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Introduction

La jeunesse, période de transition entre l’adolescence et une vie d’adulte autonome et indépendant de la famille d’origine (Noël, 2014), est la période de la vie où les personnes ont le réseau social le plus diversifié et étendu (Bourdon et al., 2007). C’est aussi une période d’intenses modifications du réseau hors famille, et on sait que de nombreux liens se tissent à l’amorce des études postsecondaires (Bourdon, 2011). Les liens familiaux continuent d’être importants, mais les amis deviennent progressivement un point central de sociabilité (Bourdon, 2011) et d’importants acteurs du soutien à la persévérance aux études (Bourdon et al., 2007). Les jeunes fréquentent par ailleurs au quotidien, dans le contexte de leurs études, des intervenants de l’institution, en particulier les enseignants, qui peuvent jouer un rôle important dans leur motivation (Noël, 2014).

Malgré une autonomie croissante et un réseau social qui la déborde largement, la famille immédiate continue d’exercer un grand rôle au cours de la transition vers l’âge adulte. Au fil des années, les relations plus directives entre parents et enfant laissent place à plus de négociations, par exemple concernant le programme d’études poursuivi ou l’insertion professionnelle (Molgat et Maunaye, 2003). La famille agit pour plusieurs comme « soutien à la motivation à réussir sa vie et ses études ; elle représenterait un lien stable (sorte de permanence) qui agit comme une référence, un modèle » (Roy, 2006 : 104). Au sujet du choix de poursuivre ou non des études postsecondaires, le rôle de la famille est souvent « plus important et plus actif dans la prise de décision » que celui des amis (Brunson et al., 2002 : 31-32).

Cet article, qui présente des résultats d’une recherche doctorale, examine plus spécifiquement l’influence des parents sur la perception de la valeur des études (Eccles, 2005, 2007) qu’ont des jeunes québécois de niveau postsecondaire, en la contrastant avec celle des pairs et du personnel enseignant. Cette comparaison permettra de mettre en relief l’influence particulière des parents relativement à celle de ces autres relations importantes dans la vie des jeunes et exposera en quoi le concept de perception de la valeur des études constitue une grille d’analyse intéressante pour nuancer ces diverses influences.

Concept de perception de la valeur et influence des parents

Le concept de perception de la valeur s’inscrit dans le modèle motivationnel de type expectancy-value proposé par Eccles et ses collègues (Eccles, 2005). Selon ce modèle, les comportements et choix scolaires ou de carrière sont influencés par les attentes de réussite et par la valeur accordée à l’objet. En particulier, la perception de la valeur est associée aux choix (Jacobs et Eccles, 2000 ; Garrett, 2007 ; Wigfield et Eccles, 2002) alors que la dimension attentes de réussite serait davantage en lien avec la performance (ex. : résultats scolaires) (Wigfield et Eccles, 2002). Les attentes de réussite et la perception de la valeur découlent elles-mêmes des buts, valeurs, composantes identitaires de l’individu et, en amont, de diverses influences sociales, familiales et culturelles, ainsi que des expériences antérieures de la personne (Eccles, 2005). Le modèle d’Eccles et al. laisse donc une large place à l’environnement social de l’individu et aux « interactions personnes-contexte » (Neuville et Frenay, 2012 : 159). Ce modèle a fait l’objet de nombreuses études et validations empiriques, mais la recherche sur l’influence des relations sociales sur la perception de la valeur est moins développée (Neuville, 2004).

Composantes et objets de la perception de la valeur

Le concept de perception de la valeur se définit, selon les travaux d’Eccles (2005), comme un jugement porté sur la valeur d’un objet au regard des quatre caractéristiques suivantes (Eccles, 2005, 2009 ; Noël, 2014) :

- l’intérêt, soit la satisfaction ou le plaisir associé à l’objet (par exemple à la participation au cours) (Eccles, 2005), dans le moment présent. Il peut être question par exemple de l’intérêt pour le contenu, de l’ambiance d’un cours ou d’un programme, de l’appréciation pour le rythme de la vie d’étudiant (ex. : horaires) (Noël, 2014) ;

- l’utilité, qui repose sur la congruence entre l’objet et les buts de l’individu (notamment les buts professionnels) (Eccles, 2005). L’utilité peut être présentée comme hypothétique, alors que les jeunes supposent par exemple que le contenu d’un programme et le diplôme obtenu seront utiles à la poursuite de leur carrière (Noël, 2014) ;

- la valeur de réalisation, qui correspond à la cohérence entre l’objet et l’identité personnelle et sociale de l’individu (Eccles, 2009). La valeur d’un cours, d’un programme ou des études en général, voire du fait d’apprendre, peut : 1) permettre de questionner et explorer son identité ; 2) reposer sur la cohérence avec l’identité actuelle du jeune ; 3) tabler sur l’identité souhaitée, alors que le jeune se projette dans une identité future, pressentie ou qu’il désire développer (Noël, 2014).

- le coût, à savoir les sacrifices ou « investissements » qui doivent être réalisés en lien avec l’objet : temps passé à étudier, efforts, coût psychologique (ex. : stress), coût financier, etc. Cette dernière dimension est considérée comme négative selon les travaux d’Eccles (2005), mais Noël (2014) démontre que des dimensions comme le temps et l’effort peuvent être perçues comme neutres ou même contribuer positivement à la perception de la valeur chez les jeunes du postsecondaire qui peuvent, par exemple, valoriser davantage un cours parce qu’il est plus exigeant.

Les différents travaux autour du modèle d’Eccles et du concept de perception de la valeur ont porté sur la valeur d’une carrière dans un domaine donné, de cours, de programmes, de disciplines scolaires, etc. Dans cette recherche doctorale (Noël, 2014), trois objets interreliés ont été étudiés : les études de manière générale ou le fait d’étudier, le ou les programmes et enfin les cours. La prise en considération simultanée de plusieurs objets de la valeur a permis, comme on le verra, de décrire plus finement l’influence de différentes catégories de personnes, dont les parents.

Influence des parents sur la perception de la valeur

Parmi les relations sociales, les travaux d’Eccles et de ses collègues relient fréquemment la perception de la valeur aux parents (par exemple Eccles et Davis-Kean, 2005 ; Jacobs et al., 2006 ; Jacobs et al., 2005). D’autres portent sur les pairs (Fuligni et al., 2001 ; Taylor, 1999 ; Wong et Taylor, 1998) ou, plus rarement, sur la fratrie (Jenkins Tucker et al., 1997, 2001).

