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Introduction

Dans toutes les sociétés, la protection de l’enfance est un sujet délicat puisqu’elle met en parallèle, d’un côté, la liberté de choix des parents dans la détermination de leurs pratiques éducatives et, de l’autre, la responsabilité de l’État face à la sécurité et au développement de tous ses citoyens, incluant les enfants. C’est également un sujet complexe, en raison de la constante transformation des politiques qui sont adoptées en matière de protection de l’enfance et de la diversité des acteurs individuels et collectifs (autorités judiciaires, services de l’État, services communautaires, ONG, associations, etc.) qui sont engagés dans la mise en oeuvre de ces politiques. Un tel contexte agit comme catalyseur de questionnements sur la place relative des parents et de l’État dans la dynamique de protection de l’enfance et sur l’expérience des familles qui sont touchées par les politiques en vigueur. Quels sont les enjeux sous-jacents à la mise en oeuvre de politiques en matière de protection de l’enfance? Quelles sont les modalités de protection de l’enfance privilégiées par les pouvoirs publics? Quelle place occupe la famille par rapport à l’État et par rapport à l’enfant dans cette configuration? Comment s’articulent les droits et les obligations des parents? Pour apporter certains éléments de réponse à ces questions, il nous est apparu utile de porter un regard sur la protection de l’enfance à partir de trois perspectives différentes. En établissant un parallèle entre la vision africaine inspirée de la situation au Burkina Faso, la vision européenne illustrée par la situation en Belgique et la vision nord-américaine basée sur la situation au Québec, nous avons tenté de mieux cerner les enjeux des mécanismes publics de protection de l’enfant.

D’abord, le texte[1] resitue les rapports entre l’enfant, les parents et l’État dans une dimension historique, en évoquant les principales étapes qui ont marqué le passage de la prise en charge de l’enfant par la famille (ou le collectif) à l’intervention de l’État. Ensuite, les mécanismes publics contemporains de protection de l’enfance sont interrogés à la lumière du rôle de l’État. Enfin, le rôle et la capacité des parents sont examinés en fonction de l’intervention étatique.

L’approche adoptée dans ce texte est centrée sur la dimension protection de l’enfance en laissant de côté tout ce qui est relatif aux mineurs délinquants. Se voulant à la fois ouvert et critique sur les implications de l’intervention de l’État dans les familles, ce texte tente de dépasser les différences entre les contextes socioéconomiques et culturels pour discuter des enjeux communs de la protection de l’enfance autour des besoins de l’enfant, de l’engagement des parents et du rôle de l’État.

1. La Convention des droits de l’enfant : un dénominateur commun aux regards croisés de la protection de l’enfance

La Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) a été adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 20 novembre 1989 (Nations Unies, 1989). Elle stipule la nécessité d’accorder « une protection spéciale à l’enfant en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle » et définit trois grandes catégories de droits qui sont la protection, l’accès aux services et la participation. Pour la première fois, un texte international reconnaît des droits spécifiques à l’enfant qui accède au statut de sujet devant la loi (Théry, 1996). Le nombre élevé de pays l’ayant ratifiée (tous les États sauf la Somalie, les États-Unis et le nouvel État du Soudan du Sud) confère à la Convention une forte crédibilité internationale (Lavallée, 1996). La Convention constitue une référence globale en déterminant les priorités que les États s’engagent à respecter dans les systèmes qu’ils mettent en oeuvre sur leur territoire. Parmi ces priorités se trouve l’obligation de protéger les enfants et d’apporter de l’aide aux parents (art. 19, 32, 34, 39). La Convention reconnaît le rôle primordial des parents et l’importance de la famille (élargie) comme milieu naturel pour la croissance et le bien-être des enfants (art. 5). Cependant, la notion de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (art. 3) est établie comme la considération fondamentale dans toutes les décisions qui concernent l’enfant. Le Comité des droits de l’enfant, composé d’experts indépendants, est chargé de surveiller l’application de la Convention. Il examine les progrès accomplis par les pays signataires qui doivent soumettre un rapport tous les cinq ans. Le Comité suggère des changements si les dispositions nationales ne sont pas conformes à l’esprit de la Convention.

Cette perspective des droits de l’enfant est un cadre incontournable pour analyser la portée des politiques et des pratiques d’interventions de l’État, au Nord comme au Sud, et pour établir comment les nations en articulent les principes internationaux avec les particularités locales dans leurs actions de protection de l’enfance. Il s’agit donc de voir l’évolution des politiques nationales et la façon dont les droits et les responsabilités des parents sont considérés et articulés avec les droits des enfants. Entre autres questions, on peut se demander quelle place occupe actuellement la famille face aux droits de l’enfant. Peut-on parler d’une complémentarité « protectionnelle » entre la famille et l’État ou d’un conflit entre les deux institutions?

Trois pays ont été retenus pour cette analyse comparée, soit le Burkina Faso, la Belgique et le Canada [Québec]. Le choix de ces pays repose sur la proximité sociale des auteurs avec leur réalité et sur la disponibilité de données de recherches récentes. Précisons que ces trois contextes sont très différents au plan démographique. La population africaine est très jeune (au Burkina Faso en 2006, 56,2 % de la population avait moins de 18 ans) alors que la population en Europe et en Amérique du Nord est plutôt vieillissante. Cette différence fait en sorte que la place ou la valeur attachée à l’enfant varie (Pitrou, 1996 : 345) de même que la capacité des institutions à prendre en charge l’enfance. Ainsi, toute comparaison internationale comporte des limites eu égard à la diversité des enfances, à la variété des formes et modèles familiaux, à la multiplicité des acteurs agissant dans le champ de la protection de l’enfance et à la capacité des États d’arrimer protection de l’enfance et droits des parents. Malgré ces limites, les regards croisés sont nécessaires, dans la mesure où la confrontation entre des expériences culturelles différentes est essentielle pour (re)penser la problématique de la protection de l’enfance sous influence de principes supranationaux (Pitrou, 1996). Une telle confrontation exige cependant de situer d’abord les principaux changements qui ont marqué, à travers l’histoire, les rôles respectifs de la famille et de l’État dans la prise en charge de l’enfant.

Dans les trois pays, l’« enfant » est défini en référence à la CIDE, soit comme « tout être âgé de moins de 18 ans ». À côté de cette définition globale de l’enfance, les textes de loi nationaux apportent des nuances selon le genre et le secteur de la vie sociale. Par exemple, selon le Code de protection de l’enfance du Burkina Faso, édité en 2006, l’âge légal du mariage est de 17 ans pour les filles et de 20 ans pour les garçons. La période de scolarité obligatoire est de 6 à 16 ans, l’âge d’admission à l’emploi est de 16 ans révolus et de 18 ans pour les travaux dangereux. Toutefois, dans la pratique, cette définition de l’enfant n’est pas toujours respectée, notamment en ce qui a trait à l’accès au marché du travail.

Dans les trois contextes, certains enfants sont confrontés à des situations qui justifient l’intervention d’une autorité publique dans l’espace familial. L’abandon, la négligence et les abus physiques ou psychologiques sont transversaux aux trois pays. La nature de l’intervention étatique va cependant varier, entre autres, selon la structure de la famille au sein de laquelle vit l’enfant.

