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Comment expliquer les paradoxes récurrents entre l’ampleur des enjeux environnementaux et la faiblesse des politiques pour y répondre ? Pourquoi, en dépit de l’accumulation de preuves scientifiques, de l’urgence d’agir, des pressions de l’opinion publique, des discours souvent emphatiques sur le sujet, les sommets internationaux sur l’environnement débouchent-ils le plus souvent sur un cuisant constat d’échec ? Quels sont les principaux acteurs, les ressorts et les effets réels des politiques internationales sur l’environnement ? Dans quelle mesure les pays peuvent-ils réellement coopérer pour définir et faire respecter des accords internationaux sur des enjeux essentiels tels que le réchauffement climatique, la protection de la biodiversité ou encore la promotion du développement durable ? C’est à ces quelques questions et à bien d’autres que Philippe Le Prestre s’attache ici à répondre. Spécialiste de la gouvernance et des négociations internationales en matière d’environnement, directeur de l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société de l’Université Laval, l’auteur propose un tour d’horizon fouillé des tenants et des aboutissants de l’écopolitique mondiale. La principale originalité de l’ouvrage par rapport à la grande majorité des écrits sur la question est sa perspective très analytique et réaliste sur des questions complexes, souvent abordées dans une optique idéologique ou moralisante. L’objectif de l’ouvrage, qui a été révisé et mis à jour en profondeur depuis sa première édition de 1997, est donc beaucoup plus d’expliquer et d’informer que de convertir le lecteur à une cause en dénonçant les abus découlant de l’insuffisance des mesures actuelles pour la préservation des écosystèmes.

Ce travail d’explication, d’information et d’analyse minutieuse de l’écopolitique mondiale s’articule autour de trois principales parties. La première partie a pour but d’analyser les fondements politiques de la protection de l’environnement. Le premier chapitre explique la légitimité de la politisation des débats sur l’environnement en raison notamment de leurs aspects axiologiques, économiques, étatiques ou encore scientifiques, qui imposent inévitablement des arbitrages entre des dimensions et des positions très souvent conflictuelles. Le deuxième chapitre illustre ces aspects conflictuels à travers la fameuse métaphore de la tragédie des communaux proposée à l’origine par Hardin. Cette métaphore permet de mettre en lumière les comportements souvent opportunistes des acteurs des politiques environnementales et les solutions qui peuvent être mises en place pour éviter les effets pervers qui en résultent. Le chapitre trois examine les caractéristiques et les principales étapes du processus de développement des politiques publiques sur les questions environnementales. Les chapitres 4 et 5 décrivent les principaux acteurs de l’écopolitique internationale. Dans un premier temps, le rôle des organisations intergouvernementales sur l’environnement est analysé. Cette analyse permet d’expliquer le fonctionnement de quelques institutions importantes, comme le Fonds pour l’environnement mondial, le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat, le Programme des Nations Unies pour l’environnement ou encore la Commission du développement durable. Dans un second temps, les rôles de l’État et de la société civile sont examinés plus en détail. Outre les organisations non gouvernementales, comme l’Union mondiale pour la nature, le rôle des entreprises et de certains individus, comme Maurice Strong, sont abordés.

La seconde partie de l’ouvrage est centrée sur les relations internationales sous-jacentes aux politiques internationales sur l’environnement. Le chapitre 6 expose les trois principales phases de l’avènement de ces politiques: l’émergence d’une nouvelle prise de conscience, l’apparition de l’écopolitique, la mondialisation et l’institutionnalisation de la protection de l’environnement. Le chapitre 7 examine plus en détail les sommets de Rio et de Johannesburg sur le développement durable en rappelant leurs objectifs initiaux, les négociations dont ils ont été l’objet et leurs résultats très en deçà des attentes. Les deux chapitres qui suivent sont centrés sur la dynamique des relations nord-sud et sur l’aide au développement. Cette dernière représente souvent le principal cheval de bataille des pays pauvres, lesquels sont parvenus à faire admettre par la communauté internationale l’interdépendance étroite entre les problèmes d’environnement et de développement. Le chapitre 10 présente les principaux déterminants de la coopération internationale : ses problèmes, les approches possibles, les processus de négociation et les critères d’efficacité des régimes mis en place.

