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L’Union européenne a déjà une longue histoire d’efforts pour formuler une politique extérieure et de sécurité commune. Ces efforts remontent à l’origine même de la cee. Mais jusqu’à présent cette politique n’a obtenu que de maigres résultats. Le livre de Romain Yakemtchouk fait l’historique de ces efforts, dans une perspective profondément érudite et bien documentée. L’auteur décrit, à travers l’analyse de plusieurs crises internationales et de divers thèmes de l’Agenda international, les difficultés qu’ont trouvées les pays de l’Union pour converger vers des points de vue communs.

Le livre est divisé en six parties, plus une brève préface, une conclusion et un index de noms. La première partie du livre analyse l’évolution de la recherche d’une politique étrangère commune, à travers l’analyse des divers plans, rapports, déclarations des États membres, actes, traités et, finalement, la Convention pour une Constitution européenne. L’histoire de ces efforts va de la première proposition, le Plan Fouchet, jusqu’à la Convention pour une Constitution européenne, en juin 2003. Les parties suivantes s’occupent chacune de thèmes spécifiques : sécurité et défense commune, terrorisme, l’Union européenne et les Nations Unies, respect des droits de l’homme, et stratégies, positions et actions communes, ainsi que dialogue politique. Dans plusieurs de ces thèmes, l’Union a à son actif une série d’indéniables réalisations, par exemple en ce qui concerne la défense des droits de l´homme et la promotion de la paix.

Pour le public en général la première partie est la plus intéressante, car elle lui permet d’avoir une connaissance assez complète des divers accords signés et initiatives lancées dans ce domaine. Les autres parties du livre sont davantage destinées à des lecteurs spécialisés, qui peuvent y trouver une information détaillée appuyée sur un grand nombre de documents.

À travers cette lecture, on comprend que, dès l’origine, il y a eu une coopération fondamentale pour arriver à parler d’une voix commune en matière de sécurité et défense. Celle-ci a été la coopération politique franco-allemande, qui remonte aux premiers efforts entrepris en vue de la formulation d’une politique extérieure commune de la Communauté. De ce point de vue, un pas essentiel fut que l’Allemagne fédérale, par la voix de son chancelier Konrad Adenauer, avait reconnu le leadership français et que, à partir de cette reconnaissance, les deux États furent disposés à aller ensemble dans la formulation d’une politique extérieure commune dans le cadre de formules institutionnalisées. Celles-ci étaient destinées à coordonner la politique extérieure de la Communauté.

L’auteur souligne que beaucoup d’analystes ont pensé que la réalisation du Marché commun comprenait implicitement une future coopération politique, surtout dans la mesure où l’intégration économique aura été largement achevée. Mais l’Europe économique a avancé beaucoup plus vite que l’Europe politique, pour la réalisation de laquelle il n’y avait pas, dans la Communauté européenne, une institution motrice telle que la Commission.

L’auteur démontre que les difficultés pour y arriver ont des fondements de divers types. En particulier il met en relief la réticence historique des États à renoncer à une partie de leur autonomie dans le champ des relations internationales, et l’influence qu’a exercée l’otan, ainsi que les compromis dérivant de leur appartenance à cette organisation. D’une part, « un État qui n’est plus en mesure de mener en toute indépendance sa politique étrangère, perd l’attribut essentiel de sa souveraineté, il risque de ne plus être un État indépendant ». En plus de la grande diversité des pouvoirs nationaux – avec des grands et petits pays, il y a des pays dits Grands – et même des puissances nucléaires et membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies – dont les intérêts revêtent une dimension politique allant au-delà du contexte communautaire.

D’autre part, le rôle exceptionnel joué par les États-Unis d’Amérique du Nord dans les affaires mondiales, ainsi que le fait que la plupart des États membres de l’ue alignent leur défense sur celles des Américains et font partie de l’Alliance atlantique – ce qui assure leur sécurité – ne facilitent pas la mise en place d’une politique commune de sécurité et de défense.