2. Une sociohistoire du lien parent-enfant et du rôle de l’État dans l’espace familial

La compréhension des politiques contemporaines de protection de l’enfance nécessite un bref retour à l’histoire des sociétés prémodernes pour retracer l’évolution des rapports parent-enfant et pour situer la place de l’État dans les affaires familiales. En effet, on ne peut penser les droits de l’enfant d’aujourd’hui sans d’abord interroger les dynamiques ayant influencé l’intervention des pouvoirs publics auprès de la famille[2], cette institution universelle dont la forme varie selon les sociétés et selon les époques.

2.1 L’enfant sous le contrôle des ainés dans l’Afrique subsaharienne précoloniale

Dans les sociétés précoloniales ou prémodernes de l’Afrique subsaharienne, les travaux d’ethnologues, d’anthropologues, de sociologues et d’historiens montrent que la famille africaine connaissait une diversité dans ses formes, ses modes d’organisation et ses agencements résidentiels. Toutefois, elle avait des traits caractéristiques qui la distinguent largement de la famille actuelle. Ainsi, le rapport parent-enfant dépassait le cadre du lien biologique pour inclure la parentèle, le lignage, le clan ou la communauté (Lallemand, 1993; Vimard, 1997; Mwissa, 2005). Les « ainés » détenaient le pouvoir sur la famille et sur les relations sociales; ils maintenaient leurs descendants dans une dépendance étroite (Dozon, 1986; Vignikin, 1992). Les femmes et les enfants n’avaient qu’un statut de subordonné vis-à-vis des hommes et des ainés (Oppong, 1992; Pilon et Vignikin, 2006). Les enfants avaient un rôle contributif reconnu, néanmoins, ils « devaient à la fois obéissance, soumission, service et reconnaissance non seulement à leurs parents biologiques, mais également à l’ensemble de la parentèle étendue » (Pilon et Vignikin, 2006 : 73). Étant donné que l’enfant était « l’enfant du lignage », pour reprendre la catégorisation faite par Bonnet et al. (2012)[3], sa prise en charge, sa socialisation et son éducation incombaient à l’ensemble du lignage ou de la parenté. L’enfant n’était pas que soumis à la famille et à la parenté, il circulait aussi entre les familles et cette circulation faisait partie des formes de prise en charge de l’enfant.

Dans son ouvrage au titre évocateur La circulation des enfants en société traditionnelle : prêt, don et échange, Lallemand (1977) recense cinq types de déplacement ou de « cession » d’enfants : le fosterage, l’adoption, la mise en gage comme « caution », l’achat et l’adoption de gendres ou de brus. Ces pratiques de circulation d’enfants, que l’on retrouve encore aujourd’hui en Afrique, en Asie et en Océanie, pouvaient émaner des géniteurs, des récipiendaires ou de l’enfant lui-même. En effet, il pouvait être à l’origine de sa propre adoption. Attardons-nous sur deux pratiques informelles qui sont toujours courantes en Afrique : le fosterage et l’adoption.

Le fosterage est une pratique répandue chez les Mossi et les Gouin du Burkina Faso ainsi que chez les Kotokoli du Togo (Lallemand, 1977). Elle consiste pour une famille à confier son enfant à une autre famille; c’est une « forme de délégation temporelle des droits des ascendants au profit d’autres représentants » (Lallemand, 1977 : 48). Elle n’implique pas de changement d’identité, ni même, bien souvent, de localité géographique, préservant ainsi les attaches de l’enfant à son foyer et à son lignage d’origine. Au Burkina Faso, cette forme de placement est également appelée « confiage » : l’enfant est confié à une personne digne de confiance qui a la responsabilité de prendre soin de lui comme un père, de pourvoir à son éducation et de le préparer à la vie adulte. Selon la Cobufade (2009), le tuteur est souvent un ami, un frère ou un maître coranique auquel le père ne demande jamais de compte. Le « confiage » peut prendre fin au bout de quelques années ou durer jusqu’à ce que le tuteur juge que l’enfant est devenu adulte. Dans ce dernier cas, le tuteur peut même aller jusqu’à prendre en charge le mariage de l’enfant.

Quant à l’adoption, elle se distingue de l’adoption plénière occidentale. Elle peut être nominale ou symbolique. En Afrique de l’Ouest, il s’agit d’une démarche ritualisée très circonscrite dans le temps. Par exemple, un nouveau-né peut être confié en adoption à un tiers parce qu’il est menacé par des forces occultes. Cette mise à distance de l’enfant de ses parents biologiques vise à le protéger et à protéger ses parents. Au-delà de cette dimension mythique, un enfant peut également être adopté s’il est abandonné, si ses parents sont inconnus ou s’ils sont incapables de s’en occuper. Cette adoption est possible à la condition que l’autorité coutumière (chef, imam, etc.) en ait été informé au préalable et qu’il ait effectué des recherches de parenté (Tani et al., 2009). Mais la forme d’adoption la plus courante est pratiquée par un proche parent avec l’accord du reste de la famille des parents.

Cette circulation d’enfants, qui a pour effet de modifier la taille et la composition des familles, est guidée par diverses raisons : maintien des liens au sein de la parenté, aide en terme de main-d’oeuvre, expression de solidarité envers un couple sans enfant ou envers des grands-parents, etc. (Lallemand, 1993; Pilon et Vignikin, 2006). Le mérite de ces pratiques est de montrer que « le lien de sang le plus étroit ne donne pas spontanément droit aux prérogatives les plus étendues[4] » (Lallemand, 1993 : 71). Ces pratiques de « circulation » des enfants sont régulées par le droit coutumier, un droit non écrit qui est organisé autour de valeurs et de principes en vigueur (Armstrong, 1999). Elles sont loin d’avoir disparu en Afrique.

L’ingérence d’une autorité politique dans la vie familiale débute avec les politiques coloniales[5] qui sont, du reste, très timides en termes de protection de l’enfance. De nombreux travaux (Cordell et Gregory, 1982; Chirwa, 1993, Compaoré, 1995; Boyden, 1997; Fourchard, 1999; Grier, 2004) montrent que tout au long de la première période de colonisation (1890 à 1930), les enfants sont sollicités au même titre que les adultes dans la mise en valeur des colonies. L’objectif est moins de protéger des enfants que d’assurer le renouvellement d’une main-d’oeuvre[6] en bonne santé et de maintenir l’ordre social (Mc Née, 2004). C’est au cours de la seconde période coloniale (1930-1950) que commence à se poser, théoriquement du moins, la prise en compte des questions sociales, dont la protection de l’enfance. Selon les recherches d’Audibert (1995), ces questions relèvent alors du « service de l’action sociale », un service créé le 19 novembre 1943 et rattaché au ministère des Colonies, dont l’objectif est double : lutter contre les répercussions de la guerre sur les familles des colons et intervenir auprès des indigènes. En Afrique occidentale française (AOF), le service social est introduit en 1948, quatre ans après la conférence de Brazzaville[7] qui a lancé son développement. Les politiques coloniales de l’enfance portent essentiellement sur les besoins de l’enfant dans les domaines de la santé et de la nutrition. L’éducation et les besoins particuliers de certains enfants « difficiles » (jeunes délinquants, enfants en danger, vagabonds) ne seront pris en considération que plus tard par des mesures visant à punir la délinquance juvénile considérée « consécutive à l’exode rural » (Audibert, 1995). Il existe peu d’écrits permettant de cerner les conséquences de ces politiques coloniales sur l’enfance et la famille.