Le modèle d’Eccles intègre l’influence des parents et des caractéristiques de la famille sur les perceptions de soi, valeurs et comportements de l’enfant. Il propose que les caractéristiques de l’enfant et les caractéristiques culturelles et démographiques de la famille agissent sur les croyances parentales, qui à leur tour ont un impact sur l’enfant en termes de croyances, motivation, intérêts et comportements (Eccles, 2007). Les travaux d’Eccles et de ses collègues ont permis d’identifier plusieurs mécanismes par lesquels les agents de socialisation contribuent à la perception de la valeur. Dans l’ensemble, les caractéristiques de la famille agissent presque toujours de manière indirecte sur les enfants, par le biais des pratiques et croyances des parents (Eccles, 2007 : 671). Les parents transmettent des informations relatives à leurs valeurs par un enseignement direct, mais aussi en étant des modèles, par leur implication dans des activités (Jacobs et Eccles, 2000 : 427). Eccles (2007) fait référence à des mécanismes d’observation et de role modeling, à des expériences fournies par le milieu, à des messages explicites et implicites ainsi qu’aux pratiques des parents. Jacobs et Eccles (2000) rapportent entre autres les expériences que les parents permettent à l’enfant de vivre, l’implication du parent lui-même dans les activités valorisées et la communication par le parent de ses perceptions des habiletés de l’enfant et des attentes de réussite.

Les analyses des mécanismes d’influence des membres de la famille (et à fortiori des personnes hors de la famille) sur la perception de la valeur des études sont par ailleurs peu approfondies lorsqu’il est question des jeunes (les travaux sont plus nombreux au sujet des enfants ou des adolescents). Sur la base de recherches connexes recensées, des hypothèses peuvent toutefois être formulées à ce sujet. Une recension d’écrits sur l’influence des relations sociales, notamment des parents, en lien avec la motivation ou la réussite aux études postsecondaires a permis de repérer divers mécanismes : discussion, conseil, transmission de valeurs ou d’aspirations, modèles, soutien matériel, financier ou affectif (Brunson et al., 2002 ; Charbonneau, 2004 ; Cournoyer, 2008 ; Milani, 2006 ; Molgat, 2007 ; Roy, 2004).

Le présent article cherchera à décrire l’influence des parents sur la perception qu’ont les jeunes de la valeur des études (objets études en général, programme et cours ; composantes intérêt, utilité, réalisation et coût) et les mécanismes par lesquels s’opère cette influence. Afin de mettre en relief les particularités de l’influence parentale, elle sera contrastée avec celle de deux autres catégories de personnes, à savoir les pairs et le personnel enseignant.

Méthode

Les résultats présentés ici sont issus de l’analyse qualitative interprétative de 186 entretiens semi-directifs réalisés auprès de 36 jeunes de niveau postsecondaire dans le cadre de l’enquête longitudinale Famille, réseaux et persévérance au collégial (voir Bourdon et al., 2007 pour une description détaillée de la méthodologie de l’enquête). Recrutés à un âge moyen de dix-sept ans, au moment d’une première inscription au cégep, ces jeunes ont été suivis sur six vagues de collecte étalées sur plus de cinq ans, une période qui a inclus, pour plusieurs, un passage aux études universitaires (voir tableau 1).

Tableau 1 : Chronologie de la collecte de données

Tableau 1 : Chronologie de la collecte de données

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Le sous-échantillon retenu est varié entre autres quant au sexe, au programme d’origine, au cégep lors de la première inscription (deux établissements) et à la moyenne générale au secondaire. En outre, les parcours de ces jeunes sont diversifiés : au fil des vagues, on constate que certains persévèrent au collège dans leur premier programme alors que d’autres changent de programme ou abandonnent les études. Certains diplôment du cégep, d’autres non ; certains poursuivent à l’université, d’autres non. Quelques personnes interrompent temporairement les études au cours des années couvertes par la recherche. Le corpus présente donc une variété de cas de figure.

Le guide d’entretien en vague 1 incluait des questions sur l’importance des études pour les parents des jeunes, telles que : « Comment compares-tu ton choix de vie et celui de tes parents ? » ; « Quelle est l’importance des études pour tes parents ? » et « Crois-tu qu’ils auraient voulu étudier davantage eux-mêmes ? ». Les autres vagues de collecte de données ne comportaient pas ces questions précises, mais abordaient, tout comme la première vague, les études, le travail, les relations sociales et amoureuses, le logement, les décisions ou bifurcations et les sources d’influence (« Depuis que tu es au cégep, qui a eu le plus d’influence sur les décisions que tu as prises ? Dans quel domaine surtout ? »). Lorsque le projet de thèse (Noël, 2014) a été développé, des questions supplémentaires ont été ajoutées au guide d’entretien spécifiquement pour cette recherche, à savoir : « Peux-tu me dire quel a été ton meilleur cours de la session ? En quoi ? Quel a été ton pire cours ? En quoi ? » Les jeunes ont abordé l’influence des pairs et du personnel enseignant lorsqu’ils étaient invités à décrire comment se passent leurs études, à discuter de leurs choix scolaires ou à parler de leurs meilleurs et pires cours. Ces questions ont été posées en vagues 4, 5 et 6. Ainsi, d’autres éléments utiles à l’étude du rapport entre relations sociales et perception de la valeur des études ont été livrés à toutes les vagues.

Les entretiens ont été réalisés et transcrits intégralement par l’équipe de Bourdon et Charbonneau dans le cadre de l’enquête-source Famille, réseaux et persévérance au collégial. Les données ont été importées dans le logiciel QSR NVivo par cette équipe également et un large codage thématique a été réalisé. Cependant, les analyses sur lesquelles la présente publication repose ont été réalisées spécifiquement dans le cadre de la thèse de Noël (2014). Après une première lecture complète du corpus accompagnée de prise de notes en fonction des objectifs, 61 des 186 entretiens ont été codés intégralement par la doctorante. Le codage des autres entretiens a été réalisé seulement sur les portions du corpus ayant un lien direct avec les objectifs, telles qu’identifiées à partir des questions du guide d’entretien et par des recherches par mot-clé dans la base de données. La grille d’analyse, adaptée et raffinée en cours de route pour tenir compte des éléments qui ressortaient de l’analyse, a donné lieu à une matrice croisant les différentes catégories de personnes (parents, pairs, enseignants) avec les différents objets (études, programme, cours) et composantes de la valeur (intérêt, utilité, réalisation, coût) qui a permis de produire les résultats présentés ici.

Résultats

Les sections qui suivent abordent successivement l’influence des parents sur l’utilité, l’intérêt, la réalisation et enfin sur le coût. Notons que les résultats portent sur les parents de manière générale, car l’analyse n’a pas cherché à distinguer l’influence des pères et des mères ou encore celui des beaux-parents (conjoints d’un parent), mentionnés occasionnellement. Pour chaque composante, cette influence des parents sera contrastée avec celle des pairs et des enseignants pour mettre en évidence ses spécificités.

Apports des parents, pairs et enseignants à la composante utilité

Le plus fréquemment, les jeunes rapportent que leurs parents valorisent les études et les encouragent à poursuivre. L’argument principal est en général l’utilité des études en termes d’insertion professionnelle et de qualité des conditions d’emploi (salaire, stabilité). C’est le cas de Gabriel[3] (vague 1), dont les parents souhaitent qu’il ait un bon emploi et « des bonnes conditions de travail ». C’est aussi la situation rapportée par Hugo (vague 1), dont les parents étaient intéressés par les bons taux de placement du programme technique auquel il s’est inscrit.

