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La littérature consacrée aux familles des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer met en lumière la charge que peut représenter l’accompagnement d’une personne malade. En faisant une revue de littérature, Davin et Paraponaris (2014) constatent que, comparés aux autres aidants, les proches qui aident les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer sont plus affectés par l’aide pour ce qui est de leur santé et de leur espérance de vie, des sacrifices consentis, du manque de temps pour soi ou sa famille et du sentiment d’être seuls face à l’aide. Néanmoins, la vision de l’aide comme un fardeau, issue des théories du stress en psychologie, est critiquée par la sociologie francophone, qui met en avant la diversité des relations existant entre les personnes bénéficiaires de l’aide et leurs proches (Caradec, 2009 ; Membrado et al., 2005). En outre, des travaux récents révèlent des possibilités de remédier à l’épuisement des aidants et aux tensions entre les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et leurs proches grâce aux dispositifs de répit et d’écoute, qui peuvent donner lieu à une « encapacitation » (empowerment) des proches aidants (Le Bihan et al., 2014).

Malgré l’abondance de recherches empiriques sur le vécu des proches aidants, deux lacunes peuvent être constatées : pour la plupart, ces travaux se fondent strictement sur le discours des proches des personnes malades ou âgées (Membrado et al., 2005 ; Walker et al., 1995) ; par ailleurs, ils tendent à appréhender l’expérience de l’accompagnement sur la base d’une approche synchronique (Clément et al., 2005). Cet article tend à combler ces deux lacunes en mettant en dialogue les témoignages des personnes malades et de leurs proches et ceci dans une perspective diachronique.

La prise en compte du point de vue des personnes atteintes de troubles cognitifs peut paraître problématique, ce qui amène bien souvent les chercheurs français à les écarter de manière implicite ou explicite (Soun, 2004) en faisant un « détour par les proches » (Chamahian et Caradec, 2014b). Les recherches anglo-saxonnes ont cependant une tradition plus longue de recherche « du côté » des personnes malades d’Alzheimer, datant au moins des années 1990 (Chamahian et Caradec, 2014b). Depuis quelques années, commencent à paraître toutefois des travaux français qui donnent la parole aux personnes atteintes de troubles cognitifs (Le Bihan et al., 2012 ; Chamahian et Caradec, 2014a) et s’intéressent aux expériences de la maladie. Ces recherches s’inscrivent dans la tradition de la sociologie interactionniste qui a mis en lumière le caractère dynamique et interpersonnel de la gestion d’une maladie chronique, notamment à travers la notion de « trajectoire de la maladie » (Corbin et Strauss, 1988). Ce concept embrasse le développement physiopathologique, le travail des proches, les changements dans la vie des personnes malades et de leur famille. Les approches du care ont approfondi cette perspective en analysant l’aide comme étant fondamentalement une relation (Held, 2006 : 36) d’interdépendance (Daly et Lewis, 2000). Tronto (2009 [1993] : 147-150) a résumé les différents aspects du care dans les catégories « se soucier de » (attention et sollicitude), « prendre en charge » (responsabilité et relations), « prendre soin » (gestes) et « recevoir le care ». C’est cette quatrième dimension, souvent négligée par les chercheurs, qui nous intéressera particulièrement dans cet article. Analyser la réception du care fait écho à d’autres travaux qui mettent en lumière l’importance de la reconnaissance de leur aide pour les proches (Membrado et al., 2005), mais en rendant compte d’une perception globale de l’aide apportée en tant que satisfaisante ou pas (Molinier, 2010) et pouvant influencer les relations, le sens donné à l’aide et les pratiques (Tronto, 2009 [1993]).

Afin de saisir les aspects temporels et interpersonnels du vécu des personnes malades et de leurs proches, nous proposons le concept de trajectoire d'accompagnement que nous définissons comme les évolutions des pratiques de care et des dynamiques relationnelles, produites par les interactions entre la personne malade et son proche aidant au fil du temps, c’est-à-dire au cours de la trajectoire de la maladie. Nous entendons par les pratiques de care le fait d’accomplir des tâches de soin, d’aide avec les travaux domestiques, la coordination des aides professionnelles, ainsi que le souci de l’autre et le soutien psychologique apporté à la personne malade. Nous proposons une typologie de trajectoires d’accompagnement qui met en regard le vécu subjectif des personnes malades et les évolutions des pratiques. Nous mobiliserons le concept de « travail biographique » (Corbin et Strauss, 1988) faisant référence à la construction du sens de la maladie dans la perspective du parcours de vie de la personne et de l’histoire relationnelle. Les recherches montrent que l’accompagnement peut être vécu sur le mode de l’affection ou de l’obligation (Caradec, 2009 ; Lavoie, 2000). Nous pouvons poser ainsi l’hypothèse que les configurations où le proche est un conjoint révèlent des trajectoires d’accompagnement différentes comparées aux configurations où le proche aidant est un autre parent. Enfin, la sociologie de la famille a pu identifier différentes façons de vivre en couple, notamment à travers le concept de distance conjugale. Cette distance a été définie en termes de temps passé ensemble (Bott, 1957), d’investissement dans l’espace domestique et extérieur (Caradec, 1994), et en termes de distance relationnelle (Kellerhals et al., 1982). Nous pouvons supposer que ces modalités diverses de fonctionnement conjugal peuvent donner lieu à des trajectoires d’accompagnement variées. Il semble judicieux de distinguer ici les couples fusionnels, qui « partageaient autant d’activités et passaient autant de temps ensemble que possible » (Bott, 1957 : 244), et les couples ségrégés ; mais aussi d’être attentifs aux tendances centripètes et centrifuges dans les pratiques des conjoints et des revirements éventuels (Caradec, 1994), ainsi qu’aux rapports entre le « nous-couple » (Kellerhals et al., 1982) et les identités individuelles dans les narrations.

Notre recherche a été réalisée en deux vagues. Lors de la première vague effectuée en 2012-2013, des entretiens compréhensifs (Kaufmann, 2008) ont été conduits avec 27 personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer[1]. Ces personnes se trouvaient à un stade léger ou modéré de la maladie (de 15 à 28/30 de MMSE[2]). Pour nombre d’entre elles, un entretien moins formalisé a été fait avec un proche. La seconde vague, financée par le Conseil départemental du Nord, s’appuie sur des entretiens compréhensifs avec les mêmes personnes 18 à 24 mois après le premier entretien. Nous avons complété ces interviews par des entretiens formels avec un proche. Dans la plupart des cas, les entretiens avec les personnes malades et leur proche ont été faits en face à face. Nous avons pu revoir 21 personnes malades[3] : 9 femmes et 12 hommes. Dans ce corpus, 7 personnes (4 hommes et 3 femmes) sont des malades dits « jeunes » c’est-à-dire qu’ils ont commencé à avoir des troubles avant l’âge de 60 ans[4]. Au moment de la seconde vague, 4 personnes malades ont moins de 60 ans (entre 53 et 56 ans), 6 ont entre 60 et 69 ans, 6 ont entre 70 et 79 ans, enfin, 5 ont plus de 79 ans (entre 80 et 85). En seconde vague, ces personnes demeurent au stade modéré pour la plupart et léger pour certains (de 11 à 30/30 de MMSE)[5]. En plus des 21 personnes que nous avons pu revoir, nous avons interviewé deux épouses d’hommes malades jugés par celles-ci incapables de faire un entretien. Les personnes malades concernées par la vague 2 appartiennent à des milieux professionnels variés : 9 personnes exercent ou ont exercé des métiers de cadres ou professions intellectuelles supérieures ; 5 ont exercé des professions intermédiaires ; 6 font ou ont fait des métiers non qualifiés (ouvriers, employées) ; un a été exploitant agricole ; 2 ont été femmes au foyer. Comme nous avons pris contact avec les familles par l’intermédiaire du Centre Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR), les proches que nous avons vus sont les référents pour le suivi médical des personnes malades. Ils s’avèrent en même temps être les personnes les plus présentes dans le quotidien de nos interlocuteurs. Les proches interviewés sont pour la plupart des conjoints (11 épouses et 3 époux), mais aussi des enfants (3 fils et 2 filles), des sœurs (2), une belle-fille, un père et une amie. Conformément aux autres recherches, les femmes sont majoritaires parmi les proches aidants (17 sur 24[6]) (Membrado et al., 2005). La plupart des proches interviewés cohabitent avec la personne malade (16 sur 24).

