Résumés
Résumé
Cadre de la recherche : La présente recherche vise à analyser l’expérience de l’adoption homoparentale en Belgique, en mettant en lumière les défis auxquels les homoparents sont confrontés tout au long du processus adoptif ainsi qu’après l’adoption. Les données présentées dans cet article font partie d’une étude cross-nationale plus large menée dans trois pays européens : la Belgique, la France et l’Espagne.
Objectifs : La présente étude vise à répondre aux questions de recherche suivantes :
1. Quels sont les principaux facteurs de stress rencontrés par les couples de même sexe pendant le processus d’adoption en Belgique ?
2. Quelles sont les difficultés et les besoins ressentis par ces parents après l’adoption ?
Méthodologie : L’échantillon se compose de 14 parents adoptifs homosexuels (soit 7 couples gays) résidants en Belgique. Avec chaque couple, nous avons mené des entretiens semi-structurés et vidéo-enregistrés à domicile. Les entretiens ont été entièrement retranscrits verbatim et analysés selon une approche thématique inductive.
Conclusions : Les résultats montrent que les adoptants homosexuels sont confrontés à des nombreux obstacles de nature institutionnelle, tels que le système de « quota gay », la grande quantité de refus des parents de naissance à confier leurs enfants à des couples de même sexe, ainsi que les attitudes « hétérosexistes » au sein des organismes d’adoption. En plus, les participants affirment ne pas se sentir convenablement accompagnés par les acteurs sociaux, dont le bagage théorico-expérientielle sur l’homoparentale serait, d’après eux, déficitaire.
Contribution : Les résultats de cette recherche mettent en lumière deux aspects fondamentaux. Premièrement, l’urgence d’adopter des mesures pour éviter toute forme de discrimination ; deuxièmement, la nécessité d’incrémenter la formation des travailleurs sociaux ainsi que d’adapter le processus d’adoption afin de mieux répondre aux exigences de ces nouvelles réalités familiales.
Mots-clés :
- adoption homoparentale,
- facteurs de stress,
- discrimination,
- parcours d’adoption,
- barrières
Abstract
Research Framework: This study aims at analyzing the experience of same-sex adoption in Belgium, shedding light on the challenges encountered by sexual minorities during the adoption process and after adoption. Data presented in this article is part of a larger cross-national study conducted in three European countries: Belgium, France and Spain.
Objectives: This study has the purpose of answering the following research questions:
1. What are the main stressors experienced by same-sex couples during the adoption process in Belgium?
2. What are the main difficulties and the needs encountered by these parents after adoption?
Methodology: The sample is composed of 14 sexual minority adoptive parents (7 gay couples) living in Belgium. Semi-structured interviews were conducted with each couple at their home and video-registered. The interview verbatim was transcribed and analysed using an inductive thematic approach.
Conclusions: Results show that same-sex adopters deal with many institutional barriers, such as the “gay quota”, the high refusal rate of birth parents to entrust their children to same-sex couples and the heterosexist attitudes from adoption agencies. Furthermore, participants report that they do not feel adequately supported by social actors, whose theoretical and experiential knowledge concerning same-sex parenting is, according to them, shortcoming.
Contribution: The results of this research highlight two fundamental aspects. First, the urgency of adopting measures to avoid any form of discrimination; secondly, the need to increase the training of social workers and adapt the adoption process to better meet the demands of these new family configurations.
Keywords:
- same-sex adoption,
- stressors,
- discrimination,
- adoption process,
- barriers
Corps de l’article
Introduction
Il y a encore quelques années, être gay, en couple et adopter un enfant aurait été utopique. Aujourd’hui, l’adoption homoparentale est devenue une réalité légale et une possibilité concrète dans plusieurs pays du monde. Entre les débats socio-politiques et les controverses de nature idéologique et éthique, ces nouvelles familles deviennent de plus en plus nombreuses et affirment haut et fort leur droit à « sortir de l’oubli ».
Malgré la diffusion progressive de l’adoption homoparentale, très peu d’études ont exploré les expériences des minorités sexuelles lors de la transition à la parentalité adoptive (McKay, Ross, Lori et Goldberg, 2010). Pourtant, de nombreux éléments suggèrent que cette étape de la vie devrait être étudiée avec grande attention en raison de sa situation potentiellement complexe.
Dans cette perspective, la présente étude a donné une voix à un groupe de 14 homoparents adoptifs résidants en Belgique, et ce, dans le but d’approfondir la compréhension des défis auxquels ils ont été confrontés tout au long de leur expérience adoptive. Les données présentées dans le présent article font partie d’une étude plus vaste menée à grande échelle dans plusieurs pays européens (Belgique, France et Espagne). Cette recherche, financée par le Fond National de Recherche Scientifique Belge, vise à combler le vide existant dans la littérature sur la thématique de l’adoption homoparentale en Europe.
La transition à l’homoparentalité adoptive
La transition à la parentalité adoptive est considérée comme un moment stressant où les parents novices sont confrontés à de nombreuses épreuves qui risquent de les fragiliser profondément (Brodzinsky et al., 1998 ; Daniluk et Hurtig-Mitchell ; 2003). Cette délicate étape du cycle de vie peut se révéler encore plus riche en défis pour les minorités sexuelles, déjà potentiellement sujettes à la stigmatisation sociale et au stress minoritaire dû à leur situation de minorités (Giannino, 2008 ; Mallon, 2004). Les études qui ont ciblé cette question ont été réalisées principalement aux États-Unis. Ces recherches ont clairement mis en lumière que les homosexuels américains qui souhaitent adopter doivent faire face à une longue série d’obstacles et de défis institutionnels (Golberg, 2012 ; Goldberg et al., 2007 ; Matthews et Cramer, 2006). Dans le meilleur des cas, les homoparents vivent dans un état où l’adoption conjointe est légale. Si tel était le cas, ces futurs parents doivent dans un premier temps trouver une agence d’adoption qui accepte de travailler avec des couples de même sexe. Quand bien même ils en trouveraient une, ils sont ensuite souvent confrontés à différentes barrières au sein des agences (Ryan et Brown, 2011). Les travailleurs sociaux manifestent des formes indirectes de stigmatisation qui peuvent être liées à un manque de connaissance sur l’homoparentalité et, dans les cas extrêmes, représenter l’expression d’actes ouverts d’homophobie (Goldberg, 2012). Dans certains pays, cette situation est aggravée par la liberté donnée aux parents biologiques de refuser de confier leurs enfants à des parents homosexuels. Certains auteurs s’insurgent contre cette possibilité légale en dénonçant une forme saillante de discrimination et de stigmatisation (Downs et James, 2006). Dans le contexte américain, quelques recherches qualitatives ont donné directement la parole aux homoparents afin d’explorer leur propre vécu concernant le déroulement de la procédure adoptive. Selon l’étude de Brooks ans Goldberg (2001), le principal défi rencontré par un groupe de 11 homoparents adoptifs consistait à faire face aux attitudes homophobes des travailleurs sociaux qui mettaient en doute leurs capacités parentales. Des conclusions similaires ont été obtenues par une étude de Matthew et Cramer (2006) qui a étudié l’expérience de 16 parents adoptifs gays. D’après les participants à cette recherche, les travailleurs sociaux cherchaient à les dissuader d’adopter et de déclarer ouvertement leur orientation sexuelle. Ces parents ont ainsi dénoncé une tendance des agences d’adoption à les convaincre d’adopter des enfants plus âgés et avec des besoins spéciaux. Ces agences avançaient l’argument qu’en tant qu’homoparents, ces derniers n’auraient pas beaucoup de chance d’obtenir des enfants plus jeunes. Une autre étude qualitative (Goldberg et al., 2007) sur un groupe de 70 mères adoptives lesbiennes a mis en lumière à quel point leur transition à la parentalité était marquée par d’importantes tensions entre le désir d’accomplir la procédure adoptive sans devoir cacher leur orientation sexuelle et les barrières légales qui les empêchaient d’accomplir leur parcours adoptif. Une recherche conduite par Gianino (2008) a également analysé cette étape du cycle de vie parmi un groupe de 8 pères gays adoptifs. Les participants ont rapporté avoir été confrontés non seulement à de nombreuses barrières institutionnelles, mais aussi à un difficile « remaniement identitaire » dont l’objectif était de construire une image positive de soi-même où l’identité de « gay » et de « parent » pouvaient coexister. Une analyse similaire ressort des travaux de Brown et al. (2009) et de Goldberg (2012). Ces auteurs ont analysé les facteurs de stress de la procédure adoptive. Ils ont porté une attention particulière aux doutes et aux questionnements personnels vécus par les participants avant de pouvoir, enfin, se sentir légitimés dans leur projet homoparental. D’après ces auteurs, le cadre héterosexiste et discriminatoire de la procédure d’adoption avait négativement influencé le bien-être des adoptants et leur cheminement personnel sur la voie de la parentalité.
