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Introduction

Au Québec, la décennie 1990-1999 a été la période où le nombre d’adoptions internationales, à savoir les enfants ayant été adoptés dans un pays étranger, a culminé avec 8 101 enfants adoptés (Ministère de la Famille et des Aînés, 2011 ; SAI, 2005). Les enfants adoptés durant cette période sont aujourd’hui des adultes et constituent la plus importante cohorte de personnes adoptées à vivre la quête des origines et ses défis. L’adoption internationale est plénière et traditionnellement de nature fermée au Québec. Ceci signifie que les liens de filiation préexistants entre l’enfant et sa famille biologique, se trouvant dans le pays d’origine, sont rompus et que d’autres liens sont établis avec la famille adoptive se trouvant dans le pays d’accueil, et qu’il y a confidentialité et aucun contact entre les familles adoptive et biologique (Ouellette, 2005).

Au cours de leur trajectoire, les personnes adoptées vont vivre leur développement de soi, caractérisé par un processus dynamique qui les conduit à mieux se connaître, découvrir qui ils sont et s’épanouir dans les différentes sphères de leur vie (Brodzinsky et al., 1992 ; Jaotombo, 2009). Pour les personnes adoptées, ce développement de soi comporte aussi leur identité adoptive, soit le sens qu’elles donnent à leur adoption (Grotevant et al., 2000). Cette dernière est composée de trois dimensions : intrapsychique, associée aux relations familiales et liée au social à l’extérieur de la famille. Pour plusieurs de ces personnes, la quête des origines est partie intégrante de ce développement de soi. Cette quête est une « requête formelle pour des informations sur leurs origines » [traduction libre] (Müller et Perry, 2001 : 9) où au cours de leurs démarches, les personnes adoptées « [peuvent être menées à] faire des efforts concrets pour rentrer en contact avec leur famille biologique » [traduction libre] (Müller et Perry, 2001 : 9). Les personnes en quête de leurs origines peuvent être confrontées à différents obstacles et vont alors se tourner vers les médias sociaux pour obtenir des réponses à leurs questions.

Les médias sociaux, comme Facebook, Twitter, Snapchat, YouTube et Instagram, ont modifié drastiquement la manière dont la quête des origines est accomplie. En utilisant ces outils, les personnes adoptées et les membres de leur famille biologique peuvent éluder certaines des difficultés liées à la recherche des origines en adoption internationale. L’utilisation de ces outils pour se retrouver et rentrer en contact peut toutefois causer divers problèmes et désagréments.

Les auteurs cités ayant étudié les contacts numériques en adoption se sont davantage concentrés sur le point de vue des parents adoptifs, de la famille adoptive ou des professionnels œuvrant en adoption. La perception même des personnes adoptées commence à être plus abordée dans les écrits scientifiques (Koskinen et Böök, 2019 ; Strong et May, 2017 ; Wrobel et Grotevant, 2019). Toutefois, en ce qui concerne le contact par les médias sociaux, la perspective des personnes adoptées, en particulier des adultes adoptés en adoption internationale, est encore naissante (O’Brien, 2013). L’étude réalisée dans le cadre de notre maîtrise (Thomson-Sweeny, 2018) avait pour objectif de contribuer à ce champ de connaissances relativement récent et d’offrir une nouvelle compréhension du contact numérique inattendu avec la famille biologique selon les enjeux propres à l’adoption internationale et selon la perspective d’adultes adoptés.

Cadre de la recherche

Pourquoi entreprendre une quête des origines ?

Selon les auteurs qui se sont penchés sur la question des motivations des personnes adoptées à entreprendre une quête des origines, ces motivations sont très variées. Vouloir connaître leur histoire, leurs origines et leur famille d’origine peut faire partie du développement de soi chez des personnes adoptées. Les auteurs distinguent les motivations d’ordre extrinsèque et celles d’ordre intrinsèque (Tieman et al., 2008).

Sur le plan intrinsèque, certaines personnes adoptées, pour mieux se connaître et trouver des réponses à leurs questionnements identitaires, vont souhaiter en savoir plus sur leurs parents biologiques et leurs origines (Aroldi et Vittadini, 2017 ; Carsten, 2000 ; Passmore et Feeney, 2009 ; Trinder et al., 2004). Pour plusieurs personnes adoptées à l’étranger, l’identité culturelle, ethnique et raciale est au centre de leur curiosité et intérêt pour retrouver leur famille biologique, car elles souhaitent résoudre un sentiment d’altérité. Cette altérité leur est renvoyée par les autres, et montrée par leur non-ressemblance physique à leur famille adoptive (Baden et al., 2013 ; Ferrari et Rosnati, 2013 ; Harf et al., 2015). De plus, certaines d’entre elles ont vécu un manque de socialisation raciale et culturelle durant leur enfance. Elles pourraient ainsi vouloir entamer une quête des origines en raison de leur sentiment d’être étrangères à elles-mêmes; ceci peut les amener à vouloir retrouver des personnes qui leur ressemblent et découvrir par elles-mêmes les facettes culturelles et raciales de leur identité (Boivin et Hassan, 2015 ; Ouellette et Saint-Pierre, 2008). Ces similitudes peuvent les aider à développer leur sentiment d’appartenance culturelle et familiale, ainsi qu’à favoriser les relations et à remplir les vides identitaires ressentis. Ce désir de retrouver des ressemblances physiques avec leur famille biologique peut être associé au besoin d’une appartenance biologique (Richards, 2012).

Les changements dans le cycle de vie, comme la naissance d’un enfant, l’évolution de la relation avec les parents adoptifs, la motivation ou la pression provenant d’autrui, ou celle venant des valeurs de la société occidentale valorisant les liens biologiques, sont tous des exemples de motivations extrinsèques (Affleck et Steed, 2001 ; Godon et al., 2014 ; Kearney et Millstein, 2013 ; Koskinen et Böök, 2019 ; Skandrani et al., 2020).

Alors que les motifs du désir d’entreprendre une quête des origines sont multiples, ce désir n’est pourtant pas « inné » chez les personnes adoptées et toutes ne souhaitent pas vivre une quête (Gore, 2006 ; Tieman et al., 2008). De plus, certaines pourraient vouloir faire une quête, mais sont limitées par leur conflit de loyauté, leur désir de ne pas blesser leurs parents adoptifs ou par le fait que l’adoption est un sujet familial tabou et n’est donc pas abordée, et les problèmes qu’elle soulève sont ignorés (Koskinen et Böök, 2019).

