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Cet ouvrage fait partie des publications de l’unesco dans le cadre de son programme « Gestion des transformations sociales ». Il porte sur les mutations substantielles que connaissent les sociétés nationale et internationale.

Plus précisément, cet ouvrage aborde les conséquences de la mondialisation sur les collectivités infra-étatiques et sensibilise les acteurs de la société civile à la gestion démocratique de l’espace mondial. La question de la gouvernance mondiale est traitée à partir d’une réflexion sur les nouveaux mécanismes susceptibles d’assurer une meilleure participation des citoyens à la gestion de l’espace quelle que soit sa dimension, locale, nationale, régionale ou mondiale. De là, émergent dix contributions articulées en trois parties. La première partie concerne le triptyque développement, démocratie et pouvoir politique. L’article de Guy Hermet met en garde contre le discours professé par certaines organisations internationales, ténors de la mondialisation, sur l’inadaptation de l’État à la régulation de l’espace mondial. La tendance actuelle présente les nouveaux acteurs (ong, organisations internationales, sociétés transnationales...) comme des opérateurs fiables et adaptés à l’exercice des fonctions nationales et internationales. L’État est assimilé dans le cadre de ce discours comme un acteur définitivement handicapé et rétrograde. L’auteur revalorise l’État dans son rôle d’acteur incontournable dans la gestion des affaires et dans la mise en oeuvre du processus de gouvernance. Dans le prolongement de cette idée, intervient la contribution de Ali Kazancigil. Ce dernier relativise la thèse selon laquelle la mondialisation n’est soumise à aucun contrôle. Certes, sur le plan social et démocratique, la mondialisation échappe à toute réglementation ; ce qui n’est pas le cas dans les domaines du commerce et des finances. L’omc, la bm, le fmi... s’érigent dans leur univers respectif comme les autorités de régulation. Leur mot d’ordre est « la rationalité, l’efficacité, la compétitivité et la flexibilité du marché de la main d’oeuvre ». En somme, la justice et la réduction des inégalités qui s’accroissent un peu partout dans le monde ne sont pas les préoccupations dominantes des organisations de l’ordre libéral. Dans ce contexte, l’État, les ong et les mouvements sociaux mondiaux sont indispensables à la gouvernance mondiale. Si le travail en synergie entre ces différents acteurs est primordial, l’auteur reste prudent quant à l’action de la société civile. Les représentants de ladite société doivent procéder de la légitimité démocratique. Par ailleurs, les pays en développement ne doivent pas connaître une sous représentation au sein de ces nouveaux opérateurs.

Guillermo Aureano, quant à lui, analyse l’articulation entre organisations internationales (onu), ong (Lindesmith Center, encod...) et gouvernements dans un domaine spécifique qui est celui de la lutte contre le trafic de drogue. L’auteur affirme que depuis plusieurs décennies, la société internationale, sous les auspices des Nations Unies, s’est engagée dans le contrôle de la production, de la commercialisation et de l’usage de certaines drogues. L’Assemblée générale a adopté plusieurs conventions et créé des organismes chargés de veiller à leur application. La réglementation internationale en la matière repose sur le principe de la prohibition et la stratégie de la répression. C’est justement cette stratégie qui deviendra la pomme de discorde entre les organisations internationales et la société civile. Les ong ont démontré l’échec des politiques répressives ainsi que les préjudices qu’elles entraînent. Elles proposent la mise en oeuvre des projets pilotes de distribution contrôlée d’héroïne, d’améliorer l’accès aux programmes de traitement à la méthadone, de diffuser des informations objectives sur les drogues interdites, de faciliter l’achat de seringues stériles dans les pharmacies et de leur distribution dans les prisons. Bref, la lutte contre la drogue doit intégrer la dimension humaine qui oblige à aborder simultanément tous les sujets ayant un rapport avec les drogues. Dans ce domaine, la gouvernance n’a pas produit son effet dans la mesure où les ong prônant cette stratégie sont écartées des instances internationales.