La dernière partie de l’ouvrage explore deux « nouveaux enjeux » qui, en fait, soulèvent des problématiques plutôt anciennes. La première de ces problématiques est celle des impacts du libre-échange et de la mondialisation sur l’environnement, qui ont été l’objet de nombreux débats depuis le début des années 90. Les avantages et les risques de l’intensification des échanges internationaux pour l’environnement sont illustrés à travers notamment les cas de l’alena et celui des activités de l’omc. La deuxième de ces problématiques est celle de la sécurité environnementale. Les impacts des guerres civiles, les menaces des atteintes de l’environnement pour la sécurité des individus, de même que les conflits pouvant résulter de la pénurie d’eau, de la surpopulation ou encore des mouvements de réfugiés sont analysés.

Ce survol des principales parties de l’ouvrage montre la richesse et la diversité des thèmes abordés. En dépit de cette diversité, les enjeux sont généralement traités d’une façon assez étoffée, avec de nombreux exemples, chiffres et illustrations pour étayer un propos toujours mesuré. De plus, contrairement à la majorité des réflexions sur ce thème, les politiques environnementales sont l’objet d’un éclairage théorique et conceptuel exposé de façon claire, articulée et qui donne véritablement du sens aux problématiques étudiées. Qu’il s’agisse des différentes phases des politiques publiques, de l’application de la tragédie des communaux et du dilemme du prisonnier, ou des approches de la coopération internationale sur l’environnement, l’ouvrage offre un ancrage théorique solide permettant au lecteur de mieux comprendre, d’interpréter et de conceptualiser les enjeux en question. Ce recul théorique permet également d’éviter les représentations trop idéologiques et caricaturales des politiques de l’environnement. Malgré son expérience personnelle dans ce domaine, l’auteur semble ainsi toujours rester en retrait, soucieux d’une description neutre et nuancée plutôt que d’une attitude partisane et engagée.

Mais cette prudente neutralité, qui semble à propos pour un travail de recherche ou un ouvrage didactique, tend parfois à légitimer un peu trop vite les acteurs, les institutions et les accords des politiques internationales sur l’environnement. Si ces dernières achoppent souvent, ce serait surtout en raison de la nature même du politique, de la complexité des relations internationales, des rapports de forces en présence, de l’ambigüité des questions environnementales, de la diversité des acteurs, du caractère conflictuel des enjeux, etc. Or ces aspects politiques, techniques et institutionnels, s’ils sont essentiels, n’expliquent pas tout, et les paradoxes de l’écopolitique mondiale pourraient être envisagés sous un angle beaucoup plus critique. En effet, peut-on raisonnablement expliquer et légitimer, à partir des « sciences politiques », les contradictions flagrantes entre les discours sur l’environnement et l’incroyable faiblesse des moyens, notamment financiers, mis en place ? Comment expliquer, par exemple, que le Canada et le Québec, qui entendent être des « modèles » en matière de développement durable, consacrent depuis de nombreuses années moins de 0,4 % du budget à ces questions ? L’ubiquité de ces paradoxes ne reflète-t-elle pas surtout, de la part de nombreux politiques, un cynisme et un machiavélisme quasi criminels ? Dans quelle mesure les discours des dirigeants sur l’urgence d’agir représentent-ils autre chose qu’une rhétorique de façade, un jeu de langage ou un argument électoraliste de courte vue ? Ces paradoxes, qui sont le point de départ de l’ouvrage, ne traduisent-ils pas, au-delà des « technicalités » des relations internationales, une certaine mauvaise foi et une « politique de l’autruche » attentatoires à la pérennité des sociétés industrialisées ? « L’engagement croissant » du secteur privé dont il est question dans le chapitre 5 ne repose-t-il pas le plus souvent sur la même logique de récupération de l’écologisme à travers des concepts évasifs et fumeux, en particulier celui de « développement durable » ?

La mise à l’écart de cette perspective critique tend indirectement à cautionner la subordination de l’environnement au politique, et donc à diluer l’importance de certains enjeux en légitimant les oppositions et les résistances qui freinent la prise en compte effective de ces questions. Cette approche très réaliste des relations internationales repose somme toute sur une conception beaucoup plus aristotélicienne que platonicienne de l’intérêt public. Il s’agit d’expliquer les relations internationales sur les enjeux environnementaux comme elles sont plutôt que comme elles devraient être. De fait, l’ouvrage est davantage un manuel de politique internationale appliquée à l’environnement qu’un livre traitant des impératifs et des idéaux écologiques en général. Par la richesse des références, des éclairages conceptuels et des données présentées, cet ouvrage constitue une référence indispensable pour les étudiants ou les chercheurs sur les politiques de l’environnement comme à tous ceux qui souhaitent lever le voile sur l’opacité des négociations internationales à ce sujet.