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Ce petit livre (178 p.) vient à point, après l’Affaire Pinochet, les récentes variations de la législation belge et la création de la Cour pénale internationale. Écrit par une jeune juriste espagnole, à la suite de sa thèse de doctorat franco-espagnole, il examine avec précision et compétence l’état présent de la doctrine et de la pratique, sur le plan international et national, des conventions internationales, des législations nationales et du droit coutumier pour juger des responsables de crimes contre l’humanité.
Dans une première partie, l’auteure recherche les précédents sur la compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité au niveau international. Elle rappelle qu’il n’existe pas actuellement de convention sur ces crimes, malgré les efforts de la Commission du droit international. Par contre, des conventions spécifiques séparées, la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Convention sur l’apartheid de 1973 et la Convention contre la torture de 1984 ont traité de certains crimes contre l’humanité. Aucune convention internationale ne règle la question de savoir s’il existe une compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité : seules les Conventions de Genève énoncent le principe de la compétence universelle concernant les infractions et les infractions graves à ces Conventions. L’article iv de la Convention sur le génocide n’envisage qu’une répression sur la base de la territorialité du crime. L’article 7 de la Convention contre la torture établit l’obligation de juger ou d’extrader, aut dedere, aut judicare, soit la possibilité, pour l’État sur le territoire duquel se trouve le prévenu, d’extrader ou de juger.
L’auteur précise ensuite les références données par les juridictions internationales, les Nations Unies et la Commission du droit international en cette matière. Tout en constatant que l’obligation qu’a chaque État de prévenir et de réprimer le crime de génocide n’est pas limitée territorialement par la Convention, le Cour internationale de Justice semble reconnaître implicitement la possibilité d’une répression universelle de ce crime. Le Tribunal de Nuremberg a fondé sa compétence pour juger des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, non pas sur le principe de la territorialité des crimes commis, mais sur leur nature universelle. Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans son arrêt relatif à l’exception préjudicielle d’incompétence dans l’affaire Tadic, s’est référé à la notion d’intérêt universel. L’Assemblée générale des Nations Unies s’est prononcée à plusieurs reprises sur la répression universelle des crimes contre l’humanité.
Dans une deuxième partie, l’auteure examine la législation des États et leur pratique, c’est-à-dire celle des tribunaux internes, de pouvoir juger indépendamment de la nationalité de l’auteur ou des victimes ainsi que du lieu de commission du crime. La compétence universelle a été rarement mise en oeuvre entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années 1990. Le procès d’Adolf Eichmann en 1962 reste l’exception la plus importante.
Les lois qui accordent à leurs tribunaux la possibilité de juger des responsables de crimes contre l’humanité et/ou de génocide en vertu du principe de la compétence universelle sont exceptionnelles : parmi celles-ci, la Belgique, le Canada et la France. L’intégration du crime de génocide a été effectuée par la Belgique, les États-Unis, l’Espagne, la France avec certaines différences. La législation espagnole a introduit en 1985 le principe de la compétence universelle pour la répression du crime de génocide, qui a été utilisée pour la première fois à l’occasion de l’affaire Pinochet. L’exercice de cette compétence s’est alors heurtée à l’opposition du gouvernement chilien et du Parquet espagnol. En 1994, les États-Unis ont adopté le « Cambodian Genocide Justice Act » pour les crimes de génocide commis au Cambodge entre 1975 et 1979 : il ne s’agit cependant pas d’une reconnaissance explicite de la compétence universelle des tribunaux américains. L’adoption en 1982 de l’Alien Tort Claims Act autorise les tribunaux américains à connaître tout délit commis par un étranger en violation de la « law of nations », et notamment des crimes contre l’humanité : son application se heurte à des difficultés pratiques, ne laissant qu’une option à ces tribunaux : extrader les responsables de crimes ou les déporter.
Le juge interne s’est rarement déclaré compétent en vertu du principe de la compétence universelle pour connaître des crimes contre l’humanité. Il a plus souvent dû se prononcer sur la question de savoir s’il pouvait donner suite à une demande d’extradition. Tout État est libre de solliciter une extradition et tout État est libre de la refuser. En cas de refus, il n’est pas tenu d’engager des poursuites. Les États extradent rarement, et, de plus, ils rejettent la règle aut dedere, aut judicare plus fréquemment qu’ils ne l’appliquent.
En matière de génocide et de crimes contre l’humanité, le juge français rejette la compétence des tribunaux. Le Code de procédure pénale français ne reconnaît pas la compétence des juridictions françaises lorsque les faits ont été commis à l’étranger, par des étrangers et que les victimes sont également étrangères. L’opinion prédominante de la doctrine américaine est que la compétence universelle n’est pas praticable aux États-Unis.
L’auteur conclut que le droit international conventionnel ne reconnaît pas l’existence d’une compétence universelle en matière de crimes contre l’humanité, et qu’il n’existe pas actuellement une coutume internationale qui la reconnaisse. Cependant, une compétence universelle facultative est plus facilement reconnue qu’une compétence universelle obligatoire. Les partisans aussi bien que les opposants au principe de l’universalité se réfèrent, dans leurs législations internes et dans leurs jugements à la nationalité des victimes pour reconnaître la compétence de leurs tribunaux dès lors que celles-ci sont des ressortissants de leur État. La compétence universelle se trouve dans la zone grise des conflits de droit, entre le principe de la souveraineté des États d’une part, et d’autre part, la protection des droits de l’homme et la poursuite des responsables de violations massives de ces droits.
L’ouvrage est de qualité par sa recherche de règles coutumières, par une étude et des références à des conventions internationales et aux travaux de certaines instances internationales, ainsi qu’à des législations et jurisprudences nationales, et par la précision de ses analyses et de ses conclusions dans ce domaine en évolution. Ce livre de spécialiste s’adresse à des juristes, au personnel judiciaire national et international, aux enseignants et étudiants en droit international public et droit pénal international, au niveau du doctorat.