En Europe, les études psychologiques sur l’homoparentalité adoptive sont très rares (Schneider et Vecho, 2015). À la base de cette pénurie de recherches, il y a une difficulté réelle dans le recrutement de ces familles. Puisque la législation sur l’adoption homoparentale est assez récente, les familles homoparentales sont encore peu nombreuses (ibid.). Un apport important sur cette thématique provient des recherches de Gross (2012). En adoptant une perspective sociologique, cette auteure a étudié les défis auxquels étaient confrontés les homoparents français pendant le parcours d’adoption avant le passage de la loi pour le « Mariage pour tous ». À cette époque, l’impossibilité légale d’adopter conjointement un enfant obligeait les adoptants à entamer leur parcours d’adoption en se faisant passer pour une personne célibataire. Entre les mensonges, l’asymétrie relationnelle et l’interminable période d’attente, cette procédure devenait pour les homoparents un réel « parcours du combattant » (Gross, 2012, p. 136). Dans le contexte belge, il n’existe pas d’études psychologiques spécifiquement axées sur la transition à l’homoparentalité adoptive. C’est pourquoi notre recherche a pour objectif d’explorer ces questions et de proposer des pistes scientifiques.
L’évolution des droits des homosexuels en Belgique et la question « épineuse » de l’adoption homoparentale
La Belgique est aujourd’hui considérée comme l’un des pays européens les plus avant-gardistes et les plus ouverts aux droits des homosexuels (ILGA, 2017). Dans ce pays, les couples du même sexe ont le droit de se marier, d’adopter conjointement des enfants ainsi que d’accéder à des techniques de fécondation médicalement assistée (ibid.). Afin d’analyser spécifiquement la situation de l’adoption homoparentale en Belgique aujourd’hui, il nous semble important d’abord de faire un pas en arrière afin de contextualiser la question et de parcourir brièvement l’évolution des droits des homosexuels dans ce pays. Quelles ont été les principales étapes qui ont mené à la légalisation du mariage et de l’adoption pour les couples de même sexe ? Et quels ont été les enjeux sociopolitiques liés à cette démarche ? Après les Pays-Bas, la Belgique a été le deuxième pays au monde à légaliser le mariage homosexuel. Plus précisément, le 30 Janvier 2003, la Chambre des représentants belges a adopté la « proposition de loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe ». Cette loi avait pour objectif de fournir une réponse à une situation de discrimination dont ces couples faisaient l’objet depuis longtemps déjà. En effet, de nombreux couples de même sexe existaient sans pouvoir bénéficier d’une reconnaissance légale de leurs statuts. Cette loi a marqué un pas important vers la reconnaissance des droits de la population LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres). Néanmoins, elle présentait un nombre important de limites et de lacunes. Premièrement, elle interdisait l’union entre des citoyens provenant d’un pays qui ne reconnaissait pas le mariage homosexuel. Cet obstacle a été rapidement levé grâce à la substitution du critère de nationalité par celui de résidence. Deuxièmement, la thématique de la parentalité n’était pas réellement abordée et restait pratiquement en suspens. En effet, cette loi ne permettait pas de régler la filiation des couples de même sexe et interdisait ainsi l’adoption homoparentale. Cette question a été règlementée en 2006 quand la Belgique a été témoin d’un débat politique controversé qui s’est étalé sur plus de huit mois. Ce débat a débouché sur l’ouverture officielle du droit à l’adoption conjointe pour les couples de même sexe. Dans le sillage des controverses politiques, on a assisté à deux manifestations contre l’adoption homoparentale. La première, appelée la « Marche pour la famille », a été promue par des groupes qui soutiennent une idéologie chrétienne (notamment les évêques de Belgique, des enseignants de l’Université Catholique de Louvain, les chrétiens-démocrates francophones). La deuxième manifestation, organisée par le collectif « Papa, maman et moi », réunissait davantage de groupes de l’extrême droite. Parallèlement, de nombreuses associations LGBT se sont aussi mobilisées pour faire valoir leurs droits à « faire famille ». Les réactions à cette vague de manifestations ont été contrastées et contradictoires : l’opinion publique et les acteurs politiques restaient fortement divisés sur la question. Finalement, le 18 mai 2006, le Parlement a adopté la loi sur l’adoption homosexuelle[1] par un vote très serré de 34 voix « pour », 33 « contre » et 2 « abstentions » (Herbrand, 2006). Quelles étaient les raisons d’une telle résistance tant parmi les parlementaires qu’au sein de la société civile ? En résumé, le débat semblait s’organiser autour de l’opposition entre « le droit de l’enfant », défendu par la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, et le « droit à l’enfant » réclamé par les homosexuels et les sympathisants (ibid.). Concrètement, ces questions abordaient les arguments suivants : y va-t-il de l’intérêt de l’enfant adopté d’être placé chez des parents homosexuels ? Si l’enfant adopté est déjà fragilisé par son abandon parental biologique, n’est-il pas dangereux de le placer dans une famille sujette à la singularisation et à la stigmatisation sociale ? D’un autre côté, y va-t-il de l’intérêt de l’enfant de ne pas être adopté du tout et de se retrouver sans figure parentale, et ce, quelle que soit cette figure ? Déjà à l’époque de l’adoption de la loi, un certain nombre d’études offraient des résultats encourageants en démontrant que les couples de même sexe pouvaient représenter d’importantes ressources en tant que familles adoptives, notamment parce qu’elles sont plus disposées que les hétérosexuels à adopter des enfants qui ont des besoins spéciaux (Brooks et Goldberg, 2001 ; Alcalay et al., 2001 ; Brodzinsky et al., 2002). Par ailleurs, comme souligné par Howard et Freundlich (2008), accroître les possibilités d’adoption signifie, aussi, diminuer le nombre d’enfants qui doivent vivre une grande partie de leur enfance dans les orphelinats aux conditions de vie potentiellement plus difficiles. L’adoption homoparentale aurait donc pu aider à prévenir les conséquences négatives à long terme d’un tel type de parcours. En dehors de l’enfant lui-même, les parents homosexuels ont eux aussi des droits : ils peuvent prétendre légitimement à une famille et à une parentalité. À plus forte raison, le fait d’affirmer que ces familles n’offriraient pas un contexte familial adapté à l’enfant du fait de l’orientation sexuelle des parents laisse soulève des doutes quant à la nature homophobe d’un tel propos. En bref, les enjeux de ces questions étaient évidemment multiples ; ils relevaient de l’enfant, des parents, des stéréotypes de l’opinion publique et de notre perception de la famille traditionnelle.
