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Introduction

C’est un long cheminement qui m’a amené à travailler sur la paternité. Et à écrire « Cramponnez vous les pères » (1992). Le « Que sais-je ? » sur la paternité (1997) et « La place des hommes et les métamorphoses de la famille » (2004). Ainsi qu’à être à l’origine du « livret de paternité » qui, depuis 2002, est distribué en France aux futurs pères par les Caisses d’allocations familiales (CAF), au cinquième mois de grossesse de la femme. La paternité, les transformations du masculin, la dialectique des rapports homme - femme, la répartition des places et des rôles autour de l’enfant, constituent aussi les thèmes privilégiés de mon séminaire de centre à l’EHESS. En effet, ma réflexion sur la paternité s’inscrit dans l’étude de la dialectique des rapports homme-femme, avec le repositionnement des hommes par rapport aux femmes qui, depuis le mouvement des années 1970, peuvent s’affirmer comme sujets ayant des droits civiques et sociaux et pas exclusivement comme épouses et mères.

Des changements majeurs

Rappelons brièvement, avant de mettre l’accent sur les transformations du masculin, les spécificités qui nous permettent de mieux comprendre le contexte dans lequel elles s’inscrivent. Celui-ci est caractérisé par des transformations importantes. Il s’agit d’un contexte caractérisé par la maîtrise de la fécondité. Par le remplacement, en 1970, de la puissance paternelle par l’autorité parentale. Et, en 1993, par le principe de la co-parentalité. Mais aussi par le divorce possible par consentement mutuel, en 1975, ainsi que par la possibilité de ne pas passer par le mariage pour fonder une famille, avec l’augmentation du nombre d’enfants conçus hors mariage.

Après avoir étudié le mouvement des femmes, caractérisé par une double dimension avec la lutte pour l’égalité et la lutte pour la spécificité, j’ai analysé les incidences de ces changements sur les hommes, et c’est alors que la problématique de la paternité s’est imposée. Avec les associations de défense de la paternité qui revendiquaient, entre autres, le droit de garde de l’enfant en cas de séparation conjugale en incriminant le mouvement des femmes. J’ai alors éprouvé le besoin de me tourner vers l’histoire pour comprendre la complexité contemporaine qui caractérise la répartition des places et des rôles entre les hommes et les femmes autour de l’enfant.

J’ai alors pris conscience qu’à l’échelle de l’histoire, la diminution de la puissance paternelle a commencé il y a bien longtemps et qu’on ne peut donc pas faire l’amalgame entre l’émancipation de la femme des années 70 et la diminution de la puissance paternelle. On peut même dire qu’à la Révolution française, la diminution du pouvoir des pères a commencé à libérer la condition féminine à l’échelle de l’histoire. Le père ne pouvant plus, en matière d’héritage, discriminer le cadet par rapport à l’aîné, la fille par rapport au garçon. Ainsi, il s’agirait presque d’une dynamique inverse à celle qui prétend que l’émancipation féminine a entraîné la diminution du pouvoir paternel. C’est la diminution de la puissance paternelle qui a commencé à libérer la femme.

En effet, il me semble que les femmes et donc aussi les petites filles ont commencé à pouvoir se déployer autrement à partir du moment où le père a eu moins de pouvoir. On a alors assisté aux prémisses de l’émancipation des femmes. Sachant qu’avant la Révolution française, pendant la période que Delumeau et Roche, dans l’ouvrage « Histoire des pères et de la paternité » (1990) ont surnommé l’âge d’or des pères, les pères avaient tous les pouvoirs, à condition de se référer à la religion, à cette dimension sacrée qui les situait au-dessus de la nature, de l’infra-social, du “ féminin reproductif ”. Voilà donc cassés certains des amalgames qui me semblent obscurcir l’approche objective de la réalité actuelle.

Ensuite, j’ai été voir du côté de la psychanalyse, tellement présente sur la question de la place du père. J'ai, bien sûr, appris beaucoup de choses et j’ai aussi été conduite à la questionner, en fonction des changements qui se sont produits dans la société et du fait de l’existence de plusieurs types de familles. La famille étant devenue « incertaine », selon Roussel dans son ouvrage « La famille incertaine » (1989). C'est ainsi que l'on observe des modèles familiaux qui se rapprochent du matriarcat, d’autres qui sont tournés vers la négociation des places et des rôles entre l’homme et la femme ; il y a par ailleurs les familles décomposées-recomposées (et la question de la beau-parentalité) ; et encore les familles monoparentales, où souvent la femme est chef de famille. Et puis les familles homoparentales et aussi les mères seules, et éventuellement celles qui recourent à la procréation médicalement assistée.

