Essais

Retour sur la rupture entre le Tchad et la Banque mondialeNe nous trompons pas de responsable[Notice]

  • Loïc Simonet

Le 29 décembre 2005, l’Assemblée nationale tchadienne, arguant de tensions de trésorerie récurrentes et de la souveraineté du pays, votait la révision de la loi 001/PR/99 du 11 janvier 1999 qu’elle avait adoptée fin 1998 sur la recommandation de la Banque mondiale, dans le but d’encadrer l’utilisation de ses revenus pétroliers. Le 6 janvier 2006, le président de la Banque mondiale, Paul Wolfowitz, répliquait à la violation par N’Djamena de ses engagements en annonçant l’arrêt de tous les programmes de financement au Tchad, gelant 124 millions de dollars de prêts. Par la voie de son directeur général, le Fonds Monétaire International (fmi), qui apportait son soutien au Tchad grâce à une facilité de réduction de la pauvreté et de croissance de 36,4 millions de dollars, déclarait soutenir l’action de la Banque. Le Tchad est donc aujourd’hui touché, à son tour, par la « malédiction de l’or noir » qui affecterait, à en croire les détracteurs des compagnies pétrolières, la plupart des régions du monde où ces dernières se risquent à investir, du Myanmar au Nigéria et à l’Angola, en passant par le Caucase et l’Asie centrale. Dans cette fatalité, mélange de corruption, de pauvreté, de violations des droits de l’homme et de guerre civile, la Banque mondiale porterait-elle « une part de responsabilité » en ayant supporté un projet qui, sans son soutien, n’aurait pas vu le jour et en ayant insuffisamment pris en considération, dans ses évaluations préalables, ses répercussions sur les droits de l’homme ? L’Institution avait pourtant fait du projet Tchad-Cameroun un modèle de bonne gouvernance dans le domaine du pétrole, souvent évoqué sur le continent africain pour son opacité, un exemple de régulation des recettes pétrolières destiné à être repris à travers le monde et une vitrine de son action. Pour répondre à cette question, après avoir présenté le projet Tchad-Cameroun et notamment sa pièce maîtresse, l’oléoduc Doba-Kribi, on décrira le rôle de la Banque mondiale dans la mise en oeuvre du projet et la conditionnalité qu’elle a imposée au gouvernement tchadien. On évoquera ensuite la dégradation progressive des relations entre le Tchad et la Banque mondiale. Enfin, on tirera les leçons de cette crise, eu égard notamment à la mission de la Banque mondiale et en replaçant l’épisode dans le contexte actuel de moralisation de l’exploitation pétrolière. Le projet d’exportation Tchad-Cameroun, initié en juillet 1992, a été conduit par la compagnie américaine ExxonMobil, opératrice sur le champ et le pipeline, associée au Malais Petronas et à Chevron. Sa mise en oeuvre sur le territoire respectif des deux États du tracé, a été confiée à deux sociétés constituées en co-entreprise (joint venture) : Cameroon Oil Transportation Company Limited (cotco), pour le Cameroun, et Tchad Oil Transportation Company (totco), pour le Tchad, liées par un accord de coopération. Pièce maîtresse de ce dispositif, un pipeline relie, depuis 2003, le centre de traitement situé au coeur des trois champs pétrolifères du bassin de Doba, dans le sud du Tchad, et le port de Kribi, sur la côte camerounaise, où ont été construites des installations de stockage, de comptage et de pompage. De grand diamètre (76 cm), d’une longueur de 1076 km (dont 900 km au Cameroun) et d’une capacité maximale de 225 000 barils par jour, l’oléoduc Tchad-Cameroun a nécessité la construction de trois stations de pompage, dont deux en territoire camerounais. Au-delà de Kribi, un dernier tronçon conduit à un terminal flottant de stockage amarré en eau profonde, à une douzaine de kilomètres des côtes camerounaises, de sorte que les pétroliers puissent effectuer le chargement du brut en toute …

Parties annexes