Selon les jeunes, leurs parents se préoccupent peu du niveau d’études atteint en général, que ce soit le diplôme d’études professionnelles (DEP), le diplôme d’études collégiales (DEC) ou des études universitaires, pourvu que le jeune ait un métier qui lui permette une bonne intégration au marché du travail et de bonnes conditions de vie. Cette cible est parfois explicite, comme lorsque Nathan (vague 1) explique l’importance des études selon sa mère « pour avoir de l’argent ». La réussite dans la vie de manière générale est mentionnée parfois, sans qu’il soit clairement question de la carrière. Ainsi, William (vague 1) explique que ses parents sont heureux qu’il poursuive des études, quelles qu’elles soient, après le secondaire, car « selon eux, on ne peut pas réussir une vie si on n’est pas allé à l’école et on n’est pas scolarisé ».

En majorité, les jugements des parents concernant les différents programmes d’études portent aussi sur l’utilité pour l’insertion professionnelle ou la qualité d’emplois disponibles après la formation. De tels échanges sur l’utilité des études pour l’emploi peuvent survenir au moment de faire un choix d’études universitaires, alors que l’utilité relative de divers programmes est comparée. Parfois, les jeunes mentionnent qu’au moment de faire des choix scolaires, il y a eu discussion, sans que l’avis des parents soit rapporté précisément, comme dans le cas d’Annabelle (vague 4) qui a échangé avec sa mère sur les différentes options et comparé « les avantages monétaires, la qualité de vie, les avantages sociaux, la stabilité d’emploi, des trucs comme ça ». Le père de Mélissa (vague 6) avait quant à lui exprimé une préférence pour l’un des programmes universitaires qu’elle envisageait, car « pour lui, c’était quelque chose qui ouvrait plus des portes ». L’utilité est ici vue sous l’angle de la polyvalence pour le marché de l’emploi. Kevin (vague 5) a également discuté avec sa mère pour comparer deux programmes ; sa mère, qui travaille dans un domaine connexe, lui a conseillé un programme plutôt qu’un autre en raison des débouchés, du salaire et des avantages sociaux.

À l’occasion, l’avis des parents sur le marché du travail ou sur un domaine d’emploi se répercute sur la perception de la valeur d’un programme qui y est associé. Par exemple, la mère de Christophe trouve dangereux le métier de policier (vague 1), tandis que les parents de Thomas, tout comme lui, mettent en doute les débouchés d’études en musique (vague 1). Le beau-père de Sébastien l’a incité à poursuivre des études en sciences humaines pour être enseignant plutôt que de travailler en construction, estimant que les conditions de travail sont meilleures en enseignement.

Selon les jeunes toujours, certains parents s’éloignent de la tendance majoritaire d’une perception favorable de l’utilité des études pour la carrière. Le père de Christophe (vague 1) n’a pas fait de longues études et il a malgré tout « bien réussi » ; il valorise peu les études. Zachary, qui abandonne les études en première session de cégep, rapporte aussi une faible valorisation des études par son père, pour qui l’entrée sur le marché du travail est possible dès la fin du secondaire. Il existe donc des cas où les parents valorisent peu les études, bien que ce ne soit pas la majorité selon ce que rapportent les jeunes de ce sous-échantillon. Rappelons toutefois que les participantes et participants à cette recherche sont tous des jeunes qui se sont inscrits au cégep.

La valeur utilitaire n’est pas pour autant capitale pour tous les parents, qui parfois valorisent les études pour d’autres raisons. Même si Rosalie (vague 5) ne poursuivait pas sa carrière dans le domaine choisi pour son baccalauréat, ses parents lui indiquent que ça ne serait « pas perdu » pour autant, un avis qu’elle partage. Rosalie explique d’ailleurs que sa mère a justement étudié dans un domaine sans y travailler ensuite.

Le modèle du parcours parental

Outre les échanges entre parent et jeune au sujet des choix à faire, l’exemple du parcours parental contribue également au jugement que portent les jeunes sur la valeur des études, en particulier quant à l’utilité pour l’emploi.

D’abord, en observant l’exemple de leurs parents, des jeunes peuvent déduire que les études secondaires seules (ou un secondaire non complété) ont une faible utilité, ce qui, premièrement, peut être attribuable au fait qu’elles ont été insuffisantes pour obtenir de bons emplois. Maude (vague 1) estime que les études sont très importantes pour ses parents, puisque son père regrette de ne pas avoir fait des études : à 50 ans, s’il perdait son emploi, « il n’aurait plus de possibilités ». Tant son père que sa mère l’encouragent fortement à poursuivre ses études. Deuxièmement, cette évaluation de l’utilité peut découler de l’impression que des études secondaires seules (ou incomplètes) ont été suffisantes pour avoir une bonne carrière dans le cas du ou des parents, mais que la situation serait différente aujourd’hui en raison des changements dans la structure de l’emploi. C’est ce que plusieurs jeunes avancent, comme Élisabeth (vague 1) dont les parents n’ont pas fait de longues études, ou encore Hugo (vague 1) dont les parents ont aussi « choisi de s’en aller sur le marché du travail » sans poursuivre leurs études, alors qu’il estime pour sa part devoir continuer ses études. Hugo explique que son père « gagne très bien sa vie » sans avoir fait d’études, mais il ne croit pas que ça pourrait être son cas selon la réalité actuelle du marché du travail. Il estime devoir poursuivre au minimum des études collégiales pour « faire quelque chose de bien » (Hugo, vague 1).

Troisièmement, les études secondaires ont été dans d’autres cas suffisantes pour les parents pour avoir une bonne carrière, mais en raison d’un talent particulier, d’efforts particuliers ou d’une chance particulière qui a permis de « percer », comme le père de Gabriel (vague 1) qui « a été chanceux » de trouver un emploi bien payé malgré de courtes études.

Les parcours d’autres parents des jeunes participants peuvent indiquer que les études postsecondaires auraient pu être utiles à l’obtention d’un emploi ou à une meilleure carrière, un emploi plus intéressant ou de meilleures conditions. Julia parle de l’exemple du parcours de son père et retient aussi ce qu’il en dit lui-même pour alimenter sa perception de la valeur des études : son père n’a pas complété son secondaire et a par chance trouvé un bon emploi, mais il explique que la poursuite d’études lui aurait peut-être permis d’être « assis dans un bureau au chaud l’hiver » plutôt que de travailler au froid dans le domaine de la construction. Julia rapporte que ça l’a elle-même « motivée à continuer l’école » (Julia, vague 1). Le cas du père de Laurence, qui a arrêté les études en secondaire V et fait une spécialisation en mécanique, est similaire, d’autant plus qu’il n’aime pas son emploi ; Laurence rapporte qu’il regrette et qu’il « aurait aimé mieux continuer au cégep puis aller à l’université » (Laurence, vague 1).

