Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

Pugh, Michael et Neil Cooper, War Economies in a Regional Context. Challenges of Transformation, Boulder, co, Lynne Rienner Publishers, 2003, 273 p.[Notice]

  • Jacques Fontanel

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  • Jacques Fontanel
    Université Pierre Mendès France
    Grenoble, France

L’analyse économique des guerres civiles est très insuffisante. Michael Pugh et Neil Cooper, avec l’aide de Jonathan Goodhand, mettent en évidence les dimensions des économies de guerre, dans le cadre d’une réflexion sur le développement et la paix durables. Or, les responsables internationaux du maintien de la paix (peacebuilding) négligent trop souvent la dimension économique de leur action. La reconstruction d’après-guerre n’est pas assez prise en compte et le modèle libéral de développement produit des inégalités qui deviennent souvent le terreau de nouveaux conflits. Les auteurs insistent sur les fondements économiques des conflits et la nécessité de les prendre en compte dans les opérations de maintien de la paix. D’abord, une analyse limitée au simple niveau national n’est pas suffisante, car il faut intégrer les liens régionaux (sanctuaires de résistance, questions ethniques, économie souterraine, relations commerciales entre les régions, griefs, etc.) qui constituent souvent des obstacles à la transformation interne du pays. Ensuite, le conflit des pays en développement n’est pas toujours un problème régional, il peut être la conséquence de la globalisation économique. Dans ce contexte, les organisations financières internationales, dont l’action est fondée sur l’ordre libéral, exercent souvent une influence négative sur la paix, en créant les conditions des inégalités productrices de conflits. Les grands principes du consensus de Washington, comme la discipline fiscale, le monétarisme, la libéralisation des marchés, l’ouverture aux capitaux étrangers, la dérégulation des marchés ou la réduction du rôle de l’État dans les économies nationales ont été des facteurs importants d’instabilité des économies en développement. Il en a résulté un accroissement de la vulnérabilité des économies nationales et du pouvoir étatique, avec le développement des conflits internes, l’essor de l’économie souterraine et l’apparition éventuelle de la corruption et du crime organisé. L’analyse des économies de guerre suppose une réflexion sur les motivations et la force des acteurs principaux, les stratégies des citoyens pour survivre aux conflits internes, les mécanismes économiques qui subsistent et les objectifs à terme des combattants. Les opérations de maintien de la paix ont trop négligé l’importance des relations transrégionales et des activités de l’économie souterraine. Les règlements des conflits ne doivent pas être sous-estimés, car les « mercenaires », les trafiquants et les corrupteurs n’ont pas toujours intérêt à la fin des hostilités, même lorsque celles-ci commencent à être réduites par des accords éventuels. Autrement dit, la guerre bénéficie à des groupes d’intérêt qui ne constituaient pas, à l’origine, les acteurs spécifiques du conflit. Les seigneurs de la guerre ou les mafieux veillent à leurs propres intérêts. En outre, si la situation économique, politique ou militaire aux frontières n’est pas fiable, le conflit peut renaître rapidement, comme cela a été le cas pour l’Afghanistan ou le Kosovo-Macédoine. Ces dimensions ne sont pas toujours prises en compte dans les opérations de maintien de la paix, ce qui limite les chances de la paix durable. Trois pays font l’objet d’une étude documentée particulière : l’Afghanistan, la Sierra Leone et la Bosnie-Herzégovine. Pour l’Afghanistan, Jonathan Goodhand estime que les analyses actuelles manquent de profondeur historique. Il rappelle le poids de l’histoire et de la culture dans ce conflit aux résonances mondiales. Il n’y a pas de paix formelle et la présence internationale masque toujours les rivalités internes et frontalières. Le commerce de l’opium fournit des revenus qui sont autant de pouvoir pour les seigneurs de la guerre. L’aide internationale n’est pas suffisante pour lutter contre cette déviance du système économique afghan. Dans ces conditions, la paix durable ne peut valablement s’inscrire dans le futur de l’Afghanistan qu’avec une aide massive pour le développement économique du pays et l’établissement d’un État fort, …