Le Processus d’adoption interne en Belgique
Avant d’analyser spécifiquement les enjeux de l’adoption homoparentale en Belgique, il nous semble important de fournir une description du processus d’adoption tel qu’il est proposé à tout candidat-adoptant. En particulier, nous allons décrire le processus d’adoption interne du moment que tous les participants à cette recherche ont adopté leurs enfants selon ce processus.
La procédure d’adoption interne se compose de plusieurs étapes[2]. En premier lieu, tous les candidats à l’adoption sont tenus de participer à un cycle de préparation. Ce dernier se compose de trois séances collectives d’information, trois séances de sensibilisation et un entretien individuel facultatif de sensibilisation. À la fin du cycle de préparation, les candidats à l’adoption se voient délivrer un « certificat de préparation » avec lequel ils peuvent adresser à un organisme agrée en matière d’adoption (OAA) une demande de recevabilité de leur candidature. Si la candidature est recevable, l’étape suivante consiste en un examen psychomédicosocial effectué par l’OAA. Si une décision favorable est prise, les candidats à l’adoption signent une convention et sont placés sur une liste d’attente. Par la suite, les OAA procèdent à la « phase d’apparentement » au cours de laquelle ils proposent un enfant à la famille adoptive. Dès que l’enfant rejoint la famille, le Tribunal de la famille intervient pour le jugement d’adoption et ordonne une enquête sociale sur l’attitude des adoptants. À ce stade, bien que l’enfant ait la plupart du temps déjà été confié à la famille adoptive, il reste pendant six mois sous la tutelle légale des parents de naissance (ou des tuteurs légaux). Ces derniers ont donc le droit de revenir sur leur décision dans un certain délai. C’est seulement après vérification du consentement des parents de naissance que l’adoption est finalement prononcée par le juge. Une fois que la procédure a abouti, le couple entame un « suivi post-adoptif » qui comporte des entretiens et des visites à domicile afin de soutenir l’intégration de l’enfant dans la famille et de l’accompagner en cas de difficultés. Par la suite, le couple peut demander un parcours ultérieur d’« accompagnement post-adoptif » à l’un des OAA.
Les obstacles rencontrés par les couples de même sexe
Bien que la procédure d’adoption soit théoriquement la même pour tout candidat à l’adoption, les couples de même sexe semblent dans la pratique avoir moins de chances de voir leur projet d’adoption aboutir. En effet, bien que la loi de 2006 ait levé l’exclusion injustifiée des couples homosexuels, le nombre d’adoptions homoparentales reste très faible. Selon une statistique du service public fédéral Justice[3], 48 adoptions par des couples de même sexe ont été recensées entre 2006 et 2014 sur un total de 6435 adoptions. Par ailleurs, la distribution de ces 48 adoptions se voit aussi sujette à une significative disparité entre les régions. En effet, la majeure partie des adoptions se retrouve en région néerlandophone, soit exactement 36, pour seulement 12 en région à la fois francophone et germanophone.
Quelles sont concrètement les barrières auxquelles sont confrontés les couples de même sexe candidats à l’adoption ? Selon une récente recherche (Striges 2017), c’est l’étape de la demande de recevabilité, celle où les candidats homosexuels se trouvent concrètement confrontés à la faible probabilité de voir leur projet aboutir. À ce stade, les couples de même sexe se heurtent effectivement à un plus fort taux de refus en comparaison aux couples hétérosexuels. La disparité du niveau de recevabilité en fonction de la structure familiale des candidats à l’adoption s’explique par un système de quotas annuels établi préalablement par l’institution. Ces quotas sont calculés sur la base du taux de refus catégoriques des parents de naissance de confier leurs enfants à un couple de même sexe. En effet, le système d’adoption belge prévoit que les parents de naissance puissent choisir le type de famille à laquelle confier leurs enfants. Plus précisément, la convention de La Haye à laquelle la Belgique adhère depuis 2005 établit, entre autres, que les parents de naissance doivent avoir donné leur consentement (art. 4C et 4 d) et avoir été conseillés et informés dans la démarche d’adoption (art 5 d). Selon les données fournies par Striges (2017), 80 % des parents de naissance n’accepteraient pas de confier leur enfant à un couple de même sexe. Sur la base de ce taux de refus, l’institution envisage alors de confier seulement 20 % des enfants adoptables en interne à des couples de même sexe. Ce système de quotas est motivé par la volonté d’éviter que les parents de naissance puissent revenir sur leur décision et entretenir de faux espoirs chez les candidats adoptants. Malgré les bonnes intentions de l’institution, une telle politique ne manque pas de susciter des questions et des mécontentements parmi les couples de même sexe en raison de son pouvoir potentiellement discriminatoire. Par ailleurs, il faut considérer qu’il n’est pas toujours voire rarement légal qu’un couple homosexuel puisse adopter un enfant dans certains pays du monde. Certains pays stipulent explicitement qu’ils ne veulent pas voir leurs enfants confiés à des parents homosexuels. De tels parents se trouvent alors dans l’impossibilité de se voir confier un enfant à l’étranger et reposent presque toutes leurs espoirs sur la faible probabilité de réussite du projet d’adoption interne. L’adoption homoparentale reste un processus complexe du fait des représentations sociales ou des barrières institutionnelles qui empêchent les parents homosexuels d’adopter. Afin d’apporter davantage d’éclaircissement sur ce sujet, nous allons dans le présent article analyser les enjeux de l’adoption homoparentale en donnant directement la parole à la première génération de parents adoptifs homosexuels résidant en Belgique.
MÉTHODOLOGIE
Questions de recherche
Le présent article vise à répondre aux questions de recherche suivantes :
1. Quels sont les principaux facteurs de stress rencontrés par les couples de même sexe pendant le processus d’adoption en Belgique ?
2. Quels sont les difficultés et les besoins ressentis par ces parents après l’adoption ?
Participants
L’échantillon se compose de 14 parents adoptifs gays (soit 7 couples) de genre masculin résidants en Belgique francophone avec des enfants âgés entre 3 et 7 ans. L’âge des participants oscille entre 33 et 50 ans (m = 41,5). L’ensemble des couples a une reconnaissance légale de leur union : 6 couples sont mariés et 1 couple présente le statut de cohabitant légal[4]. Ils ont tous obtenu leurs enfants respectifs par une adoption conjointe nationale et plénière.
Recrutement et sélection des participants
Le recrutement s’est fait par un OAA et une association LGBT qui ont envoyé aux participants une lettre d’invitation avec une description détaillée de notre recherche. Les parents qui acceptaient de participer ont été renvoyés sur Survey Monkey où ils ont rempli un formulaire de préinscription qui comprenait des informations sur l’orientation sexuelle du couple, la composition familiale et une adresse de contact. Par la suite, ils ont été contactés par la chercheuse responsable pour participer à un entretien qualitatif s’ils répondaient aux critères suivants : être un couple de même sexe ayant adopté un ou plusieurs enfants (âgés de 1 à 18 ans) via une procédure d’adoption réalisée en Belgique ; ne pas avoir un lien biologique avec leur(s) enfant(s) ; être toujours en couple au moment de l’entretien. Nous avons reçu un total de 55 réponses au formulaire de préinscription. Seulement 14 parents répondaient aux critères de participation et ont donc été contactés pour participer à l’entretien. Le recrutement a eu lieu entre novembre 2014 et juin 2016.