Pour certains parents cependant, même des études postsecondaires ont été insuffisantes pour trouver un bon emploi – ou un emploi qu’ils aimaient – dans leur domaine d’études. La mère de Charles (vague 1), malgré des études postsecondaires, « a été confrontée à une année sans emploi » ; elle a dû retourner aux études dans un autre domaine et trouver un emploi différent. Son père avait aussi fait des études, mais n’a pas aimé travailler dans le domaine ; « il a fini par démissionner, s’occuper de ses enfants […]. Puis, il est devenu concierge. » (Charles, vague 1)

Pour le père d’Ariane (vague 1), ce n’est pas l’intérêt pour la profession qui fait défaut, mais les conditions d’emploi, plus difficiles pour lui dans le domaine artistique où il travaille. Dans un cas semblable, Rosalie (vague 3) s’inspire du parcours de son père au moment de prendre sa propre décision de poursuivre à l’université en sociologie plutôt que de continuer en musique, où son père a de la difficulté à trouver de l’emploi. Dans ces deux cas, la perception de la valeur des études dans le domaine artistique en question semble plus faible pour ce qui est de la dimension utilité.

Quand les parents aiment leur emploi et l’estiment « correct » et que le jeune partage cette perception, les études qu’ils ont faites ont tendance à être jugées comme suffisantes – ou du moins suffisantes pour ce parent : Alexandra (vague 1) décrit sa mère comme fière de son emploi et n’ayant « pas besoin d’autre chose ». Quand on lui demande si son père aurait souhaité étudier davantage, Marjolaine (vague 1) explique qu’il a fait un DEP en mécanique, qu’il travaille comme mécanicien et qu’elle croit qu’il « aime ça ».

Ces témoignages permettent de constater que les parcours des parents peuvent influencer la perception que le jeune a de la valeur des études tant par l’intermédiaire des discussions qui y font référence que par la simple observation qui en est faite par le jeune.

Influence des pairs et des enseignants

En comparaison, si l’influence des enseignants peut englober la perception de l’utilité du programme en général, elle porte davantage sur celle des cours qui le composent, un aspect qui semble hors de portée de l’influence des parents. L’influence des enseignants peut passer par la discussion (explications sur l’utilité des cours pour la carrière, par exemple). Elle peut aussi agir par le biais des choix pédagogiques. Les jeunes peuvent estimer que les contenus et formules pédagogiques sont plus ou moins directement reliés aux exigences du marché du travail ou aux compétences à développer en vue de la poursuite des études. Par exemple, Joshua trouve ses cours utiles, car ils lui permettent de développer des compétences pour sa profession future dans le domaine du droit (vague 4).

Même si peu de ces cas ont été identifiés, des liens apparaissent à l’occasion entre les pairs et l’utilité, lorsque les pairs transmettent au jeune des renseignements sur les débouchés d’un programme. Par exemple, des amis d’Ariane ont quitté le programme de musique pour d’autres programmes aux débouchés plus sûrs, ce qui l’a amenée à envisager elle-même un changement de programme (vague 6). Cette influence peut passer par la discussion avec les pairs ou bien, comme dans le cas précédent, les pairs peuvent agir comme modèles selon leurs propres choix.

Enfin, de façon semblable parmi les différentes catégories de personnes, la prise de décision est parfois influencée par le partage d’information, notamment sur les débouchés de programmes. Les parents peuvent avoir ce type d’influence, mais aussi la fratrie, les pairs, et parfois des personnes plus éloignées, comme le personnel enseignant, des amis de la famille ou des membres de la parenté (liens plus faibles ou éloignés). À titre d’exemple, Mélissa est craintive par rapport aux possibilités d’emploi du domaine qui l’intéresse, la psychoéducation, car elle s’est « fait dire par le prof en psychologie que c’était difficile de se trouver un bon emploi » (Mélissa, vague 2). Cela l’amène à douter de l’utilité des études qu’elle compte faire. Mélissa change ensuite de domaine d’intérêt, notamment sur la foi d’une information obtenue d’une personne de son milieu de travail au regard de la polyvalence des études en communication (vague 6).

Les avis reçus ne sont pas toujours pris en compte, ou pas toujours directement, comme pour Gabriel (vague 1) qui réinterprète les opinions de son entourage pour évaluer l’utilité du programme visé : alors que « tout le monde » l’incite à s’intéresser au secteur de la construction qui est conçu comme un domaine d’avenir, Gabriel déduit que la gestion financière dans ce domaine doit aussi entrainer des ouvertures d’emploi et opte pour des études en technique administrative.

Le tableau 2 distingue les principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant sur la perception de l’utilité des études, d’un ou plusieurs programmes et des cours.

Tableau 2 : Composante utilité : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

Tableau 2 : Composante utilité : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

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Apports des parents, pairs et enseignants à la composante intérêt

Le plus souvent, les jeunes rapportent que leurs parents valorisent les études, les trouvent importantes pour l’insertion professionnelle, mais les incitent à choisir un programme en fonction de leurs intérêts. Thomas (vagues 2 et 3) exprime que ses parents n’ont pas émis de jugement lors de son hésitation entre deux professions et programmes d’études. Dans les discussions de Charles (vague 1) avec ses parents au sujet de son avenir et de sa carrière, « ça finit toujours par se résumer par : “Si t’aimes ça, c’est ça l’important” ». La question de l’intérêt du jeune pour son programme ou la profession visée revient fréquemment dans toutes les vagues de collecte ; les remarques en ce sens, sur l’intérêt du jeune pour les études ou son programme surviennent souvent dans une situation de choix scolaire. Par exemple, Jérémy (vague 4) a parlé à son père de son choix de poursuivre en histoire à l’université ; son père lui a conseillé de faire un choix selon ses intérêts.

Plus rarement, les parents émettent des avis sur la valeur d’un programme d’études par rapport à un autre. Mélissa (vague 1) rapporte que sa mère a été déçue au départ par son choix des sciences humaines au cégep de Sherbrooke, mais qu’elle a ensuite changé d’idée en constatant l’intérêt de sa fille pour son choix.

Certains expliquent qu’à leur avis, leurs parents accepteraient qu’ils poursuivent des études plus courtes (comme un DEP ou un DEC technique plutôt qu’aller à l’université) si c’est ce qui les intéresse comme études et profession. C’est le cas de Noémie (vague 1), dont les parents aimeraient qu’elle fréquente l’université mais « seraient totalement d’accord » si elle choisissait un programme technique. Annabelle (vague 1) pose une hypothèse semblable : « Si j’avais eu une passion pour une technique, j’imagine qu’ils l’auraient respectée. Mais du moment que je veux aller à l’université, puis que j’ai la compétence de le faire […], ils encouragent ça. » (Annabelle, vague 1)

Certains parents endosseraient aisément un changement de programme, voire dans certains cas une interruption des études, en raison d’un manque d’intérêt. Selon Alexandra (vague 1), qui interrompt d’ailleurs ses études en première session, ses parents l’incitent à poursuivre les études si elle aime ça, et à les quitter si ce n’est pas le cas. Laurent (vague 4) a laissé les études après deux ans en sciences humaines et explique que sa mère était déçue parce qu’il était le seul des enfants à aller au cégep, tandis que son père « était d’accord » et préférait qu’il s’investisse dans une voie qui l’intéresse. L’avis des deux parents peut donc diverger lorsqu’il s’agit d’abandonner un programme par manque d’intérêt. Quand Anaïs (vague 5) abandonne l’idée de poursuivre ses études en vue d’obtenir une attestation d’études professionnelles, sa mère l’encourage dans cette direction, car elle constate que sa fille n’est pas heureuse dans son programme. Son père perçoit la situation plus négativement au départ, mais plus favorablement ensuite, lorsqu’elle se trouve un bon emploi quelques semaines plus tard. Anaïs explique qu’il respecte sa décision, mais qu’il « n’avait pas vraiment le choix de toute façon ».