Les recherches africaines et d’africanistes sur l’enfance se sont améliorées vers la fin des années 1960. Elles se sont d’abord intéressées à la petite enfance, aux relations de l’enfant avec son entourage familial (Laye, 1953), aux soins prodigués et à l’éducation (Erny, 1968). Au cours des années 1970, ces recherches se sont élargies[8] en mettant davantage l’accent sur l’enfance dans la société traditionnelle africaine (Erny, 1972; Rabain, 1979; Badini, 1994). Cependant, les écrits scientifiques qui analysent particulièrement les effets des politiques et actions publiques en protection de l’enfance sont peu nombreux (Wouango, 2012b).

Au fil du temps, en Afrique, les systèmes familiaux vont connaître de profondes transformations sous l’influence de nombreux facteurs tels que l’urbanisation du début des années 1950, l’indépendance politique des années 1960, la crise économique de la fin des années 1970 et les politiques d’ajustement structurel de la fin des années 1980, combinés aux migrations, à l’aspiration des jeunes à la liberté et à l’indépendance, et à l’influence de la culture occidentale (Vimard, 1997; Pilon et Vignikin, 2006). Selon Vimard (1997), la crise politique, économique et sanitaire de la fin de 1970 entraine la naissance de nouveaux modèles familiaux plus proches du modèle occidental. Mais les modèles familiaux de type « traditionnel » n’ont pas totalement disparu pour autant. On assiste dès lors à une coexistence entre les familles élargies, les familles monoparentales dirigées par une « femme chef de ménage » et les familles nucléaires (Marie, 1987).

Toutes ces mutations affectent la famille africaine qui se modifie et se réadapte dans ses formes, sa structure et son fonctionnement. Les rapports entre parents et enfants vont se reconfigurer sous l’influence de ces nouveaux modèles de familles et les rapports de pouvoir entre les générations et entre les sexes vont connaître d’énormes changements, entrainant une diminution considérable du contrôle des ainés et des hommes sur les femmes et les enfants : « de façon manifeste, les rapports entre parents-enfants, […] se sont modifiés dans le sens […] d’une individualisation plus marquée et plus précoce des enfants » (Pilon et Vignikin, 2006 : 88). Mais cette tendance ne consacre pas une rupture totale avec la tradition. Les rapports parents-enfants oscillent encore aujourd’hui entre la tradition et les nouveaux droits de l’enfant. Dans ce contexte de grandes mutations apparaît une diversité de visages d’enfants en difficulté ou à risque : enfants des rues, enfants « exploités » au travail, enfants orphelins (du VIH/SIDA et des conflits armés), enfants maltraités, victimes d’abus sexuels et physiques, etc.

Depuis l’acquisition de leur indépendance, la plupart des États africains, dont le Burkina Faso, mettent en place des mesures pour assurer la prise en charge de l’enfance en danger. Diverses législations ont été adoptées ou modifiées : code civil, code pénal, code des personnes et de la famille, code du travail, loi sur l’éducation, etc. Cette situation traduit la présence accrue, lente, mais bien réelle, de l’État dans l’espace familial, présence qui s’est accentuée au début des années 1990 avec la ratification de la CIDE. Il apparaît également dans le contexte africain, et en particulier burkinabé, de nouveaux acteurs qui complètent ou concurrencent l’État dans ce champ de la prise en charge de l’enfance en danger : les ONG et les associations.

2.2 L’enfant sous contrôle de la toute-puissance paternelle dans l’Occident de l’avant XXe siècle

Les recherches sur l’histoire de la famille en Occident permettent également de retracer ses caractéristiques et sa nature, ce qui conduit à nuancer la théorie de la nucléarisation sous convergence linéaire et universelle (Segalen, 1993). Avant l’avènement des mesures législatives axées sur la reconnaissance des droits de l’enfant, celui-ci a longtemps été placé sous le contrôle de la toute-puissance du père. Comme le souligne Lemieux (1996 : 220), « la nature du lien parent-enfant et les signes de l’amour parental dans les sociétés européennes ont été l’objet d’une longue controverse depuis les premiers travaux en histoire de l’enfance ». L’ouvrage de Philippe Ariès (1973), L’enfant et la vie familiale sous l’ancien régime, reste pionnier dans l’analyse de la place faite à l’enfant à cette époque. D’autres travaux ont porté un regard historique sur la prise en charge de l’enfant dans les sociétés européennes comme la France (Youf, 2004, 2011; Verdier, 2009; Haudiquet et Roekens, 2012, etc.) et la Belgique (Depiesse-Hannouille et Van Bostraeten, 1978; Hublet, 1994; Moreau et Ravier, 1998; Tulkens et Moreau, 2000; Guillaume et al., 2005; Nagels et Rea, 2007, etc.). Ils montrent que la conception des rapports parent-enfant au sein de ces sociétés est passée progressivement de la puissance paternelle à l’autorité parentale, puis à la responsabilité parentale et aux droits de l’enfant. Sous l’Ancien régime, c’est le pouvoir absolu du père sur l’enfant et la soumission de ce dernier à son dictat qui prévalent : l’enfant doit respect et obéissance à son père, sinon ce dernier est légitimé de lui infliger des corrections. Jusqu’à la Renaissance[9], la toute-puissance paternelle sur l’enfant, tout comme sur l’épouse, est absolue (Verdier, 2009; Tulkens et Moreau, 2000). Le Code civil napoléonien de 1804[10] se départit du droit romain au sujet de la patria potestas, mais il ne prévoit pas de sanction ou de contrôle à l’égard de la puissance paternelle. Selon Youf (2011), les principes du droit romain et du code napoléonien représentent la « négation de la protection de l’enfance »; ils visent à garantir l’ordre social par la soumission des enfants et des femmes : « Ce qu’il s’agit de garantir jusqu’à la fin du XXe siècle est l’ordre des familles, garant de l’ordre social. Cet ordre nécessite la soumission de l’épouse et surtout des enfants au pouvoir absolu du chef de famille » (Youf, 2011 : 619).