Bref, face à ce kaléidoscope, on est amené à se demander si l’on peut toujours affirmer, comme le fait en général la psychanalyse, que le père c’est « la loi », que le père c’est « la séparation », l'agent de « la dé-fusion » entre la mère et l'enfant »? Si l'on dit que le père c’est la loi, cela sous-entend que la femme n’est pas représentative de la loi, n’est pas représentative du social, n’est pas représentative du politique. On voit bien là que nous sommes obligés de modifier notre regard, d’interroger des concepts qui semblaient jusqu’alors pertinents mais qui sont en perte de légitimité, pour comprendre ces changements qui nous concernent. On est aussi en droit de s’interroger sur le fait de savoir si, désormais, ce fameux « tiers séparateur » de la fusion mère-enfant est fondamentalement et nécessairement de sexe masculin. Bref, on sent bien à quel point il y a matière à interrogation sur la symbolique du rôle, le sexe du rôle. On sent bien que des dissociations, des découplages, des réaménagements, des glissements ont lieu.

J’ai continué mon exploration en interviewant beaucoup de pères, beaucoup de mères, séparément bien sûr, appartenant à différentes classes sociales et à différentes classes d’âge. Et là, j'étais étonnée de voir revenir des leitmotiv parmi les aspirations des hommes, avec l’idée que la paternité se définit aujourd'hui par la volonté et le besoin de construire le lien avec l’enfant, en même temps que peuvent apparaître aussi des difficultés, voire des impossibilités à concevoir, certes et à construire, mais aussi à exercer et à maintenir ce lien. Ce qui traduit la complexité actuelle de la nature, du contenu du rôle, devenu à la fois de plus en plus dépendant des rapports homme-femme, mais aussi parfois de plus en plus indépendant. En même temps que la paternité découle fondamentalement aussi des modalités d’affirmation du féminin et du masculin. En ce qui concerne le masculin, commence à s’imposer l’idée qu’il se redéfinit pour mieux se déployer, autrement. On assiste ainsi à un mouvement que l’on peut appeler de décomposition et de recomposition du masculin.

Les transformations du masculin au coeur du débat

« Décomposition » du masculin traditionnel : pourquoi ? Si l'on se réfère à l’importance de la filiation autrefois, à la manière dont le masculin était défini comme « supérieur » au féminin, étant donné que c’était l’homme qui inscrivait l’enfant dans la filiation et étant donnée l’importance politique de la filiation, on voit bien qu'aujourd’hui c’est différent. La cohérence, qui entourait la symbolique masculine, la conception de la virilité, avec l’importance du masculin, clef de voûte de la reproduction sociale, culturelle, se défait de nos jours. Prenons l’exemple d’un ouvrage historique bien connu, le fameux journal d'Héroard[1], écrit par le médecin de Louis XIII enfant. L’importance accordée à ce qu’on appelait sa « guillerie » est révélatrice de la conception du masculin à cette époque là dans la société traditionnelle. Le masculin était construit autour de cet organe sexuel auquel on prêtait des vertus extraordinaires car c’est par son intermédiaire que se reproduisait la royauté, et donc l’avenir de la France. Le phallus était d’autant plus idolâtré que le système social, politique, économique, culturel, puisait son sens et sa cohérence autour de la phallocratie.

Aujourd’hui, on ne signifie plus le masculin de cette manière unique. En effet, on constate une perte de légitimité de la phallocratie et l’unité antérieure qui la signifiait se défait. Il en est de même aussi pour la société industrielle qui succède à la société traditionnelle et dont la cohérence conçue autour de la supériorité masculine en tant que chef de famille chargé de subvenir aux besoins économiques du ménage et en tant que seul détenteur de pouvoirs et de droits civiques et sociaux, commence à se défaire elle aussi. Il s’agit de celle qui signifiait la hiérarchisation entre la sphère publique et la sphère privée, comme incarnation de la supériorité du masculin sur le féminin ; le public étant alors l’univers du masculin et le privé, comme chacun sait, le lieu des femmes qui ne pouvaient se définir que comme épouses et mères et n’avaient pas alors de droits civiques et sociaux.

