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Qu’est-ce que la recherche féministe en relations internationales ? Quelles sont ses méthodes ? A-t-elle une ou des méthodologies qui lui sont propres ? Selon quels critères et pour répondre à quelles questions ont-elles été développées ? Sont-elles utiles pour comprendre d’autres problèmes que ceux pour lesquelles elles ont été formulées ? Voilà les questions sur lesquels se penche Feminist Methodologies. Les réponses que nous proposent les directrices de la collection dans douze chapitres bien comptés s’adressent à un auditoire d’étudiants et de chercheurs qui examinent soit la politique mondiale, soit le féminisme intellectuel, soit les relations internationales. Les directrices de la collection espèrent ainsi apporter un regard neuf sur l’innovation méthodologique du féminisme en relations internationales et sur les méthodes empruntées aux autres domaines par les chercheurs féministes.

D’intérêt tant pour l’actualité que pour les sujets plus usités, ce volume rend accessible à ses lecteurs un répertoire plus large des méthodologies féministes. Les douze contributions qui constituent l’ouvrage portent soit sur différents aspects des relations entre l’ontologie, l’épistémologie, et la méthodologie, soit sur comment celles-ci informent et influencent la recherche en relations internationales. Pris dans son ensemble, cet ouvrage présente les avancées méthodologiques féministes de ces dernières années. Elles sont assez puissantes pour s’atteler aux tâches plus complexes qu’exigent les multiples foyers d’analyse et la compréhension des carrefours régionaux de relations sociales. Elles s’appliquent aussi bien aux sujets plus marginalisés qu’à des thèmes plus classiques. Du fait qu’elles se prêtent autant à des analyses aux niveaux plus élevés d’abstraction qu’à ceux plus bas de la pratique, et qu’elles procèdent autant par induction que par déduction, les quelques exemples rassemblés dans l’ouvrage se montrent particulièrement féconds pour la recherche transnationale. Les méthodes féministes emploient l’ontologie traditionnelle des relations internationales qui ciblent les États, les conflits et les institutions internationales. Elles se servent de l’analyse des sites marginaux pour revoir les concepts de sécurité, de souveraineté, de nationalité, et de politique mondiale. La plupart des essais traitent des relations de pouvoir en termes de classes, de race, d’ethnicité, de sexe, et des autres inégalités. Tout cela est d’une complexité intimidante, et souligne le grand thème du livre : le féminisme ne se limite plus à l’étude des femmes et des relations entre les sexes ; on ne peut plus étudier les États et les conflits sans comprendre les relations entre les sexes ; et on ne peut plus comprendre les relations entre les sexes sans comprendre ce que sont les conflits, les États et les institutions.

Cet ouvrage complexe à recenser se divise en trois parties. La première porte sur les débats en relations internationales entre les chercheurs féministes et les autres. Cette première partie offre trois lectures différentes sur l’histoire intellectuelle des engagements féministes en relations internationales. Elle examine aussi les difficultés et les différences qui entourent ce carrefour. J. Ann Tichner se demande pourquoi les féministes n’adaptent tout simplement pas les méthodes principales, telles que l’exploration et la formulation d’hypothèses concernant la hiérarchie des genres et les comportements étatiques. Marysia Salewski explore l’engagement méthodologique avec les relations internationales, offrant ainsi une alternative à la position de Tichner. Elle examine les contours et les paradoxes de la méthode féministe en se servant d’une approche généalogique. Laurel Weldon souligne l’absence d’enthousiasme des chercheurs féministes pour tout ce qui est unique dans l’analyse des points de vue marginalisés, et met en évidence que cette absence diminue l’importance des contributions méthodologiques féministes.

La seconde partie de l’ouvrage offre cinq discussions épistémologiques sur la recherche féministe telle qu’elle est pratiquée par chacune des auteures. Les domaines de recherche sont tous d’intérêt actuel : la sécurité internationale, les forces armées, l’État, la justice internationale et la mondialisation. Ces études se fondent toutes sur un large éventail de théories féministes : il arrive même qu’il y en ait plus d’une par chapitre. Les thèmes traités sont très variés, familiers autant qu’inhabituels ou négligés. Les méthodes de recherche sont aussi diverses : entrevues qualitatives, ethnographie, observation participative, histoire orale, etc. Les chapitres de Carol Cohn et Annica Kronsell montrent comment le terrain bien connu de la recherche militaire change lorsque l’on prend pour acquis que tout est sous-tendu par la masculinité hégémonique. Les trois chapitres suivants se penchent sur les problèmes méthodologiques qui surviennent en terrain inusité, par exemple dans les zones de conflits ou les communautés marginalisées. Bina D’Costa applique une méthode qui permet aux femmes marginalisées de parler pour elles-mêmes. L’excellente Tami Jacoby soulève plusieurs questions sur l’application d’un point de vue épistémologique féministe pour l’étude de femmes dans les mouvements protestataires en Israël et en Palestine. Enfin, Stern examine les défis et les difficultés de l’analyse militaire comme concept sexué.

La troisième partie passe outre les limites qui définissent et délimitent la recherche en relations internationales. Les chercheures féministes ont toujours contesté les limites de la politique internationale. Elles ont emprunté des méthodes d’autres domaines pour analyser les questions négligées. Ce faisant, les féministes ont contribué de façon importante à l’élargissement des méthodes et continuent d’étudier des relations de pouvoir très variées dans le monde. Christine Sylvester propose par exemple les beaux-arts comme objet d’étude. Fiona Robinson favorise les approches normatives théoriques en relations internationales. Ackelry et True quant à elles se servent de la diversité des approches féministe en relations internationales pour identifier une méthodologie féministe autonome qui pourrait mener à une meilleure compréhension de la situation et donc à une meilleure pratique politique.

En somme, l’étude féministe en relations internationales est une entreprise collective ouverte, dont les forces principales sont le dialogue et la diversité. Les directrices de l’ouvrage présentent tout un répertoire de méthodes et d’exemples des applications de ces méthodes. Plutôt que de développer de nouvelles catégories pour accommoder les études féministes, ce volume met à la portée de tout le monde leurs contributions d’expressions multiples. Cet ouvrage intéressera tous les méthodologues en science politique, tous les chercheurs d’orientation féministe en relations internationales, ainsi que tous ceux qui s’intéressent aux questions d’actualité. Ce respect de la diversité peut rendre la lecture ardue, mais l’ouvrage vaut bien cet effort.