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La littérature sur les mouvements altermondialistes ne manque pas. Un rapide coup d’oeil sur la bibliographie d’une vingtaine de pages de Généalogie des mouvements altermondialistes en Europe permet de le confirmer. Alors, forcément, on s’interroge sur ce qu’il peut y avoir de nouveau sur le sujet. La réponse apparaît dès les premières pages : une synthèse sur les origines de ces mouvements. Rédigé par des chercheurs allemands, britanniques, français, italiens, espagnols, l’ouvrage est d’une richesse et d’une diversité remarquables. Il mérite donc largement sa place dans la littérature consacrée à des mouvements que les auteurs s’accordent d’emblée à reconnaître comme n’étant pas le résultat d’une génération spontanée.

Contrairement à une idée reçue, les mouvements transnationaux ne sont pas nés au lendemain des premières manifestations contre la mondialisation à la fin des années 1990. Les auteurs s’empressent de rappeler que les mouvements de solidarité internationale existent depuis le 18e siècle et qu’ils puisent leurs revendications dans la lutte contre l’esclavage, le droit des femmes ou celui des ouvriers. Difficile donc de prétendre à la singularité historique des mouvements contemporains d’opposition à la mondialisation. Il existe, sinon une filiation au moins un continuum historique, qu’aucune étude ne saurait négliger au risque de passer à côté d’une analyse rigoureuse.

Où se trouve donc alors la nouveauté de la planète altermondialiste ? C’est tout l’intérêt du travail entrepris par ce collectif de chercheurs regroupés par le Centre de science politique comparative de l’Institut d’études politiques (iep) d’Aix-en-Provence et qui a choisi l’angle national pour décrypter ces mouvements. Cette approche nationale permet de définir les thèmes de revendication des mouvements. Sont-ils vraiment internationaux ou seulement l’expression d’angoisses nationales propulsées dans l’arène internationale ?

Les auteurs remarquent que la plupart des organisations qui portent ces appels à la solidarité internationale contre les lois du marché ne sont pas apparues à la fin des années 1990. Elles ont dû s’adapter à l’évolution du monde après-guerre froide pour répondre au malaise de l’État-nation et englober les nouvelles revendications portées par des militants qui accusaient le marché de tous les maux. Bref, ces « anciennes » organisations ont « naturellement » comblé un vide politique créé par la mondialisation et assumer ainsi le rôle de critique d’une globalisation essentiellement économique.

Une simple question d’opportunité ? C’est ce que suggère cette étude, d’autant que les occasions de contestation dans l’espace national se raréfiaient. D’où une certaine concurrence entre les organisations elles-mêmes. Toutefois, souligne-t-on, l’ancrage national des mobilisations, même vêtues des oripeaux des luttes internationales, reste très fort. Impossible notamment de ne pas prendre en compte la réunification allemande en 1989 pour comprendre les ressorts des mouvements altermondialistes dans ce pays. Réunification qui a permis de financer le mouvement associatif de l’ex-rda. Idem pour l’Italie et sa tumultueuse relation entre catholiques tiers-mondistes et gauche radicale ou encore pour l’Espagne et sa sortie du franquisme qui a orienté une partie des associations vers le pacifisme. Et que dire de la France et de son prisme culturel fondé sur la défense de la diversité culturelle dans le monde. Bref, les mouvements internationaux restent fortement connectés aux questions nationales.

D’où le choix du pluriel accolé à « mouvements ». Faut-il également remettre en cause l’hypothèse d’une homogénéité du mouvement altermondialiste ? Aux différences nationales s’ajoutent les différences d’approches et de contenus des mobilisations. En Allemagne, les nouveaux mouvements s’intéressent aux questions sociales, en Grande-Bretagne, ce sont l’environnement et l’aide au développement qui importent, en Italie les associations de solidarité internationales travaillent avec les syndicats les plus engagés. Situation similaire en France, avec la dimension paysanne en plus et le mouvement des « sans »… Bref, là encore, les mobilisations sont multiples et montrent que les mouvements altermondialistes ne peuvent pas être abordés de manière monolithique.

Si les auteurs insistent sur l’inconsistance du label généraliste de « société civile transnationale », cela signifie-t-il que l’approche analytique de cette catégorie d’étude est vouée à l’échec ? Pas forcément, suggèrent-ils. Mais il faudrait d’abord diviser cette « nébuleuse éclatée » en quatre catégories : les organisations non gouvernementales (ong), les internationales syndicales, les nouveaux mouvements sociaux à visée internationale et, enfin, les mouvements entièrement consacrés à la critique de la mondialisation.

Que partagent alors ces organisations ? Ont-elles un but commun, des revendications partagées ? L’enquête souligne la proximité qui existe entre tous ces militants. Proximité favorisée par les institutions internationales qui ont encouragé l’émergence de ces acteurs afin de faire contrepoids aux États. Cela suggère un certain partage de valeurs, un dénominateur culturel minimum qui leur permet de coordonner leurs actions. D’où cette habitude qu’ont prise les mouvements altermondialistes de coller aux grandes réunions internationales et d’organiser des contre-sommets. C’est d’ailleurs à l’occasion de ces grands raouts internationaux qu’une certaine uniformisation des pratiques va apparaître au sein des mouvements altermondialistes. Les auteurs notent que la presse joue un rôle important pour faire émerger chez les militants un sentiment d’appartenance à la planète altermondialiste, notamment dans la couverture des grandes rencontres : Seattle, Prague, Gênes…

Sommets, police, presse… tout cela reste pourtant insuffisant pour unifier des mouvements aussi riches de leurs particularités. Les auteurs insistent : toute tentative globalisante de ces mouvements se ferait au détriment du sens. C’est pourquoi étudiants et spécialistes liront cet ouvrage en gardant à l’esprit cette diversité, tout en appréciant la richesse des approches nationales et en profitant des nombreux tableaux et statistiques qui tracent une perspective historique de ces mouvements depuis une vingtaine d’années.