Le processus officiel de la quête des origines en adoption internationale au Québec

Les dossiers d’adoption internationale sont confidentiels et ne peuvent pas être consultés par le public. Les personnes adoptées à l’international qui souhaitent entreprendre une quête des origines, soit pour obtenir des informations concernant leurs origines, en demandant un sommaire de leurs antécédents sociobiologiques, ou pour retrouver leur famille biologique, peuvent le faire de manière officielle en passant par le Secrétariat à l’adoption internationale (SAI). Mandaté par le ministère de la Santé et des Services sociaux, le SAI, créé en 1982, régit l’adoption internationale dans la province. Il a pour fonction notamment de conserver les documents d’adoption des enfants adoptés à l’étranger, de gérer les demandes d’antécédents sociobiologiques et de retrouvailles des personnes adoptées, ainsi que de leurs parents adoptifs et leur famille biologique. La Loi modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives en matière d’adoption et de communication de renseignements, rentrée en vigueur le 16 juin 2018, a apporté des changements au processus de la quête des origines au Québec (SAI, 2018b). Ceux-ci modifient et assouplissent jusqu’à un certain degré, les règles entourant la confidentialité liée à l’identité des personnes adoptées et de leurs parents biologiques.

Malgré les changements de la loi, des difficultés d’accès aux informations demeurent encore. Lorsque le SAI reçoit une demande de retrouvailles, il fait appel aux instances compétentes en adoption internationale du pays d’origine. Ces instances entreprennent des recherches dans leur pays selon les procédures législatives et administratives du pays (SAI, 2018b). La dimension de secret et de confidentialité quant aux dossiers d’adoption persiste, car des pays d’origine sont entre autres impliqués. Ayant leurs propres politiques, ces pays peuvent avoir des lois interdisant la communication d’information concernant l’identité et la prise de contact (SAI, 2018b). La réalité légale, politique et culturelle dans les pays d’origine peut entraver l’accès pour les personnes adoptées à l’étranger à l’information sur leurs origines, alors que l’accès à cette information leur est primordial. L’accès aux informations liées à leurs origines est nécessaire pour les personnes adoptées afin qu’elles puissent arriver à une compréhension de soi plus approfondie en découvrant de nouvelles facettes de leur identité (Walton, 2012).

Bien que l’accès aux origines soit un droit reconnu par les organisations internationales, comme la Convention internationale relative aux droits des enfants de 1989 et la Convention de La Haye de 1993 (Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale) et les États les ayant ratifiées, les personnes adoptées peuvent rencontrer des défis, dans le cadre de leur recherche, sur les plans bureaucratique, politique, économique, géographique, linguistique et culturel (Baden et al., 2013 ; Choulot, 2005 ; Ouellette, 2005 ; Tieman et al., 2008 ; Wrobel et al., 2013).

Un grand défi d’ordre bureaucratique et politique est l’accès aux informations. Ces dernières peuvent être entre les mains de différents acteurs, dont les instances gouvernementales, les agences d’adoption, les orphelinats, les parents adoptifs, etc. Ces acteurs ne préservent pas les documents sur les origines de manière identique et n’ont pas la même perception ou politique quant au droit d’accès aux informations (Ouellette, 2005). La fiabilité des informations d’un pays à l’autre et le niveau de détails des documents entrent également en ligne de compte du fait qu’ils ne sont pas uniformes (Choulot, 2005).

La quête des origines et les médias sociaux

Il existe encore peu d’écrits sur les contacts post-adoption initiés par les médias sociaux en contexte d’adoption fermée et internationale. Les écrits présentés dans cette section proviennent davantage d’auteurs ayant exploré les contacts numériques en contexte d’adoption locale selon, de façon majoritaire, le point de vue des parents adoptifs, mais aussi celui du jeune adopté mineur et la famille biologique. Nous n’avons trouvé que deux références qui explorent ce contact spécifiquement en adoption internationale, l’une dans un contexte clinique (Skandrani et al., 2020), l’autre dans le cadre d’une étude auprès de professionnels œuvrant en adoption internationale en Italie (Aroldi et Vittadini, 2017).

Les médias sociaux permettent aux personnes adoptées et à la famille biologique de contourner les obstacles légaux, politiques, administratifs, culturels et géographiques du processus officiel et habituel de la quête des origines pour l’entreprendre de manière plus directe et indépendante (Haralambie, 2013 ; Whitesel et Howard, 2013). Ils constituent ainsi un moyen de combler le désir de se retrouver chez la personne adoptée et les membres de la famille biologique (Fursland, 2010). Les médias sociaux facilitent la communication entre les personnes adoptées et leur famille biologique en rendant les informations plus accessibles (Kearney et Millstein, 2013). Ces technologies peuvent être des outils efficaces pour développer et maintenir des relations familiales à distance (Black et al., 2016 ; Fursland, 2010 ; O’Brien, 2013 ; Tisseron, 2011). Skandrani et al. (2020) utilisent le terme de « quête inversée » lorsque la famille biologique recherche la personne adoptée, et ce, en précisant que cette situation est inédite en adoption internationale.

Qu’il soit initié par la personne adoptée ou par la famille biologique, un contact numérique peut avoir des répercussions importantes pour toutes les personnes concernées. Certaines sont positives. Les médias sociaux peuvent aider à créer des relations plus ouvertes et personnelles rapidement (Greenhow et al., 2015 ; Haralambie, 2013). Ils permettent de communiquer en temps réel, puisque les informations quotidiennes peuvent être partagées plus facilement (Black et al., 2016 ; Whitesel et Howard, 2013), contournant le défi de la distance géographique (O’Brien, 2013). L’utilisation des médias sociaux réduit le coût des quêtes d’origines, par exemple, en évitant un voyage ou le recours à un détective privé (Haralambie, 2013). À ce dernier exemple s’ajoute l’avantage pour les personnes qui utilisent ces outils de quête d’être plus autonomes et indépendantes durant leur recherche. Ceci s’explique par le fait qu’elles n’ont pas besoin de l’intervention de tierces personnes pour obtenir des informations (Haralambie, 2013). Les médias sociaux peuvent, par conséquent, constituer un outil pertinent pour permettre aux personnes adoptées d’accéder à des renseignements pouvant répondre à leurs questionnements identitaires et leurs origines.

