Comptes rendus : Droit international

Beigbeder, Yves, Judging War Crimes, and Torture. French Justice and International Criminal Tribunals and Commissions (1940-2005), Leiden, Martinus Nijhoff Publishers, 2006, 377 p.[Notice]

  • Luc Sindjoun

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  • Luc Sindjoun
    Université de Yaoundé ii, Cameroun

L’ouvrage de Yves Beigbeder est une monographie intéressante sur l’attitude de l’État français face au jugement des crimes de guerre et à la torture, et son aptitude à juger les crimes de guerre ; une attitude singulière si l’on tient compte des multiples facettes de la France que l’Histoire connaît tour à tour comme pays vainqueur de la deuxième guerre mondiale soucieux de fonder la paix sur la justice, comme puissance colonisatrice confrontée aux mouvements d’émancipation dans les colonies, ou comme puissance moyenne cherchant à préserver son champ d’influence. Or, chacune de ces postures conditionne en partie le rapport au jugement des crimes de guerre et de la torture – d’où la richesse de l’ouvrage de Beigbeder. La mode dans l’analyse de la justice internationale est de privilégier à l’heure actuelle le point de vue universel ou global ; or, ici, il est procédé à un renversement paradigmatique sur la base de l’approche monographique de l’analyse des rapports d’un pays, à savoir la France, à la justice. Dès lors, l’interaction entre justice et politique est problématisée de manière concrète : le concret singulier est souvent préférable à l’universel abstrait. Le concret singulier est constitué ici par la spécificité française des relations entre valeurs, politique et droit ; spécificité qui, sans être synonyme d’irréductibilité, est fondée sur l’histoire, la culture et les intérêts nationaux. Cette spécificité est analysée de manière objective et rigoureuse sur la base de l’hypothèse de la contradiction entre l’idéal de la France, patrie des droits de l’homme, et la réalité de la France, acteur et juge problématique des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. À cet effet, Beigbeder fait sienne l’idée du sociologue Norbert Elias selon laquelle l’activité scientifique condamne à la traîtrise vis-à-vis du groupe auquel on appartient. Les considérations que l’on vient de présenter sont au coeur des treize chapitres qui constituent l’ouvrage, divisés en trois parties, Judging War Crimes and Torture. French Justice and International Criminal Tribunals. Le premier chapitre porte sur La démocratie française et la justice. Il a l’intérêt de faire ressortir, d’une part, la construction guerrière de l’État, et d’autre part, les bases constitutionnelles et institutionnelles de la justice ; apparaît alors, par rapport à la plupart des démocraties occidentales, l’exception que constitue la France par le biais de plusieurs éléments : l’importance qu’elle accorde à la place du secret défense ; la fréquence des condamnations qu’elle reçoit de la part de la Cour européenne des droits de l’homme ; la relative complaisance des juges français face aux policiers ayant commis des actes illégaux ; l’impunité du chef de l’État. De cette exception française découle la thèse prônée par Beigbeder de l’imperfection de la démocratie française, thèse dont la démonstration est menée en trois parties. La première partie, intitulée Colonisation française et justice (1830-1962), est composée de quatre chapitres. Elle montre comment la quête et la manifestation de la puissance ont conduit à la colonisation, c’est-à-dire au refus de pratiquer la justice vis-à-vis des peuples d’Afrique et d’Asie. La légitimation de la colonisation comme relevant de la mission civilisatrice va dans une large mesure expliquer l’opposition armée aux mouvements de décolonisation notamment au Vietnam, à Madagascar et en Algérie. Ces trois exemples sont abondamment analysés pour montrer la prépondérance des obstacles culturels, institutionnels et politiques à la sanction judiciaire des crimes de guerre, des actes de torture commis par les soldats français ; la raison d’État semble l’emporter sur la justice ou plus précisément la justice est rendue dans des formes tolérées par la raison d’État. La deuxième partie porte sur La France vichyssoise (1940-2004). Elle …