Je trouve intéressant et fondamental de construire notre raisonnement et de concevoir nos questions autour de cette transformation du masculin, à savoir que l’étayage de la paternité n’est plus conçu autour des certitudes antérieures qui étaient alors présentées comme universelles. On se questionne sur la filiation de sang. Sur le féminin, sur le masculin, sur la différence, sur la complémentarité, sur les places, les rôles, les fonctions. Aujourd’hui, si bien évidemment les individus ont un passé, héritent d’un mandat transgénérationnel et ont à construire leur avenir, on sent bien qu'il se passe quelque chose, à savoir que la filiation, la reproduction, est devenue une affaire beaucoup plus individuelle qu’autrefois. On parle de projet personnel, là où autrefois la notion de filiation était investie d’une dimension symbolique, d’une référence communautaire très forte. La question du mode et du choix de l’affirmation individuelle passe désormais au premier plan. Et on s’interroge sur la dimension symbolique du lien social.

Dans la mesure où l’on peut choisir de faire un enfant - ou pas -, le moment de le faire, le nombre d’enfants qu'on aura, mais aussi la manière de le faire, avec la procréation médicalement assistée, on voit que, du côté des jeunes générations, les choses se compliquent, avec ce formidable mouvement d’ouverture, de libération qui règne aujourd’hui. On voit bien qu'avec cette possibilité de choix, d’affirmation, d’innovation en matière de modèles qui concernent bien sûr les nouvelles générations, naissent aussi des nouvelles difficultés : choisir de faire un enfant ? Pourquoi ? Quand ? Comment ? On a l’impression qu’aujourd’hui la conscience paternelle peut être sollicitée dans sa dimension la plus profonde, la plus intériorisée. Elle renvoie bien sûr aussi à la capacité à pouvoir s’engager, dans le cadre de la reproduction naturelle, avec confiance, dans une interaction continue entre l’homme et la femme.

Or, la jeune femme est elle aussi, en principe, très impliquée dans sa carrière et elle aussi soucieuse de son affirmation identitaire. Et le jeune homme sent bien que faire un enfant participe d’exigences différentes de celles du passé : à savoir celle de savoir répondre à une implication plus grande, en ayant la capacité de construire du lien avec l’enfant petit. Et notamment une capacité à combiner le temps familial et le temps professionnel. Et cela me paraît très nouveau à l’échelle de l’histoire. Et la preuve en est que cette année, à l'occasion de la journée de la femme du 8 mars, on a mentionné pour la première fois que la combinaison du temps professionnel et du temps familial concernait les hommes. Jusqu’à présent la conciliation entre le temps familial et le temps professionnel n’était mentionnée que pour les femmes.

Aujourd'hui, l’homme aussi peut être sollicité dans cette capacité à combiner les deux. L’allongement du congé de paternité constitue, dans ce sens, un petit pas en avant. Certes ce congé ne peut être déclencheur du désir d’enfant ou constituer une mesure suffisante pour alléger la complexité que représente le fait d’avoir un enfant aujourd’hui. Car enfin il n’est pas si facile aujourd’hui, entre le jeune homme et la jeune femme, de faire coïncider le désir d’enfant. Étant donné que les femmes qui sont tenues par le calendrier biologique ont généralement envie de faire un enfant relativement jeunes mais, en même temps, elles ont un certain nombre d’exigences concernant leur affirmation ; alors que du côté masculin, on sent une certaine incertitude, parfois une difficulté à se lancer dans cette aventure de la naissance. L'intériorisation du calendrier biologique n’est évidemment pas la même pour les femmes et les hommes. Ces derniers ont intériorisé qu’ils ont le temps. Alors, comment - entre un jeune homme et une jeune femme - s’accorder pour faire un enfant ? Je voudrais en profiter pour attirer l’attention sur cette situation très délicate que constitue aujourd’hui le passage du conjugal au parental.

