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L’importance sans cesse croissante de l’expansion des mesures de protection intellectuelle va de pair avec des craintes au sujet des fondements politiques et juridiques de cette protection intellectuelle accrue. L’obtention des protections intellectuelles et leur application causent des tensions. La quête d’intérêt privé à court terme par des compagnies protégées par les droits de propriété intellectuelle se trouve parfois en opposition avec l’intérêt public et la satisfaction de besoins. Ces tensions sont très présentes en matière de commerce international. L’accès public à des médicaments essentiels se trouve souvent restreint par des mesures de protection de copyright. De plus, la protection de brevets pose des défis au partage des bénéfices d’un développement économique. Cela crée des conflits entre la protection d’intérêts privés et l’intérêt public. Ce livre propose une réflexion approfondie sur ces questions. L’ouvrage est né d’une conférence tenue à Bruges en octobre 2005 et portant sur des questions de politique publique en matière de droit de propriété intellectuelle. Tous les auteurs de cet ouvrage sont des professeurs de droit à l’exception d’un auteur qui est économiste de formation. Le livre contient huit chapitres qui correspondent à autant de communications présentées au colloque.

Le premier chapitre fait office d’introduction à la première partie de l’ouvrage et entre dans le vif du sujet. Il se penche sur les façons dont s’est développé un système transnational d’innovation. L’auteur réfléchit sur la présence des règles en matière de propriété intellectuelle et sur l’impact qu’elles ont sur les politiques d’innovation dans plusieurs pays. Il laisse entendre que des groupes d’intérêt accaparent le terrain politique et définissent des règles qui ne sont pas toujours compatibles avec le bien commun et le développement de certaines sociétés. L’auteur suggère que des accords bilatéraux ont possiblement eu pour effet d’étouffer l’innovation. La réflexion se situe à un niveau d’analyse général et aborde la question d’un point de vue principalement juridique, mais également dans une perspective philosophique. L’auteur conclut qu’il devrait y avoir un moratoire sur toute nouvelle règle de propriété intellectuelle. En somme, il postule que nous devrions faire en sorte de renverser la tendance selon laquelle la globalisation de biens intellectuels privés freine la diffusion de biens publics. Selon lui, il faudrait que le système transnational d’innovation encourage et protège la création d’un environnement qui demeure à l’écoute des besoins humanitaires primaires et des droits de l’homme. Il conclut qu’avec la mondialisation des marchés s’est créé un véritable système d’innovation international et que, dans ce contexte, nous avons besoin de nouveaux modèles et de nouvelles approches légales pour trouver le meilleur équilibre entre les intérêts privés et les intérêts publics nécessaires dans le contexte de cette économie globale. Nous serions, selon lui, dans une période d’expérimentation semblable à celle de la fin du 19e siècle lorsque les conventions de Paris et Berne ont été négociées.

Le chapitre suivant aborde la façon dont s’est façonné un régime de propriété intellectuelle équitable dans un monde global. Rappelons que l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (omc) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (adpic) s’efforce d’établir un équilibre entre, d’une part, l’objectif social qui s’inscrit dans la durée et qui consiste à offrir des incitations aux inventions et aux créations futures et, d’autre part, l’objectif à court terme qui est de permettre au public d’utiliser les inventions et les créations existantes. L’Accord couvre une vaste gamme de sujets, depuis le droit d’auteur et les marques jusqu’aux schémas de configuration de circuits intégrés et aux secrets commerciaux. Ce chapitre se penche surtout sur les brevets protégeant les produits pharmaceutiques et les autres produits qui constituent une partie importante de l’Accord.

Le chapitre trois passe en revue les différentes propositions de groupes de pays auprès de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (ompi) et les adpic. Le texte propose un bilan des positions divergentes des principaux pays émergents et des grandes puissances industrielles. Les différentes formules avancées pour protéger du biopiratage les pays abritant la biodiversité nécessaire au développement de médicaments sont décrites. L’auteur compare les pour et les contre des différentes propositions dans les forums internationaux. Il part de la prémisse qu’il faut trouver un moyen terme entre la protection de brevets pharmaceutiques et la création de normes qui étouffent le développement économique de pays en voie de développement possédant des ressources essentielles à la fabrication de médicaments. Souvent, les brevets obtenus par de grandes sociétés sont ainsi rédigés qu’ils empêchent l’exploitation de la richesse de la biodiversité de pays émergents. Enfin, le texte se poursuit par un chapitre se penchant sur la prospection de la biodiversité et offre à cet égard des pistes de réflexion intéressantes.

La seconde partie du livre aborde plus particulièrement la question de la protection intellectuelle sous l’angle du commerce international placé en relation avec l’intérêt public. Un chapitre porte sur le régime de brevets pharmaceutiques en Europe et sur son incidence sur les prix des médicaments à la lumière d’une démarche abordant ses répercussions sur le bien-être social. Plus particulièrement, il compare deux types de régimes de fixation des prix, soit la discrimination volontaire dans le cas de monopoles et la détermination des prix par les gouvernements. Le texte se penche sur la question de savoir si une harmonisation des pratiques en la matière est souhaitable chez les membres de l’Union européenne. Le chapitre suivant est très bref et répond au texte qui précède en offrant une réflexion similaire appliquée aux États-Unis. Soulignons que la comparaison des deux régimes apporte des renseignements éclairants. Le livre s’achève par un chapitre comportant une réflexion sur le contexte de la protection intellectuelle dans le cycle de Doha et sur son incidence sur les droits de l’homme.

L’ouvrage contient beaucoup d’informations qui seront utiles aux chercheurs intéressés par ce domaine. Les études de cas sont méticuleuses et la réflexion théorique est bien menée. Il est pertinent de rappeler que le sujet est abordé sur les plans juridique, politique et philosophique. Il est assez rare que des études juridiques sur ce sujet abordent les questions sous un angle philosophique.

Nous pouvons cependant déplorer l’absence d’une véritable introduction à l’ouvrage. Il en va de même de la carence d’une conclusion à cette publication. Le passage du colloque au livre aurait mérité un exercice de synthèse additionnel. Néanmoins, il s’agit d’une contribution significative à ce domaine complexe.