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Au cours des dernières années, de nombreux livres ont été publiés relatant l’évolution du système international de 1945 à nos jours, analysant ou décrivant le déroulement et la fin de la guerre froide, les incertitudes des années 1990, puis les permanences et les bouleversements du monde post 11 septembre. Certaines de ces publications insistent davantage sur une description factuelle des événements, alors que d’autres adoptent une approche plus théorique. L’ouvrage que nous proposent Andreas Wenger et Doron Zimmermann, tous deux de l’eth Zurich, offre une description principalement chronologique de l’évolution des relations internationales depuis 1945. Cependant, à leur description des événements, les auteurs superposent systématiquement de brèves explications conceptuelles intégrées aux chapitres, ainsi que des glossaires de concepts clés à la fin de chaque chapitre et en fin d’ouvrage, dans le but d’initier le lecteur surtout à l’histoire mais également à la théorie des relations internationales.
Après une brève mise en contexte historique et conceptuelle, le second chapitre traite de la première phase de la guerre froide, de 1945 à 1955. D’entrée de jeu, Wenger et Zimmermann réussissent à atteindre un équilibre entre une description factuelle et chronologique et de nombreuses explications conceptuelles. Par exemple, après avoir exposé la phase d’ossification de la guerre froide (1945-1947), les auteurs analysent la phase de la formation des blocs (1947-1949). Ils débutent par une explication de la stratégie d’endiguement, analysent les facteurs qui ont mené à la mise sur pied du Plan Marshall, puis passent à une description des premiers événements annonciateurs de la formation des blocs, en s’attardant sur le blocus de Berlin. La section suivante, qui traite de la globalisation de la guerre froide (1949-1955), illustre bien une autre qualité de l’ouvrage, sa capacité à ne pas confiner géographiquement au continent européen la confrontation entre Est et Ouest. Les auteurs consacrent en effet une portion substantielle de leur analyse à des événements tels la guerre civile en Chine ou les débuts de la décolonisation en Asie et réussissent à expliquer au lecteur les liens entre ces événements dans le tiers-monde et la confrontation naissante en Europe.
Le troisième chapitre (1955-1963) débute par une analyse des tensions croissantes au sein des blocs, en insistant sur leur hétérogénéité et sur les divergences naissantes, une fois la poussière des années d’après-guerre retombée. Tout comme dans le chapitre précédent, les auteurs discutent ensuite de la mondialisation de la guerre froide, et utilisent le cas des crises de Taiwan pour démontrer non seulement la bipolarité désormais solidement ancrée au sein du système international, mais également les premiers balbutiements du schisme sino-soviétique.
Les incidents du détroit de Taiwan permettent de plus aux auteurs d’évoquer la contradiction fondamentale entre l’idéalisme et l’anti-impérialisme historiques de la politique étrangère américaine, d’une part, et les exigences du monde bipolaire, d’autre part. Ce paradoxe sera un thème récurrent de l’ouvrage de Wenger et Zimmermann, notamment repris lors des discussions de la stratégie de Washington en Amérique latine.
Le quatrième chapitre propose ensuite trois relectures des événements de la période de 1963 à 1968, des points de vue de l’Ouest, de l’Est, puis du Sud. Les auteurs s’attardent particulièrement sur les premières années de la guerre du Vietnam et sur ses conséquences géopolitiques, ainsi que sur les dernières phases de la décolonisation et sur l’impact du mouvement des pays non-alignés. Une courte section sur la difficulté de gérer les alliances pour les deux superpuissances conclut ensuite en affirmant que si la crise de confiance grandissante au sein du bloc occidental aura été en partie résolue par certaines réformes, au sein de l’otan notamment, les tensions croissantes au sein du bloc socialiste se verront exacerbées par la réaction centralisatrice et autoritaire de Moscou.
Le cinquième chapitre porte ensuite sur la montée puis la chute de la détente entre 1968 et 1977. Avant de passer à une description des événements majeurs de l’époque, les auteurs analysent l’impact des principaux changements structurels au sein du système international. Le lecteur comprendra par exemple en quoi la balance de la terreur et la mutually assured destruction (mad) ont pu mener à un déclin relatif de la puissance militaire par rapport à la puissance économique comme symbole de la puissance. Les auteurs tracent ainsi un parallèle entre les tensions au sein du bloc occidental et l’ascension du Japon et de l’Europe au rang de puissances économiques pouvant rivaliser avec le géant américain.
Le sixième chapitre traite de la « seconde guerre froide » du début des années 1980, puis décrit les événements et les facteurs qui ont conduit éventuellement à l’implosion du bloc communiste et à la fin de la guerre froide. On pourra noter la qualité de la description et de l’analyse des circonstances internes en urss qui ont mené à l’adoption de la glasnost et de la perestroïka. Tout comme ils l’ont fait pour leur analyse des tensions internes aux États-Unis à l’époque de la guerre du Vietnam, les auteurs expliquent ces tensions, entre camps réformistes et conservateurs au sein du Parti communiste, et étudient leurs conséquences pour la situation internationale.
Le septième chapitre traite ensuite des nouveaux développements entre 1991 et 2002. Comme ils l’ont fait tout au long du livre, Wenger et Zimmermann présentent au lecteur les tendances, nouvelles ou accentuées, qui marquent le système international des années 1990 : multipolarité, globalisation économique et financière, conflits intra-étatiques et ethniques, montée du terrorisme islamique. Une discussion chronologique détaillée permet ensuite au lecteur de lier les concepts présentés aux principaux événements de la décennie.
Enfin, le dernier chapitre discute brièvement des événements du 11 septembre 2001 et de leurs conséquences possibles. Selon les auteurs, les attentats de New York et de Washington ne représentent pas la fin d’une époque ou une césure importante dans l’évolution du système international, mais s’inscrivent plutôt en continuité avec les années d’incertitude qui ont marqué la fin de la guerre froide.
Chaque chapitre de l’ouvrage de Wenger et Zimmermann réunit une description chronologique des principaux événements de la période étudiée avec des explications des concepts de relations internationales pertinents. De plus, à la fin de chaque chapitre et à la fin du livre, des glossaires de termes et de concepts clés initient le lecteur à une discussion plus théorique. Le produit final est donc un mélange équilibré, qui remplit ses promesses. On peut noter particulièrement la qualité du choix des études de cas, tant factuelles que conceptuelles, ainsi que la capacité des auteurs à d’abord mettre en contexte, puis à expliquer des enjeux fort complexes, et ce toujours dans des espaces limités. Les auteurs réussissent également à faire comprendre au lecteur que des tensions ethniques ou religieuses ou d’autres facteurs indigènes ont souvent été des causes importantes, voire les raisons premières de nombreux conflits du tiers-monde, et ont continuellement été exacerbés par le jeu du système bipolaire.
En somme, l’ouvrage de Wenger et Zimmermann constitue un outil pédagogique et synthétique utile et bien construit pour l’étudiant de l’histoire des relations internationales au premier cycle, de même qu’une source intéressante et fort accessible pour l’honnête homme qui souhaite en apprendre davantage sur le sujet.