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What’s the Point of International Relations ? est un ouvrage paradoxal. Les lecteurs qui cherchent une réponse nette et cohérente à la question du titre seront déçus, mais ceux qui l’approcheront comme un « buffet » introductif aux Relations internationales, composé de différentes perspectives et théories, y trouveront des débats et des auteurs méritant d’être étudiés plus avant, de même qu’une vision d’ensemble utile des débats animant les ri au 21e siècle.

L’ouvrage propose plusieurs chapitres intéressants, dont les plus importants se concentrent sur deux thèmes centraux. D’une part, plusieurs auteurs avancent que l’objectif (le « point ») des ri consiste précisément à rendre possibles la liberté intellectuelle, la diversité méthodologique et la multiplicité des intérêts. Les chapitres de Jackson, Jahn, Sterling-Folker, Sjoberg, Weaver et Rosenberg offrent la réponse la plus claire à la question posée par le titre et sont de loin les plus cohérents et directs. Un fil rouge les relie : les ri peuvent constituer un champ d’études spécifique et unique – transcendant sa position originelle de sous-catégorie d’une science politique plus formelle – qui générerait un savoir utile et constructif. Les auteurs partagent aussi l’idée que la discipline des ri n’a pas à se concevoir comme dérivée d’autres disciplines : elle peut produire des savoirs exportables aux autres sciences sociales. Les chapitres qui défendent cet argument naviguent intelligemment entre les ri et d’autres disciplines et analysent plusieurs enjeux théoriques, pratiques et institutionnels. Ces arguments, qui plus est, pourront rassurer les jeunes spécialistes des ri quant à la valeur d’une multiplicité d’approches : la surspécialisation dans les méthodes et dans les objectifs n’est pas une nécessité. En ce sens, la diversité et la liberté sont les atouts principaux sur lesquels les ri devraient s’appuyer, en particulier si on les compare aux champs d’études connexes, économie, science politique et sociologie, conceptualisés de manière relativement rigide.

D’autre part, les chapitres intellectuels-historiques de la seconde partie de l’ouvrage (en particulier ceux de Murphy, Confortini et Vitalis) plongent dans les origines de la discipline, offrant ainsi des éclairages importants sur le « quand », le « comment » et le « pourquoi » de son développement. Essentiels à la compréhension des projets intellectuels des ri, ces chapitres fournissent des exemples clairs et concis des effets positifs d’une telle approche, sans laquelle les débats théoriques contemporains se trouveraient privés d’ancrage.

En dépit de nombreux chapitres de grande valeur, l’ouvrage souffre de problèmes profonds. D’abord, la tentative de représenter le « champ de recherche pluraliste » des ri en un seul volume relativement court donne aux chapitres une allure de staccato. Les bonds thématiques énormes d’un argument à l’autre ne laissent pas au lecteur le temps de respirer, certains chapitres prenant une apparence de superficialité qui les rend peu engageants.

Pire encore, on croirait parfois être en présence de propagande journalistique et non de réflexions universitaires sérieuses. Le chapitre de Ling constitue un cas particulièrement frappant. On y lit: « […] as I sat in that room with these smug high priests of Disciplinary ir, I suddenly understood isis and why so many have joined it. I, too, wanted to bomb the hell out of this world politics. Let’s kill the bastards ! ». Le lecteur, immédiatement rassuré sur le fait que ce sentiment s’est vite émoussé, ne pourra s’empêcher de s’interroger sur le jugement et les motivations d’un théoricien des ri à tel point perturbé par une réunion de dociles universitaires – sans rien dire des éditeurs, qui ont inclus ces propos dans l’ouvrage. Le livre propose aussi plusieurs discussions du « courant positiviste dominant en ri » qui révèlent un parti pris en faveur des théories critiques. Dans cette veine, le chapitre de Weber se distingue par l’intelligence de son analyse, présentant un portrait équilibré des « postures paranoïaques » visibles tant chez les théoriciens positivistes que chez les post-positivistes. Il offre ainsi une contribution utile quant aux possibilités de réflexivité dans les débats de ri. Il n’en demeure pas moins qu’au terme de l’ouvrage le lecteur aura revisité le débat qui anime la tradition critique depuis les années 1980, en ce sens que rien ne sera effectivement proposé en guise de substitut au courant dominant que ces chapitres critiquent.

Par ailleurs, ces arguments souffrent d’un troisième défaut de l’ouvrage : son déséquilibre théorique. En l’absence d’une perspective positiviste forte qui établirait un courant dominant au sein même de l’ouvrage, les critiques du « positivisme dominant » ont tout l’air de se battre contre un ennemi inexistant. Non pas que ces critiques soient nécessairement erronées dans le champ des ri en général, mais dans le cadre de cet ouvrage le lecteur doit faire appel à sa mémoire ou à son imagination pour que les arguments critiques se tiennent. Ainsi, soit l’ouvrage, contrairement à ses prétentions, ne rend pas vraiment compte de la pluralité des approches en ri ; soit il en fait une représentation juste, et alors les affirmations des auteurs qui décrient les dangers du « courant positiviste dominant » au 21e siècle s’attaquent à un homme de paille.

En somme, What is the Point of International Relations ? est un ouvrage contrasté qui ne répond absolument pas de manière claire et cohérente à la question que pose son titre. Mais c’est justement dans ses défauts que réside la valeur du livre. Les ri sont elles-mêmes un champ incohérent et conceptuellement hybride – et ce livre en est une excellente représentation. Ainsi, si l’on considère cet ouvrage pour ce qu’il est, c’est-à-dire une combinaison stochastique de voix distinctes, qui toutes défendent, de manière plus ou moins rationnelle (mais toujours trop brièvement), la valeur des ri en tant que champ d’investigations intellectuelles ouvertes et pluralistes, le livre « fonctionne » assez bien. Finalement, peut-on imaginer une meilleure conceptualisation de l’objectif des ri au 21e siècle ?