Comptes rendus : Régionalisme et régions - Amérique

Sayaka Fukumi, Cocaine Trafficking in Latin America. eu and us Policy Responses, 2008, Aldershot, Ashgate, 283 p.[Notice]

  • Guillermo R. Aureano

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  • Guillermo R. Aureano
    Département de science politique
    Université de Montréal

Pour nous démontrer que les politiques de l’Union européenne et des États-Unis face aux flux de cocaïne en provenance de l’Amérique latine diffèrent considérablement, Fukumi nous explique d’abord le problème de sécurité qu’est devenu le trafic de stupéfiants, puis, grâce à une étude approfondie du plan Colombia, les divergences entre les deux puissants partenaires du gouvernement colombien. Réglée comme du papier à musique, cette recherche est, d’un point de vue formel, impeccable. Elle respecte sans faille la logique de l’entonnoir. À la présentation des approches théoriques sur les nouvelles menaces à la sécurité – celles qui ne sont pas de nature éminemment militaire – fait suite une analyse des politiques mises en oeuvre par les deux principaux acteurs, l’Union européenne et les États-Unis, et l’hypothèse de leur profond désaccord est corroborée à partir d’une situation où ils ont caressé et abandonné un projet de coopération multilatérale. Pourquoi une telle mésentente ? Fukumi met en relief le fait que les États-Unis ont proposé une solution logiquement adaptée à leur perception du problème de la drogue. Devant un tel danger, aucune négociation n’est possible : la seule stratégie viable est la militarisation. Le développement dit alternatif – qui consiste pour l’essentiel à inciter les paysans à remplacer la culture du cocaïer par celle de produits licites – n’était nullement une priorité de la puissance américaine, plutôt portée sur la répression des narcotrafiquants et l’épandage des défoliants chimiques, activités de plus en plus confiées à des entreprises privées de sécurité. Dans ces conditions, l’Union européenne a choisi de se tenir à l’écart et d’éviter tout compromis. Cette incompatibilité n’est pas seulement déterminée par une perception différente du problème de la drogue et des solutions légitimes et viables. Elle dépend également, affirme Fukumi, de l’image de marque que les États-Unis et l’Union européenne souhaitent projeter sur la scène internationale. Washington profite ainsi de la lutte contre la drogue pour étaler sa puissance militaire, tandis que l’Union européenne, acteur composite et avec des capacités réduites, échoue dans la défense d’une politique plus consensuelle. Une chronologie plus claire des faits aurait certainement aidé le lecteur à mieux comprendre les enjeux soulevés entre l’Union européenne et les États-Unis dans le cadre du plan Colombia. Élaboré dans sa version initiale par Augusto Ramírez Ocampo, membre de la Commission de conciliation nationale, le plan Colombia visait à financer des projets de développement liés aux accords obtenus avec les guérillas, accords qui permettraient notamment de venir en aide aux populations des régions durement touchées par la violence. Le président Pastrana soumet ce plan aux élus de son pays en décembre 1998, mais plusieurs versions circulent jusqu’à sa rencontre avec le président américain Bill Clinton, le 21 septembre 1999. Le plan Colombia change alors de vocation. Si la paix, le redressement de l’économie et le renforcement de l’État de droit figurent toujours parmi ses objectifs, l’aide promise par le gouvernement américain est surtout destinée à équiper et à entraîner les forces armées colombiennes. Désormais, l’accent est mis sur la lutte contre la drogue pour éviter que la Colombie ne devienne un « narco-État », comme le tsar antidrogue Barry McCaffrey tient à le préciser. En juillet 2000, les États-Unis octroient finalement à la Colombie une aide de 1,3 milliard de dollars, dont les trois quarts sont alloués au volet strictement militaire (la part du lion de ce budget revient aux États-Unis, par le biais des contrats avec l’industrie américaine de l’armement, des entreprises militaires privées et des sociétés de fumigation aérienne). Parallèlement, la diplomatie colombienne sollicite des fonds auprès de l’Union européenne (ue), qui décide …