Notre propos s’organisera en deux parties. Dans un premier temps, nous présenterons des trajectoires marquées par des changements dans les pratiques et les relations entre la personne malade et son proche. Dans un second temps, nous nous arrêterons sur des trajectoires stables, tant du point de vue de l’implication des proches dans l’aide que dans le vécu subjectif de cette relation par les deux parties. En analysant les deux groupes de trajectoires, nous serons attentifs aux convergences et divergences dans le vécu des personnes malades et de leurs proches, mais aussi à l’histoire des relations entre eux.

Trajectoires dynamiques

Ce premier type de trajectoires d’accompagnement, que nous qualifierons de « trajectoires dynamiques », embrasse une grande diversité de cas allant de l’apaisement des tensions à un délitement du lien, voire à une rupture.

Trajectoires de consolidation des liens

Premièrement, nous avons rencontré des personnes malades et leurs proches qui nous disent « aller mieux » (Chamahian et Caradec, 2016) dans leur vécu et dans leur expérience de l’accompagnement. Les six proches qui se trouvent dans ce cas de figure sont des épouses. Malgré des débuts difficiles, elles rendent compte de trajectoires d'accompagnement qui tendent vers un savoir-vivre avec la maladie, parfois partagé avec le proche malade. Dans ce cas de figure, les personnes malades et les proches ont le même vécu – des tensions au départ qu’ils finissent par surmonter en retrouvant un équilibre dans les pratiques et les relations. Cette évolution positive peut s’expliquer d’une double manière : d’un côté, par une meilleure organisation des pratiques de care et de la vie quotidienne, notamment grâce aux aides professionnelles, et, d’un autre côté, par le fait d’apprendre à communiquer avec les proches malades et à gérer les émotions, contenir les tensions.

L’importance d’une meilleure organisation des pratiques de care et de la vie quotidienne transparaît dans la trajectoire du couple Genêt. En première vague, M. Genêt[7] (84 ans, métreur comptable à la retraite) et son épouse présentent la maladie d’Alzheimer comme un problème de santé parmi d’autres. En seconde vague, la maladie prend, au contraire, dans le discours de l’épouse, une place centrale, face à un conjoint de plus en plus étranger au monde qui l’entoure, apathique, sujet à des insomnies et à des déambulations nocturnes, une somnolence diurne et des difficultés à reconnaître parfois ses proches. Elle-même rencontre des problèmes de santé : malgré les douleurs au genou nécessitant une prothèse, elle a attendu un an pour se faire opérer jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un établissement pouvant l’accueillir avec son mari. Ce séjour de trois semaines dans un centre de rééducation a été un tournant dans la trajectoire d’accompagnement de l’épouse de M. Genêt. Jusqu’alors, elle avait toujours refusé les aides professionnelles : « Parce que disons, je m’en sentais capable ». Ce n’est qu’en sortant du centre qu’elle s’est vue imposer une aide pour la toilette de son époux, ce qui s’est avéré une expérience très positive : « Déjà, je suis fort aidée par les infirmiers, qui m’aident énormément pour la toilette le matin et le soir, ça, ça m’aide énormément. […] Ça, j’en suis contente. Et puis… moi quand ils viennent, je parle aussi, je parle un petit peu. » Les infirmiers ont ainsi une double fonction : ils allègent physiquement le travail de l’épouse de M. Genêt et ils lui procurent de la sociabilité, car même si cette ancienne commerçante se dit « fort bien entourée », elle avoue ne pas en avoir assez. De plus, deux mois après le retour à la maison, l’épouse de M. Genêt s’est enfin résolue à installer un lit médical, après avoir connu pendant cinq ans un sommeil fortement perturbé par les déambulations nocturnes de son mari. Depuis, elle dit avoir « un peu plus de tonus ». Au fil du temps, l’épouse de M. Genêt a fini par apprendre le souci de soi en faisant concession de certaines habitudes : « Je vais plus au-dessus de mes forces. […]Disons, dans le temps, j’ai eu une maison comment dire ? Plus soignée, tout ça, plus… Mais maintenant, disons, ce qui n’est pas fait aujourd’hui est fait demain. » On voit apparaître différentes phases dans l’accompagnement de son époux qui, progressivement, lui font accepter la situation. Son souhait n’est plus désormais que son mari « redevienne comme avant », mais de rester avec lui le plus longtemps possible. Elle vit « au jour le jour » et dit se sentir mieux.

Les aides peuvent donner lieu à une encapacitation des personnes malades et des proches (Le Bihan et al., 2014) et le mode de vie d’avant la maladie peut aussi être en partie repris. Pour M. Carillon (66 ans, homme politique à la retraite) et son épouse, la retraite de M. Carillon et la révélation du diagnostic à leur entourage ont provoqué une véritable dégradation de leur mode de vie. Ce couple qui avait toujours eu une vie très mondaine a dû faire face à « la grande panique », comme le dit l’épouse : hormis quelques rares exceptions, ceux qu’ils croyaient être leurs amis, même les plus proches, les ont abandonnés. Ils ont traversé ensuite une période que l’épouse de M. Carillon décrit comme « un gros trou noir ». Il ne s’agit pas seulement d’une sociabilité réduite comme une peau de chagrin, mais surtout d’une perte de statut social. Comme le dit M. Carillon en première vague, cet abandon par les amis a « meurtri » sa femme. Le couple Carillon est ainsi confronté à une période d’isolement particulièrement douloureuse. L’épouse de M. Carillon constate progressivement à quel point elle doit compenser les pertes de son conjoint : « je suis sa mémoire » et « il faut le surveiller TOUT LE TEMPS[8] ». Elle produit en seconde vague un discours en termes de fardeau, parlant du manque de temps pour elle-même et du sentiment d’être quelque part contaminée par la maladie de son époux. L’arrivée de deux auxiliaires de vie qui interviennent quotidiennement auprès de M. Carillon marque un tournant positif dans le vécu du couple. M. Carillon les appelle « mes dames de compagnie » et explique que « c’est grâce à eux que je... je... je vis une vie normale, une vie normale ». Si elles procurent un certain bien-être à M. Carillon, elles soulagent aussi son épouse : « Ça m’a apporté aussi beaucoup d’oxygène, mais à lui aussi. Du coup, il a pu ressortir parce qu’il sortait plus, il faisait plus rien. Il était devant la télé, il faisait plus rien. » De son côté, elle a pu reprendre ses loisirs et des activités bénévoles.