La deuxième partie de l’ouvrage aborde l’impact de la mondialisation sur la recomposition politique du territoire de l’État-nation. Dans ce cadre, l’article de Jaime Preciado Coronado analyse la théorie de la gouvernabilité et tente de l’appliquer au cas mexicain qui se considère comme un laboratoire d’observation sur la portée de cette gouvernance démocratique. Tout l’apport de ce travail consiste à démontrer comment le Mexique post-pri devra relever les défis de la transition politique d’un régime de parti d’État à un régime de type démocratique. Le gouvernement mexicain a testé diverses formes participatives qui ont conduit à la reconnaissance de certains changements notoires en la matière. Cela étant, le patronat exerce encore un pouvoir influent dans l’attribution de responsabilités stratégiques à des personnes politiques. La même expérience est tentée dans un autre pays à savoir l’Égypte. Sarah Ben Néfissa décortique les élections législatives de 2000 et s’interroge si ces élections constituent une étape vers la démocratisation du régime. L’auteur analyse le système électoral en émettant l’hypothèse selon laquelle le député comme élu local est un médiateur entre la population et l’appareil administratif dans la mesure où le pouvoir local ou municipal n’est pas effectif. Le député joue le rôle d’élu local qui traite des problèmes locaux par la médiation des relations que lui seul est capable d’avoir au niveau central. Cela renforce le clientélisme entre députés et notables locaux que seul un contrôle judiciaire pourrait effacer. La contribution de Maria da Graça Pinho Bulhoés présente l’expérience brésilienne en matière de gouvernance dans le domaine de la formation. La stratégie adoptée est de nature décentralisatrice dans la mesure où elle implique un partenariat entre les États fédérés, la société civile et les municipalités. Malgré les difficultés rencontrées entre les différentes sphères des partenaires, cette politique de décentralisation en matière sociale constitue, selon l’auteur, un espace ouvert de discussion et d’expérience. Cela contribuera à une meilleure définition des rôles que devront assurer les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux dans la promotion du bien public.

La dernière partie est consacrée aux gouvernances locales et urbaine à travers des cas spécifiques.

La contribution de Annik Osmont part du constat selon lequel la mondialisation économique a engendré des conséquences sur l’organisation urbaine de la ville. Le volet économique prend le pas sur le volet social. L’objectif est de rendre les villes encore plus productives. Cette idée a conduit la Banque mondiale à l’élaboration d’un modèle de développement urbain à vocation universelle, proposé comme le seul modèle type qui répond aux critères de rentabilité et d’efficacité. Dès lors, quel rôle peut jouer l’expertise ? L’auteur met en lumière la complexité de cette technique en raison de la diversité des experts appartenant à des acteurs variés (bm, collectivités locales, métropoles, grandes villes, ong...) La recherche de la cohérence entre eux demeure une tâche difficile en matière d’urbanisme. Chaque expert aspire à imposer le point de vue de l’instance qu’il représente. Dans le même ordre d’idées, David Westendorff examine certains résultats de la recherche menée par l’unrisd sur les relations entre les ongd et les organisations de base indigènes. Ces ongd agissent souvent comme intermédiaire entre les autorités locales et nationales, entre les donateurs de l’étranger et les organisations communautaires locales. Les gouvernements reconnaissent la contribution salutaire de la société civile aux processus économiques et sociaux même s’ils ont une interprétation différente de celle de la société civile. Màrcia Ribeiro Dias dans son article, « représentation ou participation politique : débat autour de l’institutionnalisation du budget participatif à Porto Alegre », relate une expérience innovante de la gouvernance. Le budget participatif est une instance consultative du pouvoir exécutif dont l’objectif premier est de définir les priorités en matière d’investissement public municipal. Ainsi, tout au long de plus d’une décennie, le budget annuel de Porto Alegre a été élaboré à partir de choix effectués par la population dans le cadre du budget participatif. Néanmoins, l’auteur s’interroge sur le débat relatif à l’institutionnalisation du budget participatif. Ce débat a pour toile de fond la rivalité entre les pouvoirs exécutifs et législatifs municipaux.

Une autre expérience connue sous le nom du « collège aux pieds nus » est testée en Inde depuis la fin des années 1960. Il s’agit d’une formule de gestion ou de gouvernance qui fait rencontrer le milieu des professionnels (architectes, urbanistes...) et les habitants de certains villages éloignés. Ces partenaires travaillaient en étroite coopération dans divers domaines (élevages de volailles, énergie éolienne, conception peu coûteuse d’un nouveau véhicule tiré par un chameau...) Cette expérience de rencontre entre professionnels et jeunes ruraux a donné naissance à un groupement de jeunes autochtones à niveau d’éducation variable. Il s’agit d’un processus démocratique dans lequel riche ou pauvre, homme ou femme, basse ou haute caste chacun ou chacune a droit à l’égalité, au respect et à la dignité.

Certes, cet ouvrage traite d’une question qui est devenue à la mode chez ceux qui s’intéressent à la problématique de la gouvernance, des acteurs de la société civile et de la régulation de la mondialisation. Néanmoins, en dépit de la littérature abondante en la matière, la richesse de l’ensemble des articles constitutifs de cette publication réside dans la rigueur de l’analyse des thèmes traités qui ne manqueront pas d’avancer le débat sur la manière de faire participer les citoyens à la gestion et à la régulation de l’espace qui ne cesse de se mondialiser. S’il est une critique à faire, elle serait foncièrement consacrée à l’absence d’une contribution qui mettrait l’éclairage de manière réfléchie sur le concept de gouvernance. On le sait, c’est un concept polysémique. En l’absence d’un tel effort de conceptualisation, les auteurs dans leur contribution ont agi dans un ordre dispersé en essayant d’adopter des définitions ou des conceptions lues ici et là. La présence d’une contribution à part entière sur le concept de gouvernance aurait comblé la lacune de l’apport théorique.