Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Csurgai, Gyula, La nation et ses territoires en Europe centrale. Une approche géopolitique, coll. Publications universitaires européennes, Berne, Peter Lang, 2005, 271 p.[Notice]

  • Louis Clerc

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  • Louis Clerc
    Département d’histoire politique
    Université de Turku, Finlande

Le livre de Cyula Csurgai traite de la question des minorités en Europe centrale. L’étude est remise par l’auteur dans un cadre théorique et méthodologique très étendu, où domine l’analyse géopolitique. La présentation de cette « approche géopolitique » est basée sur des auteurs classiques : Yves Lacoste, Pierre-Marie Gallois et d’autres. On ne trouvera pas là d’ouvertures sur des approches consécutives au « tournant linguistique », comme la géopolitique critique initiée par Gearóid Ó Tuathail. Les cent premières pages du livre présentent donc de façon approfondie certains concepts clés. Csurgai revient sur les différents territoires de la nation : État dans ses frontières, espaces habités par des minorités nationales hors des frontières de l’État, représentations géographiques, etc. Il introduit les conflits possibles entre l’État centralisé et les minorités. Des concepts importants sont ensuite expliqués : Europe centrale, minorité, nation, territoire… La définition de l’Europe centrale en particulier reste là encore très classique. Le chapitre 4 revient plus en détail sur le lien entre discours, représentations géopolitiques, pouvoir et identité. Le postulat de base de l’analyse est emprunté à Yves Lacoste : « la nation n’est pas, pour l’essentiel, la constatation juridique d’un état de fait économique et social, mais une représentation géopolitique ». Le chapitre 5 évoque l’évolution du concept de nation en Europe centrale. Csurgai traite de la dialectique entre État et nation dans cette zone, revenant sur l’évolution de la question nationale dans la confédération de l’empire austro-hongrois. Les empires pré-19e siècle sont présentés comme des entités assez libérales envers les particularismes locaux et les nationalités. Le 19e siècle, en revanche, impose l’idée d’un État-nation centralisé. Retraçant le contexte historique de la question nationale en Autriche-Hongrie, Csurgai souligne les contradictions dans l’application du principe de nationalités après la Première Guerre mondiale. Les grandes puissances adaptant le principe à leurs intérêts, le règlement de l’après-1918 reste fragile. Des frontières imparfaites sont ainsi sacralisées par le discours national. Le chapitre 6 revient sur la relation entre démocratie libérale, marxisme et états multiethniques. Insistant sur les effets en matière de minorités nationales de la fusion entre démocratie libérale et principe « stato-national », il prévient contre une « tyrannie de la majorité » susceptible de s’appliquer aux minorités dans l’État-nation démocratique. Mettant en avant l’exemple suisse, fédéraliste et démocratique, il avance l’idée d’une Europe centrale multiethnique conciliant minorités, démocratie et État-nation. L’auteur rappelle ainsi l’antagonisme des démocraties ouest-européennes face au fait minoritaire, entre reconnaissance des droits des minorités et conception libérale qui met en avant l’égalité de tous les membres du corps national. Après cela, l’auteur se penche sur son cas d’étude dans les chapitres 7 à 11 : la région de Voïvodine, dans le Nord de la Serbie, où vivent 300 000 Hongrois. Csurgai rappelle certaines lignes de fracture entre des Hongrois chrétiens et des Serbes orthodoxes, une langue hongroise finno-ougrienne et le serbo-croate, langue slave. Il met face à face les représentations géopolitiques serbes (en particulier celle d’une Grande Serbie) et hongroise (importance du facteur religieux, défense du christianisme, Hongrie comme bastion de la culture occidentale). L’auteur rappelle l’importance du traité de Trianon en 1920, vécu en Hongrie comme une trahison de l’Occident menant à un démembrement de la Hongrie. La Voïvodine en particulier est séparée du territoire hongrois par ce traité. Coincée entre deux projets géopolitiques, la région est soumise aux politiques visant à altérer en faveur des Serbes sa composition ethnique. Pendant la guerre froide, le sort de la minorité hongroise est plutôt bon, les années 70 marquant l’acquisition d’une mesure d’autonomie. La tension est toutefois latente, la Voïvodine étant comparée au Kosovo par …