Procédures d’interview
Chaque couple a participé à un entretien dyadique axé sur l’expérience de l’adoption. Tous les entretiens ont été réalisés par la chercheuse responsable au domicile familial et intégralement enregistrés par caméra vidéo. Les participants ont rempli un formulaire de consentement éclairé et l’anonymat des données a été assuré. Les entretiens ont duré entre 1 h 30 et 2 h 30 en fonction de la quantité d’information fournie par les participants. Le projet de recherche a reçu un certificat éthique de l’Université libre de Bruxelles. La grille d’entretien prévoyait des questions ouvertes et non directives qui se sont affinées et précisées au fur et à mesure des entretiens et sur la base des thématiques émergentes de la discussion. Plus précisément, les domaines suivants ont été explorés :
1. L’expérience du parcours d’adoption (Comment ça s’est passé le parcours d’adoption ? Quels ont été les principaux facteurs de stress ? Pensez-vous que ces derniers sont communs à toute famille adoptive ou sont spécifiques aux familles homoparentales ? Avez-vous rencontré des formes de discrimination liées à votre orientation sexuelle tout au long du processus ?)
2. L’arrivée de l’enfant dans la famille et la famille aujourd’hui (Comment s’est passée l’arrivée de l’enfant dans votre famille ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Quels sont les principaux défis que vous rencontrez en tant que famille adoptive homoparentale ?)
3. Bilan de l’expérience vécue, conseils, pistes d’amélioration (Pensez-vous avoir été convenablement préparés pendant le parcours d’adoption aux défis que vous êtes amenés à vivre au quotidien ? À la lumière de votre expérience, pensez-vous que la procédure adoptive devrait être améliorée ? Si oui, comment ?).
Analyse des données
Les entretiens ont été analysés selon une approche thématique inductive afin d’extrapoler des thématiques clefs à partir des discours des participants. L’analyse des données a été organisée en trois parties : une première analyse réalisée par les auteurs ; un test de fiabilité scientifique accompli par un groupe de juges indépendants ; une dernière phase de révision et de discussion pour arriver à un accord final entre les auteurs et les juges.
La première analyse des données réalisée a suivi le modèle séquentiel de Braun et Clarke (2006). Nous avons d’abord retranscrit entièrement les entretiens verbatim. Ensuite, nous avons relu plusieurs fois les retranscriptions dans le but de nous familiariser avec le matériel de recherche, de nous faire une première idée des thématiques prépondérantes et des relations entre elles. Nous avons par la suite séquencé le verbatim en unité de sens en créant un premier système de codage des données. Le codage a été réalisé par papier-crayon en prenant des notes à côté du texte et selon le « principe d’induction ». Ensuite, nous avons procédé en triant et rassemblant les codes de façon hiérarchique afin de créer une liste de thèmes principaux et de sous-thèmes. Nous avons revu ces thèmes en vérifiant si chacun d’eux constituait un modèle thématique cohérent. Ce processus de révision a impliqué une phase de « découpage » des thèmes émergés et une réorganisation de ces derniers jusqu’à obtenir une carte cohérente des thèmes et des sous thèmes. Ces phases de recherche et révision de thèmes ont été guidées par le « principe de saturation » (Glaser et Strauss, 1967), c’est-à-dire que nous avons procédé à la création de thématiques jusqu’à l’épuisement d’informations supplémentaires susceptibles de constituer de nouvelles thématiques et d’enrichir ultérieurement la théorie émergente. Par la suite, nous avons nommé l’ensemble des thèmes et sous-thèmes avec des noms simples, concis et efficaces qui permettaient d’avoir une description complète de notre matériel de recherche. Cette première grande phase de notre analyse s’est conclue avec la production d’un premier rapport de recherche qui permettait d’expliquer avec des exemples verbatim la grille thématique et de codage émergée par l’analyse des données.
Le second moment de l’analyse a consisté en un test de fiabilité scientifique. Dans cette perspective, une sélection aléatoire d’entretiens a été soumise à une validité interjuge. Les entretiens ont été soumis à 7 chercheurs différents dont la tâche était de coder les données selon la grille thématique issue de la précédente analyse des données. Durant cette étape, chaque chercheur était impliqué dans un processus d’analyse indépendant des données afin de vérifier la fiabilité de la grille de codage fournie par les auteurs.
Dans un troisième temps, l’analyse effectuée par les juges et par les auteurs a fait l’objet d’une discussion en groupe. Quand des divergences d’opinions sont apparues, elles ont été résolues à travers une réflexion et une confrontation d’idées qui ont permis de préciser et de mieux définir les thématiques émergées. Enfin, malgré la différence des chercheurs, nous avons obtenu un consensus complet tant sur les sous-thèmes que sur le regroupement des thématiques principales.
RÉSULTATS
Les barrières et facteurs de stress rencontrés pendant la procédure d’adoption
« Gay quota » : une mesure pour limiter l’adoption homoparentale ?
Lorsque les candidats homosexuels arrivent à l’aboutissement du parcours d’adoption, ils se considèrent comme très chanceux. Ils perçoivent et décrivent le chemin parcouru comme une route parsemée d’embûches. La difficulté du processus d’adoption repose sur le quota maximum annuel des adoptions homoparentales. D’après les participants à cette recherche, cette limitation représenterait un grand obstacle à l’adoption homoparentale. La presque totalité des participants à cette étude a affirmé s’être retrouvée face à des travailleurs sociaux dont l’objectif semblait être de les pousser à l’abandon. Les statistiques leur étaient présentées en soulignant le taux de réussite très faible des projets d’adoption homoparentale. D’après les participants, cette approche dissuasive crée d’une part un doute sur le projet : le risque que des perceptions discriminantes naissent à l’endroit des parents quand bien même ces derniers obtiendraient un enfant à la fin du processus. D’autre part, cette approche démotive les candidats homosexuels et suscite des réactions d’impuissance vis-à-vis d’un projet qui tient presque du rêve et qui semble irréalisable.
Marc, 37 ans, père adoptif d’un enfant de 3 ans, a expliqué en détail cette réalité :
« À l’époque, il y avait une sorte de quota officiel qui était 25 couples par an (…) Donc sur les 25, ils sont limités à 4 couples homos. Et il y en avait déjà 3 quand on a commencé (…) Donc, on a fait les trois séances d’information où on nous explique : couple hétéro, c’est 80 % des adoptions… ne vous faites pas trop d’illusions, effectivement, il n’y a aucune chance que vous adoptiez (…) je trouve ça injuste, extrêmement discriminant, c’est comme dire les blancs ont 90 % de possibilités, puis les noirs les 10 % qui restent... c’est à peu près ça en fait ».
Le discours de Marc et le ton émotif de sa narration étaient empreints d’un profond sentiment d’injustice, de discrimination et de déception. Marc et les autres parents interviewés décrivent ce quota comme une « discrimination violente et inadmissible » envers les homoparents. Ils reprochent aux agences d’adoption de n’avoir pas la volonté d’ouvrir totalement les portes à l’adoption homoparentale. Selon les participants, ce quota cacherait des croyances hétéronormatives selon lesquelles la structure familiale traditionnelle resterait pratiquement la plus souhaitable ainsi que la plus adaptée pour un enfant indépendamment des compétences parentales des adoptants.