Toutefois, la réorganisation des pratiques de care ne suffit pas pour donner aux proches le sentiment d’aller mieux. Apprendre à communiquer et à gérer ses émotions dans un contexte de la maladie d’Alzheimer contribue aux trajectoires d’accompagnement de consolidation des liens. Dans certains cas, il s’agit d’un apprentissage unilatéral, qui consiste, par exemple, à savoir détecter les moments de troubles ou à trouver des manières de parler. Pour le couple Érable, le début de la maladie a été marqué par une grande inquiétude, surtout concernant la poursuite de l’activité professionnelle de M. Érable (61 ans, cadre). M. Érable a toujours été très investi dans le travail et se voyait mal s’en détacher. Son épouse, quant à elle, tenait à ce qu’il continue à travailler pour préserver leur mode de vie et leurs revenus. L’épouse de M. Érable a alors pris les choses en main. Elle a pu négocier avec les supérieurs de son époux pour qu’il soit maintenu dans « un placard doré » en préservant sa fonction, mais sans responsabilités. Elle a aussi entièrement pris en charge le quotidien : « Moi je la vis [la maladie d’Alzheimer]. Lui il la vit pas ». Le début de la maladie a été également caractérisé par de fortes tensions dans le couple, car l’épouse de M. Érable était très stressée par les oublis de son mari et ses erreurs de raisonnement. En seconde vague, l’épouse de M. Érable explique qu’avec le temps, elle a développé de nouvelles compétences communicationnelles. Elle a appris à comprendre assez vite si son mari est « cohérent » ou pas, à distinguer très tôt le matin « les jours avec et les jours sans [troubles] » : « C’est ma phrase, comme je vous disais. "C’est jeudi", il me dit "c’est vendredi", je comprends qu’il est perturbé ». Ensuite, elle regarde l’humeur de son mari : « Ça dépend de son humeur. S’il le dit sur un ton machin, je le laisse penser, de toute façon, le lendemain il l’aura oublié. Si… il est comme là, réceptif, je lui remets les points sur la ligne. » Si son époux n’est pas « cohérent » et de mauvaise humeur, elle évite le conflit et cherche à arrondir les angles : « Je [le] laisse faire ce qu’il veut. Donc, euh, moi je… ne lui demande plus rien ou des choses que je sais pertinemment qu’il va pas y avoir de… qu’il va pas se tromper, choses vraiment neutres. Euh, et j’attends que c’est lui qui revienne ». Elle-même dit être désormais « plus cool » grâce à cet apprentissage visant à décoder l’état de son mari. Elle l’aide à rester dans la routine, cherche à communiquer avec lui pour l’aider à limiter les angoisses afin de le faire passer à travers les contrôles médicaux et le maintenir en état d’« aller au travail ». L’épouse de M. Érable espère qu’avec le congé de longue maladie fractionné et les arrangements officieux avec ses supérieurs, il va pouvoir obtenir une retraite à taux plein. La réussite de cette stratégie dans la durée rassure ce couple et contribue à leur sentiment d’aller mieux.

Un tel apprentissage peut aussi être mutuel, fruit d’une vraie coopération et inventivité. M. Cirse (71 ans, médecin à la retraite) raconte qu’avec son épouse, « quelquefois, on s’est… on s’est un petit peu attrapés, euh… parce que… hein… parce que j’avais trop oublié ». Le temps a été bénéfique pour ce couple : « c’est vrai que maintenant, arrivé au stade où je suis, on est plus calmes, ça va mieux », conclut-il dans son premier entretien. En seconde vague, M. Cirse met en avant le travail d’apprentissage accompli par sa conjointe :

Il a fallu que ma femme s’adapte quand même à mon état, quoi, et que… « Je te l’ai déjà dit. » « Ben oui, tu me l’as déjà dit, mais tu sais bien que j’ai des troubles de mémoire », je réponds, quoi, hein. Et… c’est encore arrivé récemment, quoi. Ça arrivait plus, maintenant moins, depuis 6 mois, [en rigolant] je crois qu’elle commence à comprendre bien.

De son côté, l’épouse de M. Cirse explique que les altercations avaient lieu surtout lorsque M. Cirse avait l’impression qu’elle lui répétait des choses, lui rappelant sa maladie, tandis que sa femme était sûre de les dire pour la première fois. Ce couple a fini par trouver un consensus : M. Cirse note tout ce qu’il juge important dans un carnet dont il ne se sépare jamais et ce carnet représente à la fois un support de mémoire et une preuve de communication : « Comme il dit : "Tu me l’as déjà dit", ben, je le redis plus. Non, non, je crois plutôt que j’écris, j’attends qu’il écrive, comme ça, après, je… », explique l’épouse. En même temps, celle-ci travaille la « face » (Goffman, 1974) en faisant de son mieux afin « de pas le mettre en échec », chose qu’elle faisait malgré elle au début des troubles.

Ce type de trajectoire d’accompagnement qui conduit à une amélioration subjective pour les deux parties n’apparaît qu’au sein des binômes malades-conjointes aidantes. Le caractère de l’engagement de ces conjointes est cependant variable. Si l’épouse de M. Genêt et celle de M. Cirse voient l’accompagnement de leur mari sur le mode de l’affection, l’épouse de M. Carillon le vit quant à elle sur le mode du devoir. Certes, elle va mieux dans la vie et dans l’aide, mais c’est finalement grâce à la distance qu’elle prend par rapport à son mari : pour elle, les échanges ne sont plus possibles, son époux n’est plus le même. En revanche, certaines épouses font part d’un lien retrouvé avec leur mari malade, ceci surtout à travers un apaisement au quotidien. Mais dans tous ces cas, il s’agit de couples ségrégés (Bott, 1957) et centrifuges (Caradec, 1994), qui avaient des activités séparées et orientées vers l’extérieur avant la maladie. Les troubles sont venus perturber le mode de vie habituel, imposant une réduction de la distance conjugale. Les épouses ont pu alors se sentir contraintes d’aider ou de faire du monitoring (Lavoie, 2000) sans répit, tandis que les époux ont pu se sentir « perdre la face » (Goffman, 1974) du fait de l’aide apportée. Pour certaines, la prise d’une certaine distance grâce à l’intégration des aides professionnelles permet alors d’améliorer les relations de care (Le Bihan et al., 2014). Cette trajectoire d’accompagnement se base ainsi sur un nouvel équilibre permettant de redéfinir la « bonne distance conjugale » (Caradec, 1994), souvent grâce à l’aide des professionnels (neurologues, psychologues, infirmiers) qui contribuent à une sorte de « socialisation secondaire à la prise en charge de la maladie » (Le Bihan et al., 2014).

