Étude bibliographique

Régionalisme et régionalisation des conflits en Afrique[Notice]

  • Daniel C. Bach

Lorsqu’elle a pris forme dans les années 1990, l’implication de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (cedeao) dans trois opérations de maintien puis de rétablissement de la paix en Afrique de l’Ouest n’était en rien prévisible. Les protocoles de l’organisation touchant à la sécurité régionale ne permettaient d’intervenir dans les guerres civiles au sein de la région que dans l’hypothèse d’une agression extérieure. La cedeao par son implication directe, à travers son bras armé, l’ecomog, dans les guerres civiles du Libéria (1990-1997), de la Sierra Léone (1997-1998)et de la Guinée-Bissau (1998-1999) a donc innové. Une fois acquis dans les faits, le principe d’interventions visant au règlement de conflits internes a fait école, incitant la cedeao et l’ensemble des organisations régionales africaines à se doter formellement d’une ingénierie institutionnelle visant à traiter les questions de sécurité régionale. Quitte à reléguer en arrière-plan les préoccupations purement économiques et financières précédemment mises en exergue. Loin d’être une panacée, l’implication croissante des organisations régionales africaines dans leurs sous-régions au titre du maintien et du rétablissement de la paix a d’abord tenté de combler une carence. Les brèves, mais percutantes analyses publiées par Douglas Anglin et Terry Mays dans les Pearson Papers nos 6 et 7 viennent utilement rappeler que le déni d’intervention des grands pays occidentaux face au génocide des Tutsi rwandais en 1994 est né de leur réticence, exprimée directement ou à travers les Nations Unies, à s’impliquer directement dans des conflits dès lors qu’ils étaient jugés d’un intérêt mineur. Cela avait déjà été le cas au Libéria où la décision d’intervenir de la cedeao, prise sous l’impulsion du Nigéria en août 1990, avait eu pour toile de fond la décision des États-Unis de cesser de soutenir le régime dictatorial de Samuel Doe, tout en limitant, fin de la guerre froide oblige, leur intervention au rapatriement des ressortissants occidentaux. Bien qu’une abondante littérature ait été suscitée par l’expérience de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest et de son bras armé, l’ecomog, les tentatives de bilan synthétique restent peu nombreuses, ce qui fait l’intérêt de trois des ouvrages qui font l’objet de cet article, le quatrième ayant adopté une vision à la fois plus large et plus problématique. La présentation des ambitions régionales exprimées de longue date par le Nigéria mais bridées par l’influence « hégémonique » de la France en Afrique de l’Ouest, sert d’introduction à la présentation de la décision du général Babangida d’intervenir militairement au Libéria. Les raisons de cette décision sans précédent, de projeter la puissance militaire nigériane, sont abordées en détail, avec un souci de réfuter les motivations strictement personnelles qui furent souvent invoquées. Quoi qu’il en soit, le souci de promouvoir une expansion de l’influence nigériane en Afrique de l’Ouest, semble bien avoir été présent, même s’il s’est en partie construit à rebours – à partir de l’impossibilité d’envisager un retrait humiliant de troupes de l’ecomog dont le Nigéria fournissait la quasi-totalité. Cette préoccupation est toujours omniprésente lorsqu’à partir de 1993, le successeur de Ibrahim Babangida à la tête du Nigéria, le général Abacha, va accroître considérablement l’engagement militaire du Nigéria au Libéria (jusqu’à 12 000 hommes vont s’y trouver). Prisonnier d’un conflit libérien dans lequel les forces de l’ecomog demeurent largement impuissantes face à un Charles Taylor qui contrôle 85 % du territoire, et bénéficie de soutien actif au sein même de la cedeao, le Nigéria va finalement opérer un spectaculaire revirement de sa politique : c’est soutenu et conforté par le Nigéria, que Charles Taylor, le chef de guerre …

Parties annexes