de 4 à 16 ans, alors que l’échantillon de Najman et al. (2000) était composé exclusivement d’adolescents âgés de 14 ans. Ainsi, il se peut que les mères déprimées rapportent plus de troubles extériorisés seulement lorsque leur enfant atteint l’adolescence. Une autre hypothèse pour expliquer dans notre étude l’absence de liens entre la détresse psychologique de la mère et les troubles extériorisés qu’elle rapporte chez son enfant est que les comportements extériorisés pourraient ne pas avoir été reliés à la symptomatologie maternelle parce qu’ils sont souvent plus évidents et moins sujets à être influencés par les symptômes ou les perceptions de la mère (Mowbray et al., 2005). Finalement, il est aussi possible d’émettre l’hypothèse que, notre échantillon étant restreint, il pourrait ne pas comporter suffisamment d’enfants qui présentent des troubles extériorisés, expliquant ainsi l’absence de lien entre la détresse de la mère et les symptômes extériorisés de l’enfant qu’elle rapporte. De plus, il est intéressant de constater qu’une étude récente qui ne contrôlait toutefois pas les symptômes de détresse vécus par la mère évaluait que le rapport fait par la mère des problèmes extériorisés de son enfant n’était pas affecté par le divorce (Lansford, Malone, Castellino, Dodge, Pettit et Bates, 2006)

Malgré l’absence de liens entre la détresse rapportée par la mère et les symptômes extériorisés de l’enfant qu’elle rapporte, notre étude a établi un lien entre l’hostilité chez la mère et les troubles extériorisés que celle-ci observe chez son enfant. Il existe effectivement une corrélation significative moyenne entre l’hostilité chez la mère et les troubles d’agressivité et de délinquance qu’elle observe chez son enfant. Ce lien devenant significativement élevé lorsqu’il s’agit des filles (r = .433., p<0,01). Pour expliquer ce lien, il est possible d’évoquer l’hypothèse que l’hostilité se trouve dans le même registre que les troubles extériorisés, contrairement aux autres variables impliquées dans la détresse de la mère, soit la dépression, la détresse globale, l’anxiété et les troubles cognitifs. En ce sens, cela suggérerait que des mères hostiles sont plus promptes à être interpellées et à rapporter des troubles extériorisés plutôt que des troubles intériorisés. Une autre hypothèse serait que des mères plus hostiles engendreraient chez leur enfant davantage de problèmes de conduite. Ce résultat est congruent avec la littérature, puisqu’en effet, on remarque que l’interaction entre une discipline maternelle inefficace et les attributions hostiles de la mère prédit une augmentation des problèmes de conduite de l’enfant à la maison durant les années de garderie et de la première année à l’école (Snyder, Cramer, Afrank et Patterson, 2005). Dans le contexte de séparation, il est possible que l’hostilité que ressent la femme envers son ex-conjoint soit en fait déplacée vers son enfant, l’amenant ainsi à rapporter que certains de ses comportements sont dérangeants et problématiques. Finalement, notons que les résultats révèlent aussi une corrélation significative moyenne entre l’anxiété maternelle et les troubles extériorisés chez les garçons (délinquance et agressivité) (r = .477., p< 0,05).

Quant à la détresse de la mère et aux troubles intériorisés qu’elle rapporte chez son enfant, l’étude démontre l’existence d’un lien significatif entre ces deux facteurs. En effet, les résultats démontrent la présence d’une corrélation significative forte entre la détresse psychologique de la mère (dépression, anxiété, hostilité et troubles cognitifs) et les troubles intériorisés de l’enfant (dépression, anxiété, retrait et plaintes somatiques) (r = .543., p<0,001). Ces résultats ont déjà été obtenus dans une étude précédente conduite par Weissman et son équipe. Leurs résultats indiquent que les mères déprimées étaient trois fois plus à risque de rapporter que leurs enfants avaient de sérieux problèmes émotionnels (Weissman et al., 2004). Pour expliquer ici aussi ce lien, nous estimons que ces deux variables se situent dans le même registre émotif et que le regard que pose la mère sur les troubles intériorisés de son enfant est teinté et probablement déformé par sa propre détresse.