Trajectoires de délitement des liens – trajectoires divergentes

Un deuxième type de trajectoire révèle au contraire comment cet accompagnement par les proches peut être subi, vécu comme un fardeau, alors même que les personnes malades se sentent plutôt bien. Le contraste entre les deux témoignages est alors saisissant. Le mouvement qui se dessine dans cette trajectoire commence par une mobilisation du proche face à l’épreuve, pour aboutir à une expérience d’ « aide-altération » (Caradec, 2009) : la situation est décrite comme douloureuse et, avec le temps, le sens donné initialement à l’aide s’effrite. Dans les discours de ces quatre proches, l’accent est mis sur une perte de lien avec la personne malade qui s’accompagne d’une forte asymétrie dans les relations, car la personne malade n’assume plus le rôle qu’elle a endossé pendant de nombreuses années. L’époux de Mme Brunelle (77 ans, bibliothécaire à la retraite) a une déficience motrice de longue date et sa femme a toujours été son aidante. En première vague, bien que les tensions entre les conjoints soient bien perceptibles, Mme Brunelle se positionnait comme l’aidante de son mari. Avec l’évolution de la maladie d’Alzheimer de Mme Brunelle, les rôles se sont inversés. En seconde vague, son époux affirme qu’il doit « TOUT ASSUMER. TOUT ASSUMER. TOUT, TOUT, TOUT, TOUT, TOUT. Y compris son linge intime ». La dépendance de l’épouse vient ainsi bouleverser la division de rôles genrée, mettant l’homme aidant particulièrement mal à l’aise (Balard, 2008). De plus, entre les deux entretiens, le couple quitte la résidence services pour intégrer une unité de vie Alzheimer dans un EPHAD (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Mme Brunelle apprécie ce nouveau cadre sécurisé où elle a davantage de liberté de déplacement, contrairement à son époux. Selon lui, « elle réagit assez mal » lorsqu’il l’aide ou lui rappelle ses troubles et elle tend à fuir en cas de désaccord. Décrit par Mme Brunelle comme un mari très autoritaire, son époux a du mal à admettre que son épouse ne reconnaisse plus son autorité de chef de famille : « C’est Alzheimer qui dirige sa vie. C’est pas moi », résume-t-il. Pour l’époux de Mme Brunelle, les relations de couple n’existent plus : « Et bien, maintenant, je n’ai plus beaucoup de rapports avec elle puisque euh... elle dit n’importe quoi. Elle fait n’importe quoi. » S’il suit la consigne des médecins de ne pas contredire son épouse pour apaiser les tensions, cette même consigne éloigne sa femme de lui : « Alors, c’est facile à dire, mais euh, je me suis habitué à cette façon de réagir et je considère que je pense maintenant, euh... je n’entreprends plus de polémique avec elle. Alors, quand il y a plus de polémique, y a plus de... d’échange. » En revanche, Mme Brunelle affirme que depuis peu, elle va mieux, car elle arrive à contredire son époux, ce que, manifestement, elle n’a jamais fait auparavant.

Face à une telle transformation des rôles et des relations, les proches disent ne plus reconnaître la personne malade, son identité étant pour eux irrémédiablement altérée. Ne plus reconnaître l’autre contribue à la pénibilité du vécu : « Je dis, bon, mon mari a fort changé, c’est plus le même qu’avant », explique l’épouse de M. Stellaire (56 ans, ouvrier à la retraite). La maladie est vécue d’autant plus mal qu’elle conduit également à un changement du mode de vie du proche. Dans ce couple typique des milieux populaires, fonctionnant selon la règle de l’extérieur masculin (travail et chasse) et de l’intérieur féminin (maison et quatre enfants) (Caradec, 1994), la maladie a provoqué un réagencement de l’espace. Selon les dires de son épouse, M. Stellaire « [ne] veut plus aller nulle part […] alors qu’avant c’était un monsieur qui était toujours parti ». Ce fait a radicalement changé le quotidien de son épouse : « Donc, j’étais souvent toute seule avec MES enfants. Et que maintenant, il est toujours avec moi. Donc, au début, ça m’a ÉTOUFFÉE. » Encore aujourd’hui, elle dit ne plus avoir de temps à elle : car son mari la suit tout le temps, l’utilisant comme un repère temporel et cognitif. En revanche, M. Stellaire estime que leur vie ensemble est : « tranquille, quoi. Comme deux vieux. […] Je dis vieux, c’est cool, quoi. Je ne me plains pas, au contraire ». Marié très jeune, il est fier de l’endurance de son couple.

D’une certaine façon, le proche atteint cesse d’être un proche et devient un « malade » tout court, voire un « étranger ». Mme Bleuet (66 ans, couturière à la retraite), devenue veuve très tôt, a élevé seule ses deux enfants. Sa fille décrit sa famille comme un noyau très soudé, jusqu’à la maladie de sa mère. La fille de Mme Bleuet a très mal vécu le fait d’être projetée dans un avenir sombre dans le cadre de son accompagnement psychologique, d’autant plus que la maladie était déjà connue dans la famille : « J’ai arrêté de manger », résume-t-elle. Elle décrit une trajectoire de distanciation, aboutissant à une perte de lien avec sa mère : « Comme je le dis : ma mère elle est là, mais elle est plus là. J’ai fait le deuil de la relation que j’avais avec ma mère. Depuis un an. » Sa mère a cessé d’être pour elle un autrui significatif (Mead, 1967 [1934]) :

Elle a toujours été un référent, donc… euh, si j’ai moindre… si j’avais la moindre question ou quoi que ça soit euh… n’importe… enfin, n’importe quoi, ça a toujours été elle. Et ça… la communication a commencé à être un peu difficile et… donc, du coup, j’ai arrêté de la prendre en référent, en fait.

Désormais, toute autre communication n’a plus de sens. Même le seul moment de la semaine où les deux femmes se retrouvent face à face n’est plus vraiment un moment de complicité. La fille explique que formellement elle vient déjeuner avec sa mère, mais qu’en réalité elle mange seule et passe cette heure à essayer de faire des tâches domestiques pour soulager son frère qui cohabite avec leur mère. Mme Bleuet connaît une dynamique inverse. La première vague est marquée par de fortes tensions avec les enfants :

Je crois qu’ils me comprennent pas. Mes, mes… mes oublis, quelques fois ma façon d’agir. Au lieu de crier, de crier pour faire la… dire " elle a pas compris ", ou bien… je sais pas. Ils veulent certainement que je revienne comme avant, mais je peux pas. [Rire nerveux.] C’est… c’est tendu de toute façon, c’est tendu. Et c’est là où je crie.

En seconde vague, les relations sont apaisées, Mme Bleuet dit ne jamais se mettre en colère, ni hausser le ton.