Un cas s’éloigne de la tendance générale à accorder une grande importance à la correspondance du programme aux intérêts du jeune, c’est celui d’Olivier (vague 1) dont le père est déçu de la décision de ne pas aller en sciences de la nature pour viser la médecine pour choisir plutôt d’entrer en sciences humaines pour se diriger en psychologie, même si Olivier démontre peu d’intérêt pour les sciences naturelles. Dans ce que rapporte Gabriel (vague 4), ses parents semblent tenir une position hybride, valorisant le fait qu’il termine son DEC technique et travaille dans le domaine pour confirmer ou infirmer son intérêt pour cette profession, quitte à poursuivre ensuite ses études s’il constate ne pas avoir d’intérêt pour le domaine.

La préoccupation des parents pour l’intérêt de leurs enfants envers leur programme (et éventuellement leur profession) est donc très largement répandue dans l’échantillon, même si des exceptions peuvent exister. Cependant, s’ils s’en préoccupent, les parents ne semblent pas pour autant avoir une influence sur l’intérêt du jeune pour ses cours, son programme ou les études en général. Les parents agissent alors davantage en ce qui a trait au poids relatif à accorder à la composante intérêt lors de choix scolaires : l’intérêt est présenté par les parents comme un élément auquel accorder de l’importance lors de la prise de décision en plus de l’utilité des études en général ou d’un programme en particulier.

Influence des pairs et des enseignants sur l’intérêt

À l’inverse, les pairs et les enseignants influencent plus directement l’intérêt pour les études, le programme ou les cours.

Ainsi, les pairs peuvent être en lien – positif ou négatif – avec l’intérêt pour les cours ou les études en général. Pour plusieurs jeunes, la présence d’amis, ou de pairs au sens large, dans leurs cours ou leur programme agit positivement sur l’intérêt pour les études. Il est question à l’occasion de « l’ambiance », sur laquelle les pairs peuvent avoir un effet positif : Jennifer a « connu beaucoup de monde » dans sa classe et s’entend bien avec les personnes de son groupe, dont « l’atmosphère » est agréable (vague 2). Même pour Hugo, qui expliquait en vague 1 « être venu ici étudier » et ne visait pas à se « faire un nouveau groupe d’amis » au cégep, le lien avec les pairs semble plus tard favoriser son intérêt pour les cours : « Les cours sont un petit peu moins longs. Je parle à du monde. » (Hugo, vague 3) Pour quelques jeunes, le contact des pairs peut être un important facteur de motivation, comme dans le cas de Sébastien, qui revient sur le sujet à plusieurs reprises (vagues 1, 4 et 5) : il est motivé à aller à ses cours par le plaisir qu’il a avec ses amis d’université (vague 4). Ici, l’intérêt envers les cours n’est pas influencé par le discours des pairs ou leur exemple comme modèles, mais repose sur leur présence, sur le fait d’être ensemble, mécanisme particulier à cette influence des pairs. Quelques exemples de liens négatifs existent aussi, notamment dans deux cas où les participants à la recherche sont plus âgés que la moyenne des étudiantes et des étudiants de leurs cours au cégep. Zachary, qui a abandonné le cégep au cours de sa première session, n’avait pas de lien positif avec ses pairs, plus jeunes que lui et peu sérieux dans leurs études (vague 2), ce qui a contribué à une baisse d’intérêt envers ses études.

Quant aux enseignants, des caractéristiques personnelles ou leur personnalité peuvent contribuer à l’intérêt du cours, comme dans le cas du « meilleur cours » de Laurence (vague 4), où l’enseignant était « captivant » et « arrivait toujours à faire des blagues » en lien avec la matière. On trouve aussi des exemples négatifs, où des caractéristiques de l’enseignant ou des éléments de personnalité tels que perçus par les jeunes influencent négativement l’intérêt pour le cours : Jennifer trouve son enseignant de philosophie « endormant » (vague 4). La compétence de l’enseignant en lien avec le contenu du cours ou avec la pédagogie agit aussi sur l’intérêt. Plutôt que de porter sur l’enseignant comme personne, des extraits concernent les méthodes pédagogiques employées, voire des éléments d’évaluation. Marilou (vague 5) a apprécié un cours qui « était plus dynamique que les autres », avec plus d’exercices et moins d’exposés magistraux. Les exemples concrets, réels ou humoristiques à l’occasion captent l’intérêt. Il s’agit d’une porte d’entrée indirecte des enseignants pour agir sur la perception de la valeur des cours.

Les enseignants peuvent en outre stimuler l’intérêt pour une discipline et encourager à y poursuivre les études (valeur d’un programme) ou encore contribuer plus largement à l’orientation professionnelle. Cette influence passe parfois par le dialogue avec l’enseignant, comme dans le cas de Sébastien (vague 1) qui s’est fait conseiller par un enseignant de poursuivre lui-même en enseignement.

Le tableau 3 présente la synthèse des dynamiques de l’influence sur la composante intérêt.

Tableau 3 : Composante intérêt : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

Tableau 3 : Composante intérêt : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

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Apports des parents, pairs et enseignants à la composante valeur de réalisation

On trouve trois façons principales dont les parents et d’autres personnes parmi les relations sociales sont en lien avec la composante réalisation, qui repose sur l’adéquation entre l’identité personnelle ou sociale de la personne et l’objet de la valeur.