Notre étude démontre également l’existence d’un lien général entre la détresse de la mère et les difficultés autorapportées de l’enfant. Plus précisément, il y a une corrélation significative forte entre la dépression et l’anxiété maternelle et la dépression chez l’enfant telle que perçue par ce dernier (r = .595., p<0,01). Ce lien a déjà été trouvé par l’équipe de Foss qui a démontré que les enfants de mère en détresse (sur les dimensions de la dépression et de l’anxiété) performent moins bien aux instruments mesurant la dépression (Foss, Chantal et Hendrickson, 2004). Toutefois, ces résultats ne sont pas unanimes, puisque d’autres auteurs estiment que le rapport que fait le parent de sa dépression n’est pas relié au rapport que fait l’enfant de sa propre dépression (Moretti, Fine, Haley et Marriage, 1985). Une hypothèse pour expliquer le lien que nous avons trouvé entre la dépression que rapporte l’enfant et la détresse de la mère, et en particulier la dépression de la mère, est que l’exposition à la dépression maternelle lors de l’enfance pourrait nuire à la réalisation des tâches développementales (comme l’attachement) et avoir un impact à long terme sur le développement affectif, comportemental et cognitif de l’enfant (Essex et al., 2001). De plus, il serait aussi possible que des mères en détresse voient leurs capacités parentales diminuées, ce qui augmenterait en retour les symptômes de dépression chez l’enfant. Une autre hypothèse pour expliquer ce lien est que dans un contexte de séparation où les parents et les enfants se trouvent fragilisés, il est possible que pour soutenir son parent en détresse, dans ce contexte-ci la mère, l’enfant en vienne à s’identifier ou à développer les mêmes états dépressifs que celle-ci. Ainsi, lorsque la mère rapporte qu’elle ne va pas bien, l’enfant affirmerait lui aussi son mal-être.

De plus, notre étude démontre l’absence de relation entre la détresse de la mère, ni à aucune de ses composantes, et l’anxiété autorapportée de l’enfant. Cette observation est en partie décrite dans la littérature, où l’on apprend que les désordres d’anxiété chez l’enfant ne sont pas significativement corrélés avec l’anxiété maternelle (Warren, Huston, Egeland et Sroufe, 1997), qui est une des sous-composantes de la détresse telle que nous l’avons mesuré. Toutefois, les résultats de notre étude contredisent les résultats obtenus par Foss et son équipe qui, eux, ont trouvé que les enfants des mères en détresse (sur les dimensions de la dépression et de l’anxiété) performent moins bien aux instruments mesurant l’anxiété (Foss, Chantal et Hendrickson, 2004). Pour expliquer l’absence de lien entre la détresse de la mère et l’anxiété autorapportée de l’enfant, l’équipe de Warren estime que le fait que les enfants vivent et développent un désordre d’anxiété serait dû davantage à leur style d’attachement qu’à l’état de santé psychologique de la mère (Warren et al., 1997). Dans le contexte de notre étude, étant donné que nous avons déjà documenté l’existence d’un lien entre la détresse de la mère et la dépression de l’enfant, nous émettons l’hypothèse selon laquelle la séparation conjugale aurait un effet spécifique sur la détresse de la mère et sur la dépression de l’enfant, mais non sur l’anxiété de l’enfant.

On retrouve dans notre étude que la composante d’anxiété chez la mère est liée aux symptômes de dépression rapportés par l’enfant à son propre sujet. Ce résultat contredit les résultats de l’étude de Frick qui ne trouvait aucune indication que l’anxiété de la mère soit reliée à d’autres problèmes d’ajustement de l’enfant, excepté à l’anxiété de celui-ci (Frick, et al., 1994). Toutefois, d’autres études estiment plutôt que les enfants des mères ayant un problème de santé mentale auraient significativement plus de problèmes de comportement, à la fois extériorisés et intériorisés (Rishel et al., 2006; Essex et al., 2001). Pour expliquer le lien spécifique obtenu dans notre étude, nous suggérons que l’anxiété de la mère ainsi que la dépression de l’enfant se situent dans le même registre de problèmes affectifs, favorisant ainsi l’apparition de troubles dépressifs chez l’enfant dont la mère est anxieuse. De plus, en contexte de séparation, il est possible que la mère soit, elle, anxieuse par rapport à des questions, par exemple, financières ou de résidence et que l’enfant soit, quant à lui, déprimé plutôt qu’anxieux face à la baisse de revenu ainsi qu’aux nombreuses pertes potentielles associées à la séparation.