C’est timidement que l’État commence à intervenir dans la vie privée pour se substituer à la famille défaillante. En Belgique, une lecture historique de la protection de la jeunesse faite par Depiesse-Hannouille et Van Bostraeten (1978) et par Tulkens et Moreau (2000) montre que l’intervention du législateur commence avec deux réglementations limitant respectivement l’âge et la durée de mise au travail des enfants (lois du 28 mai 1888 et du 13 décembre 1889). Comme c’est le cas en France, une loi pour la « répression de la mendicité et du vagabondage » est ensuite adoptée[11]. Tulkens et Moreau (2000 : 38-55) indiquent qu’en 1889, un premier projet de loi sur la protection de la jeunesse est déposé. Mais ce n’est qu’en 1912, sous l’influence grandissante des disciplines scientifiques du social (psychologie, pédagogie, médecine sociale, sociologie, etc.), qu’une première loi sur « la protection de l’enfance » est adoptée. Avec cette loi, qui comporte des mesures radicales relativement à la déchéance de la puissance paternelle pour les « enfants moralement abandonnés », une véritable politique de protection de l’enfance se met en place en Belgique. Selon Guillaume et al. (2005 : 23), cette loi « porte atteinte pour la première fois de manière significative à la toute-puissance du père au sein de sa famille puisqu’elle permettra la déchéance de la puissance paternelle […]. Pour la première fois dans l’histoire de la Belgique, il est accepté que l’État se substitue au père ». Ce « modèle protectionnel a marqué, en Belgique comme à l’étranger, le régime des mineurs du XXe siècle » (Tulkens et Moreau, 2000 : 35). L’intervention de l’État y prend la figure du juge d’enfants. Par la suite, l’État continuera de superviser le traitement de l’enfant dans la famille en adoptant différentes lois : loi du 14 mai 1914 sur « l’instruction obligatoire » et, surtout, loi du 8 avril 1965 relative à « la protection de la jeunesse ». La section consacrée à la configuration belge actuelle examinera les implications de cette loi et les changements qui lui ont été apportés au fil du temps.

Au Québec, l’histoire des rapports parent-enfant et des modèles familiaux est proche des tendances observées en France. Dans un article intitulé Lien parent-enfant en mutation : contextes, rôles parentaux et représentation de l’enfant, Lemieux (1996 : 225-227) retrace les grands changements dans la prise en charge de l’enfant au sein de la famille. Elle mentionne que suite à la conquête de la Nouvelle-France par l’Angleterre, sous l’influence de la psychologie critique et des principes véhiculés par les missionnaires, on assiste à une redéfinition des rôles parentaux, à l’apparition de nouveaux modèles familiaux, au développement de nouvelles représentations de l’enfant et du lien parent-enfant et à l’émergence de nouvelles normes éducatives. Ces transformations se font cependant à un rythme différent selon la condition sociale (milieu urbain ou rural) et économique (ouvrier ou classe moyenne) des familles. Pouliot et al. (2009) identifient trois périodes dans l’évolution des rapports familiaux au sein de la société québécoise : la « société traditionnelle » marquée par une intervention faible, voire inexistante, de l’État et une présence forte de l’Église; « la société moderne » marquée par une intervention étatique forte et un contrôle des parents; et « la société actuelle » où prédomine le modèle du partenariat de l’État avec les parents et une intervention axée sur le renforcement des compétences parentales.

Ce survol historique de trois espaces géographiques différents permet de constater que pour les trois contextes, le rôle de l’État dans l’espace familial a connu des changements qui vont tous dans la même direction : une présence accrue de l’État au détriment du pouvoir du père. Mais ce passage de la subordination de l’enfant à la toute-puissance paternelle ou au contrôle de la parentèle vers un modèle social où le parent doit rendre compte à l’État de ses pratiques parentales est un phénomène récent (Théry, 1996; Tulkens et Moreau, 2000; Pouliot et al., 2009). Tulkens et Moreau (2000 : 13) nous le rappellent bien : « la reconnaissance, mentionnent-ils, d’un droit propre pour les mineurs, liée notamment à la découverte de l’enfant au XVIIIe et de l’adolescent au XXe siècle, est une construction sociale récente, historiquement relative ». Si les politiques de protection de l’enfance se focalisent aujourd’hui sur l’intérêt de l’enfant, elles soulèvent des débats sur la façon de concilier les droits de l’enfant et les droits des parents, ceux-ci devant faire face à une autorité suprafamiliale : l’État.

3. L’État, la famille et l’enfant au coeur des politiques contemporaines de protection de l’enfance

Depuis que les pays ont adopté le grand principe de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), il y a eu un passage des droits des parents aux droits des enfants. Ce passage, qui s’est traduit dans divers textes législatifs, pose le défi d’établir jusqu’où l’État peut s’immiscer dans l’espace domestique familial pour protéger les enfants. Cet enjeu fait référence à la distance entre la sphère privée et la sphère publique. Pour établir quelles sont les formes actuelles d’interaction ou de dialogue entre ces deux sphères, nous examinerons, pour chacun des contextes à l’étude (Afrique, Belgique, Québec), les reconsidérations des pouvoirs et des responsabilités des parents face aux droits de l’enfant ainsi que les formes d’intervention étatique et les enjeux liés à ce que Godard (1992) appelle la « parentalité » et « l’enfantéité » dans les politiques actuelles.

3.1 La configuration burkinabé : du Code des personnes et de la famille de 1989 au Code de protection de l’enfance de 2006

Du fait des réticences sur la nécessité du service social en Afrique occidentale française, le Service des affaires sociales en Haute-Volta n’a été créé qu’en 1954. Jusque-là, la politique coloniale en matière d’enfance avait été centrée sur la prévention de la mortalité infantile et juvénile et la délinquance juvénile. Selon Audibert (1995 : 425-428), ce service s’est concrétisé par la formation d’aides sociales ayant pour mandat de mener des actions de protection maternelle et infantile, d’enseignement ménager et professionnel, et de lutte contre les effets pervers de l’urbanisation sur l’enfance. Les services sociaux en matière d’enfance portent donc essentiellement sur les activités de soins. C’est plus tardivement que seront posés le problème de l’éducation de base et celui de « l’enfance difficile ». Il en découle une double vision de l’enfant voltaïque : celle d’un être à protéger et celle d’un problème d’ordre public à éviter (Boyden, 1997; Wouango, 2012a).

À son indépendance en 1960, le Burkina Faso[12] hérite des législations et des institutions mises en place par le colonisateur français. Mais il y opère progressivement un certain nombre de changements pour les adapter à la réalité locale. Le Code civil (de 1804, appliqué depuis 1919) est remplacé par le Code des personnes et de la famille, qui entre en vigueur le 4 août 1990. Il définit le mineur comme l’individu qui n’a pas encore l’âge de 20 ans accomplis.

Contrairement à la question de l’éducation qui, en Haute-Volta indépendante, a été bien documentée[13], la situation de la protection de l’enfance au Burkina Faso a été moins étudiée. Les écrits qui dressent le bilan de l’action des pouvoirs politiques et des acteurs de la société civile avant les années 1990 sont rares. Cet état de fait limite les possibilités de faire une analyse éclairée de la situation au Burkina Faso. On peut néanmoins relever que le Code des personnes et de la famille mentionne que l’autorité parentale « a pour but d’assurer la sécurité de l’enfant, sa santé, son plein épanouissement et sa moralité » (art. 510), ce qui implique une soumission de l’enfant non seulement à ses parents, mais également à l’entourage familial : « l’enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère et autres ascendants, ainsi qu’à ses oncles, tantes, et frères et soeurs majeurs ou émancipés » (art. 508). Cependant, l’État a le pouvoir de contrôler l’exercice de l’autorité parentale et de la retirer partiellement ou totalement aux parents s’ils manquent à leur mission.

En plus de l’adoption de ce code, toujours en vigueur à ce jour, le Burkina Faso s’est rallié aux textes internationaux en matière de protection de l’enfance, dont les principaux sont la CIDE, ratifiée par le Burkina Faso le 31 août 1990, et la Charte africaine des droits et du bien-être des enfants (CADBE) du 11 juillet 1990, ratifiée le 6 juin 1992. Depuis le début des années 2000, les actions politiques et les pratiques à l’égard de la protection de l’enfance en difficulté se réfèrent, d’une façon générale, aux principes de la CIDE.