D’abord, la fierté de l’entourage du jeune – les parents surtout, mais aussi d’autres membres de la famille et l’amoureux ou l’amoureuse – intervient parfois : la poursuite d’études, peu importe le domaine, peut être une fierté en soi, ou alors associée à un domaine, voire un établissement précis (par exemple pour Jessica qui choisit un établissement universitaire en particulier en vague 4 et suscite la fierté de son grand-père). On peut associer cette fierté à la composante réalisation, qui repose sur la cohérence entre l’objet et l’identité personnelle ou sociale : la poursuite d’études vient renforcer le lien social avec les proches, l’image qu’ils ont du jeune, que ce soit pendant les études ou après l’obtention d’un diplôme. Kevin mentionne la fierté de sa famille tout au long des entretiens (vagues 1, 3, 5 et 6), en lien avec le fait que, outre sa mère, il est le premier de sa famille à poursuivre des études postsecondaires (y compris parmi ses cousins). S’il ne mentionne jamais expressément que cela contribue à ce qu’il valorise les études, on peut le déduire, car il affirme que cela a contribué à le convaincre de continuer les études (vague 1). La question de la fierté pour la famille pourrait en effet contribuer à l’importance accordée aux études dans la mesure où la poursuite des études a un impact positif sur son image sociale : dans sa famille, Kevin (vague 1) est « le premier gars qui reçoit un diplôme d’études secondaires » et le premier des petits-enfants de sa grand-mère qui poursuit des études postsecondaires, ce dont son père est fier. Pour Noémie (vague 1), le rapport à la fierté de ses parents en lien avec la poursuite d’études universitaires est plus ambivalent. Même si elle estime que ses parents aimeraient qu’elle poursuive à l’université, elle n’a pas de doute quant à leur accord et leur fierté si elle optait plutôt pour un programme technique de niveau collégial. Son frère a fait un retour au cégep après avoir commencé l’université et Noémie (vague 1) sent « qu’ils sont aussi fiers de lui que s’il avait fait une maitrise ou un doctorat ».

Ensuite, les jeunes peuvent s’inspirer d’un parent et de son domaine professionnel en particulier, ce qu’on peut mettre en lien avec la composante réalisation lorsque se joue une question identitaire. Pour Jessica, son père et son grand-père ont été des modèles et semblent avoir agi sur des aspects identitaires chez elle et sur la valeur de réalisation qu’elle accorde aux études en génie en particulier. Elle revient sur cette idée à plusieurs reprises (vagues 1, 2, 4), par exemple lorsqu’elle explique que son père l’a inspirée à devenir ingénieure : « Je m’identifie beaucoup à ce qu’il fait. » (Jessica, vague 2)

Les enseignants peuvent aussi avoir un impact en étant des modèles comme pour Annabelle (vague 4), qui explique avoir pris exemple sur ses enseignants de français du secondaire, qu’elle admirait, pour poursuivre dans ce domaine lors de son choix de programme universitaire. À de rares occasions, des jeunes laissent entendre que leurs parents valorisent les études en général pour leur contribution à la culture, à devenir une personne meilleure. Il est alors question de la valeur des études outre les retombées sur la carrière (composante utilité).

Enfin, une diversité de relations sociales agit sur l’un des antécédents de la perception de la valeur, soit l’image de soi, particulièrement liée à la composante réalisation. On constate que des jeunes font référence à l’impact de diverses relations sociales sur leur image d’eux-mêmes, ce qui est souvent exprimé par l’expression « me voir » dans un domaine, un programme ou une profession. Le jugement porte alors non pas sur le programme lui-même, mais plutôt sur son adéquation avec la personnalité ou les compétences du jeune, donc en lien avec la composante réalisation. On trouve souvent des personnes intimes comme les parents ou des amis proches parmi les avis considérés en ce sens. Le fait que les parents ou les amis proches les connaissent bien est un élément qui augmente la crédibilité accordée à ces avis. Sébastien (vague 1) a envisagé le domaine du génie mécanique, mais sa mère l’a fait hésiter, car elle ne le voyait pas dans ce domaine et savait qu’il n’aimerait pas ça, ce que Sébastien confirme. Mathilde s’exprime dans le même sens : « Ils me connaissent, ils connaissent ma personnalité, donc ils savent dans quelle branche je devrais m’en aller. » (vague 3) Le père de Mélissa avait une préférence pour le domaine des communications lorsqu’elle a fait son choix d’études universitaires, notamment parce qu’il la « voyait plus là-dedans » (vague 6). Dans d’autres cas, le fait que la personne les connaisse bien n’est pas un critère si déterminant. Par exemple, l’avis des enseignants ou autres intervenants est parfois pris en compte (Olivier, vague 1 ; Mélissa, vague 1). Questionner son entourage à ce sujet peut même être une stratégie pour appuyer la prise de décision (avant le choix). Marjolaine (vague 4) a interrogé les personnes qui l’entouraient pour leur demander dans quel domaine elles la verraient et ainsi être guidée pour son choix. Certaines discussions des jeunes avec leurs parents vont en ce sens.

On remarque donc pour cette composante davantage de similitudes dans les influences des différentes catégories de personnes. Le corpus comprenait moins d’extraits sur cette dimension, ce qui peut notamment s’expliquer par les questions du guide d’entretien. Ainsi, des influences spécifiques des pairs n’ont pu être identifiées à partir du corpus disponible. Cependant, quelques remarques des jeunes quant à la valeur de réalisation de cours peuvent laisser comprendre que les choix de contenu effectués par les enseignants sont susceptibles de contribuer à la valeur de réalisation du cours : pour Noémie, les cours suivis en sciences humaines – elle mentionne un cours de politique – ont contribué à lui faire comprendre son identité québécoise et son identité comme souverainiste (vague 2). Noémie n’explicite toutefois pas elle-même l’influence qu’aurait eu son enseignant par le biais des choix pédagogiques dans un cours particulier. Le tableau 4 résume les types d’apports repérés selon les objets et les catégories de personnes.

Tableau 4 : Composante réalisation : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

Tableau 4 : Composante réalisation : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

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Apports des parents, pairs et enseignants à la composante coût

Les relations sociales peuvent agir positivement pour contrebalancer ou atténuer les coûts financiers, mais aussi le coût psychologique des études.

Le fait que les parents acceptent de payer, en tout ou en partie, le coût des études et fournissent le logement, la nourriture, etc. gratuitement tant que le jeune est aux études peut être vu comme un indicateur de la valeur qu’ils y accordent. Le coût des études semble « accepté » par les parents en contrepartie des composantes positives de la valeur, puisque cette contribution monétaire et matérielle semble rarement un sujet de discussion ou de demande de la part du jeune, mais plus une offre des parents. Jessica (vague 1) explique que ses parents placent les études en priorité : « Je reste à leur charge tant et aussi longtemps que je suis aux études. » Si elle décidait d’interrompre ses études et de travailler, elle aurait à « payer un loyer, payer la nourriture », etc. 

Pour le jeune, le coût financier des études augmente si ses parents ne paient pas les études. Les parents de Maude (vague 1) paient ses études collégiales, dont le coût est bas, mais elle craint que ses parents ne paient pas l’ensemble de ses études universitaires. Elle doit donc économiser afin de poursuivre à l’université, mais ne souhaite pas non plus avoir un emploi qui lui demanderait trop d’heures de travail et ainsi que son temps soit consacré seulement à l’emploi et aux études. Elle craint de devoir sacrifier le temps passé avec ses amis si elle doit étudier et travailler plusieurs heures par semaine. Le coût financier de l’université pourrait exiger ce sacrifice si ses parents cessaient de payer ses études. Le fait de ne plus voir ses amis autant serait alors un type de coût.