Dans ce type de trajectoire, on retrouve quasiment tous les types de proches aidants, cohabitants ou non : des conjoints, des enfants, une sœur. Ce qui les réunit c’est un discours du « fardeau », qui se construit graduellement tandis que le lien avec la personne malade se délite. Le caractère douloureux de ces trajectoires repose notamment sur l’engagement affectif qui était présent à l’origine. L’effritement du lien est expliqué par des difficultés à reconnaître son proche, des troubles perçus comme insurmontables (oublis, erreurs de raisonnement) et la non-reconnaissance par le malade de l’aide apportée. Ainsi, Mme Bleuet en première vague relate ses résistances par rapport aux interventions de ses enfants dans son quotidien ; la sœur de Mme Colchique (53 ans, aide-soignante en arrêt maladie) se voit accusée de l’annonce du diagnostic ; l’époux de Mme Brunelle subit les contraintes de la vie dans une unité de vie Alzheimer et se voit de plus en plus souvent abandonné par son épouse. La perception de ces rapports comme unilatéraux rend le vécu des proches encore plus pénible, la réception du care (Tronto, 2009 [1993]), sa reconnaissance, fait défaut et vient ainsi envenimer les relations et le sens de l’engagement des proches. Dans le même temps, ces proches arrivent à organiser la vie des personnes malades de telle façon que celles-ci vont plutôt bien et/ou sont satisfaites des relations avec leurs proches et de l’aide apportée. Ainsi, la fille de Mme Bleuet, tout en faisant part de sa douleur, explique que les tensions quotidiennes se sont calmées car son frère et elle ont appris à communiquer avec leur mère « sans l’infantiliser » : « Parce que c’est… on l’a fait, hein. Mais c’est… elle nous l’a beaucoup… enfin, elle était en colère contre ça, donc, on essaie… »

Trajectoire de rupture

Troisièmement, nous avons un cas unique de proche qui ne parvient pas à faire face à l’épreuve de la maladie qui touche sa mère et se retire. C’est une trajectoire d'accompagnement rompue, qui semble très pénible pour les deux parties. La séparation, bien qu’elle soit douloureuse, a été vécue, des deux côtés et de façon quelque peu paradoxale, comme une libération. La fille de Mme Jasmin (78 ans, femme au foyer) n’a pas été rencontrée au cours de l’enquête proprement dite, mais nous avons eu un échange téléphonique avec elle avant le premier entretien avec sa mère. Elle s’est présentée comme une aidante engagée mais stressée, intéressée par notre démarche de recherche, mais aussi soulagée, en raison d’un emploi du temps déjà bien chargé, d’apprendre que sa présence au domicile de sa mère n’était pas nécessaire pour la réalisation de l’entretien. Nous nous appuyons donc sur les récits de Mme Jasmin produits dans les deux vagues ainsi que sur l’entretien avec le fils benjamin de Mme Jasmin, qui a pris le relais dans l’aide auprès de sa mère et revient sur la situation en seconde vague.

Déjà en première vague, Mme Jasmin témoigne de très grandes tensions entre elle et sa fille. Elle se dit ravie de pouvoir faire l’entretien en l’absence de sa fille car, en sa présence, elle n’aurait pas pu parler calmement : « J’ai parlé détendue, je suis pas énervée, rien du tout. Par contre, quand elle est là, je suis électrisée ! » Bien qu’en reconnaissant que sa fille cherche à l’aider, Mme Jasmin souligne surtout qu’elle a tendance à vouloir la surprotéger, ce qui menace son autonomie :

Ben j’ai demandé déjà qu’elle me soulage un petit peu, parce que, elle venait trois fois dans la journée : matin, un temps l’après-midi et puis le soir quand elle sortait du travail. […] Et j’ai dit, s’il y a un problème, tu m’appelles déjà le matin et tu m’appelles le soir. J’en veux pas plus, c’est très bien ! Je lui dis, s’il y a un problème je te le dis, s’il n’y a pas de problème, ça se passe. Bon ben d’accord, alors maintenant ça y est, ça s’est tassé.

En outre, l’aide apportée par la fille est perçue comme insatisfaisante car celle-ci impose à Mme Jasmin son propre rythme, par exemple, dans le fait de faire les courses « au pas de course ». Plus qu’un soulagement, cette aide prodiguée toujours dans l’urgence, en raison de l’emploi du temps très chargé de sa fille, est particulièrement stressante et lui paraît amplifier ses troubles : « Elle va trop vite pour moi que ma tête ne la suit pas, voilà, la bousculade. »

En seconde vague, les relations basculent dans le négatif, devenant la source du grand désarroi de Mme Jasmin : « Ma fille elle est comme ça. Elle est MÉCHANTE, méchante, méchante. » Le conflit a éclaté depuis la première vague. Mme Jasmin accuse sa fille de vouloir lui prendre de l’argent, des objets et des documents :

Elle cherchait toujours de l’argent. Ah oui-oui-oui. […] Puis après, comme y avait plus d’argent, elle a cherché autant des papiers de notariat. […] Et… donc, elle n’a pas pu arriver et donc, elle s’est vengée, ben, elle a pris… elle a pris… la… la clé. Les clés, enfin, celle qui va au classeur, qui a tous les papiers et puis, la clé de la porte, je peux plus y aller dans ma chambre.

Aujourd’hui, selon le fils de Mme Jasmin : « Tous les problèmes dans la maison, c’est ma sœur qui en est tenue responsable. Voilà. Donc… des clés perdues, des objets perdus. » L’histoire de la disparition de la clé de la chambre dans laquelle Mme Jasmin garde ses meilleurs vêtements revient en boucle pendant l’entretien, un vrai traumatisme portant atteinte à un aspect important de l’image de soi de Mme Jasmin – son apparence : « Et, je… j’aime bien la coquetterie, bien propre, un petit truc. [Elle tape le poing.] Et là, je peux plus faire parce qu’elle a tout pris. [Elle tape le poing.] Mais bon, ça – ça me ronge. »

Le fils de Mme Jasmin, interviewé en seconde vague, explique que depuis plus d’un an, sa sœur a quitté la région. Elle a justifié cette décision par un projet de longue date et le fait que, étant donné la situation conflictuelle avec sa mère, « il y avait plus du tout de raison de rester ». On voit que la réception du care transforme ici les pratiques : l’absence de reconnaissance perçue et la résistance de Mme Jasmin ont abouti à un abandon de l’aide par sa fille. Il faut bien noter que la fille de Mme Jasmin savait que son frère, habitant à proximité mais quasi absent de l’aide jusque-là, pouvait prendre le relais auprès de leur mère.

Trajectoires stables

À l’inverse de ces trajectoires dynamiques, nous avons rencontré des proches qui présentent une certaine continuité dans la prise en charge de la situation, mais vivent des expériences variées, pouvant aller dans le sens ou à l’encontre du vécu des personnes malades. Nous avons ainsi distingué plusieurs expériences peu soumises à des variations depuis l’annonce diagnostique : certaines sont positives dans le « faire ensemble » face à la maladie ; d’autres sont positives dans l’autonomie de chacun ; d’autres encore sont sous tension avec des expériences, du côté des proches comme des personnes malades, qui peuvent être divergentes ou convergentes.

Trajectoires stables et positives dans le « faire ensemble » face à la maladie

Pour six proches, le vécu de l’accompagnement de la personne malade est positif dans le temps, car le binôme personne malade – proche aidant est soudé face à la maladie. Il s’agit de l’« aide-satisfaction » (Caradec, 2009), qui se joue sur le mode de l’affection et qui ne menace pas l’équilibre du quotidien installé auparavant.