La Politique nationale d’action sociale (MASSN, 2007b : 9-11) répertorie les principaux problèmes auxquels les enfants sont exposés au Burkina Faso : abandon, maltraitance, abus et négligence, décès des parents, malnutrition, mortalité infantile, non-enregistrement à l’état civil, pauvreté des familles, mendicité, etc. Ces problèmes sont très diversifiés et ils dépassent les situations de négligence et d’abandon qui sont au coeur des lois belges et québécoises en matière de protection de l’enfance. En outre, selon leur âge et leur genre, les enfants sont confrontés différemment à ces problèmes (Carle et Bonnet, 2009).

Dans l’objectif d’harmoniser la législation nationale avec les textes internationaux, un « code de protection de l’enfance » a été publié en mars 2006 sous l’égide du ministère de la Promotion des droits humains. Ce code est une compilation de tous les textes de lois internationales, nationales et régionales qui protègent les droits des enfants. Même si la référence à l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas explicite, les dispositions qui y sont contenues partent de ce principe. En raison de son volume et de la diversité des textes que contient ce code, certains observateurs estiment qu’il serait utile d’adopter un « Code burkinabé de l’enfance », pour établir dans un texte unique l’ensemble des droits de l’enfant, en tenant compte, notamment, de la CIDE et de la CADBE (Cobufade, 2009). Mais pour d’autres acteurs, le défi pour le Burkina Faso, comme pour la plupart des États en développement, n’est pas tant d’adopter des textes de loi que de trouver les moyens pour assurer une application effective de ceux qui existent. Ainsi, on peut se demander : Comment les différents textes garantissent-ils la protection des enfants au Burkina Faso? Comment l’État[14] contrôle-t-il les parents qui n’assument pas convenablement leurs responsabilités parentales?

3.1.1 Un contrôle très relatif des familles par l’État

Quand le cadre familial n’est plus en mesure d’assurer une prise en charge adéquate de l’enfant ou quand l’enfant est considéré comme abandonné, sa prise en charge peut revêtir une nature publique (placement en famille d’accueil ou en institution) ou privée (prise en charge par les proches). Les interventions publiques sont cependant limitées. Tani et al. (2009) n’ont répertorié que 45 familles d’accueil sur tout le territoire burkinabé. Jusqu’en 2006, il n’existait pas d’établissement public d’accueil des enfants abandonnés ou orphelins au Burkina Faso (Tani et al., 2009). La première institution publique d’accueil des enfants en difficulté a été créée en 2007. Par contre, depuis 1931, il existe des établissements privés d’accueil (pouponnière, orphelinat, villages d’enfants). Pour l’essentiel, ces structures, au nombre de 32, sont implantées dans les grandes villes du pays. Elles reçoivent très peu de subventions de l’État et sont plus ou moins encadrées par le ministère de tutelle par l’intermédiaire des services de l’action sociale et de la solidarité nationale. Il n’existe pas de textes définissant les conditions d’ouverture et de fonctionnement de ces structures privées de placement. De ce fait, dans certains établissements, les conditions d’hébergement et de prise en charge des enfants sont loin d’être satisfaisantes. Quant à la prise en charge des adolescents, le ministère de l’Action sociale dispose, pour tout le pays, de trois centres chargés de recueillir diverses catégories d’enfants : enfants désoeuvrés, jeunes déviants, enfants travailleurs, enfants mendiants, etc. Ces centres souffrent « d’insuffisances et de lacunes d’ordre matériel, organisationnel et technique » (MASSN, 2007 : 16). La situation est telle qu’en 2010, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a demandé au gouvernement du Burkina Faso de « développer rapidement une stratégie efficace en matière de protection de remplacement pour les orphelins et autres enfants vulnérables » (Committee on the rights of the child, 2010 : 12).

L’application du Code des personnes et de la famille adopté en 1989 n’a pas fait véritablement l’objet d’une évaluation d’impact à l’échelle nationale. Il faut se référer aux rapports périodiques que le pays a soumis au Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Ces rapports, qui sont une compilation des activités des différentes structures étatiques et associatives, font état de plusieurs avancées : sensibilisation aux droits de l’enfant, meilleure scolarisation des filles, priorité accordée à la famille, etc. Toutefois, on y reconnait que « malgré les efforts déployés par l’État avec l’appui de nombreux partenaires, qui ont permis d’enregistrer des progrès, la situation de l’enfant demeure préoccupante » (MASSN, 2006 : 11). Un autre rapport publié en 2009 va dans le même sens en soulignant que « malgré les multiples conventions, la situation des enfants et des jeunes reste précaire au Burkina Faso » (INSD, 2009 : 23).

Dans le contexte burkinabé, l’État demeure à l’écart des familles faute de moyens humains, financiers et matériels; le ministère de l’Action sociale dispose de moins de 1 % du budget national[15]. Les services de l’Action sociale se limitent donc à intervenir dans les situations très graves où ils sont interpellés. Les ONG et autres organismes, surtout internationaux, qui ont plus de moyens financiers et qui font parfois concurrence aux structures étatiques, sont actifs dans certains domaines précis : santé, éducation, nutrition, travail, etc. Selon ces organisations, plusieurs lois, conventions et règlements ont été adoptés, mais ces mesures ne sont pas respectées par les parents et les communautés (Cobufade, 2009). Badini (2012) nuance cependant ce point de vue. Il estime que les grands principes de la CIDE sont respectés par les « mécanismes traditionnels » (amour, droit à la vie, à un nom, à une famille, à une éducation, etc.), mais il existe certaines résistances liées à la conception hiérarchisée de l’enfance et aux réalités objectives et subjectives de l’environnement.

Dans ce contexte d’engagement limité de l’État, la prise en charge des enfants dépend fortement des solidarités familiales et du sentiment d’obligation de la parenté et de la communauté. Les formes informelles de prise en charge de l’enfant, présentées au début de l’article, continuent d’être prédominantes sous des formes diverses en zones rurales comme urbaines : confiage, tutorat, etc. Mais avec la détérioration des conditions de vie, le traitement des enfants placés ou confiés prend souvent des formes proches de l’exploitation économique ou de la maltraitance. Des abus marquent souvent la pratique protectrice du « confiage » (Jacquemin, 2009).

Au Burkina Faso, les rapports entre la famille et l’État s’inscrivent donc dans un contexte où le discours sur la responsabilité des parents s’accompagne d’une absence de l’État, sauf en cas de faits très graves qui sont médiatisés dans l’opinion publique. De récentes études sur l’action des services sociaux et des services de l’inspection du travail auprès des enfants travailleurs et de leur famille démontrent cet état de fait (Traoré, 2009; Wouango, 2011, 2012b)[16]. Cette situation n’est pas en soi étonnante, car si l’État ne dispose pas de moyens pour aider les enfants et les parents, comment peut-il exercer un contrôle sur l’autorité parentale? Et devant l’insuffisance des structures publiques de prise en charge des enfants en difficulté, il n’est pas étonnant que des enfants tentent de prendre en charge leur propre destin, comme ils le font en tant qu’enfants-chefs de ménage. Estimés à 12 896 en 2006 (INSD, 2009 : 69), seulement une cinquantaine de ces enfants sont encadrés dans la capitale par l’Association africaine de solidarité (AAS). Les défis pour les services sociaux sont donc nombreux dans leurs actions auprès des familles et des enfants en difficulté. À ce sujet, le Comité des droits de l’enfant a demandé au pays de renforcer la promotion et le soutien des « formes de protection de remplacement de type familial et communautaire pour les enfants privés de soins parentaux, afin de diminuer les placements en institution » (Committee on the rights of the child, 2010 : 12).