Pour Raphaël (vague 2), le fait que ses parents paient ses études et le soutiennent matériellement et logistiquement est une condition nécessaire à la poursuite : « Sans eux, c’est clair que je ne pourrais pas étudier. » Sébastien (vague 6) associe justement l’abandon des études par certains de ses amis au fait que leurs parents ne payaient pas leurs études et s’estime chanceux, en comparaison, de bénéficier de cette contribution parentale, faute de quoi il aurait potentiellement plutôt choisi de travailler à temps plein.

On constate que l’aide financière des parents pour payer les frais de scolarité et, souvent, le matériel scolaire comme les livres, est associé à l’entente explicite ou implicite présente dans plusieurs familles selon laquelle le jeune peut demeurer gratuitement chez ses parents seulement tant qu’il est aux études. Si la fréquentation scolaire cesse, le jeune doit partir ou payer une pension. Il s’agit alors d’un coût financier de l’alternative qui serait d’abandonner les études. Demeurer aux études présente alors un faible coût financier pour les jeunes qui obtiennent une contribution financière de leurs parents. L’aide financière des parents peut, dans certains cas, être associée à une obligation de résultat perçue par les jeunes : Mathilde (vague 5) suppose que si elle échouait ses cours, ses parents ne continueraient pas de payer ses études. Pour Laurent, sans qu’il soit question de résultats scolaires, il semble y avoir une obligation – qu’il se fixe lui-même peut-être – d’engagement envers ses études dans le contexte où elles sont payées par ses parents, surtout qu’il étudie hors de sa région d’origine, ce qui engendre des coûts supplémentaires (Laurent, vague 1).

Des éléments autres que le coût financier peuvent être abordés par les parents. Ariane (vague 4) raconte avoir envisagé de quitter le programme de DEC en sciences humaines pour poursuivre uniquement en musique, mais que son père tenait à ce qu’elle termine le DEC en sciences humaines étant donné qu’il lui restait seulement quatre cours. On comprend que son père n’évaluait pas comme trop élevé le coût en temps ou en effort, mais en vague 5, Ariane rapporte avoir finalement abandonné ses cours en sciences humaines, car son horaire était trop chargé. Son père, qui s’opposait à cette interruption au départ, semble avoir accepté sa décision, voyant qu’elle n’abandonnait « pas par paresse ».

Enfin, les jeunes s’inspirent parfois du parcours de leurs parents pour alimenter leur perception du coût des études. À titre d’exemple, il est question dans un cas du coût du retour aux études : la mère d’Olivier (vague 1) est retournée aux études dans la trentaine, après une séparation, pour terminer son secondaire, puis un DEC et « ça a été vraiment dur ». Elle ne souhaite pas que ses enfants fassent « la même erreur qu’elle a faite ». En comparaison, le coût de la poursuite d’études au cours de la jeunesse, à la suite de la sortie du secondaire, est donc positionné comme plus faible.

Influence des pairs et des enseignants sur le coût

Le soutien et les encouragements accordés par les parents, mais aussi par les pairs, peuvent réduire le coût psychologique des études elles-mêmes (stress, peur) ou des difficultés ou des échecs vécus dans des cours. C’est le cas de Marilou (vague 3), qui reçoit du soutien de ses amis lorsqu’elle vit un échec. Ses amis la rassurent qu’il « y a des alternatives », que « ce n’est pas si pire que ça » et lui rappellent que ses autres cours vont bien, que « ce n’est pas si grave ».

Quant aux enseignants, leur rapport au coût des cours est indirect, passant par les choix pédagogiques effectués : le type et la quantité de contenu, travaux, lectures, évaluations agissent sur la perception qu’ont les jeunes du coût en effort ou en temps nécessaire pour les différents cours et, par cumul pour leur programme ou leurs études. Par exemple, Sébastien trouve que ses cours universitaires de littérature lui font « une grosse charge de lecture » (vague 6). Nathan considère faire « beaucoup de travaux pour rien » (vague 4). Il s’agit d’exemples où les lectures ou travaux entrainent un coût en temps ou effort, ce qui agit négativement sur la valeur perçue de ces cours, surtout, dans les deux cas précédents, que l’utilité et l’intérêt des cours en question sont estimés faibles (évaluation du rapport coûts/bénéfices). Mélissa croyait pour sa part que le cégep serait plus difficile et que la charge de travail serait plus élevée, mais « finalement, c’est correct » (vague 2). Le coût n’a pas été mentionné d’autres manières en lien avec le personnel enseignant dans ce corpus.

On constate donc ici certains recoupements entre les pairs et les parents pour ce qui est du coût psychologique, tandis que les parents sont associés au moindre coût financier et les enseignants à une influence sur le coût en temps et en effort. Le tableau 5 résume les éléments repérés.

Tableau 5 : Composante coût : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

Tableau 5 : Composante coût : principales influences des parents, des pairs et du personnel enseignant selon les objets de la valeur

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Synthèse et discussion

Eccles (2007) cible comme piste de recherche le rôle des parents en lien la perception de la valeur chez leurs enfants au fur et à mesure qu’ils vieillissent. Cet article contribue à ouvrir ce champ d’investigation encore peu traité et permet de mieux comprendre comment les parents, les pairs et le personnel enseignant agissent de manière distincte sur des composantes ou des objets différents de la valeur. Dans l’ensemble, les relations parentales apparaissent très influentes, ce qui va dans le sens d’observations antérieures concernant les parcours de vie en général (par exemple Bidart, 1997 : 2006) et les choix scolaires en particulier. Au fil des vagues d’entretiens, l’apport des parents se maintient. De manière générale, selon l’analyse réalisée sur ce corpus, l’apport respectif des enseignants, des parents et des amis à la perception de la valeur des études ne semble pas subir de variation au fil du temps.

L’apport des différentes catégories de relations à la perception de la valeur se distingue dans la mesure où certaines intersections objet-composante sont plus ou moins concernées. Les parents, si on les compare aux pairs et au personnel enseignant, sont plus susceptibles d’agir sur les quatre composantes de la valeur (intérêt, utilité, valeur de réalisation et coût), même s’il est question surtout de l’utilité des études, en lien avec l’insertion sur le marché du travail et la qualité des emplois accessibles à l’issue de la formation. Dans la mesure où l’utilité est souvent présentée dans le discours des jeunes comme une hypothèse (Noël, 2014), l’avis des parents peut être crédible et important pour appuyer cette perception de l’utilité.

On observe divers mécanismes par lesquels se manifeste l’influence parentale sur la perception de la valeur, principalement 1) par la discussion et le conseil ; 2) comme modèles par leur propre parcours ; 3) en fournissant du soutien et des ressources, notamment financières. La discussion et le conseil constituent des mécanismes communs aux différentes catégories de personnes. En revanche, le mécanisme d’observation a été repéré davantage – bien que non exclusivement – à l’égard des parents qu’envers les enseignants et les pairs. Enfin, les parents ont la particularité d’agir sur la valeur des études par le biais des ressources matérielles et financières consacrées aux études du jeune, qui atténuent le coût financier perçu, tandis que tant les parents que les amis peuvent agir comme soutien lors de difficultés, atténuant le coût psychologique (stress, peur de l’échec). Ces modalités recoupent ce que Roy qualifie de « soutien à la motivation », d’encouragement et de discussion pour aborder l’influence de la famille (ou plus précisément, des parents) sur la réussite au collégial (2004 : 104-106).