Flexibilité des identités

Comment combiner le conjugal et le parental, étant donné que chacun a ses exigences en matière d’affirmation, que chacun cherche, si je puis dire, sa spécificité, ainsi que la satisfaction de ses désirs avec la nouvelle norme de la bonne sexualité. Comment combiner des registres parfois si incompatibles ou si difficilement conciliables, pendant la grossesse de la femme, la venue au monde de l’enfant ? Car désormais, le père s’implique dans l’univers de la grossesse, de l’attente de l’enfant, il est proche de sa compagne, présent aux échographies, il assiste à l’accouchement, il est présent dans l'univers de la toute petite enfance. Tout cela représente véritablement, à l’échelle de l’histoire, un changement majeur. Et l'on voit bien que ce passage du conjugal au parental est très délicat, parce que chacun est confronté à des profonds remaniements identitaires.

Il faudrait faire en sorte que, dans les maternités ou dans les différentes instances de la naissance, de la petite enfance, il puisse y avoir des groupes de parole d’hommes, des groupes de parole de femmes, des groupes mixtes… Avec l’idée, c'est important, que chacun puisse faire le point sur la distance parcourue par rapport à sa trajectoire personnelle, à sa propre enfance, à ce projet d’enfant et au projet éducatif. Aujourd’hui, on fait comme si c’était évident ! Cette arrivée au monde de l’enfant est envisagée avec une très grande naïveté et souvent les individus doivent taire leurs angoisses identitaires alors qu'elles sont devenues si importantes dans une société où la construction de soi mobilise les individus de manière très forte.

J'insiste sur ce point : la gestion du passage du conjugal au parental constitue quelque chose de majeur, qui relève notamment de la prévention. On sait qu’il y a beaucoup de séparations après la naissance du premier enfant ou à la naissance du deuxième. Pourquoi ? Certes, cela dépend des spécificités individuelles, mais on peut dire que dans une société « égalitaire », l’homme et la femme se trouvent face à une situation nouvelle avec l’attente de l’enfant : ils doivent à la fois tendre vers le partage des rôles, vers cette égalité, et en même temps, évidemment, ils ressentent d’énormes différences entre eux. Comme si la communication souffrait d’interdits, d’inhibitions, car à l’échelle de l’histoire, cette forme de complémentarité culturelle n’existait pas, n’avait pas de lieu d’être. Or, aujourd’hui, on sollicite leur complicité, là où des millénaires les ont rendus sur ce point étranger l’un à l’autre. Rappelons en effet que la valorisation de la communication pendant et au sortir des couches entre l’homme et la femme n’avait pas de lieu d’être. Nous vivons un changement historique majeur dans le domaine de la naissance et de la répartition des places et des rôles autour de l’enfant. Mais la culture fait défaut pour accompagner cette communication profonde entre l’homme et la femme, permettant à la femme de dire ce qu’elle sent et d’être entendue et c’est la même chose pour l’homme. Alors même qu’il existe de grosses angoisses et que celles-ci ne peuvent pas être dites. On sent de grosses lacunes, de grosses carences avec ce non-accompagnement culturel de l’entrée en parentalité. Au-delà de la médicalisation et de la commercialisation.

J’attire l’attention sur ce point, car beaucoup de choses se jouent à ce moment-là, de l’ordre des insatisfactions, parfois même de la violence. Ces situations drainent aussi des rancoeurs qui nous viennent de très loin concernant cette différence homme-femme et l'on sent bien que l'homme et la femme se sentent décalés et, parfois, l’homme accompagne cette arrivée de l’enfant en se sentant marginalisé, pas très bien pris en considération, tout en étant très sollicité dans une nouvelle place. Mais la femme aussi connaît des ambiguïtés, des contradictions. La sur-responsabilisation des mères me paraît un obstacle à l’exercice de la paternité aujourd’hui ; les femmes se sentent considérablement concernées par l’éducation du tout-petit. Et il me semble important de solliciter la participation du père, d’autant que j’ai l’impression que les femmes prennent leur rôle tellement à coeur que souvent elles se replient sur l’enfant. Et du coup, la possibilité pour l’homme – tout dépend de sa volonté – de prendre sa place n’est pas si évidente. Parfois même, il est soupçonné d’en faire trop et il peut être perçu comme une menace pour le pouvoir domestique et éducatif féminin. Donc, on sent bien là qu’il existe des tiraillements, des zones de conflit importantes car, à l’échelle de l’histoire, il y a eu ce mouvement qui a entraîné cette égalisation entre l’homme et la femme, mais avec une mauvaise manière de prendre en considération la répartition des places et des rôles autour de l’enfant. On n’arrive pas à combiner cette manière de se tourner en même temps vers la recherche d’égalité et de prendre en considération la recherche de la différence.