L’« aval » des parents biologiques : une forme de « discrimination voilée » ?
La quasi-unanimité des interviewés a abordé la thématique du choix des parents biologiques à autoriser l’adoption ou non de leurs enfants à des parents homosexuels. Dans la législation belge, les parents d’origine ont le droit de choisir le type de famille dans laquelle ils voudraient que leur enfant soit inséré. En pratique, la majeure partie des parents biologiques refusent de confier leurs enfants à des couples de même sexe. Les mentalités restent tenaces et semblent toujours imprégnées de stéréotypes négatifs sur l’homoparentalité et l’homosexualité. Si l’ouverture à l’homoparentalité semble idéologique, la personnalisation de la question risque de transformer un doute infime ou un stéréotype en un simple rejet de la possibilité de confier son enfant à un couple homosexuel. Les adoptants s’insurgent contre une telle liberté de choix. Si devant la loi les familles homoparentales et hétéroparentales sont égales, pour quelle raison l’orientation sexuelle peut-elle devenir un critère d’exclusion de la sélection adoptive ? Cette possibilité de choix ne dissimulerait-elle pas simplement une autre forme de discrimination des futurs adoptants de la part des services d’adoption ? De leurs côtés, les agences affirment tenter de développer le meilleur cadre pour favoriser une transition entre le parent biologique et l’adoptant. Selon les participants, cet argument dissimulerait une volonté de l’institution de freiner l’adoption homoparentale en l’attribuant pourtant à un tiers injoignable : le parent d’origine.
Gilles, 38 ans, a témoigné avoir été fortement démotivé par les travailleurs sociaux sous le prétexte qu’il est difficile d’avoir l’aval des mères :
« Elle disait : malheureusement, spontanément très peu de familles d’origine choisissent un couple d’hommes… et donc, voilà, vous vous rendez compte avec le pourcentage qu’on accepte sur la liste, les parents biologiques qui ne vont pas spécialement dans ce sens-là, ça va être très long et très compliqué pour vous… ».
Tout au long de l’entretien, Gilles a ainsi témoigné avec véhémence son désaccord avec cette pratique qui permet aux parents biologiques d’avoir le dernier mot :
« C’est fou, pratiquement ils demandent aux mères de naissance : êtes-vous d’accord de confier votre enfant à un couple homosexuel ? Il est clair que dans la plupart de cas elles diront non. Les gens préfèrent éviter des situations insolites…ils ne devraient pas spécialement spécifier l’orientation sexuelle comme critère… si légalement nous on peut adopter, on est une famille, pourquoi souligner ça ?… ils ne font qu’incrémenter la discrimination en fait…les parents de naissance ne devraient pas avoir autant de pouvoir. Ils décident de confier leur enfant à l’adoption, stop. Ils ne doivent pas avoir le pouvoir de limiter les possibilités des adoptants sur la base de leurs préconcepts. Pour moi ben c’est un prétexte, une excuse pour dire ben voilà c’est à cause des mères de naissance que vous ne pouvez pas adopter, ce n’est pas notre faute »
À travers le témoignage de Gilles, on peut percevoir à quel point cette réalité représente l’un des principaux facteurs liés au stress et à la discrimination perçus par les candidats homosexuels. L’argument du refus des familles d’origine semble une forme de discrimination « indirecte et voilée » derrière laquelle les organismes d’adoption se cacheraient pour ne pas assumer la responsabilité du faible nombre d’adoptions homoparentales. Cette thématique de la famille d’origine est épineuse, controversée, et teintée d’une signification symbolique profonde. En effet, attribuer autant d’importance aux parents d’origine de l’enfant a deux implications importantes. Premièrement, cela revient à privilégier la suprématie du « lien de sang » et de la « lignée de sang » avec le risque d’éveiller des sentiments de menace et d’infériorité chez les adoptants. De plus, cela veut dire soumettre symboliquement l’homoparentalité à l’hétéroparentalité en soulignant le fait que pour devenir homoparents il est nécessaire d’être légitimé par un contexte hétéronormatif.
Les acteurs sociaux : entre intrusion, jugement et hétéronormativité
La presque totalité des parents interviewés a perçu les interactions avec les acteurs sociaux comme des moments de jugement et de mise à l’épreuve teintés souvent par des propos hétéronormatifs. Parmi les participants, un seul couple a reconnu avoir eu une expérience globalement positive et ne pas avoir été victime de stéréotypes ou de discriminations.
En ce qui concerne les visites des assistantes sociales, elles ont été décrites comme intrusives, critiques et envahissantes. De l’avis des homoparents, les travailleurs sociaux semblaient être souvent à la recherche d’un prétexte pour confirmer leurs stéréotypes selon lesquels la meilleure forme de famille possible est celle fondée sur la biparentalité et sur la différence de sexes entre les partenaires. Un homme serait, par exemple, moins adéquat à produire efficacement les tâches domestiques qu’une femme.
Jérémy, 33 ans, a raconté avec une certaine indignation son expérience :
« Elle (l’assistante sociale) nous a dit : ce n’est pas assez propre, comment vous allez faire le jour où vous aurez un enfant ? Il n’y a pas de femme de ménage ici ? Comme si le fait qu’il n’y avait pas une femme à la maison signifiait que ça allait être sale, qu’on ne savait pas s’occuper du ménage, car on est deux hommes… alors que j’y fais toujours attention… il y a toujours des stéréotypes des préjugés liés au fait qu’on est deux hommes ».
Les expériences des participants dans leurs interactions avec les psychologues étaient aussi principalement négatives. Par exemple, avant ou après les entretiens psychologiques, les parents sont souvent restés anxieux par rapport à ces rencontres. Longtemps après les rencontres, ils ont continué de ruminer et de s’interroger sur ce qu’aurait été la manière la plus adaptée de répondre aux attentes des psychologues, mais aussi comment mieux faire face au prochain rendez-vous. Entre les parents, les propos inquisiteurs et culpabilisants fusent durant l’attente, et leur stress augmente.
Marc, 37 ans, et son mari Pierre, 38 ans, ont raconté avec vive émotion le stress et l’anxiété vécus à la suite des investigations psychologiques :
« Je le vois encore à la fin de ces entretiens : mais pourquoi tu as dit ça ? Mais est-ce qu’on a bien répondu ? Mais non, c’était bien… Comme si on venait de passer un examen et qu’on comparait un peu les réponses… on s’est mis énormément de pression à ce moment-là... ».
D’après les participants, l’un des aspects les plus difficiles est le fait que ces entretiens mettent souvent en lumière les carences potentielles auxquelles les enfants pourraient être confrontés en étant adoptés par deux parents du même sexe. Dans certains cas, ceci a eu l’effet de décourager les parents concernant leur projet parental. Par exemple, Vincent, 39 ans, a expliqué avec une grande amertume son expérience :
« Elle nous disait : vous vous rendez compte que si vous adoptez un enfant vous allez le priver du droit d’avoir une mère ? En fait, son discours était souvent axé sur le manque plutôt que sur ce que nous aurions pu apporter, et ça nous a fait questionner beaucoup. »
Pour Vincent et son mari, ce genre d’interactions avec les psychologues a été très difficile, source de doutes et de tensions toujours vives et présentes dans leur esprit.
