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Pendant tout le siècle dernier, le gouvernement des États-Unis a constamment cherché à influencer le cours des événements politiques en Amérique latine. Il a même engagé des moyens militaires sur certains territoires, notamment à Cuba, au Honduras, au Panama ou au Nicaragua. Aujourd’hui, ces actions violentes par la force sont moins communes. Washington utilise d’autres méthodes comme l’augmentation des relations commerciales, mais aussi, en cas de conflit, la suspension des relations diplomatiques et l’application de restrictions économiques diverses.

En théorie, il existe trois fondements à l’aide internationale bilatérales.

  • D’abord, il s’agit d’améliorer les conditions de vie et le développement économique des pays pauvres, à des fins purement humanitaires ; dans ce contexte, les considérations éthiques, charitables et morales sont prises en compte.

  • Ensuite, les objectifs politiques permettent, par cette action, de renforcer les intérêts sécuritaires du donateur, mais aussi de donner une image positive d’une société exemplaire.

  • Enfin, l’assistance à l’étranger répond parfois à des intérêts économiques, soit en faveur des firmes multinationales domiciliées dans le pays donateur, soit avec la mise en place de marchés nouveaux. De manière plus générale, d’autres intérêts entrent en jeu, notamment ceux des Agences et de ses membres dont la mission porte sur l’assistance (dans le plus pur respect de la Théorie des choix publics) et des lobbys de toute sorte qui gravitent autour de ces opérations.

Or, l’aide internationale constitue, pour les États-Unis, une forme importante de la « diplomatie du dollar ». L’Agence des États-Unis pour le développement international (usaid, ou United States Agency for International Development) est responsable de trois programmes principaux. D’abord, le Service d’assistance au développement (Development Assistance) se propose de promouvoir le progrès économique et social des pays pauvres. Il s’agit de dégager des fonds pour financer des projets dans un temps limité, avec des résultats attendus à court terme. Cette assistance concerne principalement la santé, le planning familial, l’éducation, le logement et le développement rural. Ensuite, le Fonds de soutien économique (Economic Support Fund) traite des questions structurelles, comme l’inflation, les déficits publics ou la balance commerciale. Le gouvernement américain cherche alors à promouvoir la stabilité économique des régions dans lesquelles les États-Unis ont des intérêts sécuritaires évidents. Enfin, l’Aide alimentaire (Food Aid) ou Nourriture pour la paix (Food for Peace) cherchent à financer les surplus agricoles en faveur des pays en difficulté alimentaire avérée. Il s’agit de dons, de soutiens ou de prêts à faible taux d’intérêt. Outre l’aide militaire, aux fondements et objectifs a priori différents, l’Amérique latine reçoit les trois formes d’aide civile.

L’aide des États-Unis à l’Amérique latine a connu plusieurs politiques.

  • Pendant les années 1960, l’assistance a été canalisée par l’ambitieuse Alliance pour le progrès, inspirée du président Kennedy. Il s’agissait alors, d’une part de promouvoir la croissance économique et d’améliorer le niveau de vie par des investissements publics, et d’autre part de proposer des réformes sociales en faveur d’une redistribution des revenus et de la mise en place d’institutions démocratiques.

  • Dans les années 1970, l’aide a été restructurée, à la demande de Jimmy Carter, en faveur de la satisfaction des besoins humains de base (basic human needs), comme la santé, l’éducation, la nutrition ou le respect des droits de l’homme

  • Dans les années 1980, les années Reaganiennes, l’aide américaine soutenait les initiatives des entreprises privées, favorisait la privatisation des firmes publiques et incitait les gouvernements latino-américains à mettre en place les mécanismes du marché.

  • Dans les années 1990, les États-Unis, reprenant les principes de Bill Clinton, ont souhaité d’abord promouvoir la démocratie et la « bonne gouvernance » en Amérique latine. L’Initiative démocratique (Democracy Initiative) se proposait d’améliorer la compétitivité des systèmes politiques, de défendre les droits de l’homme et l’application de la loi, de créer une société civile vivante et de renforcer la transparence du secteur public.

Aujourd’hui, l’aide internationale américaine est faible et elle décroît. Ainsi, elle représentait 3,2 milliards de dollars constants (1992) en 1964 et seulement 439 millions en 2000. L’assistance au développement et les pays les plus pauvres ont été les premiers concernés par cet effondrement du financement. C’est pourquoi l’interprétation « humanitaire » reste naïve et utopique, même si elle explique quelques éléments de la réalité. Les hommes politiques sont dépendants de leur environnement national. Dans ce domaine pourtant, si les Américains seraient prêts à faire des efforts supplémentaires, il n’en va pas de même des gouvernements. Trop souvent, les considérations politiques semblent aujourd’hui l’emporter. Dans ces conditions, il s’agit, pour l’État, d’infléchir soit la politique des récipiendaires (notamment en matière de sécurité), soit de donner une image positive de l’Amérique qui sera, à court ou à long terme, utile pour les accords commerciaux. D’ailleurs, l’aide se situe dans les pays où les États-Unis ont le plus d’intérêts. La plus grande partie de l’assistance porte sur des crédits pour l’achat de biens et services produits par le pays donateur. Dans ces conditions, l’aide internationale se présente comme une subvention aux producteurs nationaux. Enfin, l’assistance favorise les investissements nationaux à l’étranger, elle crée un climat favorable aux produits américains et elle met en évidence l’intérêt des valeurs marchandes et du capitalisme en général. L’économie des États-Unis doit, si elle veut continuer à progresser, développer de nouveaux marchés, notamment dans les pays en développement. Autrement dit, le développement du Sud est sans doute une condition du développement économique des États-Unis. L’aide n’est finalement qu’un investissement à long terme en faveur des intérêts américains.

La crise de le dette de l’Amérique latine est toujours présente, elle représente plus de 600 milliards de dollars. Or, si l’on veut soutenir les pauvres et les classes laborieuses par un soutien international, il faut d’abord réduire la dette, en l’assortissant de conditions visant à réduire la pauvreté des pays endettés. Il s’agit aussi de soutenir les actions d’insertion sociale, de préserver l’environnement naturel et de consolider les forces démocratiques. La philosophie de l’assistance doit changer. Les communautés pauvres doivent être perçues comme les principaux agents du développement. Dans ces conditions, il est nécessaire de modifier l’assistance américaine à l’Amérique latine. D’abord, il faut séparer les actions de court terme, fondées sur l’urgence, de celles qui transforment la société en favorisant son développement économique. Ensuite, il est opportun de se servir du relais des organisations non gouvernementales pour améliorer l’efficacité de l’assistance. Enfin, il s’agit de promouvoir une redistribution réelle des revenus en faveur de la société de base, afin de favoriser le développement réel de la démocratie.

Francis Adams présente une analyse intéressante de l’histoire, des fondements et des objectifs de l’assistance économique des États-Unis à l’Amérique latine. Écrit dans un langage clair, même s’il omet de signaler les critiques des économistes radicaux ou marxistes, son ouvrage présente de manière objective le contenu réel de l’aide américaine. Il met en évidence cette contradiction entre une opinion publique persuadée de l’importance humanitaire mais aussi politique de l’aide, et la réalité de son financement, finalement peu élevé et donc peu rentable, si on la situe dans l’ordre des actions opportunistes de court et long termes.