Comptes rendus : Régionalisme et régions - Asie

Bobo Lo, Axis of Convenience. Moscow, Beijing, and the New Geopolitics, 2008, Washington, dc, Brookings Institution Press, 277 p.[Notice]

  • Ekaterina Piskunova

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  • Ekaterina Piskunova
    Département de science politique
    Université de Montréal

Le renforcement spectaculaire du partenariat entre la Russie et la Chine suscite de nombreux questionnements de la part des théoriciens et des praticiens des relations internationales. Moscou et Beijing parlent d’une alliance stratégique susceptible de changer la face du monde en relevant le défi du nouvel ordre multipolaire, ce qui conduit certains chercheurs à considérer leur relation comme un exemple de la coopération à somme positive. En même temps, les autres soulignent le danger potentiel de cette alliance entre les deux pays autoritaires et mettent en évidence son caractère plutôt anti-américain. Dans Axis of Convenience, Bobo Lo, diplomate de carrière et directeur des programmes russe et chinois au Center for European Reform, offre une vision beaucoup plus nuancée de cette relation bilatérale, sensiblement différente de l’image maintenue par les deux pays et qui est souvent reprise par les experts et le grand public. L’auteur avance que, malgré le succès évident de la coopération entre Moscou et Beijing dans plusieurs domaines, la relation entre les deux pays est loin d’être une alliance stratégique, car elle repose sur une base chancelante, marquée par le pragmatisme, l’absence de confiance et de valeurs communes ainsi que par une compétition géopolitique. Selon Lo, il s’agit d’une relation instrumentale et, plus encore, d’une importance secondaire pour les deux acteurs concernés, car ce sont les États-Unis qui restent un partenaire incontournable pour la Chine et un point de repère pour la Russie. Lo qualifie le partenariat sino-russe d’une « anti-relation », car il est conditionné par le contexte sécuritaire et ne possède pas d’objectifs endogènes communs. Lo défend son point de vue en recourant aux outils multidisciplinaires et en privilégiant les arguments d’ordre idéationnel. Il admet qu’après la fin de la guerre froide les deux pays ont su surmonter plusieurs obstacles qui les ont séparés dans le passé en développant la coopération en économie et dans le domaine de sécurité, tout comme l’interaction institutionnelle dans le cadre de l’onu ou de l’Organisation de coopération de Shanghai (ocs). Cependant, le caractère purement instrumental de cette relation ne lui permet pas de devenir une alliance authentique, qui, selon Lo, devrait impliquer une vision du monde partagée et des intérêts communs à long terme. Ce n’est pas le cas du partenariat sino-russe où plusieurs éléments semblent opposer les deux pays. Ainsi, la Russie élabore ses politiques en fonction des menaces externes souvent à court terme, tandis que la Chine se concentre surtout sur ses buts internes en voyant avec raison la source de sa sécurité dans un développement économique réussi. Malgré le règlement réussi de la question territoriale, Moscou ne se sent pas en sécurité face à la situation démographique qui existe dans la région de l’Extrême-Orient russe, sous-peuplée et négligée par les autorités, où les migrants chinois sont devenus la source principale de la main-d’oeuvre. Même en Asie centrale, où la stabilité semble être l’enjeu commun pour les deux pays, la compétition géopolitique entre eux l’emporte sur la coopération, et l’ocs, censée être un mécanisme d’intégration, devient parfois un outil de pouvoir dont les deux pays contestent le contrôle. Lo avance qu’une méfiance profonde existe entre les deux pays, et c’est l’histoire qui en serait la cause. L’ampleur de la coopération économique ne réussit pas à surmonter la méfiance mutuelle et les différences idéationnelles. Plus encore, elle représente elle-même une source de menace potentielle, car, d’une part, la Russie a peur de devenir un appendice fournisseur de matières premières pour la Chine, ce qui augmenterait l’écart en puissance déjà existant. D’autre part, la Chine craindrait de devenir trop dépendante du pétrole et du …