« Et si on est un couple homo ? » : Le parcours pré et post adoption ne donne pas des repères sur la situation homoparentale
Malgré toute la difficulté du processus, la majorité des participants définit le parcours de la préparation à l’adoption comme une bonne occasion pour réfléchir et pour faire murir leur projet de parentalité. En même temps, le parcours de pré-adoption est décrit comme ayant été simplement et indubitablement construit pour les familles hétéroparentales et dans une optique épistémologique hétérocentrée. Plus précisément, les participants ont dénoncé un manque de repères sur l’homoparentalité de la part des intervenants psychosociaux. D’après les participants, le bagage théorique et pratique des professionnels était lacunaire et ne permettait pas de les accompagner de manière appropriée.
Didier, 40 ans, a expliqué :
« Certaines d’entre elles étaient complètement à côté du sujet en ce qui concerne tout ce qui est homoparentalité… elles ne s’y connaissaient pas, elles abordaient des sujets maladroitement, ou posaient des questions pleines de clichées… on sentait qu’il manquait vachement une réflexion sur tout ce qui est homoparentalité…parfois après les séances on se demandait : ok, et si on est un couple homo ? ».
Ainsi selon le témoignage de Didier, qu’il s’agisse des questions, de l’orientation des thématiques ou encore de la prise en compte des exigences parentales, l’ensemble de ces éléments ne prend pas en compte la spécificité de la situation homoparentale. Cette démarche porte possiblement sur une volonté des organismes d’adoption de placer les parents homosexuels sur un pied d’égalité par rapport aux couples hétérosexuels. Néanmoins, cette volonté positive de ne pas discriminer les homoparents risque de ne pas laisser de place à une réflexion propre à cette situation d’adoption en supposant in fine, indirectement, une autre forme de discrimination.
Pascal, 41 ans, l’explique clairement :
« Parfois, on a pensé que la préparation a été intéressante, on a réfléchi et tout… mais les intervenants ne cernaient pas, spécialement, les questions de l’homoparentalité. Je crois qu’ils ne savent pas vraiment non plus comment faire, ils ne sont probablement pas vraiment préparés à la question… enfin, on est parmi les premiers couples gays en Belgique et en Europe à avoir adopté… donc, je me dis qu’ils sont peut-être un peu dans le flou, même s’ils se sont conformés à la directive législative ils ne sont pas encore tout à fait prêts… voilà, je trouve que ça devrait être pensé différemment, pour mieux nous préparer, pour nous donner des outils pour faire face à ce qui nous attend après… »
Des remarques similaires ont été exprimées par les participants concernant le suivi post-adoption. D’après eux, il n’offrirait pas concrètement des repères dans le contexte de l’homoparentalité. Après un long parcours d’attente caractérisé par des évaluations intrusives et de rigoureuses mises à l’épreuve, certains parents ont vécu un sentiment de solitude face à des tâches parentales pour lesquelles ils se sentent non préparés. Les parents regrettent de ne pas bénéficier d’un accompagnement au sein des services d’adoption qui puisse répondre à leurs besoins.
Gaël, 38 ans, raconte son expérience :
« Après mille entretiens et investigations… on se retrouve un peu abandonnés… un peu seuls, désarmés quand on est face à l’enfant… En fait, nous n’avons personne vers qui nous tourner une fois que l’enfant est là et qu’on ne comprend pas spécialement ce qui se passe… oui, on sait qu’on peut y retourner si on veut, mais il n’y a rien qui est mis en place pour les homoparents...c’est avec l’expérience, le temps, le bon sens, quelque part… ».
Difficultés et besoins ressentis par les homoparents après l’adoption
Entre un besoin de reconnaissance et une attitude hyperprotectrice
Après un long parcours où la parentalité semblait presque un rêve irréalisable à cause de l’homosexualité, tous les parents interrogés revendiquent le droit de se sentir « une famille comme les autres ». Plus précisément, ils soulignent d’un côté le besoin de se rassurer sur le bon développement de l’enfant ; de l’autre, celui de montrer à l’extérieur que l’enfant est heureux et que ses parents lui offrent une famille « fonctionnelle » et « normale ». Pour ces parents, pouvoir se montrer au grand jour et « être reconnu » en tant que famille représente une sorte de revanche sur tous les obstacles de nature « stigmatisante » ou « hétéronormative » dont ils ont été victimes pendant le parcours d’adoption et, plus largement, dans leur expérience de vie. Les témoignages prétendent démontrer le « bon » développement de l’enfant élevé par des homoparents et affirment le caractère normal de ce type de famille.
Jérôme, 38 ans, note :
« Il y a cette espèce de besoin de prouver qu’on sait réussir en tant que deux pères, qu’il ne faut pas à tout prix une maman, qu’on arrive à combler ce versant maternel… on a besoin de prouver aux gens qu’on sait y faire… c’est important de se sentir reconnu, d’être finalement comme les autres parents… surtout après tout ce qu’on a dû faire pour être pères... on se sent fiers et on a envie que les autres reconnaissent nos efforts ».
Par ailleurs, de nombreux parents ont exprimé une tendance inverse : une attention particulière à protéger leur couple ainsi que leur enfant des « menaces extérieures potentielles ». Plus précisément, les parents disent ne pas pouvoir totalement éviter à leur enfant les regards malveillants, attitudes et commentaires indiscrets qui remettent en question la légitimité de leur famille. Nous pouvons voir un surinvestissement de cette thématique chez les familles adoptives qui ont vécu des formes directes ou indirectes de discrimination tout au long du parcours d’adoption. Le risque pour ces familles est de se construire sur un sentiment d’alerte perpétuelle : comme si elles devaient constamment prévenir toutes formes potentielles de menaces extérieures.
Miran, 33 ans, explique l’attitude d’hyperprotection vis-à-vis de son enfant :
« Après toutes ces difficultés, cette discrimination, une fois qu’il est là, on a juste envie de profiter de notre enfant et on veut le protéger contre toute malveillance parce que, nous, déjà, on a souffert beaucoup et on ne veut pas qu’il souffre aussi… C’est pourquoi on préfère éviter certains endroits ou certaines personnes. Nous nous renfermons un peu, peut-être, mais c’est pour prévenir ».
« Est-ce qu’elle est heureuse avec nous » ? Doutes sur ses propres compétences parentales
D’après les participants, une fois que l’enfant rejoint la famille, ils sont souvent confrontés à des tâches parentales relevant non seulement de l’adoption, mais aussi de l’homosexualité et de la diversité familiale dans laquelle ils se retrouvent. Ainsi, certains parents peuvent se trouver désorientés au sujet de questions et de besoins de leurs enfants auxquels ils ne s’attendaient pas avant l’adoption. Pascal, 38 ans, explique avec une vive émotion son vécu quant aux questionnements de sa fille de 7 ans :
« Je me rappelle quand elle a commencé à dire : “je veux une maman”…elle le disait assez souvent…pour nous, c’était extrêmement difficile. Ça nous faisait des pincements au cœur… On se demandait : pourquoi elle dit ça ? Est-ce qu’elle est heureuse avec nous ? Est-ce qu’elle serait peut-être mieux ailleurs ? Je veux dire, une famille avec une mère, peut être ça aurait été mieux pour elle…ce n’est pas simple quand elle a ce genre de questions, on se sent un peu désarmés quoi… Je crois que si on avait été préparés à s’attendre à ça, quelque part ça aurait été plus facile ».