Mais les Européens ont toujours voulu envisager de parler d’une voix commune. Cependant, en 1973 encore, les Neuf notaient que les États membres de la cee faisant partie en même temps de l’Alliance atlantique, considéraient, en matière de sécurité, qu’il n’y avait pas d’alternative à la sécurité qu’assuraient les armes nucléaires des États-Unis et la présence des forces de l’Amérique du Nord en Europe. Cette situation s’est maintenue jusqu’à la fin de la guerre froide. Mais le fait que l’otan s’était engagée dans d’autres objectifs politiques en dehors de l’Europe, après le conflit est-ouest, a laissé peu d’alternatives au choix d’une politique autonome.

L’évolution de ce processus, à travers la lecture de ce volumineux livre, démontre que le désir des Européens de « faire entendre leur voix dans les affaires mondiales en tant qu’entité distincte, résolue à favoriser un meilleur équilibre international » n’est jamais arrivé à se concrétiser d’une façon pleine et unanime. L’exemple emblématique d’un cadre commun de relations internationales est apparu en janvier 1973, date à laquelle furent reconnues à la Commission des attributions en matière de relations économiques internationales. Ce serait à partir de ce moment-là que les accords commerciaux ne seraient plus conclus par les États membres sinon par la Commission elle-même ; une situation qui s’est maintenue jusqu’à présent, par exemple dans les négociations de l’omc. Mais cette cession d’attributions n’a pas été étendue aux aspects politiques proprement dits, tel qu’une politique extérieure commune. Cela signifie que la coopération politique européenne n’a pas conduit à l’élaboration d’une véritable politique étrangère commune. En somme, « le problème d’une convergence entre les activités communautaires et la coopération intergouvernementale est resté entier ».

C’est à partir des années 1990 que l’Union a fait les plus grands efforts pour se doter d’une politique commune dans les domaines diplomatique et de sécurité. Bien que le Traité de Maastricht (1992) avait stipulé que la politique étrangère et de sécurité commune incluait l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune qui pourrait conduire à une défense commune, à l’occasion du Traité d’Amsterdam (1997), les Douze se sont aperçus que les résultats des actions communes étaient modestes et que « la lourde mécanique institutionnelle mise en place à Maastricht n’a pas eu les effets escomptés ».

Une conclusion politique peut être déduite de cette histoire d’efforts, à savoir celle que l’Europe ne joue toujours pas sur le plan international un rôle politique à la mesure de son potentiel économique et de l’importance de l’Union européenne dans l’économie mondiale. Si l’Union est aujourd’hui la première puissance économique mondiale, elle aimerait – et devrait – assumer sur le plan de la politique internationale un rôle qui soit en rapport avec cette position. Mais, « souvent, la politique étrangère européenne n’a été que déclarative et ne s’est référée qu’au plus petit dénominateur commun ».

Le défi de l’Union européenne est d’arriver à concilier l’avenir de l’Union avec le maintien des États-nations ; c’est-à-dire de construire une Europe communautaire sans défaire les États. L’auteur explique ainsi qu’il faut que les intérêts nationaux qui s’opposent jusqu’à présent se transforment graduellement en un intérêt commun : « ce n’est qu’alors que les États membres d’une communauté ou d’une alliance pourront valablement parler d’une seule voix ».

Le livre aborde ainsi un thème fondamental pour l’avenir de l’ue, car « si les vingt-cinq pays membres de l’Union devaient conduire des politiques étrangères contradictoires, cela conduirait à les diviser au point que l’ue ne s’en remettrait pas, ce serait la fin de l’Union ». D’après l’auteur, « les récents élargissements de l’ue ont confirmé ces difficultés : plus on est nombreux, plus il est difficile de parler d’une seule voix » (p. 472). Mais le vieux continent doit bâtir son nouvel avenir. On espère qu’avec le temps, les intérêts des pays membres coïncideront davantage avec ceux de l’ue, car – tel que l’affirme l’auteur – de toute évidence, le temps des souverainetés absolues des États est révolu.