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Cet ouvrage collectif offre une analyse du rôle de promotion de la démocratie de l’Organisation des Nations Unies (onu). L’ouvrage est assez complet, offrant descriptions et analyses du fonctionnement de l’organisation et des ressources dont elle dispose pour mener à bien ses programmes en matière de démocratisation, tout en abordant également les difficultés rencontrées par l’onu et les controverses et critiques suscitées par son implication dans ce secteur d’activité.
L’ouvrage est divisé en trois parties. La première partie couvre six chapitres et aborde différentes facettes du rôle de l’onu dans la promotion de la démocratie. Roland Rich et Edward Newman, dans leur chapitre d’introduction, rappellent la raison d’être de l’implication de l’onu dans la promotion de la démocratie. Le mot « démocratie », après tout, n’apparaît nulle part dans la Charte de l’organisation. Par contre, on a établi, à la fois aux niveaux théorique et pratique, qu’il existe une interdépendance entre la démocratie et les trois principaux objectifs de l’onu tels que mentionnés dans le préambule de sa Charte, soit ceux de « préserver les générations futures du fléau de la guerre », de créer les conditions nécessaires au respect de la justice et des droits fondamentaux de la personnes et de « favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie ».
Dans une suite logique à cette introduction, Tom J. Farer se questionne sur les fondements juridiques du rôle de l’onu en matière de promotion de la démocratie. Sur quelles bases légales l’onu peut-elle agir dans ce domaine, alors que l’article ii de sa Charte spécifie qu’elle ne peut intervenir dans les affaires internes de ses membres ? Farer soutient que la légitimité de l’onu à accomplir ce rôle est en grande partie liée à sa responsabilité à protéger les droits humains. L’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule en effet que « la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics et cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement ». Cette norme démocratique fut par la suite transformée en engagement à caractère obligatoire pour les États membres de l’onu, lors de l’adoption en 1966 du Pacte international de l’onu relatif aux droits civils et politiques.
Le troisième chapitre, de Roland Rich, s’attarde à une question plus concrète qui concerne la façon dont les mandats de démocratisation qui émanent du Conseil de sécurité de l’onu sont formulés. Rich s’intéresse aux facteurs politiques et légaux qui influencent la formulation des mandats, à savoir quels pays en sont les auteurs, quels objectifs réels ces mandats poursuivent, ou sur quelle jurisprudence ils reposent. Selon l’auteur, ces facteurs influencent directement la façon dont les mandats de démocratisation sont par la suite mis en oeuvre dans le pays ciblé. Ce chapitre est particulièrement informatif sur le fonctionnement interne du Conseil de sécurité de l’onu.
Simon Chesterman aborde ensuite le rôle de l’onu dans la « construction de la démocratie » dans les sociétés post-conflit. L’auteur est particulièrement critique face à l’efficacité de l’onu à réellement préparer une population à la gouvernance démocratique, lorsque l’organisation maintient une présence civile internationale et impose une « autocratie éclairée » pour une période donnée. Il aborde deux questions en particulier, soit la capacité et la volonté de l’onu à assurer un niveau suffisant de consultation avec les acteurs locaux, et le niveau de responsabilité du personnel onusien qui participe à ces missions, afin d’assurer que ce personnel respecte les intérêts locaux et n’agisse pas d’une manière qui contredise les principes démocratiques de justice et de transparence que l’on tente d’instaurer localement.
Le chapitre suivant, de Benjamin Reilly, aborde la question plutôt technique de la conduite d’élections dans les sociétés nouvellement démocratiques. Reilly s’attarde en particulier au timing des élections, au type de systèmes électoraux qui sont mis en place et aux besoins spécifiques des sociétés aux prises avec des clivages ethniques ou religieux très marqués. L’auteur effectue une bonne révision des avantages et désavantages que procurent certains mécanismes électoraux et types de scrutins pour assurer la stabilité politique et la consolidation des réformes dans les nouvelles sociétés démocratiques.
Enfin, Laurence Whitehead aborde l’aspect international de la démocratisation, un aspect complètement laissé de côté, à tort selon cet auteur, dans la littérature des années 1980 portant sur les transitions à la démocratie. On a longtemps cru que la démocratisation dépendait de facteurs spécifiquement internes, d’une conjoncture politique nationale favorable. Or, on constate maintenant que la démocratie est aussi largement influencée par des facteurs externes ou internationaux. Les institutions régionales et internationales, telle l’onu, jouent par exemple un rôle indéniable dans la démocratisation de leurs États membres. Plusieurs postulats théoriques sur la démocratisation, selon l’auteur, doivent donc être révisés afin de tenir compte de cette nouvelle compréhension des enjeux.
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, trois auteurs travaillant au sein de l’onu nous offrent leur perspective interne du rôle de l’organisation dans certains domaines liés à la promotion de la démocratie. D’abord, Robin Ludwig soulève les défis et les réalisations des programmes de l’onu en matière d’assistance électorale. Son chapitre est essentiellement descriptif et s’attarde à l’évolution du rôle de l’onu dans ce domaine. Selon l’auteur, la rareté des ressources financières de l’organisation, les priorités politiques des gouvernements qui demandent une assistance électorale et les besoins en « éducation civique et démocratique » dans les nouvelles démocraties, sont parmi les facteurs qui expliquent que l’onu abandonne graduellement les programmes d’assistance à court terme ayant comme but premier l’organisation rapide d’élections, pour des programmes misant sur le développement politique à long terme et reconnaissant que la démocratisation nécessite temps et efforts soutenus.
Edward Newman offre ensuite une analyse comparative des avantages et contraintes de l’onu dans son travail de promotion de la démocratie. Newman rappelle que l’onu n’est que l’un des multiples acteurs qui participent aux efforts internationaux de démocratisation, les gouvernements, ong et organisations régionales étant également impliqués dans ce secteur d’activité. Parmi les avantages de l’onu, l’auteur s’intéresse entre autres à sa légitimité en tant qu’acteur neutre orienté vers la promotion de la bonne gouvernance et du respect des droits humains. Parmi les désavantages, il mentionne naturellement les limites politiques de l’organisation, qui dépend de la bonne volonté de ses États membres pour agir.
Richard Ponzio termine cette section en décrivant l’expérience particulière du Programme de développement des Nations Unies dans l’assistance démocratique à long terme. Alors que le rôle de l’onu est souvent associé à des interventions rapides visant à rétablir l’ordre politique dans des pays en crise, les programmes de l’unpd visent plutôt le développement à long terme des institutions de gouvernance et ciblent la formation des populations locales.
La dernière section de l’ouvrage offre cinq études de cas sur l’action de l’onu en Namibie, au Cambodge, au Kosovo, au Timor Oriental et en Afghanistan. Les deux premières sections comprenaient déjà plusieurs exemples d’intervention de l’onu et ces derniers chapitres intéresseront surtout ceux qui travaillent sur ces cas particuliers de pays.
Cet ouvrage intéressera tout autant les spécialistes des aspects internationaux de la démocratisation que ceux qui s’intéressent au rôle plus large de l’onu en matière de maintien de la paix, un rôle abordé dans divers chapitres puisqu’il précède souvent la (re)construction des institutions démocratiques dans un pays. Il s’agit d’un ouvrage de qualité qui, en cette ère d’unilatéralisme américain dans la démocratisation de l’Irak, peut certainement contribuer à alimenter les discussions sur la pertinence du multilatéralisme et de l’Organisation des Nations Unies.