Finalement, on retrouve dans notre étude que l’hostilité et les troubles cognitifs autorapportés par la mère, deux aspects de la détresse maternelle, ne sont pas liés aux symptômes de dépression autorapportés par l’enfant. Le fait que l’hostilité et les troubles cognitifs, deux des aspects de la détresse psychologique, ne soient pas reliés à la dépression que rapporte l’enfant peut être expliqué par certaines hypothèses. Premièrement, il est possible que l’hostilité et les troubles cognitifs de la mère soient les deux aspects de la détresse les moins handicapants pour l’enfant et donc que celui-ci rapporterait moins de troubles intériorisés. On a observé toutefois que l’hostilité et les troubles cognitifs de la mère sont liés aux troubles extériorisés de l’enfant; ainsi, il est aussi possible que l’hostilité et les troubles cognitifs se situent davantage dans le spectre des troubles extériorisés, ce qui expliquerait qu’ils ne soient pas liés avec les troubles intériorisés rapportés par l’enfant.

Conclusion

En conclusion, notre étude a permis de mettre en lumière un certain nombre de relations entre l’état psychologique de la mère et l’état psychologique de l’enfant dans le contexte québécois du divorce. De prime abord, elle démontre que la détresse psychologique de la mère est fortement liée aux difficultés globales de l’enfant qu’elle-même rapporte. Il n’existe cependant pas de lien entre la détresse psychologique de la mère et les troubles extériorisés qu’elle rapporte chez son enfant, bien que deux des dimensions de la détresse psychologique de la mère, l’hostilité et les troubles cognitifs, soient reliés aux troubles extériorisés que la mère rapporte pour son enfant. Ensuite, notre étude démontre qu’il existe un lien entre la détresse de la mère et les troubles intériorisés de l’enfant rapportés par la mère. Elle rapporte aussi l’existence d’un lien général entre la détresse de la mère et la dépression autorapportée de l’enfant. Plus spécifiquement, on observe trois relations : premièrement, l’anxiété de la mère est liée aux symptômes de dépression rapportés par l’enfant à propos de lui-même; deuxièmement, l’hostilité et les troubles cognitifs autorapportés par la mère ne sont pas liés aux symptômes de dépression autorapportés par l’enfant; et troisièmement, la détresse de la mère n’est pas liée à l’anxiété telle que rapportée par l’enfant.

Ceci suggère donc que les difficultés de l’enfant, rapportées par la mère autant que par l’enfant au moment du divorce, pourraient en fait ne pas correspondre exactement à la situation vécue par l’enfant, mais être, en partie, le reflet de la propre situation de la mère ou être induit par sa propre condition. Dans ce contexte, on ne peut qu’insister sur l’importance primordiale de l’état psychologique de la mère pour la santé psychologique de l’enfant. En contexte de séparation, ce constat a deux implications principales. Premièrement, ceci nous indique clairement toute l’importance qu’il faut accorder au point de vue de l’enfant lorsque l’on s’intéresse à sa propre situation, puisque les rapports fournis par la mère peuvent être teintés par son propre état de santé psychologique. Ainsi, les résultats de recherches même récents, comme ceux obtenus par Lansford et son équipe (2004), qui ne prennent pas en compte le point de vue de l’enfant dans l’évaluation de sa condition doivent être interprétés avec prudence. Deuxièmement, cette recherche nous indique aussi toute l’importance qu’il faut accorder à l’état psychologique de la mère dans l’aide que l’on veut apporter aux enfants vivant une séparation conjugale. Ainsi, notre étude semble indiquer que des interventions uniquement centrées sur la santé psychologique de l’enfant ne seraient pas suffisantes, étant donné l’importance de l’impact de la santé psychologique de la mère sur celle de l’enfant.