La sœur de M. Vélar (81 ans, agriculteur à la retraite) est porteuse d’un handicap moteur. Depuis un an, elle est vit chez son frère, car il lui était devenu trop difficile de continuer à vivre seule : « J’ai trouvé refuge ici », explique-t-elle. De son côté, M. Vélar se présente comme l’aidant de sa sœur. La maladie de M. Vélar est tenue à la lisière de la vie quotidienne de ce ménage, présentée comme une chose quasi inexistante : « J’avais l’impression que ça ne se voyait pas. Et que par ce fait même je vis avec, avec facilité », raconte M. Vélar. Sa sœur parle de l’avancée en âge plutôt que de la maladie comme source de changement :

Pour vous, les difficultés que peut avoir votre frère, c’est lié à l’âge en fait ? Ça ressemble aux difficultés que peut avoir une personne âgée, en général, c’est ça que vous voulez me dire ?

Oui, parce que malgré tout, il perd toujours pas beaucoup, hein, quand même.

M. Vélar et sa sœur ont travaillé ensemble auparavant et leur cohabitation se passe sur le ton de retrouvailles cordiales. Le frère et la sœur mutualisent les aides professionnelles, mais soulignent que c’est M. Vélar qui fait aussi beaucoup de choses pour les deux, notamment, pour la préparation des repas.

Trois couples se trouvent également dans cette dynamique du « faire ensemble » : deux couples de longue date et un couple récent (formé dans un EPHAD). Ce sont des couples à « carrière jointe » de la maladie d’Alzheimer (Beard et al., 2012) : les conjoints partagent et négocient les pratiques et la production du sens dans l’expérience de la maladie depuis l’annonce du diagnostic. Ils perçoivent ainsi le vécu de la maladie de la même manière.

Les deux couples de longue date sont fusionnels depuis toujours. Mme Violette (73 ans, vendeuse à la retraite) et Mme Pavot (68 ans, styliste à la retraite) avec leur époux, produisent des récits très similaires. Ils ont un discours très positif sur leur couple, en soulignant son caractère soudé et affectif. Mme Pavot dit qu’elle a un mari « très bien », « extraordinaire », « en or », « génial ». Elle valorise son implication dans la vie quotidienne : « Il s’occupe de tout. Il est pas râleur, il est pas… il est vraiment… On a de la chance qu’on fait un bon ménage. » Les deux femmes malades se présentent autant comme support de leur époux qu’ils le sont pour elles-mêmes. « C’est lui qui est ma force, sa force… ma force c’est la sienne », explique Mme Pavot. Au moment du premier entretien, l’époux de Mme Violette a des problèmes de santé, ce qui l’amène à affirmer : « Enfin, il faut pas s'alarmer et puis des fois mon mari, il est un peu dépressif, c'est moi qui le remonte, une fois c'est moi et puis voilà, réciproque, quoi. » En seconde vague, elle souligne surtout la division genrée du travail dans le couple, présentée comme indispensable pour « bien vieillir » ensemble : « Ben, c’est un homme. Alors, il va pas commencer à… à repasser ou tout ça, donc, euh, je le fais. De toute façon, il faut s’occuper. » Ainsi, la maladie n’entrave pas à la perception très positive du présent en général et de la vie de couple en particulier : « On est très heureux. On s’entend à merveille. On fait un ménage du tonnerre. [Rires.] Et on a des enfants formidables. Que vouloir de mieux ? », dit Mme Pavot. Elle est fière de raconter qu’elle-même et son mari sont surnommés par leurs connaissances « les amoureux de T. ». L’époux de Mme Pavot est d’accord : « On a bientôt 40 ans de mariage, on s’entend bien, on n’a jamais… jamais eu de dispute, rien, donc… ça… ça aide aussi, quoi. On s’entend vraiment bien. » Les deux époux aidants inscrivent la maladie dans l’histoire de leur couple en parfaite continuité avec leur mode de vie depuis toujours. Le caractère fusionnel du couple facilite ce genre de « travail biographique » (Corbin et Strauss, 1988) : « parce que j’ai toujours aimé être avec elle [rires] » ; « Puis, ça me donne pas envie de partir tout seul. Même si elle n’était pas malade, je pense qu’on ferait la même chose », explique le mari de Mme Violette. Les changements dans le quotidien sont liés pour eux à la retraite et pas à la maladie. Ainsi, l’époux de Mme Violette affirme : « Et puis, depuis qu’on est en retraite tous les deux, depuis que les enfants sont plus là… ben, je pense qu’on se rapproche un peu plus, quoi, encore. »

Dans ce cas de figure, on retrouve principalement des couples fusionnels (Bott, 1957), donc des proches cohabitants pour lesquels l’accompagnement de la personne malade se trouve fondue dans l’histoire de leurs relations. Les rapports fusionnels contribuent à « invisibiliser » (Molinier, 2010) le « monitoring » (Lavoie, 2000) et l’assistance dans les activités, ce qui permet de limiter les tensions et le ressenti du poids de l’aide pour les proches. L’aide ne devient pas un objectif en soi, mais fait partie intégrante du fonctionnement conjugal qu’elle permet, dans le même temps, de préserver. Le maintien de la maladie à la lisière du quotidien contribue à l’impression de vivre bien et en continuité avec le passé.

Trajectoires stables et positives dans l’autonomie

Ces trajectoires stables peuvent donner à voir des situations de vécu positif dans l’autonomie de chacun. Mme Valériane (56 ans, ouvrière) est divorcée depuis 10 ans, elle est en couple non cohabitant. Son « copain » a une activité professionnelle très prenante et des loisirs assez chronophages. Cette vie de couple suit le scénario de relations distantes, sans que les deux parties ne cherchent davantage d’intégration : « Je le vois pas beaucoup. Et puis, ça me convient comme ça », résume Mme Valériane. Si son ami était présent lors de la toute première visite au CMRR, c’est seule qu’elle se rend aux autres rendez-vous. Dans la première comme dans la seconde vague, le partenaire de Mme Valériane semble prendre la situation de la même façon qu’elle – de manière plutôt optimiste et avec humour. Elle relate ainsi leurs échanges : « Oui, je lui dis… il me dit, ben… "Qu’est-ce que ça fait ?" "Ben, je dis, j’ai la maladie d’Alzheimer. Je vais peut-être finir par t’oublier, je dis." ». [En rigolant.] Il me dit : "Oui, je te laisserai pas m’oublier." [Rires.] » L’ami tient compte des troubles de Mme Valériane et lui sert ponctuellement d’aide-mémoire : « Des fois, il me parle, on s’envoie des sms, il me dit : « "T’as pas oublié, on va là, on va faire ça ?" Je dis : "Non, non, je dis, j’ai pas oublié." "Ah, il me dit, c’est bien.»

