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Une riche littérature, à l’intérêt cependant inégal, traite de l’antagonisme indo-pakistanais et, en particulier, du conflit dont l’ancien État princier du Jammu-et-Cachemire est le théâtre depuis la fin de l’année 1947. Et tout historien ou politologue qui s’essaie à la rédaction d’un nouvel ouvrage portant sur ces thèmes n’ignore pas cet enjeu. Toutefois, l’approche qu’adoptent – selon l’ordre de citation de l’ouvrage – l’Indien P.R. Chari, le Pakistanais Pervaiz Iqbal Cheema et l’Américain Stephen Cohen est incontestablement originale.
Ignorant la convention qui exige la rédaction d’une introduction, les trois politologues entament leur étude au titre significatif de Four Crises and a Peace Process. American Engagement in South Asia par un premier chapitre dans lequel ils présentent leur méthodologie. Ils y examinent la problématique que recouvre le concept de crise et envisagent son application au contexte de l’Asie du Sud ces quinze dernières années. Certes ils proposent, dans un deuxième chapitre, un rappel des principaux événements qui ont rythmé l’antagonisme indo-pakistanais du départ du colonisateur britannique (août 1947) à nos jours, usant de tableaux chronologiques dont l’utilité est indéniable. Cependant, l’intérêt des trois politologues porte sur la période toute contemporaine. Ils souhaitent se pencher sur quatre crises indo-pakistanaises majeures, analysant les préoccupations qu’elles suscitèrent au moment où la scène mondiale se faisait mouvante. Ainsi envisagent-ils la crise qui fit suite aux manoeuvres militaires des Brasstacks que l’armée indienne entama au mois de novembre 1986. La détérioration de la situation intérieure de la vallée du Cachemire constitua, au début de l’année 1990, le catalyseur d’une autre crise. Le conflit armé indo-pakistanais dont la région du Ladakh indien à Kargil fut la scène en 1999 éclata, alors que le Pakistan avait, l’année précédente, démontré sa maîtrise de l’arme nucléaire. Il avait procédé à son premier essai nucléaire en réponse à l’Inde qui avait, quelques jours auparavant, effectué les seconds essais de son histoire (le premier ayant eu lieu au cours de l’année 1974). Quant à ce que Chari, Cheema et Cohen nomment la confrontation frontalière de 2001-2002, elle fit suite à l’attentat du 13 décembre 2001 à l’encontre du Parlement indien.
Envisageant ce que les trois politiques nomment « l’environnement stratégique », l’ouvrage souligne un aspect crucial que l’on a eu sans doute tendance – à considérer : les errements de la politique étrangère américaine durant les deux récents mandats du président Bush ; – à négliger : Washington a été et demeure un patient observateur de la scène d’Asie du Sud. Exerçant une influence modératrice, la Maison-Blanche continua de maintenir – vraisemblablement de façon délibérée – un profil discret, alors même que l’enjeu nucléaire mais aussi la problématique du terrorisme la conduisaient à porter un nouvel intérêt à l’Asie du Sud. Elle se contenta, le plus souvent, de proposer à Islamabad et à New Delhi sa médiation chaque fois qu’elle l’estimait nécessaire, n’étant pas à l’abri d’erreurs d’appréciation quant à la nature des crises qui opposaient ces deux parties. Le conflit armé de Kargil contraignit cependant l’administration Clinton, inquiète d’une dérive nucléaire, à intervenir – au demeurant – en faveur de l’Inde.
L’engagement des États-Unis – si l’on use de l’expression retenue par les trois auteurs – ne fut pas désintéressé, répondant aux fluctuants objectifs stratégiques américains que l’Inde et le Pakistan s’attachèrent pour leur part à instrumentaliser. Autre intérêt de l’ouvrage examiné : celui de souligner les hésitations des décideurs indiens et pakistanais dans leur quête d’affirmation l’un à l’encontre de l’autre, tandis qu’ils n’hésitèrent pas à tenter des coups de poker risqués, gageant que l’adversaire n’aurait recours qu’à une réplique proportionnée face à ce que l’on pourrait nommer l’équilibre de la terreur né de la détention de l’arme nucléaire.
Preuve – s’il est en besoin – de l’inquiétude étasunienne ? Washington, si l’on en croit Chari, Cheema et Iqbal, encouragea des diplomaties indienne et pakistanaise, qui y étaient d’ailleurs prêtes, à emprunter la voie des Confidence-Building Measures (cbms). C’est là une expression qui rythme désormais les relations indo-pakistanaises, les deux pays cherchant de manière récurrente à s’en attribuer l’initiative. École historique à laquelle nous appartenons, tandis que Chari, Cheema et Cohen ont une analyse qui procède de la science politique ? Les trois politologues ne s’attardent guère sur une dimension pourtant importante pour la compréhension de l’antagonisme indo-pakistanais : l’inimitié qui oppose les deux adversaires participa, si l’on nous autorise cette expression, d’une fabrique des nationalismes. En effet, les gouvernements de deux pays à peine nés s’attelèrent à répondre à un tel enjeu, alors que les puissances mondiales s’interrogeaient d’ailleurs quant à leur survie au lendemain du départ du colonisateur britannique. Négligeant l’enjeu nationaliste dont les gouvernements d’Islamabad et de New Delhi demeurent aujourd’hui encore prisonniers, l’analyse que proposent Chari, Cheema et Cohen peine à prendre son essor. Aussi l’application du concept de crise à la dynamique de l’Asie du Sud et sa théorisation ont-elles une portée limitée.
Reste à juger de la structure de l’étude. Le lecteur, privé d’un récit fluide, s’interrogera peut-être quant à une synthèse finale que les trois auteurs auraient songé à entreprendre ensemble, évitant de nombreuses redites. Ceux-ci ont-ils donc choisi de rédiger tel ou tel chapitre, omettant de prendre connaissance, de manière détaillée, de l’argumentation de leurs collègues ? En tout état de cause, le profane, tout comme le spécialiste, séduit par la problématique que Chari, Cheema et Cohen soulèvent dès leurs premières lignes, éprouve des difficultés à cacher sa déception.