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Avec la fin de la guerre et suivant le 11 septembre 2001, la position du Canada sur l’échiquier international suscite de nombreuses analyses parmi la communauté scientifique. Ces analyses abordent nécessairement les relations particulières entre le Canada et son puissant voisin du sud, les États-Unis d’Amérique. Les travaux colligés sous la direction d’André Donneur visent donc à étudier ces relations particulières et tenter d’y circonscrire « la marge de manoeuvre canadienne ». L’ouvrage se compose de cinq études particulières en plus d’une introduction et d’une conclusion.

En introduction, Donneur explique que les études que l’on retrouve dans cet ouvrage se veulent le prolongement de celles publiées en 2004 sous la direction d’Albert Legault dans Le Canada dans l’orbite américaine. Donneur présente à nouveau le cadre d’analyse développé par le Groupe de recherche sur la politique étrangère canadienne de l’uqam ainsi que les principaux points et conclusions contenus dans l’ouvrage précédent. Plus précisément, l’objectif de ce nouvel ouvrage est de poursuivre la réflexion autour de l’hypothèse identifiée dans le livre précédent, à savoir que les relations avec les États-Unis sont caractérisées « par une certaine opérabilité que favorise la géographie de proximité, tout en permettant une marge de manoeuvre » canadienne.

Dans le premier chapitre, Nelson Michaud s’attarde à une dimension incontournable dans toute discussion sérieuse sur l’élaboration et la mise en oeuvre de la politique étrangère du Canada : les valeurs. L’auteur propose de les regrouper sous deux rubriques : les valeurs psychosociales, qui réfèrent à l’identité canadienne, et les valeurs politico-opérationnelles, « conceptualisées et mises en application par les décideurs en matière de politique étrangère eux-mêmes (p. 21) ». Il explique la prégnance de l’histoire dans leur structuration et leur permanence dans la politique étrangère canadienne. Il propose également un survol des plateformes politiques des cinq principaux partis au Canada lors de l’élection de 2004 (le Parti libéral du Canada, le Parti conservateur du Canada, le Nouveau parti démocratique, le Bloc québécois et les Verts). Or, il constate que les valeurs ne sont pas nécessairement au diapason de la conjoncture internationale présente. Par contre, l’énoncé de politique étrangère rendu public en 2005 remet en cause, au dire même de Michaud, ces premiers constats. L’énoncé actuel montre une meilleure adéquation entre les défis actuels et revampe l’expression des valeurs canadiennes. Par inadvertance très certainement, Michaud affirme en conclusion que les plateformes politiques analysées réfèrent aux partis politiques ayant eu des élus lors de l’élection de 2004 ; or, ce n’est pas le cas pour les Verts.

Pour leur part, André Donneur et Valentin Chirica s’intéressent à l’évolution du cadre sécuritaire entre les États-Unis et le Canada principalement depuis le 11 septembre 2001. C’est donc la lutte au terrorisme qui se retrouve au centre de l’analyse. On constate aussi que ce texte est un prolongement d’autres études déjà effectuées par ces auteurs sur cette même problématique. Les auteurs décrivent bien les principales démarches et modifications institutionnelles et légales qui ont vu le jour au Canada depuis 2001, dont une analyse de la première politique de sécurité nationale canadienne. Contrairement à certaines idées, les deux auteurs constatent que les États-Unis n’ont pas imposé l’adoption de certaines mesures spécifiques au Canada. Par contre, même si le texte y revient en conclusion, on remarque l’absence d’un acteur important lorsqu’il s’agit de sécurité non militaire : les provinces. Sous cet angle, les mesures adoptées par certaines provinces, les coopérations transfrontalières institutionnalisées entre certains États américains et certaines provinces canadiennes auraient mérité une place dans l’analyse.

