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Cet ouvrage est une collection d’articles qui se divisent en quatre parties. La première porte sur l’autorégulation du secteur financier. La deuxième, sur la gouvernance adoptée par des firmes transnationales face à leurs employés, à l’environnement et aux pressions de leurs clients. La troisième traite des règles qui s’imposent dans le cyberspace. La quatrième envisage les relations entre des regroupements régionaux, l’ue au premier chef, et l’autorégulation du business. Les sujets traités sont divers. Dans une introduction (chap. 1), les directeurs de l’ouvrage montrent pourquoi il est intéressant de les aborder les uns après les autres.

La première contribution (chap. 2) est consacrée à la gouvernance privée des services financiers transnationaux. Elle soutient que : 1) si la concurrence entre les firmes majeures est stabilisée, celles-ci essaieront de s’entendre pour se donner des règles communes de fonctionnement, tandis que si leur concurrence est encore vive, elles tendront à faire appel à un régulateur public ; 2) que l’industrie des services financiers illustre cette hypothèse. C’est manifestement un avantage pour des firmes que de se passer d’une régulation étatique, surtout pour les plus dominantes d’entre elles qui peuvent alors imposer l’ordre qui leur est favorable. Seules les firmes désavantagées par l’autorégulation de leur secteur feront appel à un régulateur public. La deuxième contribution (chap. 3) traite de l’autorégulation des grandes firmes d’audit ou de vérification comptable. Ces firmes, avec la participation d’associations professionnelles, le soutien de différentes délégations nationales et l’aval des grands États industrialisés, tentent à se donner des règles communes et transnationales qui se fondent sur leur expertise technique. Parce qu’elles sont standardisées, ces règles facilitent – et c’est leur justification – le marché global des capitaux en permettant aux investisseurs d’évaluer plus facilement la situation financière des diverses entreprises où ils voudraient placer des avoirs. La troisième contribution (chap. 4) discute de la gouvernance internationale des institutions financières et de sa légitimité. Par cette gouvernance, un groupe restreint d’acteurs privés se charge de maintenir une certaine stabilité financière transnationale. Les crises qui se sont succédées ont incité les acteurs publics à exercer plus de contrôle afin d’en prévenir d’autres dans l’avenir, mais les acteurs privés gardent une grande autonomie même si, en cas de crise, les pouvoirs publics participent à payer les pots cassés par leur faute.

La deuxième partie comprend quatre contributions. La première (chap. 5) porte sur la gouvernance privée des firmes transnationales en matière d’environnement. Ces firmes influencent la société civile et les États en faisant valoir leur expertise, en imposant leur agenda et leurs perspectives dans la discussion publique, et en se présentant comme écologiquement ou socialement responsables dans des opérations de relations publiques. Elles sont des acteurs politiques d’autant plus prépondérants que la compétitivité, l’efficacité et la croissance économiques qu’elles prétendent promouvoir sont des valeurs largement acceptées. La contribution suivante (chap. 6) discute de la notion d’un demos transnational qui exercerait un contrôle démocratique sur la régulation des risques encourus par les citoyens. Dans la troisième contribution de la deuxième partie (chap. 7), il est question des codes privés de conduite auxquels souscrivent volontairement des firmes ; il est aussi question des limites et de la légitimité de ces codes. La contribution suivante (chap. 8) traite des standards qu’imposent les industries de la chaussure et de la confection à leurs fournisseurs dans les relations de travail entre ceux-ci et leurs employés.

La troisième partie de ce livre envisage de réglementation du cyberspace et comprend trois contributions. La première (chap. 9) porte sur la gouvernance transnationale de l’Internet et sur le rôle que joue le business dans cette gouvernance. Les standards techniques – les problèmes de plomberie – occupent la première place dans celle-ci et sont établis indépendamment des gouvernements ou des institutions intergouvernementales. Le commerce électronique fait l’objet du texte qui suit (chap. 10). Dans ce commerce, comme tous les acteurs ont absolument besoin qu’un cadre s’impose clairement, le pouvoir des acteurs privés dominants qui peuvent l’instaurer n’en est que plus grand. Les gouvernements ont généralement acquiescé à l’ordre qu’ils faisaient prévaloir. La troisième contribution de la troisième partie (chap. 11) traite de l’attribution des noms au sein de l’Internet afin de permettre la communication entre les porteurs de ces noms, ainsi que du rôle de l’ue en la matière.

La quatrième partie, intitulée L’intégration régionale comme facteur conduisant à une gouvernance privée et transnationale, comprend quatre contributions. La première (chap. 12) porte sur les partenariats entre le public et le privé (ppp) en matière de gouvernance transnationale dans l’ue, et ce en rapport avec la stratégie dite de Lisbonne. La deuxième (chap. 13) traite d’un cas de gouvernance mi-privée et mi-publique typiquement européenne : la négociation des relations de travail entre partenaires sociaux, négociation qui pourrait devenir paneuropéenne avec le soutien institutionnel de l’ue. La troisième (chap. 14) aborde le cas de Fin-Net, un système extrajudiciaire promu par l’ue, à la fois privé et public, national et international, qui permet de résoudre les litiges au sein de l’ue entre les fournisseurs de services financiers et leurs clients. La contribution qui suit (chap. 15) porte également sur le règlement extrajudiciaire de litiges par des institutions à la fois privées et publiques, mais cette fois en matière de commerce international ou d’investissement étranger.

La cinquième partie (chap. 16) est une conclusion générale écrite, tout comme l’introduction, par les directeurs de cet ouvrage, qui y insistent sur les limites de la gouvernance privée transnationale. Alors que les différentes contributions ont souligné les réussites et les aspects novateurs de cette gouvernance, la conclusion en souligne surtout les limites.

Ce livre – et pas seulement sa conclusion – se montre souvent très critique à l’endroit d’une gouvernance privée qui répond aux intérêts des firmes dominantes. Il souligne que cette gouvernance est favorisée par une idéologie néolibérale, évite autant que possible l’intervention d’un régulateur public et donc un contrôle démocratique. Il le déplore, mais ne préconise pas de solution et c’est d’abord une question de prudence. Les différents auteurs reconnaissent la complexité des relations entre société civile, pouvoirs publics et firmes transnationales dans un monde globalisé. Ils insistent sur le fait que, dans les réseaux complexes qui fondent ou soutiennent la gouvernance transnationale, la distinction entre intérêts publics et privés n’est pas toujours aisée. Les problèmes à résoudre exigent souvent un savoir technique et une capacité d’innovation qui donnent un grand pouvoir aux experts qui se concertent lors des forums internationaux.

Les problèmes traités dans ces pages apparaissent d’un très grand intérêt, mais le traitement qui en est donné ne soutient pas toujours cet intérêt. C’est qu’il est trop souvent difficile à suivre, comme si la complexité et la nouveauté des problèmes envisagés en rendaient l’exposé confus. Il faut noter que la nouveauté des PPP et des agences administratives qui en découlent, agences qui ne sont ni tout à fait publiques ni tout à fait privées, est certainement plus grande et plus déroutante en Europe qu’en Amérique du Nord. Or, ce livre parle surtout de l’Europe et part d’un point de vue européen. De surcroît, comme le dit un des auteurs, la discipline des relations internationales n’a reconnu que tardivement l’importance des organisations privées et de l’autorégulation du business dans son propre domaine. Il s’agit donc pour elle de sujets encore nouveaux qu’elle maîtrise à peine.