Toutefois, les auteurs signalent des inconvénients à l’utilisation des médias sociaux. En utilisant les différents moyens offerts par les médias sociaux pour retrouver la famille biologique ou la personne adoptée (« quête inversée »), la personne initiant le contact ne permet pas à l’autre de consentir explicitement à être retrouvée ni à prendre le temps de proprement s’informer (MacDonald et McSherry, 2013). Une quête des origines inversée peut alors être « effractante par son aspect soudain, non-préparé, ni médiatisé » (Skandrani et al., 2020 : 246).

Le contact avec la famille biologique peut causer une multitude d’émotions et de ressentis autant chez les personnes adoptées que les différents membres des familles biologiques et adoptives (Fursland, 2010 ; Siegel, 2012). Des exemples sont la confusion, le sentiment de trahison, la peur, la colère, l’incompréhension, mais aussi la joie et l’excitation. Un contact inattendu avec la famille biologique peut compromettre les frontières familiales, bouleversant la place des membres dans la famille (Skandrani et al., 2020).

Si recourir aux médias sociaux comporte des risques pour tous les usagers, les mineurs sont davantage vulnérables. Leur maturité réflexive, sociale, psychologique et émotionnelle n’est pas assez développée pour bien gérer les possibles défis associés à cette utilisation (Fursland, 2010 ; Skandrani et al., 2020), particulièrement lors d’un contact numérique avec la famille biologique (Aroldi et Vittadini, 2017 ; Fursland, 2010 ; Siegel, 2012 ; Skandrani et al., 2020). Ce contact peut avoir des conséquences sur la santé émotionnelle et développementale des mineurs adoptés en raison d’une certaine immaturité émotionnelle, d’un manque d’encadrement de la relation numérique en ligne ou encore d’un comportement inadapté de la part des membres de la famille biologique, tel que des demandes financières ou sociales (Aroldi et Vittadini, 2017 ; Greenhow et al., 2015).

De plus, un contact initié par la personne adoptée peut déstabiliser la vie et les relations des membres des familles biologiques. Il peut, par exemple, conduire au dévoilement d’informations secrètes, dont le fait que les parents biologiques ont confié un enfant en adoption (Haralambie, 2013). Des sentiments de déception, de colère et d’incompréhension peuvent être ressentis par des membres de la famille biologique. Ils peuvent aussi éprouver un sentiment d’intrusion, pensant que la personne adoptée s’infiltre dans leur famille et la menace.

Les études recensées montrent différentes incidences que peut avoir un contact numérique en adoption. Cependant, elles n’explorent pas en détail les diverses facettes de ce contact selon le point de vue des adultes adoptés, alors que ceux-ci peuvent aussi être désemparés par un contact numérique avec la famille biologique (O’Brien, 2013). L’objectif de cet article est de présenter la manière dont le contact numérique avec la famille biologique permet aux adultes adoptés à l’étranger d’entreprendre une quête des origines, afin de mettre en lumière leur réalité, d’exposer les défis qu’ils vivent et les besoins qu’ils rencontrent.

Méthodologie employée[1]

L’objectif de l’étude est de comprendre la quête des origines grâce à l’expérience vécue et les perceptions chez les adultes adoptés à l’international à la suite d’un contact avec leur famille biologique initié à travers les médias sociaux. Afin d’explorer le phénomène selon différents angles, les objectifs spécifiques suivants ont été poursuivis : 1) comprendre comment le contact peut influencer les différentes sphères de la vie des personnes adoptées, notamment les sphères familiales, amoureuses et sociales, et 2) explorer l’influence qu’un tel contact peut avoir sur leur compréhension de qui elles sont et leur développement personnel.

Une étude qualitative et interprétative

Les données exposées dans cet article proviennent d’une étude qualitative réalisée auprès de huit adultes québécois adoptés à l’étranger.

Un devis qualitatif a été privilégié pour explorer en profondeur et sous leurs multiples facettes les expériences de contact entre les personnes adoptées et leur famille biologique établi à travers les médias sociaux. Une telle recherche permet de donner aux personnes adoptées une place centrale, étant donné qu’elles peuvent prendre la parole pour présenter leur expérience, leurs préoccupations et leurs perceptions à leur guise (Deslauriers et Kérisit, 1997 ; Fortune et al., 2013).

L’analyse phénoménologique interprétative (API) a été choisie comme approche et cadre d’analyse afin d’orienter l’étude puisqu’elle permet l’exploration minutieuse de la réalité vécue par les individus selon leur point de vue (Antoine, 2017). Souvent utilisée pour étudier les phénomènes uniques, subjectifs et nouveaux, l’API a permis d’explorer les contacts numériques entre les personnes adoptées et leur famille biologique à partir du sens qu’elles lui donnent (Brocki et Wearden, 2006). Deux forces de l’étude sont la flexibilité et l’ouverture théorique de l’API, qui demandent aux chercheurs de se détacher des théories existantes. Elles ont permis une exploration plus authentique de la réalité vécue par les participants en leur laissant l’espace de partager leur expérience à leur manière. Ainsi, leur réalité n’a pas été dénaturée par une ou des théories qui auraient pu limiter l’exploration de leur expérience.

Échantillonnage

Le Grand Montréal étant la région sociosanitaire québécoise regroupant le plus d’adoptions internationales effectuées, il a été décidé de concentrer l’étude auprès de la population d’adultes adoptés dans cette région (SAI, 2018a). Afin de pouvoir participer à l’étude, les personnes adoptées devaient remplir les critères suivants : avoir 18 ans et plus ; avoir été adoptées à l’international ; et avoir vécu un contact post-adoption initié par les médias sociaux avec leur famille biologique ou avec une tierce personne agissant pour le compte de la famille biologique. Elles ont été recrutées par l’entremise d’agences, d’organismes et de groupes sociaux œuvrant en adoption internationale. Ces acteurs ont publicisé la recherche dans leur réseau. Des annonces ont également été publiées sur trois plateformes informationnelles en ligne : le Journal Métro, Kijiji et Spotted Montréal. La population ayant vécu le phénomène étudié étant spécifique, de petite taille et peu connue, une technique d’échantillonnage « boule de neige », « par filière » ou en « cascade » (Ouellet et Saint-Jacques, 2000 ; Pires, 1997) a été utilisée. Ainsi, les participants ont été invités à partager l’étude avec d’autres personnes ayant vécu un contact numérique avec leur famille biologique. Huit adultes adoptés, soit six femmes et deux hommes, ont participé à l’étude.

