Comptes rendus : Analyse de politique étrangère

Crosston, Matthew, Fostering Fundamentalism. Terrorism, Democracy and American Engagement in Central Asia, coll. us Foreign Policy and Conflict in the Islamic World, Aldershot, Ashgate, 2006, 186 p.[Notice]

  • Aurélie Campana

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  • Aurélie Campana
    Département de science politique
    Université Laval, Québec

L’Asie centrale ex-soviétique a revêtu pour les États-Unis une importance stratégique cruciale après le 11 septembre. Le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan sont devenus des alliés dans la lutte contre le terrorisme et ont constitué une base arrière pour l’intervention de l’otan en Afghanistan. Matthew Crosston, dans son ouvrage Fostering Fundamentalism, se propose d’analyser la politique des États-Unis dans cette région. Il émet l’hypothèse d’un décalage entre la philosophie censée guider la politique étrangère américaine et la pratique. L’auteur constate qu’en échange de l’assistance offerte par ces trois États dans la lutte antiterroriste, l’Administration Bush a non seulement consenti à verser des sommes importantes à des régimes corrompus, mais a également fermé les yeux sur les violations répétées des droits de l’homme. Selon lui, ce décalage est l’illustration d’une stratégie à court terme qu’il qualifie de Wonka vision, en référence au film Charlie and the Chocolate Factory. L’ouvrage de Crosston n’affiche aucune ambition théorique. Il est présenté comme une analyse pragmatique de la politique étrangère américaine depuis 2001. Il vise à démontrer que l’absence de stratégie à long terme dans les politiques de lutte contre le terrorisme et le reniement de principes fondamentaux constituent ensemble une menace pour la sécurité des États-Unis. Ainsi, l’auteur rappelle tout au long de son ouvrage que le soutien des États-Unis aux États d’Asie centrale va à la fois à l’encontre des principes de promotion de la démocratie et d’une disposition juridique de 1961. Le Foreign Assistance Act stipule en effet qu’aucune aide ne peut être apportée à un État violant massivement les droits de l’homme. Avant de porter le regard sur le décalage constaté plus haut, l’auteur s’arrête dans un premier chapitre sur la vallée de Ferghana. Cette région partagée entre l’Ouzbékistan, le Kirghizistan et le Tadjikistan est devenue, selon lui, un no man’s land pour le terrorisme et concentre toutes les menaces. Elle représente en effet une véritable mosaïque ethnique, créée artificiellement dans les années 1930. Depuis les indépendances de ces États issus de l’éclatement de l’Union soviétique, la vallée de Ferghana constitue une sorte de zone grise. Si les violences interethniques de 1989 ont cessé, les tensions restent latentes. Parallèlement, alors que la population rajeunit, la vallée de Ferghana est l’une des régions les plus pauvres au sein d’États économiquement défavorisés. Désoeuvrée, cette jeunesse serait de plus en plus attirée par les mouvements islamistes, qualifiés de wahhabites, qui y sont implantés. La multiplicité des solidarités – ethniques, religieuses, tribales, claniques – ainsi que le peu de contrôle que les gouvernements des trois États exercent sur cette région en font une zone volatile, siège de toutes les radicalisations possibles. La vallée de Ferghana constitue à ce titre une menace trop longtemps négligée. De plus, la politique des États-Unis en Asie centrale ne produit pas de résultats tangibles en matière de lutte contre les réseaux islamistes. Au contraire, le soutien des États-Unis aux dirigeants du Kirghizistan, du Tadjikistan et de l’Ouzbékistan contribue à attiser les sentiments anti-américains, que Crosston présente comme l’une des motivations d’engagement dans les mouvements islamistes. Pour illustrer son propos, il analyse l’évolution respective des régimes d’Asie centrale depuis 1991. Il montre, au-delà des différences liées aux contextes politiques internes, l’absence de démocratie. Ni le pluralisme politique, ni la liberté d’expression, ni la liberté de la presse ne sont respectés. La révolution dite des tulipes dont le Kirghizistan a été le théâtre en 2005 relève plutôt de la lutte de clans et dissimule des intérêts économiques, pour ne pas dire mafieux. Enfin, les dirigeants de ces États utilisent abondamment la répression pour asseoir leur autorité. Or, …