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Face au titre Mondialisation et terrorisme identitaire, le lecteur pourrait légitimement espérer découvrir un ouvrage sur les relations internationales. Il s’attend plus précisément à lire un nouveau travail sur les questions de sécurité, en particulier dans le cadre de l’ordre mondial consécutif aux événements du 11 septembre 2001. La quatrième de couverture nous y prépare d’ailleurs : « Notre époque questionne plus que jamais le rapport entre pouvoir, violence et identité : l’attentat du 11 septembre à New York en est une illustration parmi d’autres. » Pourtant, dès les premières lignes, sa lecture ne sera pas celle qu’il prévoyait. Dès ces premières pages, on entre dans une tout autre atmosphère. Si l’on parle de terrorisme celui-ci est pris au sens quasiment étymologique, voire psychologique, du terme. Il s’agit du terrorisme provoqué par la terreur quotidienne, il s’agit des violences physiques et psychologiques qui produisent un terrorisme journalier sous des formes multiples et parfois symboliques. Il s’agit d’un terrorisme a priori dénué de fondement réellement politique que le sous-titre, ou comment l’Occident tente de transformer le monde, nous laisse à peine percevoir. Car le terrorisme évoqué n’est pas celui de mouvements politiques stricto sensu, c’est le terrorisme du quotidien, implicite, que chacun, en particulier dans les pays du Tiers-monde, intériorise dans son inconscient. C’est le terrorisme identitaire qu’évoque l’auteur. On l’aura compris, il ne s’agit pas de s’épancher sur la nébuleuse Al Quaïda, ni sur quelques autres groupuscules terroristes, ni sur aucun mouvement de libération nationale.

Ce sont donc bien les relations de pouvoir qui sont analysées, d’après un point de vue individuel, psychologique et personnel (chap. 1 : La codépendance et l’internalisation des relations de pouvoir). En fait, l’auteur, Stéphane La Branche, actuellement détaché au cerat à l’Institut d’études politiques de Grenoble, veut nous faire part de son intime conviction. Il cherche à nous faire partager un ensemble de réflexions qu’il pressent au sujet de notre relation quotidienne au pouvoir. Car il voit un parallèle à dessiner entre les relations de codépendance au niveau des relations interpersonnelles et celles qui s’expriment au plan des relations internationales, autrement dit celles qui déterminent le pouvoir au niveau de la planète ! Dans un premier temps, il prend le soin de décrire comment chaque individu intériorise et se construit à travers des traumatismes consubstantiels de la notion de pouvoir. Ensuite, il présente des configurations illustrant cette idée d’un point de vue individuel, vis-à-vis des effets « co-latéraux » de la mondialisation. C’est-à-dire que la mondialisation prend des formes structurant des attitudes au quotidien : au niveau discursif, culturel, politique, économique et bien entendu identitaire car, selon l’auteur, « il existe une occidentalisation de la peur en cours, de ce que signifie la discipline et donc, du type de pouvoir ». Un des aspects de la mondialisation est que les formes de pouvoirs quotidiens, individuels, psychologiquement déterminés sont en train de prendre le dessus sur la planète entière. Il y a donc bel et bien un effet « structurant et homogénéisant sur les valeurs et l’identité des non-Occidentaux », une relation de codépendance s’affirme déclinant à l’infini planétaire l’emprise de l’Occident sur le reste des communautés du monde.

À sa manière, Stéphane La Branche applique une méthode micro-analytique sur les perceptions individuelles des grands mouvements mondiaux, notamment ceux issus de la colonisation et du capitalisme à grande échelle. C’est pour lui une façon d’expliquer pourquoi certaines populations, notamment en Afrique, intériorisent leurs positions subalternes vis-à-vis des grandes nations, comprises dans le terme « Occident ». En mêlant psychologie et relations internationales, le lecteur reste pour le moins dubitatif, non par l’hypothèse, finalement recevable (admettre une intériorisation d’un pouvoir extérieur jugé comme supérieur, du fait par exemple de l’histoire de la colonisation menée par l’Occident, ce que l’auteur qualifie de codépendance), mais surtout par l’argumentaire. En effet, le lecteur est malmené, perdu par des incidences qui lui font perdre le fil d’une argumentation déjà confuse. Par ailleurs, les nombreux problèmes de mise en page, les erreurs dans la pagination, des notes de bas de page trop allusives, imprécises et souvent inutilisables, n’aident pas à adhérer pleinement ne serait-ce qu’à la lecture de cette démonstration. En dépit de l’humanité évidente de ce livre (on ne peut plus personnel !), celui-ci ouvre cependant un débat sur la perception des relations entre les peuples. Pour rebondir sur l’anecdote de l’introduction (l’auteur, alors enfant, est sollicité, pour quelques pesos, par un vieux mexicain en haillons), en abordant à sa manière la question des chocs civilisationnels et culturels, Stéphane La Branche réactualise finalement une idée qu’avait magistralement décrite Octavio Paz dans son livre Le labyrinthe de la Solitude (1957). À l’époque, il défendait déjà la même thèse, celle d’une forme de terrorisme intériorisé par les Mexicains vis-à-vis des « Yankees ». Aujourd’hui, l’actualité des rapports de forces dans le monde fait que cela s’exprime avec une autre acuité mais Mondialisation et terrorisme identitaire défend la même idée que l’intellectuel et romancier mexicain : l’inégalité des rapports de pouvoir entre les différents mondes continue de s’exprimer de façon arbitrairement injuste et terrorisante pour les individus qui la subissent.