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Cet ouvrage collectif dirigé par Stephen Baranyi se démarque dans le champ des études sur la consolidation de la paix par sa volonté de laisser place au point de vue des chercheurs du Sud. Son apport le plus important vient précisément d’un regard local sur la consolidation de la paix, plus particulièrement de l’analyse micro des trois aspects abordés, soit la gouvernance démocratique, le développement économique, de même que la démilitarisation, la démobilisation et la réintégration. La plupart des chapitres comportent en effet une enquête de terrain sur les fondements locaux de la transition vers la paix ainsi que de leur impact sur les femmes et les minorités. À noter, l’étude que font Omar Zakhiwal et Jane Murphy Thomas de la mise en application dans les communautés du Programme national de solidarité en Afghanistan. L’ouvrage fournit ainsi une vision plus précise des mécanismes de consolidation de la paix ainsi que des obstacles à la stabilité, susceptible de reconnaître les éléments généralisables à certains cas et les particularités de certains contextes.

Les neuf chapitres traitent de six cas (Guatemala, Mozambique, Afghanistan, Haïti, Palestine, Sri Lanka), où la transition de la guerre à la paix a connu des trajectoires variables. Celles-ci sont évaluées selon une approche qui tient compte des conceptions à la fois minimaliste (cessation de la violence) et maximaliste (renforcement des capacités, développement économique, etc.) de la paix. Le chapitre rédigé par Hérard Jadotte et Carolina Hunguana, « Local Governance and Sustainable Peace. The Haitian Case », illustre justement la façon dont la paix doit être envisagée en termes minimal et maximal. Les interventions successives en Haïti démontrent comment l’atteinte des objectifs à court terme en 1994, visant la stabilisation, n’a pas fait place à une consolidation durable de la paix, mais à une rechute vers l’instabilité politique et économique. Les auteurs soulignent l’importance de bâtir des institutions publiques légitimes et efficaces, particulièrement par le renforcement de la gouvernance locale. Cela passe notamment par des projets locaux de développement, qui comportent un ensemble de contraintes, de risques et d’opportunités : s’ils représentent des possibilités de renforcement des capacités locales, ils doivent aussi s’inscrire dans un cadre institutionnel capable d’assurer leur pérennité et de gérer les conflits.

Khalil Shikaki (« Palestine, 1993-2006. Failed Peacebuilding, Insecurity, and Poor Governance ») explique de façon contrastante comment les objectifs en matière de gouvernance, de démocratie et de construction de l’État dans les territoires palestiniens sont compromis par la place prépondérante accordée à la cessation de la violence. Cette approche de la paix axée sur des objectifs sécuritaires à court terme a en effet, d’une part, favorisé la progression de l’autoritarisme en Palestine, donnant lieu à la centralisation du pouvoir et à l’exclusion politique, qui ont en retour diminué les capacités des institutions publiques, et, d’autre part, favorisé la plus grande fragmentation de l’espace politique.

Dans la même ligne d’idées, certains auteurs s’interrogent sur l’efficacité d’une démobilisation et d’une démilitarisation des combattants au détriment des bénéfices à long terme d’une réintégration des groupes armés, notamment le renforcement de la sécurité des communautés. Wenche Hauge and Beate Thoresen (« The Fate of Former Combatants in Guatemala. Spoilers or Agents for Change ? ») estiment en effet que ces militaires démobilisés peuvent devenir des vecteurs de changement, selon leur enchâssement dans leur contexte local, social et institutionnel. Une idée aussi abordée par Arne Strand (« Fighting for Peace ? Former Combatants and the Afghan Peace Process »), qui valorise par ailleurs une réintégration collective plutôt qu’individuelle des combattants.

Les chapitres étant construits à l’intérieur d’un cadre méthodologique commun, il en résulte un ouvrage très cohérent, dont le directeur peut tirer une série de conclusions pertinentes. Le traitement de l’un des thèmes annoncés en introduction – et qui est d’ailleurs à l’origine du titre –, soit la transition dans l’après-2001 des interventions négociées de consolidation de la paix vers des opérations de « stabilisation », est toutefois quelque peu décevant. Une appréciation plus fondamentale de ce glissement et de ses implications aurait été pertinente. On comprend bien que l’intervention en l’absence d’une coalition transnationale – produit de la coïncidence des intérêts des acteurs locaux et internationaux – et l’utilisation plus robuste de la force représentent des obstacles à la consolidation de la paix, mais il aurait été utile d’en apprendre davantage sur les répercussions au niveau local de cette transformation des modes et des objectifs d’intervention. Il n’en demeure pas moins que l’ouvrage apporte une description nuancée des mécanismes locaux de développement et, surtout, de l’imbrication des objectifs minimalistes et maximalistes de consolidation de la paix.