3.2 La configuration belge : de la Loi de 1965 au décret du 4 mars 1991

En Belgique, la loi de 1965 a marqué une étape majeure dans le champ de la protection de l’enfance en distinguant la protection sociale (par voie d’acceptation) et la protection judiciaire (par voie de contrainte), les deux étant par ailleurs complémentaires. Par rapport à la loi de 1912, elle apporte de grands changements concernant le statut de l’enfant, les rapports entre parents et enfants, la perception de l’enfance et les mesures visant sa protection. Entre autres, l’âge de la majorité pénale passe de 16 à 18 ans et la resocialisation est privilégiée à la pénalisation (voir Guillaume et al., 2005 : 65-66). Selon Tulkens et Moreau (2000), la protection sociale est l’apport le plus original de la loi de 1965. Elle trouve son origine dans ce que les auteurs appellent « la pratique prétorienne des parquets en matière de déchéance de la puissance paternelle » (op.cit : 224-225). L’objectif de la protection sociale « est d’apporter une solution d’ensemble aux problèmes soulevés par le traitement de la jeunesse inadaptée et délinquante. À cet effet, elle consiste en l’organisation d’un ensemble de mesures de prévention, d’assistance et d’éducation qui lui confère sa nature sociale » (op.cit : 227). La loi définit trois lignes de la protection de la jeunesse qui sont successivement et en priorité : la famille, la protection sociale et la protection judiciaire. Elle fonde ses dispositions sur le principe de l’intérêt de l’enfant : « Cet intérêt prémunit tous les autres : intérêts des parents, des éducateurs, des enseignants, de la famille, etc. » (op.cit : 226). La loi protège autant qu’elle prévient, implique les père et mère dans l’éducation des enfants, instaure des comités de protection de la jeunesse et d’autres types d’institutions, spécialise et professionnalise davantage le secteur de la protection de l’enfance. Avec cette loi, qui est antérieure à la ratification de la CIDE par la Belgique, « l’interventionnisme de l’État atteint son sommet » (Depiesse-Hannouille et Van Bostraeten, 1978 : 293).

L’analyse de son application pour la période de 1965 à 1990, faite par Moreau et Ravier (1998) et par Tulkens et Moreau (2000 : 242-275), trace cependant un portrait inquiétant. On y constate une hausse des placements au détriment des interventions préventives, une extension du contrôle sur les couches sociales les plus défavorisées et une tendance à la pénalisation des mineurs délinquants au détriment d’une prise en charge des enfants en danger. On relève également une confusion entre la protection judiciaire et la protection sociale, cette dernière venant généralement au second rang, et un manque de moyens pour appliquer la loi.

Si la notion de responsabilité parentale a été mise de l’avant avec la loi de 1965, au début de 1990[17] elle prend une importance majeure avec la communautarisation des interventions auprès des jeunes et des familles en difficulté. Suite à l’abrogation de certaines dispositions de la loi de 1965, les deux grands axes de la protection de la jeunesse sont scindés : la partie relative à l’aide et à l’assistance à la jeunesse est confiée aux communautés linguistiques qui ont instauré des réformes, alors que la délinquance juvénile demeure sous la responsabilité de l’État fédéral (Nagels et al., 2006; Nagels et Rea, 2007).

Le 4 mars 1991, un décret relatif à l’Aide à la jeunesse est adopté par la Communauté française de Belgique; il vise les jeunes et les familles en difficulté. Ses principes directeurs sont la complémentarité de l’aide spécialisée et de l’aide générale, la déjudiciarisation, la priorité de la prévention, la coordination ainsi que la concertation entre les différents secteurs de la protection de la jeunesse. L’article 2 du décret précise la cible de la loi, soit : « tout enfant dont la santé ou la sécurité est en danger ou dont les conditions d’éducation sont compromises par son comportement, celui de sa famille ou de ses familiers » (art. 2.2). Avec ce décret, le législateur reconnait des droits à l’enfant qui correspondent aux droits reconnus par la CIDE[18]. Le décret insiste sur le droit à l’aide spécialisée, sur le respect des droits fondamentaux des jeunes et des familles et sur la priorisation de l’aide donnée dans le milieu de vie de l’enfant. On y mentionne que le retrait du jeune de son milieu familial doit être l’exception (art. 9). Il semble donc que l’autorité parentale ait retrouvé ses lettres de noblesse, puisque l’intervention de l’État dans les familles ne doit se produire que lorsque la santé, la sécurité ou le développement de l’enfant est en danger.

3.2.1 Les effets pratiques sur la famille et ses rapports à l’État

Dans leur analyse, Moreau et Ravier (1998 : 114-115) reconnaissent que la place des parents est redevenue centrale avec la notion de responsabilité « contractuelle », qui repose sur un contrat négocié entre le conseiller de l’aide à la jeunesse (l’aidant/État), les parents et le jeune en difficulté. Mais la radioscopie de l’Aide à la jeunesse faite par Hublet (1994) montre peu de changements dans la pratique par rapport à ce qui existait avant le décret. La responsabilité « contractuelle » est plus perçue en termes d’obligations que de droits par les parents. La pratique ressemble à ce que Vrancken (2010) nomme une « politique d’activation » des familles : l’aide et l’assistance doivent être suivies d’un effort prouvé de la part des parents. Moreau et Ravier (1998) parlent d’une relation de pouvoir plutôt que d’aide (dont l’agent de l’État est le dominant). Il semble donc que le décret a eu pour effet de disqualifier les parents et de surqualifier les jeunes, créant ainsi une négation de la relation intergénérationnelle au sein de la famille. On assiste ainsi à un brouillage des frontières au sein de la sphère privée suite à l’intervention publique.

Face à ce constat, le gouvernement de la Communauté française a pris de nouvelles mesures en 1998 pour, entre autres, limiter le nombre de placements. Mais selon plusieurs observateurs, ces mesures ont eu un certain nombre d’effets pervers : baisse des réponses adéquates pour les jeunes en grande difficulté, renforcement du pouvoir des intervenants, plus grand contrôle sur le jeune et sur la famille (Tange, 2000; Vanhamme, 2002; Nagels et Rea, 2007). Les critiques les plus virulentes soulignent que les familles en difficulté vont de plus en plus mal et sont de moins en moins aidées. Avec le principe de subsidiarité ou de délégation, selon lequel le « système d’action centralisée » réserve « une place importante aux organisations privées sans but lucratif » (Guillaume et al., 2005 : 186), les parents se retrouvent coincés, puisqu’ils doivent prouver leur volonté d’être de « bons parents » sans pouvoir compter sur une aide adéquate pour les accompagner dans ce sens.