Profil des participants

Les huit participants[2] avaient entre 22 et 37 ans au moment de l’étude, avec une moyenne d’âge de 29.5 ans, et ont été adoptés entre 1980 et 2002. À leur adoption, ils avaient entre trois jours et six ans et demi. Étant donné la taille de la population étudiée, ils pourraient être facilement identifiés, ce qui appuie le choix de ne pas dévoiler leur pays d’origine. Cinq participants ont initié le contact avec leur famille biologique, alors que deux ont été retrouvés par celle-ci. Une participante a été contactée par un individu qu’elle pensait être un membre de sa famille biologique, mais il s’est avéré que cette personne ne l’était pas[3]. Ce contact a eu lieu il y a entre un et dix ans au moment de l’entrevue. Les participants avaient entre 16 et 35 ans lors du contact. Pour tous, le moyen utilisé pour le contact a été Facebook. Cinq participants étaient toujours en contact avec au moins un membre de leur famille biologique au moment de l’entrevue. Sept participants ont eu un contact régulier, continu, pendant une période allant de quelques mois à plusieurs années après le contact initial. Les outils qu’ils ont employés pour leurs contacts subséquents avec leur famille biologique sont multiples, soit Facebook Messenger, WhatsApp, courriel, Instagram, téléphone, Imo, Skype et des contacts en personne. Cinq participants sont retournés dans leur pays d’origine et ont vécu des retrouvailles avec leur famille biologique. Quatre participants ont vécu une expérience positive de contact numérique et de retrouvailles, et quatre autres l’ont décrite comme difficile. Tous mentionnent toutefois avoir vécu une expérience qui leur a permis de s’enrichir en tant qu’individu.

Partager leur histoire par le biais d’entrevues individuelles

Le discours des adultes adoptés a été recueilli par l’entremise d’entrevues individuelles semi-directives. Une grille d’entrevue a été conçue autour de l’influence du contact initié par les médias sociaux selon trois plans : 1) la vie des participants, 2) leurs relations (familiales, amoureuses et sociales), et 3) leurs perceptions d’eux-mêmes et de leur adoption. Afin d’assurer la validité de la grille d’entrevue, elle a été prétestée auprès de deux adultes adoptés.

À la suite du premier contact et la planification de l’entrevue avec les participants, ceux-ci ont reçu le formulaire de consentement par courriel. Avant le début de l’entrevue, le formulaire a été revu avec les participants qui ont pu poser leurs questions et signer le formulaire s’ils ne l’avaient pas déjà fait. Les principaux éléments tels que le droit de retrait ou de ne pas répondre à une question et la confidentialité ont été abordés. Les entrevues, réalisées en personne, se sont déroulées entre juillet 2017 et mars 2018. Selon la préférence du participant, l’entrevue s’est soit tenue à leur domicile ou dans un bureau au centre de recherche auquel nous sommes affiliés. Ces entrevues ont duré entre 60 et 150 minutes et, avec le consentement des participants, ont été enregistrées afin de permettre la transcription de leur contenu.

Une analyse phénoménologique interprétative

Le discours des participants a été analysé grâce à une méthodologie d’analyse phénoménologique interprétative. Celle-ci cherche à mettre en lumière et à comprendre les différentes significations que donnent les individus à l’expérience qu’ils vivent (Smith et al., 2009 ; Smith et Osborn, 2007). Une démarche inductive a été employée pour comprendre la réalité vécue par les participants. Les entrevues individuelles ont été analysées à l’aide d’une grille de catégorisation tenant compte des trois thèmes centraux explorés lors des entrevues. Une première analyse de style libre a été réalisée à travers laquelle deux premiers verbatims ont été lus à multiples reprises et commentés. Une seconde analyse a donné lieu à des thèmes pour chaque entrevue. Les thèmes soulevés dans les deux premières entrevues ont été mis en commun. Le regroupement de ces thèmes a servi pour la réalisation de la grille d’analyse. Cette grille a été utilisée pour l’analyse de deux autres entrevues. La grille d’analyse a ensuite été validée par l’entremise d’un accord interjuge. Les points de divergences ont été discutés afin d’atteindre un consensus sur la grille d’analyse. Des éléments de la grille ont pu être améliorés à la suite de cet exercice et cette version modifiée a servi à l’analyse de l’ensemble des entrevues. L’analyse a aussi été composée d’un élément interprétatif qui a permis d’aller au-delà du discours des participants et d’arriver à une compréhension conceptuelle des données (Smith et al., 2009). Les résultats de cette interprétation ont surtout été présentés dans le chapitre de la discussion. L’analyse des discours révèle que les sphères explorées lors des entrevues, soit les sphères familiales, sociales et personnelles, sont interdépendantes, fluides les unes avec les autres et ne peuvent pas être séparées.

Limites de l’étude

Une limite importante de la méthodologie est le faible nombre de participants. Le recrutement a été difficile et peut s’expliquer par la spécificité du sujet et le petit nombre de personnes vivant la réalité étudiée. Les critères de sélection, initialement de jeunes adultes adoptés à l’étranger de 18 à 25 ans ayant reçu un contact numérique de la part de leur famille biologique, ont dû être élargis après quelques mois de recrutement afin de rejoindre plus de personnes. Une autre limite à considérer est le critère d’âge large, mais accompagné de peu de participants. La réalisation d’une analyse et d’une interprétation selon différents groupes d’âge n’était alors pas possible. De même, la mémoire des participants ayant vécu le contact numérique il y a plus longtemps en est une autre. Leurs souvenirs du contact initial et de ses effets peuvent être plus flous. Quant au fait que plus de femmes que d’hommes ont participé à l’étude, cela peut être expliqué par deux facteurs. Selon Tieman et al. (2008), les femmes adoptées à l’international seraient plus intéressées par leurs origines que leurs pairs masculins. En citant Sobol et Cardiff (1983), les auteurs notent que les femmes ont tendance à participer davantage aux études que les hommes, ce qui peut mener à une surreprésentation de femmes participantes.