J’attire par ailleurs également l’attention sur un autre aspect. Celui du mouvement historique dans lequel la société contemporaine est engagée. Je me permets alors de raisonner en le comparant avec celui qui a caractérisé la période précédente, c’est-à-dire lorsqu’on est passé de la société traditionnelle à la société industrielle. Je me réfère alors, dans ce sens, à ce qu’avait écrit Tocqueville pour son époque. Pour Tocqueville, dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique », le passage de la société aristocratique à la société démocratique s’est fait par le biais de la mobilité sociale. Or, cette caractéristique me semble fondamentale pour analyser le sens du changement et on peut s’inspirer et retenir cette notion de mobilité pour expliquer le passage d’une société à une autre. Avec l’idée qu’aujourd’hui, on se trouve face à un nouveau tournant historique. Un changement de société qui se fait aujourd’hui, non pas par le biais de la mobilité sociale, mais par le biais de la mobilité des identités. Ça signifie que l’on assiste à un vaste mouvement de décomposition, concernant entre autres le masculin et le féminin.

En effet, les modèles culturels qui signifiaient les différences entre les sexes sont fondamentalement revisités, réinterrogés, contestés ou au contraire réaffirmés. Il existe un mouvement de décomposition, recomposition des modèles, des représentations, des significations concernant les différences entre les sexes. Ceci concerne alors la question du père. Que ce soit de manière directe ou indirecte. On sent bien, en effet, que le masculin se redéfinit, se décompose, se recompose et notamment en ce qui concerne la paternité, autour de l’importance du lien, de l’interaction, de la communication. La paternité relationnelle constitue une nouvelle norme, qui prend le pas sur la paternité institutionnelle. Celle-là même qui était définie par l’institution du mariage et par le rôle qui allait avec, ainsi que par la référence à la différence et à la complémentarité hiérarchisée entre le masculin et le féminin.

On sent aussi, car ce serait trop simple de parler ainsi, qu’il existe une juxtaposition de modèles. En effet, le patriarcat rural est encore très présent, le patriarcat industriel est toujours là et il existe des nouveaux modèles contemporains, notamment, pour ne citer que ceux-là, des nouveaux rapports au corps, à soi, à l’autre. Ainsi, si l’homme peut construire son identité en se débarrassant d’un certain nombre de masques, ceux-ci sont encore très présents et constituent des obstacles à l’exercice de la paternité contemporaine qui se traduit par ce grand mouvement où l'on voit que l'avenir sera caractérisé, notamment, par la mobilité des identités. Le masculin et le féminin sont en redéfinition. Cette redéfinition se fait alors même que s’insinuent de nouvelles tendances constituées par les découplages possibles entre la sexualité et la procréation, entre la filiation et l’alliance, entre le genre et le rôle, entre le sexe et le rôle. On sent bien alors que nous sommes face à des situations complexes. Faites d’anciens modèles qui cheminent avec les nouveaux, alors même que les nouveaux sont encore flous et incertains, ou même lorsqu’ils sont stabilisés, ils peuvent être en opposition avec les anciens, ou en décalage avec ceux des partenaires éducatifs, dans la sphère privée et /ou dans la sphère publique. Ces situations peuvent générer des incompréhensions, des frustrations, des attentes, des décalages, des incertitudes, des angoisses. Il s’agit aussi d’innover et donc d’avoir la capacité à innover, à partir de l’inflation des modèles. Or, cette capacité à innover, qui peut être très libératrice, engendre aussi beaucoup d’angoisse. Car plus on est dans l’innovation, moins on a la certitude de bien faire et plus on doute.

Je conclurai donc sur cette idée que nous avons tous à inventer une manière d’être, notamment avec les enfants, autour de cette capacité à articuler à la fois la référence à l’égalité et tout ce que cela représente de spécifique pour le féminin et pour le masculin, en se débarrassant du passé ou en combinant avec ce passé qui empêchait les personnalités de s’exprimer et les identités de s’affirmer. La problématique de la paternité est totalement traversée par tous ces cheminements, ces tiraillements, ces interrogations, ces aléas que je viens de mentionner et constitue dans ce sens un véritable mouvement culturel et débat d’idées, qui sollicite chacun au coeur de son histoire personnelle, de son expérience culturelle, de son vécu et de ses projections pour le futur.