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Cet ouvrage s’inscrit dans une tradition bien établie en relations internationales, à savoir la tradition dichotomique qui se manifeste à l’occasion de chaque conjoncture critique porteuse de mutations. On s’en tiendra ici à quelques illustrations. Après la Deuxième Guerre mondiale, la fondation des relations internationales comme science est influencée aux États-Unis d’Amérique par la dialectique réalisme/idéalisme ; au moment de la crise du pétrole dans les années 1970, c’est l’opposition réalisme/transnationalisme qui est mobilisée pour rendre compte des changements survenus sur la scène internationale. Après la fin de la guerre froide, Samuel Huntington propose le choc des civilisations comme paradigme d’explication et d’analyse du nouveau monde. C’est dans cette tradition de pensée dichotomique que se situe l’ouvrage de Thomas Kane ; celui-ci considère en effet le conflit entre républicanisme et cosmopolitanisme comme étant au coeur du conflit idéologique dans les relations internationales au 21e siècle. L’idéologie étant perçue ici non pas comme étant secondaire, mais comme constituant le principe des relations internationales. En d’autres termes, dans la perspective de Kane, l’idéologie, c’est ce qui régit les relations internationales. C’est ainsi que sont appréhendés le cosmopolitanisme et le républicanisme. Le conflit entre cosmopolitanisme et républicanisme n’est pas présenté comme un conflit d’explication entre chercheurs, mais plutôt comme une tension entre acteurs, de la même manière que durant le 20e siècle le libéralisme et le totalitarisme ont monopolisé de façon antagoniste le champ du possible historique. Alors que, suivant le cosmopolitanisme, les institutions internationales sont plus légitimes que les États pris individuellement, le républicanisme considère l’État comme la mesure de toutes choses. C’est à l’aune de cette divergence fondamentale que l’auteur appréhende les débats sur le réchauffement climatique, sur la campagne de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord en Serbie en 1999, sur la deuxième guerre du Golfe en 2003. L’ambition théorique de Kane, c’est de montrer comment les idées politiques influencent le comportement des acteurs et ce qu’elles signifient pour eux. Il s’agit fondamentalement d’une approche cognitive des relations internationales.

Les sept chapitres qui constituent l’ouvrage permettent de démontrer la thèse de l’influence des idées politiques, tantôt cosmopolitiques, tantôt républicaines, sur le comportement des acteurs des relations internationales. En effet, à partir de l’analyse des positions de l’onu à l’épreuve des guerres du Golfe, du conflit du Kosovo, Thomas Kane montre comment les intérêts des États, conceptualisés sous la catégorie de républicanisme, ont remis en cause le multilatéralisme et, partant, le cosmopolitanisme. D’où le triomphe de l’unilatéralisme, vécu au plan de l’analyse scientifique sous les traits de la pertinence du réalisme classique ou encore du réalisme offensif. Toutefois, il convient de ne pas perdre de vue, comme le montre l’auteur, que le républicanisme n’est pas que nationaliste ; il est aussi cosmopolitique, notamment dans sa tradition américaine mettant en exergue des valeurs universelles de liberté et de démocratie. Par ailleurs, le cosmopolitanisme, qui se pose en s’opposant au républicanisme et aux États considérés comme constituant des obstacles potentiels, mobilise différents acteurs non étatiques sur tous les sujets en y développant une approche originale. En d’autres termes, le triomphe de l’unilatéralisme est un arbre qui cache mal la forêt des démarches et des actions cosmopolitiques en matière notamment d’interdiction des mines antipersonnel, de contrôle des émissions de carbone ; il en découle la construction d’autorités morales dotées d’une violence symbolique à l’égard des États.

Au total, l’ouvrage de Thomas Kane rend parfaitement compte de la tension entre unilatéralisme et multilatéralisme, entre cosmopolitanisme et républicanisme. Le choix d’une approche cognitive a été payant. Toutefois, à la fin de la lecture de l’ouvrage, l’impression du « déjà lu » est forte et contraste fortement avec l’ambition de renouvellement de l’analyse qui est celle de l’auteur. Car les analyses fondées sur la tension classique entre « réalisme et institutionnalisme » ou encore entre « réalisme et transnationalisme » mènent aux conclusions de l’ouvrage de Kane. Il en découle une relativisation du rôle et du poids des idéologies. Dans le même ordre d’idées, mention doit être faite des limites de l’approche cognitive choisie par l’auteur : les comportements des acteurs ne sont pas uniquement déterminés par les idées. L’acteur des relations internationales n’agit pas qu’en fonction d’une rationalité idéologique : le républicanisme et le cosmopolitanisme sont souvent des sublimations des intérêts matériels. Toujours sur le plan de la méthode, on peut regretter que l’auteur n’ait pas pris en considération la dimension républicaine du cosmopolitanisme, notamment parce qu’une démarche cosmopolitique est influencée de manière directe ou indirecte par la culture d’appartenance de ses auteurs. Le fait que la plupart des acteurs cosmoplitiques cités par Kane sont issus du Nord peut, sous le prisme du Sud, amener à considérer le cosmopolitanisme comme un républicanisme qui s’ignore.