Dans son article Quel droit à la famille pour les personnes vivant dans la grande pauvreté? Sana (2007) arrive au constat que ces familles peuvent difficilement arriver à développer une vie familiale stable et sécurisante pour leurs enfants de sorte qu’elles vivent dans la peur permanente de voir leurs enfants leur être retirés. Il en résulte une méfiance vis-à-vis de l’intervention de l’État et un conflit entre ce que les parents considèrent comme leurs droits et ce que l’État considère comme relevant de l’intérêt supérieur de l’enfant. Selon Sana (2007), le contexte de vie de certaines familles est à ce point précaire qu’il ne peut apparaître autrement que « maltraitant » envers l’enfant, suscitant une lecture rapide en termes d’incompétence et de maltraitance par négligence. Elle se questionne : « Comment ne pas être perçu comme mettant son enfant en danger lorsque l’on vit dans la pauvreté, dans des conditions précaires, lorsque la faiblesse des ressources financières, mais aussi socioculturelles et éducatives ne permet pas des conditions de vie décentes et des réponses adaptées » (Sana, 2007 : 42)? L’aide de l’État pour renforcer les capacités parentales est insuffisante, ce qui fait que les familles sont souvent livrées à leur propre sort et placées dans une situation paradoxale : prouver leur bonne parentalité en l’absence d’une aide réelle et suffisante pour les accompagner dans l’amélioration de leurs compétences parentales. Malgré ces lacunes, le décret de 1991, qui a fait l’objet de certains ajustements depuis son adoption, demeure la politique qui régule la protection des enfants en Belgique.

3.3 La configuration québécoise : de la Loi sur la protection de la jeunesse de 1979 à celle de 2007

Au Québec, les lois sur la protection de la jeunesse ont été développées sous l’influence des autres provinces canadiennes, elles-mêmes influencées par les législations américaines (Goubau, 2012). La première véritable loi sur la protection de l’enfance entre en vigueur le 15 janvier 1979, pour répondre aux besoins des enfants et pour soutenir les parents dans leurs responsabilités (Dini et al., 2011). Elle affirme le principe de l’autorité parentale du père et de la mère et justifie l’intervention de l’État lorsqu’il s’agit de protéger les enfants. Au fil des ans, cette loi connaitra différentes modifications à la fois au regard du processus judiciaire et de l’intervention sociale (voir les rapports Charbonneau 1982; Jasmin, 1992; Turmel 2004 et Dumais de 2004). Si ces changements visent une meilleure protection des enfants, ils ne remettent pas en question la primauté de l’autorité parentale et l’importance de responsabiliser les parents (rapport Charbonneau, 1982; Dini et al., 2011 : 30).

La nouvelle loi, entrée en vigueur en 2007, affirme toutefois que « les décisions prises en vertu de la loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant et le respect de ses droits » (art. 3). Cette loi introduit de nouvelles situations pouvant justifier une intervention du Directeur de la protection de la jeunesse. Aux situations d’abandon, négligence, abus sexuels, abus physiques et troubles de comportements sérieux de l’enfant (art. 38) s’ajoutent les mauvais traitements psychologiques ainsi que les risques de négligence, d’abus physique et d’abus sexuel. Si cette loi autorise l’intervention de l’État au sein de la famille, elle rappelle que « la responsabilité d’assumer le soin, l’entretien et l’éducation d’un enfant et d’en assurer la surveillance incombe en premier lieu à ses parents » (art. 2.2). Cette préséance des parents est toutefois assujettie au droit de l’enfant de vivre dans un contexte qui assure sa sécurité et son développement et dans lequel il peut bénéficier d’un environnement stable. Pour favoriser cette stabilité, la Loi met de l’avant certains principes : le maintien de l’enfant dans son milieu familial, le placement auprès de personnes significatives lorsqu’il doit être retiré de sa famille, la précision de durées maximales de placement en milieu substitut et la mise en place d’un projet de vie visant à « assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de cet enfant, appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente » (art. 91.1) au terme d’une période de placement dont la durée ne peut dépasser 12 à 24 mois, selon l’âge de l’enfant.

3.3.1 Pratiques centrées sur la famille et l’éducation familiale

Dans le cadre de la nouvelle loi, les centres jeunesse, organismes responsables de son application, doivent s’investir à aider les parents qui éprouvent des difficultés à répondre à leurs obligations parentales. Ils doivent privilégier la participation de la famille à toutes les étapes du processus d’intervention. Une place importante doit être accordée à la mobilisation des parents pour construire des solutions susceptibles d’assurer la sécurité et le développement de leurs enfants (Association des centres jeunesse, 2012). Mais des analyses sur cette volonté de renforcement de la famille révèlent un certain nombre d’enjeux qui témoignent de la nature flottante des rapports entre l’État et les familles, entre vie publique et vie privée.

Les premières analyses de l’impact de cette loi arrivent à des résultats qui vont dans la direction souhaitée par le législateur en matière de réduction des placements et d’amélioration de la stabilité des enfants retirés de leur famille. L’étude de Turcotte et al. (2011) révèle une hausse des placements en milieux informels (famille élargie ou personne significative) et une stabilité relationnelle plus grande chez les enfants. Les chercheurs constatent également que les acteurs concernés par l’application de cette loi portent un regard globalement positif à son sujet. Cependant, certains aspects soulèvent des inquiétudes, notamment la collaboration entre les centres jeunesse et les autres organismes de la communauté qui offrent des services aux familles en difficulté, de même que leur capacité à offrir des services appropriés et adéquats pour répondre aux besoins des familles et des jeunes. Moisan (2011) montre qu’il existe encore des problèmes concernant l’offre de services aux parents. Avec l’introduction de durées maximales de placement, la nouvelle loi met beaucoup de pression sur les intervenants et sur les parents (Goubau, 2012), et cette pression est exacerbée par le manque de ressources pour venir en aide aux parents. Or les enfants qui sont adressés au système de protection proviennent, majoritairement, de familles en situation de pauvreté économique (Association des centres jeunesse du Québec, 2010; Goubau, 2012), et ces familles ont besoin d’aide pour renforcer leurs compétences parentales. De plus, il y a parfois une incompréhension de la part des parents relativement aux dispositions de la Loi (Saint-Jacques et al., 2011). Ces observations rejoignent les analyses faites sur les interventions en Communauté française de Belgique concernant les familles vivant dans une grande pauvreté.

4. Discussion : enjeux et défis de la protection de l’enfance au-delà de la diversité des contextes

Le système de protection de l’enfance a pour rôle principal d’intervenir quand la sécurité et le développement d’un enfant sont compromis, et ce, en aidant les familles en difficulté dans le respect de leur droit à la vie privée (Waldfogel, 2009). Dans les pays d‘Europe et d’Amérique du Nord, l’État joue un rôle central dans la protection des enfants. A contrario, le manque de ressources rend souvent les pays du Sud impuissants à protéger les nombreux enfants en difficulté. Mais, quel que soit le contexte, la protection des enfants, tant au regard des paramètres de la Convention internationale des droits de l’enfant que du rôle des États, comporte des enjeux importants.