L’exemple précédent montre à quel point l’absence de repère peut se révéler stressante pour ces parents. Comment répondre ou interpréter certaines questions de l’enfant ? Ce sentiment d’« être désarmés » peut parfois avoir un impact sur la perception que les parents ont de leurs propres compétences en tant que parents homosexuels. Il est possible d’identifier une relation entre ce type de sentiment et le caractère hétéronormatif de la procédure adoptive. En effet, l’homonégativité intériorisée par les adoptants au cours de leurs expériences de vie peut être réactivée par le caractère évaluatif du processus d’adoption. Ces éléments augmentent le risque de croire que les défis ou les difficultés parentales dérivent du fait d’être homosexuels. Pratiquement, un parent hétérosexuel sera simplement mauvais parent s’il présente de mauvaises qualités parentales. S’il s’agit d’un homosexuel, ces mauvaises qualités parentales risquent de prendre appui sur son orientation sexuelle plutôt que sur ses aptitudes parentales. Cette crainte pesante de ne pas fournir à l’enfant un contexte parental suffisamment bon peut devenir profondément culpabilisante et discriminante pour les parents adoptifs. La thématique du devenir parent et de bien exercer son rôle représente un grand défi face au rejet que peut susciter l’homosexualité. Il s’agit d’un défi qui peut, s’il se déroule bien, créer l’espoir d’un sentiment de « normalité ».
Toujours Pascal nous confie ses pensées à cet égard, avec une voix étranglée par l’émotion :
« En fait c’est dur quand elle demande d’avoir une mère…car on se demande…si ce n’est pas un peu notre faute…car quelque parte en étant avec nous elle n’a pas pu avoir une mère….cela me rappelle un peu ce que l’on nous avait dit au tout début, pendant la procédure d’adoption…qu’on aurait privé l’enfant du droit à avoir une mère en fait… »
« Il était une fois un ventre et une graine » : Difficulté à intégrer les parents de naissance dans l’imaginaire familial
De nombreux participants ont manifesté une certaine résistance à parler et à intégrer dans l’imaginaire familial l’origine de l’enfant. Cette difficulté est très répandue chez toute famille adoptive ; néanmoins, elle revêt une signification très précise chez les adoptants homosexuels et peut être en partie liée à la façon dont se déroule la procédure adoptive. Les parents biologiques risquent de représenter une projection menaçante puisqu’ils les renvoient à leur « stérilité phénoménologique » (Delaisi de Parseval, 2000), c’est-à-dire à l’impossibilité biologique pour deux personnes de même sexe d’être géniteur d’un enfant. En voulant faire un parallèle : si avec les adoptants hétérosexuels on parle de « blessure de l’infertilité », avec les adoptants homosexuels on peut parler de « blessure d’illégitimité ». En effet, pour les homoparents, parler de la figure parentale de sexe absent réactiverait les stéréotypes et discriminations relatifs à l’idée que l’enfant a besoin avant tout d’un père ainsi que d’une mère. Dans un monde hétéro-normé, cette thématique est si riche en représentation qu’elle est la plupart du temps scotomisée. Comme indiqué en introduction, le parent biologique avalise dans le système belge le fait de soumettre son enfant à l’adoption homosexuelle, représentant alors symboliquement la première forme d’évaluation discriminante. La représentation de la figure biologique oscille entre une sur-idéalisation et la scotomisation. Dans le premier cas, la figure maternelle manquante est idéalisée puisqu’elle a permis la parentalité. Dans le second, la réactivation des stéréotypes et de la discrimination engendre une scotomisation totale de celle-ci. Précisons que la nette prévalence porte sur le second point. Par ailleurs, si la figure maternelle reste une discussion difficile à avoir, la thématique du père est complètement absente du discours des participants. De fait, la mère de naissance est décrite souvent avec des labels à connotation « humaine » (e.g. « dame qui a porté l’enfant », « mère biologique »), tandis que le père est toujours réduit à une « graine » dont la fonction est purement procréative.
Par exemple, pendant l’entretien, Christophe, 33 ans, et Guy, 38 ans, discutent au sujet des parents de naissance de leur enfant. Ils ont deux positions et deux attitudes divergentes sur ce sujet.
Christophe : « Ses parents de naissance ? ! Mmm… la mère… en effet, on n’aime pas trop parler d’elle, elle appartient au passé, puis, je ne sais pas si on peut vraiment la définir “une mère”... et son père, on n’y pense pas, il n’existe pas pour nous… C’est juste une graine, en fait… Il y a cette idée de base qu’il faut nécessairement une mère et un père, mais non… je ne crois pas. C’est nous ses parents, il ne faut pas non plus en parler trop… Et puis cette femme, je dirais que c’était plutôt un ventre, en fait, une femme qui l’a porté, pas plus, elle l’a abandonné finalement… ».
Guy : « Oui, mais c’est vrai aussi que si elle n’avait pas dit “ok” pour que Vincent soit adopté par un couple d’hommes, probablement, on ne serait pas pères aujourd’hui… Je veux dire, quelque part je suis quand même reconnaissant qu’elle ait accepté que ça soit nous, qu’elle ait eu cette ouverture d’esprit… »
Christophe : « Bah, mais on ne doit pas non plus lui dire merci car on est homo, quoi… Je veux dire merci de l’aval, mais au final, c’est elle – une mère – qui a abandonné son enfant, et nous – un couple homo – on l’a adopté quoi… C’est notre droit d’être ses parents ».
Discussion
Cette recherche a été conçue afin d’explorer le vécu subjectif de la première génération des familles homoparentales ayant adopté un enfant en Belgique francophone. Pionnière dans le contexte belge et unique dans le champ disciplinaire psychologique, cette recherche a investigué les enjeux de la transition de la parentalité adoptive dans le cas des familles homoparentales. Dans un souci d’exhaustivité, nous avons intégré les variables législatives de l’adoption relatives au contexte belge. En effet, le contexte sociolégislatif ne peut être sous-estimé et doit être intégré dans la réflexion psychologique afin de comprendre le cadre initial qui détermine et structure la modalité d’accès à la parentalité adoptive (Goldberg 2012). Dans le prolongement d’études précédentes (Downs et James, 2006 ; Goldberg 2012), notre recherche a mis en lumière le fait que les adoptants homosexuels sont confrontés à de nombreux facteurs de stress tout au long du processus d’adoption. Les témoignages des participants montrent à quel point vouloir adopter en étant un couple de même sexe reste une démarche difficilement réalisable en Belgique, et ce, malgré les dispositions législatives apparemment non discriminantes existantes. Quand bien même les candidats y parviendraient, le chemin pour y arriver est long, ardu et semé d’embûches. Les parents adoptants nous racontent des récits riches en émotions où est mis en lumière un processus d’adoption résumé sous le signe d’un sentiment négatif et pesant. Une foule d’émotion se mêle entre le vécu discriminatoire, le manque de repères, le jugement et la longueur qui ne font qu’embrouiller le projet déjà complexe de l’adoption. D’après les participants à cette recherche, différentes barrières s’interposent à la réalisation du projet parentale. Premièrement, un nombre maximum d’adoptions gay par an vient rappeler aux candidats homosexuels que leur désir d’adopter un enfant est légitime, mais dans une mesure limitée. Comme s’il s’agissait d’un phénomène à surveiller. Cet aspect confirme les résultats des recherches précédentes (Goldberg, 2012 ; Ryan et Brown, 2011). Deuxièmement, les parents de naissance des enfants conservent le dernier mot quant à la possibilité de confier leurs enfants à des couples de même sexe. En accord avec de précédentes études (Goldberg, 2012), cet aspect est perçu comme très discriminant par les parents qui doivent passer non seulement par l’aval des organismes d’adoption, mais aussi par celui des parents de naissance de leur enfant. Il nous semble possible que le risque de scotomisation des parents biologiques puisse être soutenu par ce choix accordé à ces derniers. En effet, si intégrer les parents de naissance dans l’imaginaire familial est un défi propre à toute famille adoptive (Seywert et Kaufmann, 1998), cela revêt une signification symbolique particulière chez les couples de même sexe. Les parents de naissance renvoient à l’« aval hetérosexiste » à travers lequel les homoparents sont obligés de passer pour voir aboutir leur projet parental. En conséquence, suite à l’aboutissement de la procédure, les adoptants peuvent avoir tendance à « reléguer aux oubliettes" les origines de l’enfant en les privant de toute connotation affective afin de déclarer- in fine- la prédominance du « lien de cœur » sur le « lien de sang ».