Résultats

Les dix thèmes identifiés par l’API sont : la place accordée aux origines, la nature déstabilisante du contact et des retrouvailles ; la nature globale de l’expérience de la quête des origines, du contact et des retrouvailles ; les difficultés associées à l’expérience ; le soutien et l’accompagnement ; les ressources facilitant l’expérience ; l’influence sur les relations familiales ; l’hétérogénéité des vécus ; le degré d’ouverture ; et l’expérience comme un cheminement. Les résultats présentés dans cet article, en cohérence avec l’objectif présenté et le thème de ce numéro, sont 1) la place accordée aux origines qui se divisent en deux sous-thèmes : A) la motivation pour la quête des origines et B) la nécessité de la quête des origines et des retrouvailles ; 2) l’effet général déstabilisant du contact numérique sur la vie des participants ; et 3) la préparation au contact numérique ou à la réponse d’un tel contact. Afin de mieux illustrer l’expérience des participants, des extraits provenant des entrevues sont incorporés aux résultats.

La place accordée aux origines

L’identité, les origines et la famille biologique ont été abordées par tous les participants dans leur discours. L’identité mentionnée par les participants se rapporte à leur identité biologique, génétique, culturelle, linguistique et ethnique. Ils ne font pas nécessairement de distinction dans leur discours entre les facettes variées de leur identité, mais y font référence plutôt de façon globale. Ces différentes dimensions ont pu être développées durant leur trajectoire parce qu’ils ont pu trouver des réponses à leurs questionnements permettant de s’affirmer et de mieux se connaître. Les participants utilisent le terme « racines » à plusieurs reprises dans leur discours pour décrire la place des origines et de la famille biologique. Pour certains, ces interrogations étaient à l’origine de leur motivation pour réaliser une quête des origines et rechercher leur famille biologique par les médias sociaux. Pour d’autres, leurs intérêts pour leurs origines les ont incités à répondre à leur famille biologique une fois qu’ils avaient été retrouvés par celle-ci. Certains participants ont voulu faire l’expérience de retrouvailles en personne à la suite du contact numérique. La place de leur histoire avant leur adoption et de la génétique a été marquante dans leur vie, pour certains depuis l’enfance, et a caractérisé leur expérience d’un contact numérique avec leur famille biologique. Malgré la place accordée par les participants à ces aspects de leur identité, de leur vie, tous les participants ne pensent pas que faire une quête des origines est une étape « obligatoire » que les personnes adoptées doivent vivre.

La motivation pour la quête des origines

Une participante n’avait aucun intérêt pour faire une quête des origines avant le contact initié par la personne qui s’est avérée ne pas provenir de sa famille biologique. Toutefois, depuis ce contact, elle dit être plus curieuse de ses origines. Les sept autres participants soulèvent différents facteurs motivationnels derrière le choix d’entreprendre une quête des origines ou de poursuivre le contact numérique initial avec la famille biologique. Ils expliquent avoir voulu mieux connaître leur histoire d’avant-adoption et découvrir d’où ils viennent. Connaître la raison de leur abandon était pour plusieurs une autre motivation. Ils désirent aussi découvrir leur identité et retrouver « la partie qu’il leur manque ». Certains voulaient trouver des ressemblances physiques, car ils n’en ont jamais partagé avec les membres de leur famille adoptive.

La question des ressemblances physiques témoigne de l’importance de la génétique dans le discours des participants. L’une d’entre eux explique que lorsqu’elle était jeune, elle se cherchait dans toutes les personnes qu’elle croisait en public :

« J’allais vers des gens pour voir s’ils avaient des traits d’ADN que moi j’avais, comme voir s’ils avaient mon nez. Je ne savais pas que pour une personne adoptée, ce comportement était normal. » (Audrey, 22 ans, n’a pas initié le contact et n’a pas vécu de retrouvailles)  

C’est grâce à une photo de sa sœur biologique sur Facebook, à travers laquelle elle a vu des traits physiques similaires, qu’une autre a pu retrouver sa famille biologique. Pour les personnes qui ont vécu des retrouvailles, les ressemblances avec leur famille biologique constituaient la preuve que celle-ci était réellement la leur et partageait le même patrimoine génétique. Certains participants confient se reconnaître dans les membres de leur famille biologique, par des traits génétiques ou par des comportements communs. L’un croit que les airs de famille, « très, très, très forts », avec sa famille biologique ont permis la création immédiate d’une relation de proximité. Un autre soulève le même argument en disant que la bonne relation qu’il détient avec les membres de sa famille biologique s’explique par la génétique.

Pour six participants, ces différentes motivations à retrouver leurs origines provenaient d’eux-mêmes, alors qu’une autre nomme que ses motivations étaient extrinsèques (venaient d’autrui). Elle précise qu’elle voulait trouver et rencontrer sa famille biologique pour ses propres enfants. Elle a entamé une recherche de ses origines afin que ses enfants puissent connaître les origines de leur mère :

« Je sais c’est quoi vivre avec le vide, avec le “qui je suis” surtout de l’adolescence qui est très fort. Je n’ai pas envie que mes enfants vivent ça. […]. C’était vraiment plus parce que mes enfants ont besoin de savoir d’où ils viennent. » (Meagan, 34 ans, a initié le contact et a vécu des retrouvailles difficiles)

La nécessité de la quête des origines et des retrouvailles

Le point de vue des participants quant à la nécessité de la quête des origines et des retrouvailles est divisé. Certains pensent qu’elles ne sont pas essentielles pour les personnes adoptées ni obligatoires dans leur trajectoire adoptive. L’une énonce que sa quête n’était pas une urgence ou un besoin, un autre soulève que pendant très longtemps, il n’a pas été intéressé à rechercher ses origines. Un troisième exprime qu’il a voulu retrouver sa famille biologique, mais que sa quête pour ses origines n’était pas de nature existentielle :

« C’était pas une quête existentielle pour moi de retrouver ma famille biologique […] Puis après ça, de savoir, de l’avoir retrouvée, ce n’était pas non plus une nécessité que j’aille des liens avec eux. […] Puis, c’est pas parce que je suis adopté qu’il faut absolument que je retrouve ma famille, puis que j’en aille deux. » (Mikaël, 37 ans, a initié le contact et a vécu des retrouvailles positives)

D’autres participants pensent au contraire que la quête des origines est un besoin essentiel et que les personnes adoptées devraient vivre ce processus afin « d’être complètes » ou « bien ». Pour certains, cette vision explique leur désir intense de rechercher leurs origines et leur famille biologique. Selon l’une des participants, cette quête est nécessaire pour se sentir accomplie et pour mieux se construire. Elle associe cette complétude à l’histoire de ses origines qu’elle pourra partager avec ses futurs enfants. Elle énonce :

