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Face à l’élargissement du concept de sécurité, les publications demeurent généralement centrées sur une seule approche disciplinaire avec une dominante très marquée en Relations internationales. L’ambition affichée par cet ouvrage est de démontrer que les différentes disciplines ont pourtant des approches complémentaires et que les sciences sociales se répondent dans l’étude de ce concept éminemment protéiforme.

L’ouvrage se construit en chapitres disciplinaires, allant de la philosophie jusqu’au droit international, en passant par la géographie, la criminologie, l’anthropologie ou encore la psychologie. Chacun des chapitres est structuré autour de quatre questions fondamentales : comment se construisent les études de sécurité dans la discipline, quelles sont les théories dominantes, les méthodologies employées et les forces et faiblesses identifiées pour chacune des disciplines. Il s’agit donc d’un tour d’horizon des études de sécurité dans les diverses disciplines associées aux sciences sociales. L’ambition affichée n’est jamais définitionnelle ; il s’agit au contraire de faire émerger de grandes tendances et de cerner les outils mobilisables pour les études de sécurité dans toutes les sciences sociales. La première partie du premier chapitre part ainsi du constat que l’élargissement constant du concept de sécurité réoriente ceux qui l’étudient vers une démarche pluridisciplinaire, sinon transdisciplinaire. En effet, les référents sont de plus en plus nombreux, ainsi que les acteurs et les applications pratiques, si bien que la notion de sécuritisation s’impose comme de plus en plus centrale. Or, elle repose nécessairement sur un dialogue entre les disciplines : définie comme un processus, la sécurité devient alors un phénomène complexe et en constante évolution, au gré des mutations du champ dans lequel elle s’exerce.

Plusieurs chapitres apportent un éclairage intéressant, notamment en termes de conceptualisation. À cet égard, c’est le chapitre de philosophie qui se révèle le plus fondamental. En remontant jusqu’aux racines du terme, tant historiques qu’étymologiques, il montre comment la sécurité a été accaparée progressivement par l’État puis façonnée par lui, jusqu’à devenir la notion si malléable que l’on connaît aujourd’hui. Les autres chapitres permettent alors d’envisager le sujet à toutes les échelles et sous différents prismes. Ainsi, quand le chapitre de « phénoménologie de la sécurité humaine », centré sur la psychologie, envisage essentiellement l’échelle individuelle, le chapitre consacré aux relations internationales envisage l’échelle plus classique des relations interétatiques ; quand le chapitre de géographie étudie la sécurité sous le prisme du territoire, le chapitre de droit international l’étudie sous le prisme de la loi. Pourtant, tous les chapitres invitent justement à un questionnement sur ces niveaux de réflexion, soulignant que l’on se situe à un moment charnière : la conception de la sécurité s’est élargie, ne considérant plus l’État comme seul référent ; elle s’est approfondie, en étudiant de façon plus précise les relations entre l’État et ses citoyens ; enfin, il y a eu une vraie interrogation quant à la conception de la sécurité elle-même et son fonctionnement processuel sinon systémique. Il s’agit alors de « réinventer la sécurité », comme y invite le chapitre de criminologie. Le livre parvient alors bien à montrer l’évolution du concept et, surtout, la nécessaire démarche transdisciplinaire que doivent désormais effectuer ceux qui l’étudient.

Pourtant, à ne pas vouloir proposer de définition de la sécurité, on a parfois l’impression que les auteurs ne parlent pas du même concept, ce qui ressort particulièrement à la lecture des chapitres de psychologie et de criminologie : le lien avec les autres disciplines est moins évident. L’ordre des chapitres peut parfois sembler étonnant et si certains auteurs semblent effectivement se répondre, comme Jonathan Herrington en philosophie et Philippe le Billon en géographie, d’autres semblent avoir une démarche plus isolée, comme Jan Froestad, Clifford Shearing et Melani Van Der Merwe, co-auteurs du chapitre de criminologie. Dans le prolongement de cette idée, on peut souligner qu’il semble étonnant de prime abord d’adopter un découpage disciplinaire pour promouvoir justement le contraire – soit une approche transdisciplinaire. Pourtant, la plupart des chapitres parviennent à montrer justement que dans le champ de la sécurité, les frontières disciplinaires paraissent artificielles et pas toujours très pertinentes. À cet égard et puisque l’ambition de l’ouvrage est de faire un tour d’horizon des façons d’envisager la sécurité aujourd’hui, il est intéressant de commencer par un chapitre introductif qui tisse les liens entre les apports des différentes disciplines et qui met en exergue quelques grandes lignes essentielles : d’abord, la sécurité a de multiples référents, elle ne relève plus du seul champ des Relations internationales. Ensuite, la sécurité est processuelle : ce n’est pas une propriété, mais une relation entre État, société et individus. Enfin, la sécurité doit être envisagée non plus comme un but, mais comme un moyen au service d’autres objectifs politiques. Son étude doit prendre en compte cette complexité.

Cet ouvrage invite donc à envisager un nouveau mode de réflexion, plus riche et global, à l’image de son objet d’étude. La sécurité est présentée comme un processus complexe et polymorphe dont les référents se sont multipliés. L’étudier invite alors à diversifier les approches méthodologiques et à mobiliser des outils dans de nombreuses disciplines – ce que cet ouvrage parvient à mettre en évidence. On regrettera simplement l’absence d’une conclusion qui pourrait réaffirmer le sous-titre et l’objectif de l’ouvrage, à savoir le nécessaire dialogue entre les disciplines dans les études de sécurité.