Comptes rendus : Études stratégiques et sécurité

Crocker, Chester A., Fen Osler Hampson et Pamela Aall (dir.), Grasping the Nettle. Analyzing Cases of Intractable Conflict, Washington, dc, United States Institute of Peace Press, 2005, 412 p.[Notice]

  • Oana Tranca

…plus d’informations

  • Oana Tranca
    Département de science politique
    Chaire de recherche du Canada en sécurité internationale,
    hei, Université Laval, Québec

Le livre de Crocker, Hampson et Aall s’inscrit dans une longue tradition d’études se penchant sur les formes de conflits les plus graves et difficiles à résoudre. Cette tradition est inaugurée en 1986 par Edward Azar qui introduit son concept de conflit prolongé (protracted conflict) et continuée par les recherches de Gary Goertz et Paul F. Diehl sur les rivalités durables (enduring rivalries). Ces conflits récurrents qui causent des pertes humaines et matérielles exorbitantes et qui résistent à la plupart des tentatives de résolution sont à l’origine d’environ la moitié des guerres interétatiques depuis 1815. Les guerres civiles à caractère identitaire, de plus en plus fréquentes aujourd’hui, renferment également ce potentiel de radicalisation et pérennisation, comme les exemples de Chypre, de l’Irlande du Nord et du conflit israélo-palestinien l’ont démontré tout au long du 20e siècle. Les auteurs de Grasping the Nettle introduisent un nouveau concept, le intractable conflict que l’on pourrait traduire par conflit intraitable, mais les auteurs prennent soin d’éviter cette interprétation afin de ne pas y rattacher une perspective trop pessimiste. Le intractable conflict est fondamentalement un conflit qui persiste dans le temps et qui s’est avéré imperméable aux efforts de négociation directe entre les parties ainsi qu’aux tentatives de médiation entamées par les tierces parties. Les causes initiales du conflit ne contribuent pas forcément à son entrée dans le cercle vicieux des intractable conflicts. Plusieurs facteurs qui émergent tout au long du conflit déterminent souvent sa radicalisation. Par exemple, l’escalade de la violence qui renforce des stratégies de vengeance et de réciprocité entre les parties, la rentabilisation du conflit par les élites politiques (surtout dans des pays caractérisés par l’abondance et la fongibilité des ressources, comme l’Angola et la Colombie) ainsi que des constructions sociales qui favorisent la perception de somme nulle des enjeux disputés sont parmi les principales causes de la perpétuation des conflits. Naturellement l’analyse de ce type de conflit est étroitement liée au rôle des tierces parties et à l’impact que leur intervention peut avoir sur l’évolution du conflit. Étant donné qu’il s’agit des différends de longue date qui ont développé une résistance particulière aux essais de négociation et résolution pacifiques, l’implication des intervenants externes ne garantit pas une évolution positive. Les tentatives de résolution échouées peuvent souvent rendre les positions des parties belligérantes encore plus inflexibles, en favorisant la méfiance et le cynisme de chaque côté ainsi que l’émergence des leaders radicaux. Par conséquent, les tierces parties devraient éviter autant que possible des attitudes biaisées en faveur d’un des belligérants ou des prises de positions ambiguës et incohérentes parce que cela peut facilement mener, dans le cas des intractable conflicts, à un manque de crédibilité aggravant la crise. Les premiers chapitres qui réunissent les contributions d’importants spécialistes dans le champ de l’analyse des conflits, tels que William Zartman, Louis Kriesberg et Jacob Bercovitch, se concentrent sur la définition des éléments clés qui se trouvent au centre de ce livre et lancent les grandes directions théoriques qui seront par la suite mises à l’épreuve dans les études de cas qui constituent la deuxième partie de l’ouvrage. Ainsi, conflict intractability pourrait avoir comme cause une parité de puissance entre les adversaires, ce qui rend extrêmement difficile la victoire d’une partie et assure la prolongation des hostilités. Toutefois les limites de cette hypothèse sont observables dans le cas des conflits civils, où une partie, le gouvernement, est souvent plus puissante et bénéficie de beaucoup plus d’avantages organisationnels que les rebelles. Dans ce dernier cas, il y a un consensus parmi les auteurs quant à l’importance du contrôle des …