« Si j’ai pas mis moi-même mon propre casse-tête à jour, travailler mes démons, travailler mes peines, tout ça. Comment je vais avancer si je deviens mère ? Comment je vais raconter mon histoire à mon enfant si moi-même je laisse des cases grises ? C’est là pour moi, je mets l’importance de connaître coûte que coûte mon pays, de connaître un peu mon histoire avec mes parents, connaître juste d’où je viens, connaître mon histoire de jeunesse, pour après ça mieux savourer ma vie d’adulte. » (Kasandra, 30 ans, a initié le contact et n’a pas vécu de retrouvailles) 

Une autre participante parle de l’obsession qu’elle a eue depuis son enfance et tout au long de sa vie de connaître ses origines et de retrouver sa famille biologique. Malgré cet intérêt fort, les retrouvailles qu’elle a vécues ont été difficiles et n’ont pas comblé ses attentes. Alors qu’elle avait beaucoup de questions à adresser à sa mère biologique, elle estime ne pas avoir reçu assez de réponses satisfaisantes et n’a pu obtenir qu’un portrait très incomplet de sa vie préadoption. Son vécu de retrouvailles avec sa mère biologique a été frustrant, peinant et déchirant.

Le caractère déstabilisant du contact numérique et des retrouvailles

Tous les participants rapportent avoir été déstabilisés, à des degrés variables, par le contact numérique et, le cas échéant, par les retrouvailles. Cette déstabilisation peut être mesurée par les changements survenus sur différents plans de leur vie à la suite de ce contact. Elle est vécue selon cinq facteurs, soit les émotions et les sentiments ; la nature surprenante du contact numérique ; l’ampleur de l’expérience ; la rapidité associée au contact et aux retrouvailles ; et le sentiment d’absence de contrôle. Il est important de préciser que les participants ayant initié eux-mêmes ce contact soulèvent aussi cette déstabilisation.

Les participants expriment avoir été déstabilisés émotionnellement et psychologiquement par le contact numérique. Leur expérience a été marquée par une multitude d’émotions et de sentiments, telle que la peur du rejet et de l’inconnu, le conflit de loyauté, la méfiance liée à la possibilité de mensonges et de tromperies, la colère, l’anxiété et l’appréhension, mais également la joie, la curiosité, l’excitation et le choc associés au fait d’avoir été retrouvés par leur famille biologique ou de l’avoir retrouvée. Un participant illustre son conflit de loyauté :

« Je voulais pas qu’ils [les membres de sa famille adoptive] se sentent mal à l’aise, non plus. Je voulais pas qu’ils se sentent abandonnés. » (Mikaël, 37 ans)

La déstabilisation vécue est d’ailleurs due à la nature surprenante du contact numérique. Le contact initié par la famille biologique, ou encore la réponse de celle-ci lorsque la personne adoptée a initié le contact a été imprévisible. Le terme « hasard » est même utilisé par certains pour décrire ce contact. Les participants expliquent que ce n’est pas uniquement le contact qui a été inattendu. Ils ajoutent entre autres les suites, comme les retrouvailles. Selon eux, ce sont surtout leurs propres réactions et celles des autres dans la situation de contact qui ont été une source de surprise.

La rapidité associée au contact numérique et aux retrouvailles est un autre facteur clé identifié de la déstabilisation. Les participants évoquent par exemple la promptitude de la réponse de la famille biologique après un message envoyé ou le très court délai entre les premières communications et le retour au pays d’origine pour vivre des retrouvailles. Cette rapidité est perçue par plusieurs comme un avantage. Trois participants comparent l’utilisation de Facebook et le processus auprès du SAI pour effectuer la quête des origines et notent que la recherche par Facebook a été plus rapide, moins difficile, voire plus satisfaisante.

L’ampleur qu’a prise le contact numérique est aussi un aspect déstabilisant. Certains participants expriment que la quête des origines, le contact numérique et les retrouvailles ont été envahissants à certains moments, même trop intenses pour certains, les empêchant parfois d’être présents mentalement et physiquement auprès de leurs proches ou au travail. Certains passaient beaucoup de leur temps libre à communiquer avec les membres de leur famille biologique. Ils disent utiliser les technologies de communication et les différentes applications des médias sociaux de manière plus fréquente. Samuel l’évoque ainsi :

« Des fois, c’est vrai, ça peut être un peu trop. C’est sûr qu’un coup t’as fait le tour de tout ça, tu peux te mettre à recevoir des messages un peu de tout le monde. […] Je trouve ça un peu lourd, mais c’est pas un gros problème à avoir. » (Samuel, 33 ans, a initié le contact et a vécu des retrouvailles positives)

Certains participants expriment un sentiment de perte de contrôle de l’expérience du contact numérique. Audrey explique qu’elle aurait voulu ignorer le message qui lui a été envoyé sur Facebook, mais la notification qu’il y avait un message l’en a empêchée.

« Même si tu étais pour l’ignorer, tu ne peux pas ignorer parce que les mots sont là et tu les as vus, ça existe maintenant. Ça aurait été plus facile si j’avais choisi le moment que je voulais être contactée. » (Audrey, 22 ans)

Le sentiment d’être obligé d’agir et le manque de pouvoir sont signalés. Certains disent qu’ils n’avaient pas la possibilité de nommer et de faire respecter leurs limites dans le cadre de ces échanges numériques avec leur famille biologique, car ils ressentaient de la culpabilité et se sentaient responsables.

Alors que le contact initié par les médias sociaux a été déstabilisant pour les participants sur différents plans, ils reconnaissent que c’est grâce à ce contact qu’ils sont arrivés à trouver des réponses sur leurs origines, à développer leur identité, ou à tout simplement approfondir leur réflexion sur soi.