Le premier enjeu pose la question de la prise en compte de la diversité des enfances et des besoins des enfants selon les contextes socioculturels. Sur ce plan, la Convention a fait l’objet de plusieurs critiques. Elle est perçue, par certains, comme une forme de globalisation de l’enfance qui ne tient pas compte de la diversité des enfances et des inégalités entre les enfants du monde (Boyden, 1997). Pour Moreau et Ravier (1998 : 114), la Convention « présente comme modèle l’enfant de la société occidentale de culture bourgeoise » et n’est rien d’autre qu’une idéologie. Si la référence à l’intérêt de l’enfant et la reconnaissance de besoins qui lui sont propres représentent des apports majeurs de la Convention, le principe fondamental qu’est l’intérêt supérieur de l’enfant y demeure imprécis. Comme la Convention ne le définit pas, il est soumis à diverses interprétations et souvent laissé à l’appréciation des intervenants. Cette situation amène Talkens et Moreau (2000 : 1006) à se demander : « L’intérêt supérieur de l’enfant est-il de voir ses droits respectés ou le premier droit de l’enfant est-il le respect de son intérêt? » Un autre enjeu réside dans la difficulté de concilier ce que les parents considèrent comme leurs droits et l’intérêt de l’enfant. Sur ce sujet, les conceptions multiples posent un problème majeur dans l’application de la Convention qui, aux yeux de certains, ne demeure qu’une intention, car aucune sanction n’est infligée aux États qui n’assurent pas une protection réelle et suffisante aux enfants (Théry, 1996). En fait, elle n’a d’effets réels sur la vie des enfants en difficulté que si l’État signataire a les moyens d’en assurer l’application dans le cadre d’une véritable politique de protection de l’enfance. À l’échelle africaine, Mwissa (2005) constate que l’incidence des nouvelles politiques familiales et des politiques de l’enfance varie selon les pays, mais elle reste encore globalement faible eu égard au nombre d’enfants à prendre en charge et à la faible capacité d’action des États et des institutions publiques.

Malgré cela, il faut reconnaitre que la CIDE a eu un impact important en offrant un cadre d’interprétation de la protection de l’enfance. L’intérêt de la Convention doit se lire comme un outil de régulation sociale, voire comme un « référentiel » (Muller, 2006) de ce qui devrait être la « bonne enfance ».

Au-delà de la mise en application de la Convention, il y a des enjeux éthiques autour des rapports entre vie privée et ordre public, entre l’articulation des droits et responsabilités des parents et des droits des enfants. La famille et l’enfance sont des objets indissociables, et, à cet égard, il y a toujours un risque à se substituer à la famille pour protéger l’enfant. Pour les intervenants, assurer la protection de l’enfant sans aggraver la situation ou compliquer une vie familiale déjà très difficile est un défi de chaque instant. Malgré la diversité des contextes et des formes familiales, la famille, qu’elle soit nucléaire ou élargie, reste encore le fondement de l’ordre social et de la vie en société, comme l’ont reconnu la Convention et les lois nationales. L’analyse transnationale présentée dans ce texte a révélé diverses formes d’interactions possibles entre le respect de la vie privée et le maintien de l’ordre public encadré par l’État. Le respect de la vie familiale constitue un « enjeu politique » (Commaille et Martin, 1998) autour duquel gravitent tous les mécanismes de la protection de l’enfance du XXIe siècle. Autour du rôle central de la famille se pose également l’enjeu éthique des contraintes qui peuvent être exercées sur les parents qui n’acceptent pas volontairement les interventions de l’État (Saint-Jacques et al., 2012). Dans certains cas, la liberté de choix des parents et leur droit d’être soutenus et compris apparaissent inconciliables avec le droit des enfants d’être protégés. C’est pour composer avec ce genre de situations que les lois sur la protection de l’enfance sont votées. Mais dans leur application, les intervenants doivent faire tout en leur possible pour dépasser ce caractère inconciliable et réintroduire les parents dans la vie de l’enfant.

Enfin, la question de l’efficacité des politiques et des interventions en protection de l’enfance doit demeurer une préoccupation majeure; il faut que le paradigme de la protection de l’enfance soit constamment remis en question et repensé (Wolfgang, 1998) afin de mieux cibler les familles à haut risque, d’élargir l’accès aux services protégeant les enfants et d’adapter les réponses aux besoins des familles. La protection de l’enfance, même fondée sur la perspective des droits, ne peut se cantonner à des réponses standardisées du type one-size-fits-all (Wolfgang, 2009 : 205). Il faut poursuivre les efforts pour diversifier les modes d’intervention et identifier des expériences en mesure de fournir des données probantes susceptibles de guider les politiques et les pratiques autour d’une approche intégrée de la protection de l’enfance (Wolfgang, 1998; 2009; Wise, 2003). Selon Wolfgang (2009 : 111-112), il est nécessaire de développer un « nouveau paradigme de la protection de l’enfance » caractérisé par un accent accru sur la prévention et l’accès rapide et anticipé à l’aide; un partenariat avec les services de la communauté et avec les parents; une reconnaissance et une valorisation des ressources et des services informels d’aide aux enfants et aux familles; une collaboration entre les différents acteurs; un accent sur l’offre de réponses différentielles adaptées aux problèmes, besoins et ressources de chaque famille, et la distinction entre les familles à haut risque et celles à faible risque. Ce type d’approche globale et intégrée peut avoir des implications politiques et pratiques comme en témoignent certaines expériences (Wise, 2003). Les pays du Sud connaissent une omniprésence des formes informelles de prise en charge de l’enfant par la famille élargie ou la parenté. Le défi sera, pour ces pays, de développer des politiques et des pratiques qui valorisent les pratiques informelles tout en les régulant pour les rendre conformes aux principes de protection de l’enfance.

La perspective des droits offre un cadre normatif pour orienter et améliorer les interventions en protection de l’enfance. Toutefois, face aux multiples besoins des enfants et des familles en difficulté, à la diversité des modèles familiaux et à l’émergence de nouvelles problématiques familiales, cette perspective reste insuffisante et elle se doit de conjuguer avec d’autres approches pour renforcer le système de protection de l’enfance des différents pays dans le respect de leur diversité sociale et culturelle.

Conclusion

Cette analyse des configurations institutionnelles de la protection de l’enfance révèle que les politiques nationales contemporaines sont fortement ancrées dans les principes de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Avec le temps, les rapports de l’enfant avec l’État et ses agents se sont renforcés, guidés par le souci de faire en sorte que toutes les décisions privilégient d’abord l’enfant, ses droits et son intérêt. Cependant, les systèmes de protection de l’enfance ne peuvent agir en isolant l’enfant de sa famille, sauf dans des cas les plus graves. La protection de l’enfance, en tant qu’action publique, est un enjeu permanent non seulement pour l’État et ses agents, mais aussi pour les familles. La comparaison internationale nous révèle que la perspective des droits de l’enfant ne s’avère efficace que si elle est accompagnée de moyens pour assurer sa mise en oeuvre et si elle est intégrée à un ensemble d’actions qui tiennent compte de l’environnement familial et social de l’enfant, des difficultés et ressources des parents, et des moyens dont disposent les différents acteurs du système de services.