De son côté, Mme Valériane a un agenda bien rempli elle aussi. Elle est toujours en activité professionnelle, à mi-temps depuis quelques mois, et continue de conduire pour aller travailler et pour faire les courses à côté de son domicile. L’entretien de la maison prend également beaucoup de temps, mais c’est parce que c’est un plaisir. Mme Valériane a deux fils et une fille. En première vague, le benjamin habitait encore chez elle. En seconde vague, Mme Valériane hébergeait son fils aîné, revenu chez elle après un échec professionnel. Mme Valériane parle de ses rapports privilégiés avec sa fille, qui habite à cinq minutes en voiture de chez elle. Sa fille l’a accompagnée plusieurs fois au CMRR, elle lui propose des sorties de temps en temps, notamment pour aller faire des courses dans la ville voisine où Mme Valériane ne se rend plus en voiture. Cependant, c’est plus Mme Valériane qui semble l’aidante de ses proches que l’inverse. En plus d’héberger son fils, elle aide sa mère âgée et sa fille qui a des problèmes de santé lors du premier entretien et attend son premier enfant lors du second. Mme Valériane leur apporte une aide, pratique et financière. Au bout du compte, dans cette configuration, la maladie n’a rien changé dans les pratiques comme dans les relations. Le fils aîné, avec lequel nous avons eu un bref échange lors du second entretien, tend à expliquer les quelques difficultés que rencontre sa mère par l’avancée en âge et non la maladie. Le souci du respect d’autonomie de chacun et le « travail de face » qui en découle (Goffman, 1974) sont au cœur de cette configuration. Mme Valériane souhaite rester autonome autant que possible (« J’espère… de pas être trop dépendante, quoi. Enfin, me débrouiller moi toute seule ») et cherche à préserver ses enfants. Les efforts de l’entourage demeurent ponctuels. Mme Valériane se fait conduire aux endroits où elle ne peut plus aller ou se fait accompagner par sa fille, son fils ou son beau-fils pour les trajets qui lui paraissent compliqués. Mme Valériane se considère « bien entourée ». Elle a l’habitude d’aller seule au CMRR, mais, comme elle n’ose plus conduire sur les autoroutes, elle y va en taxi. Mme Valériane procède ainsi à des arrangements ponctuels, n’hésite pas à demander une assistance si elle se sent en difficulté, sans que cela remette en question son estime de soi. De cette manière, elle arrive à faire des « déprises stratégiques » (Mallon, 2007) afin de préserver l’essentiel pour se considérer comme autonome : « Ben, moi, j’ai toujours dit : tant que je peux, comme je peux, conduire la voiture et aller travailler, c’est… c’est bien. Quand je ne pourrai plus faire ça, là, je m’inquièterai. » Son entourage (l’ami vu en première vague et le fils, en seconde) semble partager cette vision de sa situation.

Trajectoires stables, mais sous tension, voire douloureuses

À l’opposé de ces trajectoires stables positives, d’autres trajectoires stables révèlent une expérience d’accompagnement douloureuse, sous tension, et ce, depuis le début. Dans cette configuration, les premiers troubles (plus rarement, le diagnostic) constituent le point de rupture biographique entre un avant plutôt positif et un après marqué par l’épreuve de la maladie. Ici, les aidants sont principalement des enfants ou des beaux-enfants (5 proches sur les 7 qui se trouvent dans ce cas de figure), tous non cohabitants. Se révèle ainsi tout un spectre de vécus négatifs des proches, allant des tensions à la souffrance, solitaire ou partagée avec la personne malade.

Dans certains cas, le vécu des proches se fait à distance du vécu de la personne malade. Le proche, cherche à se préserver d’une implication excessive. Il vit son accompagnement sous tension, notamment parce que le rôle d’aidant s’est imposé à lui (par l’obligation familiale), avec et malgré la résistance de la personne malade. C’est le cas de trois fils dans notre corpus. Ce type d’expérience peut être qualifié d’« aide-contrainte » (Caradec, 2009) : le devoir représente la justification principale de l’aide à laquelle le proche a du mal à donner du sens par ailleurs. Ce type de trajectoire repose souvent sur le fait que l’enfant en question se voit comme la seule personne susceptible d’apporter une aide. Comme le dit le fils de Mme Jasmin : « Après moi, y a plus personne », sa sœur ayant quitté la région, un de ses frères étant loin et l’autre ayant rompu les liens avec la famille. Le fils aidant fait, comme il le dit, « a minima » : des visites hebdomadaires et quelques rares sorties. Il cherche à organiser l’aide autour de sa mère, en faisant intervenir davantage de professionnels à domicile. Pour lui, c’est une façon de savoir ce qui se passe et de prévenir les risques, sans forcément se déplacer tout le temps. Les aides professionnelles constituent encore une source de tensions, car Mme Jasmin revendique fortement son autonomie. Le fils de Mme Jasmin avoue qu’il n’entretient pas vraiment de liens ou de discussions avec sa mère. Face à ses troubles, il cherche avant tout à se préserver : « J’ai tendance un peu à me protéger, à m’isoler euh, pratiquement, de… de pas l’écouter, hein. » Dans ce cas de figure, l’aide n’est pas apportée par choix ou pour des raisons affectives, mais bien par non-choix, l’aide revenant à ceux « qui ne peuvent pas ne pas » aider (Paperman, 2005), ce qui semble être en même temps la source des tensions.

La réception du care (Tronto, 2009 [1993]) tend également à remettre en cause les relations et l’aide. Ces proches font part des difficultés à accomplir leur rôle du fait de la résistance de la personne malade. Le fils de M. Verveine (80 ans, enseignant à la retraite) explique ainsi :

On va dire : « Papa, tu vas te raser ? » « Oh ! [Il souffle.] Je me rase demain. » « Mais non. Déjà hier, tu nous avais dit ça. » Bon, ça va être comme ça tout le temps. Voilà. Euh… C’est… c’est comme ça tout le temps. Et puis… et puis, on décide de quelque chose et puis, sinon… c’est voilà, faut se battre tout le temps, c’est fatiguant. Imaginez un peu quand on travaille et quand on rentre, on est un peu fatigué et… et si quand on rentre, on a affaire à lui… C’est vrai que ça va être vite fatiguant.

Dans d’autres cas, l’accompagnement peut être douloureux parce que l’investissement dans l’aide est perçu, au contraire, comme excessif, encore une fois guidé par le sentiment d’obligation avant tout et se heurtant à une non-reconnaissance de l’aide apportée. L’épouse de M. Chardon (78 ans, géomètre à la retraite) vit mal l’accompagnement de son époux, dont elle témoigne dès la première vague. Si M. Chardon affirme : « Pour moi, la vie est belle », son épouse met en avant le fait que ceci est le fruit de son travail sans répit : « Ah, il a la belle vie, hein ! ! J’espère qu’il ne va pas m’enterrer », dit-elle pendant son premier entretien. Plus encore que les problèmes d’incontinence et le rythme ralenti qu’elle provoque, la maladie de M. Chardon est surtout éprouvante à cause de l’attitude détachée de son mari. Il refuse de reconnaître les oublis qui agacent tant son épouse. Il est devenu indifférent aux événements de la vie de ses proches (comme l’opération de sa fille ou le décès d’un ami), mais surtout il reste imperméable face à la souffrance de son épouse qui le vit d’autant plus mal : « Ah, il est détaché ! [Elle pleure.] Ah ! lui, il se fait pas de bile, il se rend pas compte… » Les époux ont des visions contrastées de leur couple. M. Chardon affirme : « On s’entend bien. […]Disons, on jette pas des casseroles à la figure, non-non. [Rires.] » Tandis que son épouse relate des altercations violentes : « Ah ben oui, je vous dis, si je dis : "Non, tu bois pas, pas de vin ce midi, t’as bu assez", tout ça… Et ben, il va prendre la bouteille, il va la balancer à travers la pièce. Ou les assiettes, les assiettes cassées, j’en ai eu beaucoup, les assiettes et les verres cassés ici ça… ça vole. » À plusieurs reprises, l’épouse de M. Chardon souligne la différence de taille et de carrure entre elle-même et son mari comme la limite de ses interventions auprès de lui – tant dans le soin que dans les interventions verbales qui risquent de le contrarier : « Mais je me méfie parce que si je le sens tendu, il peut me tuer [donc] je m’écarte et je le contrarie pas ! » Son mari est devenu pour elle un étranger et l’aide représente un fardeau. Néanmoins, mue par la représentation de l’obligation conjugale, elle a du mal à envisager son placement en institution ; la disparition de son mari serait pour elle la seule issue : « C’est plus mon mari, quoi. Pour moi, c’est… c’est… un ét… alors, des fois, je me dis c’est pas bien, mais des fois, je souhaiterais qu’il meure. [Sa voix change sous l’émotion.] »