D’autre part, d’après les adoptants homosexuels, le côté intrusif des visites des assistantes sociales et l’aspect évaluatif des entretiens psychologiques se « colorent » d’une connotation hétéronormative et stéréotypée. De plus, un manque de connaissance concernant les enjeux de l’homoparentalité ne permettrait pas d’offrir à ces parents un suivi « pré » et « post » adoptif répondant à leurs besoins spécifiques. Ce dernier aspect est en ligne avec des recherches récentes qui ont souligné les difficultés et le manque de repères des psychologues et des intervenants sociaux en ce qui a trait aux thématiques liées à l’homosexualité et à l’homoparentalité (Scali et D’Amore, 2015 ; D’Amore et al., 2013).
Le tableau qui ressort de l’analyse de données semble mettre en évidence d’importantes limites au sujet de l’adoption homoparentale.
Néanmoins, l’interprétation de ces résultats doit être considérée avec précaution. En effet, il est impératif de souligner que nos résultats représentent exclusivement le point de vue des parents. Les données n’offrent donc qu’une image subjective des destinataires du parcours d’adoption. Face au stress minoritaire (Green et Mitchell, 2008 ; Meyer, 2003) et aux défis propres au parcours d’adoption, les homoparents pourraient avoir tendance à facilement interpréter certaines démarches des acteurs sociaux comme une expression de discrimination, d’hétérosexisme ou d’homophobie. Selon la littérature, le stigmate social intériorisé joue un rôle important dans la façon dont les homosexuels lisent et interprètent la réalité (Lingiardi, 2007 ; Messina et al., 2013). Dans cette perspective, il n’est pas impossible d’imaginer que les expériences antérieures et intériorisées de discrimination pourraient déterminer une tendance à surestimer l’impact discriminatoire du processus d’adoption. D’ailleurs, malgré les limites proposées au sujet du parcours adoption, ce dernier présente pourtant des points forts. En effet, la Belgique a été l’un des premiers pays du monde à s’ouvrir à cette nouvelle réalité familiale. En tant que pays pionnier et à un moment où il n’existait que très peu de repères scientifiques sur cette thématique de l’adoption homoparentale, les intervenants psychosociaux ont fait preuve d’une grande ouverture d’esprit, d’innovation et de flexibilité. Par ailleurs, la démarche mise en place par les OAA belges présente deux grands atouts qui s’avèrent pratiquement inestimables : la possibilité d’adopter des enfants en très bas âge et la transparence qui caractérise tout le processus adoptif. En effet, dans la plupart des pays qui s’ouvrent à l’adoption homoparentale, les couples homosexuels ne peuvent adopter que des enfants plus âgés ou avec des besoins spéciaux (Brooks et Goldberg, 2001 ; Brodzinsky et al., 2002). Pratiquement, il s’agit d’enfants que les couples hétérosexuels ne veulent pas adopter (Alcalay et al, 2001). De plus, dans d’autres pays, les couples de même sexe sont souvent obligés d’entamer une procédure d’adoption en tant que supposés célibataires (Goldberg, 2012 ; Gross, 2012 ; Messina, D’Amore, 2018). Cette situation les pousse à mentir sur leur orientation sexuelle ainsi que sur leur structure familiale qui accueillera l’enfant (ibid.) En regard des autres pays européens et du reste du monde, la Belgique offre la perspective d’adopter des enfants dans les mêmes conditions de transparence que les hétérosexuels en pouvant bénéficier d’un suivi professionnel tout au long du processus. Par ailleurs, si la procédure d’adoption belge présente des éléments intéressants, de nombreux pas restent encore à faire. À la lumière des expériences subjectives des participants de cette étude, nous pouvons postuler des pistes d’amélioration au sujet du parcours d’adoption des familles homoparentales. Selon nous, deux aspects clefs de cette démarche reposent sur la sensibilisation et la formation. D’abord, promouvoir la sensibilisation des intervenants psychosociaux permettrait une potentielle modification de leurs représentations et attitudes vis-à-vis de l’homoparentalité. Ce serait l'un des premiers pas intéressants pour améliorer l’interaction des intervenants pendant leur pratique professionnelle avec les homoparents. Ensuite, il semble nécessaire de renforcer la formation des acteurs sociaux concernant le cycle de vie des familles adoptives homoparentales. Ces démarches permettraient de construire un processus d’accompagnement plus efficace, axé sur la compréhension des besoins tant des parents homosexuels que des enfants adoptés.
Parmi les limites de notre recherche, nous devons mettre en évidence le faible nombre de participants. En effet, le recrutement est extrêmement difficile soit pour des raisons de confidentialité mises en avant par les organismes d’adoption, soit pour des réticences manifestées de la part des adoptants. Par ailleurs, dans une optique de recherche future, il serait envisageable de donner la parole aux travailleurs sociaux impliqués dans le processus d’adoption. Connaitre leur position concernant les aspects décrits dans le présent article permettrait de construire une compréhension plus approfondie du phénomène d’interaction.
Conclusion
La présente recherche a porté sur l’expérience de l’adoption telle qu’elle a été vécue par la première génération des parents homosexuels résidants en Belgique. À la lumière des résultats obtenus, nous pouvons conclure que beaucoup reste encore à faire concernant la procédure d’adoption homoparentale. Accompagner les minorités sexuelles lors de la transition à la parentalité implique la nécessité de dépasser toutes préconceptions de la famille, du couple et de la filiation : porter de « nouveaux regards » qui permettent de saisir l’inéluctable richesse et l’unicité dont ces nouvelles géométries familiales sont dépositaires. Nous espérons que les acteurs sociaux et les services d’adoption soient particulièrement attentifs à ces éléments et puissent, à la recherche d’améliorations continues, les intégrer dans leur pratique professionnelle. Ceci est fondamental non seulement pour améliorer l’expérience des futurs homoparents adoptifs, mais aussi, et surtout, dans l’intérêt des enfants qui seront de plus en plus nombreux à être accueillis au sein de ces nouvelles familles.
Parties annexes
Remerciements
Les auteurs souhaitent remercier les organismes d’adoption et les associations LGBT pour leur collaboration pendant le recrutement des participants, ainsi que tous les parents ayant accepté de participer à l’étude. Nous remercions ainsi le FNRS pour avoir financé cette étude travers une bourse doctorale octroyée au premier auteur de cette étude. Un remerciement spécial va à Salvatore Loria pour sa précieuse contribution à la création de cet article.
Notes
-
[1]
18 MAI 2006. - Loi modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l’adoption par des personnes de même sexe
-
[2]
“L’adoption : mesure de protection de l’enfant ?”, Fédération Wallonie Bruxelles, 2016
-
[3]
Récupéré de http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/population/autres/adoptions/ le 13 Mars 2017
-
[4]
https://www.notaire.be/se-marier-vivre-ensemble/differences-entre-mariage-cohabitation-legale-et-union-libre
Bibliographie
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