La préparation à un contact numérique ou à la réponse d’un tel contact

Aucune, ou très peu de préparation psychologique, émotive, linguistique, culturelle ou professionnelle chez les participants n’a eu lieu avant le contact numérique ou les retrouvailles. Une participante ne s’est pas préparée avant de lancer sa recherche sur Facebook, mais elle note l’importance de cette préparation :

« C’est que moi, y a personne qui m’a préparée, avant de rencontrer ma famille. Je pense qu’y a un niveau de préparation que l’enfant et la famille doivent avoir. Une mise au point des attentes que tu peux avoir et que, on va te péter tes ballounes tout de suite, non ça ne sera pas comme dans les films. » (Justine, 25 ans, a initié le contact et a vécu des retrouvailles difficiles)

Plusieurs participants mettent l’accent davantage sur la préparation aux retrouvailles, ou ce qui suivra le contact, que le contact numérique en soi. En initiant le contact ou en acceptant la demande de la famille biologique, les participants disent qu’il faut être préparé à l’après-contact. La communication avec la famille biologique a montré aux participants qu’ils devaient apprendre la langue et la culture, qu’ils devaient se préparer aux retrouvailles. C’est en cours de processus que certains ont pris le temps pour réfléchir à ce qu’ils attendaient du contact. En rétrospection, les participants disent que la préparation est primordiale, qu’il faut penser aux choix à faire concernant les retrouvailles. Selon eux, pour les personnes adoptées désirant vivre des retrouvailles après le contact, elles doivent bien planifier le voyage et tenir compte de leurs attentes, s’assurer d’être prêtes pour les retrouvailles, d’être prudentes et de connaître les ressources disponibles. Pour l’une des participants, la préparation implique de :

« Contacter SAI, recontacter ma famille [au pays d’origine], voir où est-ce qu’ils habitent. Prendre la carte du [pays d’origine], ok, bon tel coin, moi je vais être dans tel coin. Est-ce que c’est loin ? Est-ce qu’y a des voitures qui se louent ? Comment ça fonctionne ? Poser des questions plus approfondies. » (Kasandra, 30 ans)

Deux participants seulement ont eu une aide professionnelle, que tous trouvent primordiale pour les personnes adoptées afin qu’elles puissent mieux faire sens de ce qu’elles vivent, recevoir de l’aide pour prendre des décisions appropriées ainsi que pour mieux gérer les difficultés rencontrées durant leur trajectoire.

Les participants nomment aussi l’importance de connaître d’autres histoires et de partager leur expérience avec d’autres personnes adoptées. Être en lien avec d’autres vivant une réalité similaire représente une aide non négligeable pour plusieurs. Pour ceux n’ayant pas accès à un réseau d’autres personnes adoptées, ils le recommandent, parce qu’entendre d’autres histoires aurait pu les aider à mieux appréhender la suite d’une recherche sur les médias sociaux et à mieux se préparer aux répercussions.

L’information est un élément central à la préparation pour les retrouvailles. Les participants mettent l’accent sur l’importance de connaître les différentes facettes possibles du contact numérique et des retrouvailles avec la famille biologique. D’après eux, les personnes adoptées doivent se renseigner sur le pays d’origine, la culture et la langue de la famille biologique. De même, il faut aller chercher les outils, comme la médiation culturelle, pour mieux comprendre la situation vécue et éviter des difficultés potentielles quant à la relation avec la famille biologique.

Discussion

L’intérêt pour ses origines et le vécu du contact numérique et des retrouvailles

Le discours des participants montre que les origines sont omniprésentes tout au long de leur expérience d’un contact numérique avec leur famille biologique. Pour certains, elles sont au cœur de leur trajectoire d’adoption, et les ont poussés à entamer une recherche sur les médias sociaux pour en savoir plus sur leur identité et leur histoire préadoption. Pour d’autres, elles les ont motivés à répondre à un contact numérique initié par leur famille biologique. Tous adultes, les participants avaient une certaine liberté quant à la poursuite du contact, qu’il s’agisse d’organiser un retour au pays d’origine pour rencontrer la famille biologique, ou de l’inviter au Québec pour une visite. Malgré leur âge et leur maturité, un contact numérique peut tout de même perturber la vie des adultes adoptés.

Le contact par les médias sociaux a été bouleversant pour tous les participants, peu importe qu’ils aient initié ou non le contact ou qu’ils aient eu un intérêt initial pour leurs origines et leur famille biologique. Sur les sept participants qui avaient un intérêt pour leurs origines, trois ont vécu ce contact numérique plus difficilement. La volonté de réaliser une quête des origines et d’en savoir plus sur l’histoire d’adoption n’induit pas automatiquement une expérience positive de ce contact. Différents facteurs, comme les motivations de la quête des origines, les attentes envers la famille biologique et les effets du contact sur les membres de la famille adoptive et biologique, influencent davantage l’effet de la déstabilisation induit par le contact par les médias sociaux que le contact numérique en soi. De plus, les résultats montrent que les motivations pour entreprendre une quête des origines et de retrouver la famille biologique sont similaires à celles chez des personnes adoptées n’ayant pas vécu un contact par l’entremise des médias sociaux avec leur famille biologique (Baden et al., 2013 ; Boivin et Hassan, 2015 ; Koskinen et Böök, 2019). Les médias sociaux sont un outil facilitant le contact et les retrouvailles entre la personne adoptée et la famille biologique. Ils permettent de répondre à des besoins qui, pour certains, existaient bien avant les médias sociaux. Malgré les avancées pour la recherche des origines en adoption internationale offertes par les médias sociaux, l’accès aux renseignements demeure toutefois un enjeu dans la quête des origines des personnes adoptées à l’étranger. Même après avoir vécu des retrouvailles, certains des participants restent avec des trous dans leur histoire, avec des questions non répondues de la part de leur famille biologique. Cet enjeu est associé à l’incomplétude et la fausseté caractéristiques des renseignements sur les origines en adoption internationale (Ouellette, 2005).

Facebook et le cheminement adoptif

L’analyse et l’interprétation réalisées grâce à l’API (Smith et al., 2009) ont permis de relever une trame commune aux discours des participants. Leur expérience d’un contact numérique est l’une des étapes du cheminement qu’est l’adoption, à savoir une trajectoire complexifiée par différents enjeux, tels la quête des origines et un contact initié par les médias sociaux. Ces derniers ont permis à certains participants de compléter la quête de leurs origines. Cette quête, quoique n’étant pas un passage obligé (Tieman et al., 2008), fait partie du développement personnel et identitaire chez les personnes adoptées. Le contact numérique et ses suites ont permis aux participants de mieux se comprendre, se connaître et se développer. D’autres auteurs font le lien entre la quête des origines et le développement de soi chez les personnes adoptées et ils remarquent que ce développement a une nature de continuité (Brodzinsky et al., 1992 ; Carsten, 2000 ; Godon et al., 2014). Le contact numérique vécu par les participants a été bouleversant. Les différentes conséquences ont été marquantes et illustrent que la trajectoire d’adoption est dynamique et évolutive (Docan-Morgan, 2016 ; O’Brien, 2013). L’adoption ne consiste pas en un seul évènement, mais bien en un cheminement de vie. Les différentes conséquences qui lui sont associées surviennent tout au long de la vie des personnes adoptées, de là l’importance et la pertinence de s’intéresser à l’expérience adoptive des adultes adoptés (Walton, 2012).