Une des forces principales de cette étude concerne le fait que notre échantillon soit composé de personnes étant divorcées au maximum un an avant l’étude. Sachant combien les réactions des individus à la séparation peuvent être extrêmement variables (allant d’une bonne adaptation à court terme à une mésadaptation importante à long terme), le fait d’avoir rencontré les sujets à l’intérieur de la première année suivant la séparation permet de croire que ceux-ci se situent tous à la période aigüe de stress associée au divorce, et donc à un moment où les réactions et la détresse psychologique risquent d’être à leur plus haut niveau. En effet, tel que décrit par Hetherington, les deux ou trois premières années suivant la séparation constitue un moment « de crise ». Ces premières années constituent généralement pour les individus un temps de stress émotionnel important pendant lequel le fonctionnement est susceptible d’être perturbé (Hetherington, 1989), Toutefois, comme ces données s’appliquent essentiellement à la période de « crise » suivant la séparation, elles ne peuvent être généralisées qu’avec prudence.

Soulignons que cette étude comporte également certaines limites méthodologiques. Premièrement, la taille restreinte de l’échantillon. En effet, le petit échantillon a pu limiter les conclusions que nous pouvons tirer de cette étude. Toutefois, la taille de l’effet était tout de même suffisante pour nous permettre d’identifier de grands effets (Cohen, 1992).

Deuxièmement, en raison du type d’analyses statistiques que nous avons employées, il nous est impossible de déterminer le sens des corrélations que nous avons obtenues et d’établir des relations de causalité. Des recherches futures qui emploieraient des échantillons plus larges de participants et qui s’appuieraient sur des analyses statistiques plus puissantes permettraient de combler en partie ces lacunes.

Troisièmement, alors que notre étude ne se concentre que sur le rapport entre la santé psychologique de la mère et celle de l’enfant, il pourrait être pertinent, dans des recherches futures, de s’intéresser aussi à l’apport de l’état de santé psychologique du père au moment de la séparation et de mettre ces variables en lien avec le type de garde choisie par les parents.

Finalement, le fait d’avoir utilisé un échantillon référé par des médiateurs (qu’ils soient avocats, psychologues, travailleurs sociaux, notaires ou conseillers en orientation) représente également une autre limite de cette étude. En effet, il aurait été intéressant d’intégrer à l’étude des participants qui, à la suite de leur séparation, choisissent de faire appel aux tribunaux et d’autres qui ne consultent ni médiateurs ni avocats. Le fait d’avoir utilisé uniquement des couples référés par des spécialistes en médiation comporte un risque de biaiser l’échantillon en faveur de gens qui, bien qu’ils affrontent certaines difficultés, sont prêts à travailler de concert avec un médiateur pour conclure un accord équitable. Ce mode de recrutement a aussi mis à l’écart des gens qui ne sont pas confrontés à des problématiques sévères, telles que la violence, l’abus de substance, ou présentant des problématiques psychiatriques sévères, puisqu’il s’agit de contre-indication à la médiation (Agence de santé publique du Canada, 2000).

Rappelons en terminant l’importance qu’il faut accorder au rapport même de l’enfant lorsqu’on s’intéresse à sa condition dans un contexte de divorce. En effet, notre étude rappelle que le point de vue de l’enfant est unique et que le point de vue de la mère n’en constitue pas un équivalent. Ainsi, les enfants pourraient être la meilleure source d’information quand on s’intéresse à des questions relatives à eux-mêmes (Herjanic et Reich, 1982). En contexte de séparation, le fait de ne s’intéresser qu’au point de vue de la mère peut avoir comme conséquence de sous-estimer ou de surestimer la présence de problèmes chez l’enfant, ce qui ne rend évidemment pas justice aux besoins de l’enfant. De plus, étant donné que notre étude démontre que les enfants sont très sensibles à l’état émotionnel de la mère, il est impératif, en contexte de séparation, d’offrir des services non seulement à l’enfant, mais bien à l’ensemble du système familial, et ce, pour pouvoir réellement intervenir efficacement et pour départager l’expérience de chacun des membres de la famille et leur processus adaptatif respectif.