D’autres mécanismes apparaissent au contraire seulement chez les pairs ou les enseignants. Les pairs contribuent par leur présence à l’intérêt des cours et, indirectement, au coût, lorsque le temps passé aux études (et, souvent, dans un emploi étudiant) oblige de sacrifier du temps passé entre amis. Quant aux enseignants, des éléments de personnalité ou de compétence et des choix pédagogiques les amènent à agir sur la perception de la valeur, surtout celle des cours.

La scolarité des parents ou leur statut socioéconomique peuvent avoir des influences variées sur la perception de la valeur : en général, une forte scolarisation des parents est associée à une forte valorisation des études, mais une faible scolarisation n’agit pas de manière uniforme. Certains parents peu scolarisés valorisent l’obtention rapide d’un emploi ; d’autres valorisent au contraire la poursuite de longues études. L’observation du parcours professionnel de leurs parents conduit plusieurs jeunes à constater que de courtes études peuvent être associées à des conditions de travail moins favorables.

Selon Bourdon, les jeunes font face à « deux injonctions, aussi fortes que potentiellement contradictoires » de la part de leurs parents au sujet de leur insertion professionnelle : « faire ce qu’on aime, ce qu’on est vraiment au fond de soi », tout en obtenant un bon emploi (Bourdon, 2010 : 85). En croisant les composantes et les objets de la valeur, on peut nuancer cette dynamique : le plus souvent, l’utilité concerne la poursuite des études en général, tandis que l’intérêt et la valeur de réalisation sont largement associés au choix de programme. Les parents associeraient ainsi le succès scolaire – et le succès dans certains programmes plus que d’autres – à une insertion professionnelle facilitée (Baudelot et Establet, 2009), bien que, dans certains cas, ils semblent valoriser les études pour le développement global du jeune, de son identité ou de sa culture générale (composante réalisation).

Deux ordres de proximité semblent ainsi moduler l’influence des parents tout comme celle des pairs et des enseignants sur la perception de la valeur : la proximité relationnelle, ce que l’analyse des réseaux sociaux désigne comme la force du lien (Granovetter, 1973), et la proximité de l’objet, soit les études en général, le programme ou un cours en particulier. Comme l’a constaté la recherche source (Bourdon et al., 2007), les liens que les cégépiens entretiennent avec leurs parents sont très majoritairement forts, voire intimes ; les liens avec les enseignants sont généralement faibles, plus passagers et superficiels, et ceux avec les pairs sont mixtes, forts dans certains cas pour les amis proches et faibles avec une majorité de « connaissances » côtoyées uniquement en contexte scolaire. Cet ordre de proximité relationnel est d’emblée associé, pour les liens forts, à un plus grand transfert de ressources (essentiellement en provenance des parents), à de meilleures garanties de soutien, à plus grande connaissance de l’autre dans la durée et dans plusieurs sphères de vie, qui donne à l’autre une plus grande crédibilité comme modèle et l’impression qu’il nous comprend et nous connaît d’une manière privilégiée. La proximité de l’objet semble pour sa part davantage associée à la crédibilité de l’information ou de l’opinion à l’égard d’un aspect précis de la valeur. Il peut s’agir des difficultés vécues par les parents relativement à l’emploi qui donnent un poids important à leur avis sur l’utilité des études, à l’expertise d’un enseignant sur la valeur relative de deux programmes ou de celle de pairs qui ont suivi un cours sur l’effort exigé. Selon cet ordre de proximité, et en raison de leur plus grande distance des études collégiales, sauf exception, l’influence des parents est plus susceptible de porter sur la valeur des études en général, et passablement moins sur celle d’un cours en particulier, sauf lorsqu’il s’agit précisément de leur domaine d’expertise professionnelle.

Il est intéressant de constater que ces éléments ont pu être mis au jour en recourant à un corpus préexistant, donc en contexte de discours relativement « naturel » : il était question des études dans les entretiens, mais sans que les questions du guide d’entretien se fondent sur le modèle d’Eccles et le concept de perception de la valeur. Cependant, au nombre des limites de cette recherche, soulignons que des données plus abondantes ou plus précises sur certains points auraient pu être obtenues par le biais d’une collecte spécifique à cette recherche. Par exemple, le corpus donnait peu à voir en quoi la valeur que le jeune et le parent accordent aux études peut agir sur la relation parent-enfant, même si certains résultats connexes ont été mis au jour par Cournoyer (2011) et Bourdon (2009) à partir du corpus de la recherche source. Il s’agirait d’une avenue de recherche à explorer, alors que le modèle d’Eccles (2007) suggère une forme de retour aux agents de socialisation à la suite des choix et comportements du sujet, mais sans l’expliciter. D’autres relations familiales peuvent également agir sur la perception de la valeur des études (fratrie, parenté) (Noël, 2014) ; il serait intéressant de s’y attarder spécifiquement dans le cadre d’autres études pour mieux comprendre ces dynamiques. Enfin, interroger directement des parents de jeunes de niveau postsecondaire permettrait d’approfondir leur point de vue sur la valeur qu’ils accordent aux études de leurs enfants, par composantes et par objets de la valeur.

Dans l’ensemble de la recherche, en large majorité, les dynamiques en jeu quant à la perception de la valeur des études ou l’apport des relations sociales n’apparaissent pas de façon distincte selon le genre ni selon des facteurs sociodémographiques, ce qui peut résulter d’une part du fait que l’échantillon est réduit (36 jeunes), mais aussi du fait que la recherche ne visait pas, au nombre de ses objectifs, à identifier de telles différences. Cela dit, la mise en lumière de différences entre les parents de différents jeunes quant à l’influence exercée sur la valeur accordée aux études amène à poser la question des inégalités pouvant en découler. Si des questions connexes ont été abordées de longue date, des inégalités persistent quant à l’accès aux études supérieures et elles demeurent « l’une des problématiques dominantes des recherches menées sur l’enseignement supérieur » (Goastellec et al., 2012 : 8). En complément de la question de l’accessibilité financière et de la capacité des familles à assumer le coût des études supérieures, le rapport des jeunes et de leurs parents au coût des études pourrait être envisagé plus largement : en effet, les résultats de Noël (2014) indiquent que les divers types de « coûts », plutôt que d’être perçus négativement (contribuant à affaiblir la perception de la valeur), sont envisagés par certains jeunes comme des conditions, de simples nécessités, voire un « investissement » – sous réserve que l’intérêt, l’utilité ou la valeur de réalisation associés aux études soient élevés. Le concept de perception de la valeur pourrait être sollicité pour analyser si une telle dynamique est présente également chez les parents, notamment au regard des coûts financiers des études supérieures.