Le besoin de la préparation et du soutien

Alors que les participants n’ont pas eu de préparation ni de soutien professionnel pour le contact ou les retrouvailles, à l’exception de deux participantes, ils le recommandent. À l’instar des auteurs tels que Aroldi et Vittadini (2017), Fursland (2010) et Skandrani et al. (2020), les participants soulèvent l’importance d’un soutien professionnel pour mieux gérer le contact numérique, en ajoutant que ce soutien est aussi essentiel en ce qui a trait à la quête des origines et aux retrouvailles. Ce soutien professionnel permet aux personnes adoptées de ne pas vivre leur expérience seules, de pouvoir exprimer leurs pensées, difficultés, émotions et sentiments avec quelqu’un de neutre qui n’alimentera pas le conflit de loyauté qu’elles pourraient ressentir. Une aide pour mieux gérer la réalité vécue pourrait éviter que les personnes adoptées revivent une perte et se retrouvent davantage déboussolées après les retrouvailles. Un exemple est lorsque les relations s’enveniment et que la communication doit être coupée, comme ce fut le cas pour certains participants de l’étude. Deux ont reçu cette aide de la part d’une psychologue, mais elle pourrait provenir, entre autres, d’une thérapeute ou d’une travailleuse sociale. Il est alors essentiel que les professionnels œuvrant en adoption soient informés et formés sur les enjeux associés au contact par les médias sociaux avec la famille biologique afin de prodiguer une aide appropriée aux personnes adoptées.

Les participants mentionnent aussi le soutien de la part d’autres personnes adoptées, de personnes ayant vécu une situation similaire et pouvant offrir de la compréhension et des conseils. Les organismes québécois en adoption internationale l’Hybridé et RAIS-Ressource adoption peuvent, avec leurs activités de groupe par et pour les personnes adoptées, leur donner ce soutien. Les personnes se partagent leurs histoires et s’entraident, ce qui peut adoucir les difficultés vécues durant leur quête des origines, le contact et les retrouvailles avec leur famille biologique. Discuter avec d’autres personnes adoptées ayant vécu des retrouvailles, qu’elles soient ou non initiées par les médias sociaux, peut aider des personnes adoptées à mieux se préparer à leurs retrouvailles et aux possibles défis.

Conclusion

Les résultats de l’étude montrent que les médias sociaux ont une influence importante sur la quête des origines des participants, car grâce à ces outils, ils peuvent réaliser leur recherche de manière plus rapide et indépendante. De plus, les médias sociaux leur permettent de surmonter les enjeux légaux, politiques, administratifs et culturels propres à l’adoption internationale en matière d’accès aux origines rendant l’accès aux informations plus difficile. Les médias sociaux sont accessibles et demandent peu de ressources pour les personnes adoptées et la famille biologique. Un contact plus facile et direct entre la personne adoptée et la famille biologique, le développement des relations et des réponses à leurs questions sont davantage possibles. Pour les participants, leurs origines détiennent une place centrale dans leur vie et dans leurs réflexions identitaires. Le contact numérique que les participants ont vécu avec leur famille biologique leur a permis de trouver un ancrage pour leurs questionnements identitaires.

Toutefois, la nature imprévisible et envahissante des médias sociaux peut causer beaucoup de tort. Le contact numérique peut être déstabilisant sur différents plans pour les personnes adoptées. À partir de l’expérience des participantes, le contact numérique est à utiliser avec prudence, réflexion et préparation psychologique. Les personnes adoptées ont besoin d’être mieux encadrées afin de pouvoir bien gérer les répercussions potentielles associées à ce contact.

Cette étude montre que la quête des origines peut être vécue à différents moments du parcours des personnes adoptées et que la vie des adultes qui l’entament, ou la subissent, à travers les médias sociaux peut en être grandement déstabilisée. Cette déstabilisation chez les adultes adoptés, ici causée par le contact numérique, mais pouvant provenir d’autres sources liées à l’adoption, indique que la trajectoire d’adoption continue à se développer à l’âge adulte. Ces adultes adoptés n’ont pas besoin d’être encore enfants ou adolescents pour vivre des difficultés en lien avec leur adoption. La quête des origines est un processus tout aussi complexe pour les adultes adoptés. Les personnes adoptées peuvent parfois se retrouver avec plus de questions que de réponses, et peuvent se sentir submergées dans la gestion de possibles répercussions d’un contact numérique avec la famille biologique. Elles pourraient avoir besoin de soutien et d’accompagnement de la part de leurs proches, de leur réseau social, d’autres personnes adoptées et de professionnels dans le domaine de l’adoption. Ce soutien est nécessaire afin qu’elles puissent mieux saisir la nouvelle réalité du contact initié par les médias sociaux avec leur famille biologique et pour pouvoir vivre une expérience qui leur permettra de se développer pleinement. Les professionnels doivent s’informer et se former sur les enjeux numériques en adoption et les conséquences possibles sur les différents acteurs, dont les personnes adoptées.

Même si cette étude offre une nouvelle compréhension de ce que peuvent vivre les adultes adoptés à l’international dans un contexte de contact par l’entremise des médias sociaux, les résultats ne peuvent pas être généralisés en raison de la petite taille de l’échantillon. Le phénomène du contact numérique mérite d’être étudié auprès d’un plus grand nombre de participants, notamment selon la perspective de différents acteurs concernés par la réalité. Ces études pourraient inclure, par exemple, les membres de la famille adoptive ou ceux de la famille biologique. Les familles biologiques sont difficiles à rejoindre en adoption internationale, mais les médias sociaux pourraient être un outil, à condition qu’ils soient utilisés de manière éthique, pour être en contact avec ces familles et ainsi dynamiser la compréhension du sujet. De telles études permettraient une compréhension encore plus approfondie et tiendraient compte des différentes réalités possibles en lien avec un tel phénomène.