Enfin, dans certains cas, l’accompagnement est depuis toujours douloureux car empathique. La belle-fille de Mme Lavande (82 ans, femme au foyer) explique que celle-ci a toujours été très anxieuse : « elle a toujours eu un naturel quand même euh à voir du noir, à voir le verre à moitié vide plutôt qu’à moitié plein, ça c’est sûr. » La maladie et les troubles, dès le début, sont apparus comme une source de stress et de souffrance : « Donc, tout a toujours été un… une source de stress parce qu’elle a toujours eu conscience de ce qui lui arrivait. Ben, c’est pas drôle. J’aurais préféré… qu’elle oublie. » Sauf que si Mme Lavande oublie beaucoup de choses – les gens, les dates, les événements –, elle n’oublie pas que, comme elle le dit, « ça fait quand même dix ans que je suis… que je suis pas bien ». C’est la vision de sa maladie qu’elle partage avec les proches. Comme le confirme sa belle-fille :

On en vient à en préférer quelque chose de physique par rapport à… à un problème moral comme ça. Parce que le fait de ne plus avoir à se passer… se réveiller tous les matins et que ça soit VIDE, c’est… c’est DUR. C’est vraiment dur, et ça nous on le ressent bien, on voit bien qu’il y a un VIDE, quoi.

Au bout du compte, pour la belle-fille, qui se montre très complice avec sa belle-mère, ce n’est pas tant les troubles que le vécu subjectif de la maladie par Mme Lavande qui constitue l’aspect le plus pénible de l’accompagnement :

Alors, peut-être qu’on le vivrait mieux si mamie était quelqu’un qui rit rien qu’en entendant les chants des oiseaux, de… si elle était joyeuse, mais… c’est pas le cas. C’est d’autant plus difficile. Je sais pas s’il y a des Alzheimer gais ou…

Ces différentes expériences d’accompagnement sous tension traduisent, chacune à sa façon, des difficultés de gestion de la distance par rapport aux pratiques d’aide et à la maladie. Dans les trois cas de figure, la personne malade est fortement associée à la maladie : le proche tend à s’effacer derrière la figure du « malade d’Alzheimer » (« on perd la personne », affirme la belle-fille de Mme Lavande). Gérer la distance par rapport à la maladie signifie alors gérer la distance par rapport à la personne, chose qui n’est pas toujours facile et ancrée dans l’histoire des relations. Ainsi, l’épouse de M. Chardon ne peut pas envisager la prise de distance et se voit immergée dans la maladie de son époux. Le fils de Mme Jasmin, au contraire, constate que l’écart entre lui-même, cadre supérieur, et sa mère, qui « n’a jamais été une grande intellectuelle », comme il le dit, ne fait que s’accentuer avec les troubles. Ces configurations d’accompagnement semblent ainsi fragiles, et ceci dès le début, à cause de leur caractère pénible.

Conclusion

Dans cet article, nous avons mis en lumière une diversité d’expériences des proches accompagnant des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer en nous appuyant sur le vécu et le discours des personnes malades. Malgré les risques liés au care auprès d’un proche malade d’Alzheimer (Davin et Paraponaris, 2014), les trajectoires d’accompagnement ne sont pas nécessairement vécues comme négatives. Les aides professionnelles et « la socialisation secondaire à la prise en charge de la maladie » (Le Bihan et al., 2014) peuvent contribuer à limiter « l’impact » de la maladie (Corbin et Strauss, 1988), permettant de maintenir une « gestion de la maladie » (Corbin et Strauss, 1988) stable. De même, les personnes malades peuvent témoigner d’un apaisement dans les relations quotidiennes. Il est cependant nécessaire de rappeler la limite principale de notre recherche : elle a été menée auprès des personnes malades qui se trouvent pour la plupart à un stade modéré, voire léger de la maladie. Une étude auprès des familles des personnes ayant atteint un stade avancé de l’affection pourrait donner une image plus négative. Nous avons toutefois noté que les trajectoires d’accompagnement ne suivent pas nécessairement les évolutions des troubles, qu’ils soient mesurés par l’intermédiaire de l’indice MMSE ou perçues par les proches. Nous avons ainsi rencontré des proches qui disent aller plutôt bien ou mieux malgré le constat d’une évolution objective des troubles qu’ils font par ailleurs. Les deux épouses dont les maris malades n’ont pas pu être interviewés une seconde fois connaissent une trajectoire qui tend vers une construction d’un savoir vivre avec la maladie, contribuant à un sentiment d’aller mieux et de pouvoir tenir le coup dans la durée.

Nous pouvons par ailleurs dégager quelques tendances.

Bien que des tensions et des désaccords puissent être observés entre les personnes atteintes et leurs proches, les trajectoires de leur vécu sont bien souvent concordantes. En revanche, ce sont des cas de discordance opposant les personnes malades qui vont plutôt bien aux proches désemparés qui semblent être les plus pénibles pour ces derniers. Les proches peuvent en effet interpréter le bien-être de la personne malade comme une non-reconnaissance du care qu’ils procurent. La réception du care (Tronto, 2009 [1993]) faisant défaut, ces proches ont du mal à préserver le lien avec la personne et à maintenir un sens à leur accompagnement.

Enfin, nous avons pu observer différentes tendances selon la position des proches dans le réseau de parenté. Les conjoints sont souvent désignés selon « la règle de statut » comme les aidants de première ligne (Lavoie, 2000 ; Membrado et al., 2005), on les retrouve plutôt dans les trajectoires stables et positives ou les trajectoires commencées en désarroi et aboutissant, grâce à un apprentissage, à une forme de savoir-vivre avec la maladie. Quant aux enfants et autres parents, leurs liens avec les proches malades se présentent comme plus fragiles face à l’évolution des troubles. C’est aussi dans ces cas de figure que l’on observe plus rarement des trajectoires de consolidation de liens, malgré le recours aux aides professionnelles et une construction possible d’un savoir-vivre avec la maladie. Les trajectoires d’accompagnement des enfants tendent donc vers davantage de pénibilité. Certains conjoints présentent cependant un vécu douloureux dès la première vague ou constatent un délitement des liens entre les deux vagues. Il est important d’inscrire la trajectoire d’accompagnement dans l’histoire des couples : en effet, les couples fusionnels tendent à être protégés par leur histoire par rapport aux risques de délitement du lien et de tensions relationnelles que produit l’épreuve de la maladie. Leur fonctionnement quotidien de longue date tend à « invisibiliser » l’aide apportée en mettant la maladie à la marge de leur vie et en permettant un « travail biographique » de continuité.