De son côté, Stéphane Roussel s’attarde aux relations de défense entre les deux pays à travers l’institutionnalisme. Il trace un portrait du développement des institutions de défense entre les deux pays en soulignant bien leur importance pour le Canada. Il dépeint un tableau intéressant des enjeux actuels de la défense en Amérique du Nord à travers la montée des menaces dites asymétriques. Il jette un regard sur les transformations institutionnelles actuelles, comme le Northcom ou encore le Department of Homeland Security, aux États-Unis et leurs conséquences pour le Canada. Dans cette optique, il suggère certaines avenues, comme la création d’un équivalent du norad pour l’espace maritime, pour revitaliser la coopération bilatérale. À quelques occasions, il souligne aussi la possibilité de développer un trialisme sécuritaire (États-Unis, Canada et Mexique). Pour Roussel il importe de relancer les institutions de défense entre les deux pays. Elles ont permis au Canada d’avoir une voix au chapitre malgré le différentiel de puissance entre les deux partenaires nord-américains.

Les deux textes suivants, ceux de Philippe Lagassé et d’Albert Legault etal. s’attaquent à deux questions qui ont refroidi les relations canado-américaines : le bouclier antimissile et l’intervention en Irak. Tout d’abord, Lagassé trace un bilan intéressant des politiques du Canada en matière de défense stratégique. En campant bien le contexte historique et son évolution depuis la décennie 1960, il montre bien que le Canada a opté pour une coopération sélective dans ce domaine. Or, l’élection de l’administration de George W. Bush réduit sensiblement la marge de manoeuvre canadienne. Pendant un moment, Ottawa a tenté de maintenir cette ambivalence au sujet du bouclier antimissile notamment par l’entremise d’un amendement sur l’accord du norad du 5 août 2004 permettant la transmission des données provenant de l’alerte tactique intégrée et d’évaluation d’attaque du norad vers le commandement américain responsable du bouclier antimissile. Pour Lagassé, l’objectif américain était surtout d’obtenir une sorte de caution morale sur ce projet. Même si l’administration américaine a tenté de répondre aux principales craintes canadiennes, dont celle de l’arsenalisation de l’espace, la conjoncture intérieure canadienne (gouvernement minoritaire) a, in fine, conduit le rejet d’une participation canadienne. Malheureusement, en raison des délais de publication, ce dernier point est à peine effleuré par le texte de Lagassé.

Pour leur part, Legault etal. reviennent sur le processus menant à la décision du gouvernement Chrétien de ne pas participer à la guerre en Irak en 2003. L’analyse rondement menée déborde largement cette seule question pour interroger l’ensemble de la politique étrangère, de sécurité et de défense du Canada. Tout d’abord, ils dépeignent la relation souvent ambivalente entre le Canada et les États-Unis au niveau politique ce qui permet d’expliquer la politique d’ambiguïté canadienne à l’égard de son puissant voisin. Ce décor ainsi planté, les auteurs s’attardent sur les positions du gouvernement, des partis politiques et de la communauté épistémique au sujet de la participation ou non à la guerre en Irak et plus globalement de la situation particulière de la politique extérieure canadienne. Pour les auteurs, l’importance du Premier ministre dans ce genre de décision est importante et ils remettent, en partie, en question l’importance des pressions internes dans la décision canadienne de ne pas aller en Irak. Pourtant, si ce choix canadien a été très mal accueilli à Washington, Legault etal. constatent que les deux voisins sont tout de même dans une situation de sécurité organique où les besoins continentaux de sécurité demeurent incontournables.

Dans l’ensemble, l’arrimage entre les textes et le cadre théorique décrit en introduction est assez bien respecté. Par contre, il est dommage que les dimensions sécuritaires dominent au détriment d’autres enjeux économiques ou environnementaux par exemple. Sans nécessairement être une critique, le danger de travailler sur des cas d’actualité, fait que certaines analyses deviennent incomplètes ou elles sont esquissées rapidement ; c’est notamment le cas dans les textes de Michaud ou de Lagassé. Quoi qu’il en soit, il n’en demeure pas moins que l’ouvrage est utile. Il permet de combler lentement le fossé qui existe entre la littérature anglophone et francophone sur les questions de politique étrangère, de défense et de sécurité du Canada. Ce collectif s’adresse autant aux chercheurs qu’aux étudiants et au public qui s’intéressent aux questions des relations canado-américaines.