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Le statut de réfugié est conçu comme un statut temporaire qui doit assez rapidement conduire soit à l’intégration et naturalisation dans le pays d’accueil, soit au retour dans le pays d’origine si les conditions le permettent. L’approche moderne de la question de réfugiés et migrations crée toutefois un paradoxe de permutation de ce statut temporaire en une impasse quasi permanente affectant plusieurs générations de réfugiés qui restent prisonniers de cette « temporalité » virtuelle.

L’ouvrage recensé, qui est le fruit d’un projet de l’Université des Nations Unies intitulé The Politics, Human Rights and Security Implications of Protracted Refugee Situations et dirigé par trois des codirecteurs de cet ouvrage (Loescher, Newman et Troeller) tente de présenter ce paradoxe sous toutes ces facettes et de formuler des propositions pour sa résolution. Comme le titre du livre l’indique, l’approche choisie est résolument multidisciplinaire et transversale.

Trois soucis principaux se dégagent clairement des contributions réunies dans cet ouvrage : définir les situations de réfugiés prolongées, expliquer les causes de ces situations, formuler des solutions. Une des trois parties du livre est consacrée à l’étude des cas concrets qui, en soi, sont une bonne illustration aussi bien de la diversité et de la complexité des situations que de la multitude des défis que pose toute tentative de trouver des solutions.

En ce qui concerne la définition, à plusieurs occasions les auteurs soulignent son importance pour la compréhension de l’envergure du problème et pour la recherche des solutions efficaces et durables, de même que la complexité de la tâche. Loescher et Milner attirent notre attention dans leur contribution au début de l’ouvrage sur les limites et les lacunes de la définition actuelle largement répandue et utilisée entre autres par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (hcr). D’un côté, les insuffisances de cette définition perpétuent l’image des situations de réfugiés prolongées comme fixes, stables, sans mouvance. De l’autre côté, en n’étant pas assez large et flexible, la définition actuelle rend invisibles certains groupes de réfugiés dans des situations prolongées.

La question de la définition est intrinsèquement liée aux deux autres préoccupations du livre : compréhension des causes de telles situations et recherche des solutions, qui toutes les deux reflètent bien la complexité et l’interdisciplinarité du sujet.

Sans nier le caractère unique de chaque situation de réfugiés prolongée, trois groupes de facteurs majeurs qui influencent l’apparition et la perpétuation de ces situations ressortent clairement des diverses contributions. Le premier groupe, qui l’est probablement aussi par l’ordre de son importance, est lié à l’attitude et à la réaction des pays d’accueil des réfugiés et de la communauté internationale tout entière. Particulièrement inquiétantes sont l’attitude et la politique des pays industrialisés. Le chapitre écrit par Troeller établit des liens très parlants entre la politique migratoire de l’Union européenne, l’utilisation de la question de migrations à des fins électorales au niveau national, ainsi que les préoccupations sécuritaires dans le domaine des migrations d’un côté et ce qu’on appelle parfois « emmagasinage » (warehousing) de réfugiés dans les pays en développement de l’autre côté. Plusieurs autres contributions, en particulier celle de Loescher et Milner ainsi que celle de Slaughter et Crisp, dévoilent le poids grandissant qui pèse ainsi sur les ressources et les capacités des pays en développement et mène ensuite à la détérioration de la situation des réfugiés présents dans ces pays sur les plans économiques, sociaux, sécuritaires et autres.

La complexité des situations dans les pays d’origine de réfugiés, qui est souvent considérée séparément des autres facteurs liés aux situations de réfugiés prolongées, constitue le deuxième groupe des causes, particulièrement bien articulé dans la contribution de Morris et Stedman.

Le troisième groupe des facteurs influençant la création et la perpétuation des situations des réfugiés prolongées s’articule autour du rôle du hcr et des autres organisations gouvernementales et non gouvernementales concernées. Trois chapitres considèrent ce rôle sous divers angles. Ainsi, Slaughter et Crisp se concentrent sur le travail du hcr, tandis que Ferris se focalise sur les organisations humanitaires non gouvernementales. Mattner à son tour s’intéresse aux acteurs dans le domaine du développement.

La complexité des situations et de leurs causes mène à la complexité des solutions. Les auteurs soulignent constamment la nécessité d’une meilleure coordination de toutes les actions dans divers domaines touchant à la sécurité, au maintien de la paix, au développement, au respect des droits humains et autres. Sous cet angle, la spécialisation, le renfermement et la défense exagérée des domaines respectifs de compétence des différents organismes des Nations Unies sont particulièrement critiquables selon Slaughter et Crisp ainsi que Betts, comme d’ailleurs la concurrence entre les divers acteurs du domaine humanitaire, comme le souligne Ferris. Ces critiques sont bien résumées dans la contribution finale de Loescher et Milner, qui établissent une base très claire et détaillée pour la recherche des solutions dans chaque situation concrète en tenant compte des objectifs à court, à moyen et à long terme aussi bien que des divers aspects en jeu : paix et sécurité, développement, aide et assistance humanitaire.

En somme, l’ouvrage présente un bon aperçu de ce sujet souvent oublié et mal-aimé, un bon point de départ pour chaque personne engagée dans ce domaine, soit sur le terrain, soit dans le monde de la recherche.