Comptes rendus : Régionalisme et régions - Amériques

Artigas, Alvaro, Amérique du Sud. Les démocraties inachevées, Paris, Armand Colin, 2005, 242 p.[Notice]

  • Simon Petermann

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  • Simon Petermann
    Université de Liège, Belgique

Pour tous ceux qui s’intéressent à l’Amérique latine, le livre d’Alvaro Artigas, doctorant à l’iep de Paris et chercheur rattaché au ceri, est indispensable. Le titre de l’ouvrage est tout à fait approprié. L’auteur procède à un examen approfondi des trois dernières décennies et s’interroge longuement sur les changements profonds en cours sur le continent. Ces changements entraînent une véritable recomposition des sociétés latino-américaines tant sur les plans social et économique que politique. Pour tenter de comprendre cette recomposition, l’auteur analyse les diverses modalités de la transition vers la démocratie dans des pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay, le Pérou, la Bolivie, etc. Il montre bien que ces modalités ont été décidées par le haut ou après une négociation de façade avec les forces de la société. En effet, qu’ils soient le résultat de l’abandon plus ou moins volontaire du pouvoir (Chili), du simple épuisement des bases du régime (Brésil), ou d’une chute précipitée (Argentine), la disparition des dictatures et le passage à la démocratie se sont surtout réalisés grâce à une entente sur les limites de l’expérience démocratique, parfois officielle, toujours officieuse. Alvaro Artigas remonte, pour comprendre ces phénomènes, aux sources du populisme sud-américain et à ses deux grands maux : la corruption et le clientélisme. Dans un premier chapitre intitulé Des ténèbres en héritage, l’auteur revient sur les régimes militaires qui se sont installés en Amérique latine dans le contexte de la guerre froide. Il analyse avec pertinence les liens avec les États-Unis, la Doctrine de sécurité nationale (dsn) et apporte un éclairage intéressant sur la mise en oeuvre du fameux Plan Condor destiné à éradiquer les mouvements subversifs réels ou supposés. L’auteur s’attarde sur la répression féroce menée par les régimes militaires qui n’avaient que mépris pour les droits de l’homme. Mais il montre également qu’au terme des années 1970, les dictatures ont commencé à réaliser qu’elles seraient incapables de conserver le pouvoir sans proposer un projet politique et économique susceptible de mobiliser de plus larges parties de la société. C’est à partir de cette époque que le climat politique commence à se modifier et que des réformes, notamment économiques, s’amorcent. L’auteur insiste très justement sur le fait que le bouleversement des rapports de force entre le monde civil et militaire a laissé des traces indélébiles dont l’étendue commence tout juste à être appréciée. Dans son chapitre deux intitulé La démocratie retrouvée, l’auteur analyse de manière détaillée ce qu’il appelle l’institutionnalisation de l’oubli, c’est-à-dire le fait que la démocratie n’a pu être rétablie que par une gestion du passé tout à fait singulière. En effet, dans nombre de pays, l’amnistie a été décrétée et peu de tortionnaires ont été jugés. Il fut souvent décidé, comme au Brésil, de ne pas se pencher sur des cas qui pouvaient menacer la stabilité de la démocratie récemment retrouvée, tout en permettant aux médias de conduire des recherches sur le sort des disparus. L’auteur analyse également dans ce chapitre le rôle de l’Église qui a oscillé entre collaboration et guérilla. Il insiste notamment sur la connivence de l’Église argentine avec la dictature militaire pendant les années 1976 à 1982 mais également sur les communautés ecclésiastiques de base qui ont révolutionné l’Église brésilienne et donné naissance à la théologie de la libération. L’auteur analyse également dans ce chapitre les conséquences de l’absence de renouvellement à grande échelle du personnel des administrations publiques dans de nombreux pays d’Amérique latine ainsi que le fait que pendant de longues années les militaires ont persisté à se montrer sur la scène publique afin de réaffirmer à la fois …