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Forts de leurs expériences humanitaires, Penelope Mathew et Tristan Harley proposent avec Refugees, Regionalism and Responsibility un travail dense, très documenté et original.

Les auteurs poursuivent deux ambitions. La première, montrer que les mouvements de réfugiés commandent un partage des responsabilités entre États. Le système actuel est en effet injuste, puisque les États en développement accueillaient en 2012 plus de 86 % des réfugiés. La seconde, explorer des pistes pour garantir une gestion humaine des flux de réfugiés. Les efforts à fournir sont immenses, puisque, par exemple, 90 % des enfants réfugiés en Égypte ne sont pas scolarisés.

L’ouvrage dresse un état des lieux méthodique et critique des politiques en faveur des réfugiés. Au préalable, Mathew et Harley soulignent la transformation historique du droit d’asile, passé d’un droit des individus à un droit des États. Dorénavant, selon les auteurs, une approche régionale de la gestion des réfugiés s’impose. Cette approche est susceptible de faire progresser la protection internationale des réfugiés et de favoriser une gestion adaptée des flux de réfugiés intrarégionaux.

Les auteurs rappellent que des instruments internationaux ou régionaux favorisent la coopération entre les États dans la gestion des réfugiés. Cependant, il n’existe pas de réel partage du fardeau. En 2013, seulement 1 % des réfugiés recensés ont été relocalisés dans d’autres États.

Analysant les pistes qui favoriseraient un meilleur partage du fardeau, les auteurs expliquent que l’immigration économique (de travail) peut concilier les besoins humanitaires des réfugiés et contribuer au développement des États d’accueil. En tout état de cause, Mathew et Harley relèvent avec justesse que, contrairement au dispositif européen, la répartition des réfugiés ne saurait être réalisée uniquement sur des critères de richesse et de taille de la population. D’autres facteurs sont à considérer, telle l’existence de programmes d’intégration.

Les auteurs examinent les initiatives régionales en matière de gestion des mouvements de réfugiés : le Plan d’action global pour les réfugiés d’Indochine, les conférences internationales sur l’assistance pour les réfugiés en Afrique, la Conférence internationale sur les réfugiés d’Amérique centrale, le régime d’asile européen commun, la déclaration et le plan d’action de Mexico. Ces efforts régionaux sont une source d’inspiration pour mieux gérer les mouvements de personnes réfugiées.

Cet examen des accords régionaux met en évidence les échecs, les succès ou les demi-succès dans la gestion des crises humanitaires. Surtout, il permet de présenter au lecteur des pistes d’action pour affronter les défis migratoires actuels.

Au titre des réussites, on relèvera les solutions concertées entre les pays de départ et les pays d’accueil et de transit, qui ont réussi à humaniser les mouvements de réfugiés. Le Plan d’action global pour les réfugiés d’Indochine a permis la réinstallation dans près de trente pays de plus de 500 000 réfugiés vietnamiens. Pourtant, comme le soulignent les auteurs, les accords peuvent aussi conduire à des solutions contraires au droit international. Le Plan d’action global mis en oeuvre entre 1975 et 1996 ouvrait ainsi la porte au retour forcé des demandeurs d’asile vietnamiens déboutés.

Les arrangements régionaux ont aussi un effet d’entraînement à l’égard des organisations internationales et des États. Ils ont favorisé la ratification de la convention de 1951 sur les réfugiés, qui constitue la pierre angulaire de la protection des populations persécutées ou menacées dans leur pays. Ces accords régionaux ont pu aussi dépolitiser les conflits interétatiques dans la mesure où ils impliquent des échanges diplomatiques entre les États signataires.

La démarche comparatiste des auteurs permet aussi de comprendre que les réfugiés ne sont pas considérés de manière identique dans chaque espace régional. Les urgences humanitaires (Afrique) ou la faiblesse de la tradition d’accueil (Europe) divergent d’un continent à l’autre. La question du financement des arrangements régionaux demeure centrale, car elle permet d’assurer la crédibilité des programmes consacrés à l’insertion des réfugiés et à l’appui des communautés hôtes.

Finalement, ces analyses comparatistes ont pour objectif de convaincre le lecteur que la question des réfugiés doit être incluse dans une approche globale. Celle-ci est intimement liée à la consolidation préalable des États fragiles ou faillis. Les auteurs sont aussi convaincus de la nécessité pour l’Europe de ne plus être une forteresse, c’est-à-dire de contribuer plus activement à la réinstallation des réfugiés. Toutefois, ils mesurent aussi les divisions européennes sur cette question.

Cet ouvrage constitue un outil utile pour appréhender la complexité de la problématique des réfugiés. Les auteurs ont pris le parti réussi de fonder leurs analyses sur une littérature et une documentation abondantes. Cependant, les données statistiques sont utilisées de manière trop parcimonieuse, alors même qu’elles auraient pu venir appuyer certains développements.

Toutes les critiques qui sont opposées à l’accueil des réfugiés sont examinées avec rigueur par les auteurs, qui ne nient pas les effets ambivalents de l’accueil des réfugiés dans les pays hôtes. Cependant, au nom de l’intérêt commun des réfugiés et des États hôtes, ils plaident pour l’accueil des populations réfugiées. En contrepoint, ils relèvent que l’endiguement hermétique des populations réfugiées est coûteux et illusoire.

Toutefois, s’ils démontrent qu’un partenariat semble possible entre réfugiés et États du Nord, Mathew et Harley ignorent l’État d’origine des réfugiés. Or, le succès des processus de sortie de conflits est intimement lié au retour des populations réfugiées. En proposant une intégration durable dans des États d’accueil, les auteurs occultent le risque que la paix durable et le développement dans des États postconflits soient compromis durablement.

Cet ouvrage, écrit dans un style vif, clair et précis, est susceptible d’intéresser un lectorat très large. Les universitaires aussi bien que les acteurs de terrain spécialisés dans la protection des réfugiés ou les diplomates y trouveront des pistes de réflexion parfois novatrices dans le traitement de la question des réfugiés. La lecture rapide de l’ouvrage est facilitée par les conclusions qui closent chaque chapitre. Une bibliographie dense (de plus de 20 pages) et un index détaillé contribuent à faire de cet ouvrage un instrument d’analyse pertinent.