Étude bibliographique

La « capture » locale du programme de consolidation de la paixEntre hybridité et continuité de l’ordre politique[Notice]

  • Kathia Légaré

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  • Kathia Légaré
    Programme Paix et sécurité internationales
    Institut québécois des hautes études internationales
    Pavillon Charles-De Koninck
    1030, avenue des Sciences-Humaines
    Université Laval
    Québec (Québec) G1V 0A6
    kathia.legare@heil.ulaval.ca

Cette étude porte sur les ouvrages suivants : Edward Newman, Roland Paris et Oliver P. Richmond (dir.), 2009, New Perspectives on Liberal Peacebuilding, Tokyo, United Nations University Press. Roland Paris et Timothy D. Sisk (dir.), 2008, The Dilemmas of Statebuilding. Confronting the Contradictions of Postwar Peace Operations, New York, Routledge. Oliver P. Richmond et Jason Franks, 2009, Liberal Peace Transition. Between Statebuilding and Peacebuilding, Edinburgh, Edinburgh University Press. Thierry Tardy, 2009, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix. Acteurs, activités, défis, Bruxelles, De Boeck.

Après plus de deux décennies de pratique de la consolidation de la paix, l’enthousiasme initial a laissé la place à une vision plus critique (ou plus « réaliste ») du programme libéral de sortie de guerre. Cette étude bibliographique cherche à faire le point sur les avancées actuelles de la recherche et met l’accent sur une perspective spécifique : l’influence des acteurs locaux sur la mise en oeuvre du programme libéral. Elle se penche sur un corpus d’études récentes qui explore les limites du modèle d’établissement de la paix à long terme par la construction de l’État (state-building), l’un des aspects de la consolidation de la paix. Cette étude bibliographique est organisée, d’une part, autour de l’idée de l’« appropriation locale » des mesures internationales, entendue comme le transfert planifié et graduel de l’autorité vers les institutions locales (Narten 2008a : 254), qui est l’un des effets recherchés. Elle s’organise, d’autre part, autour de l’idée de « capture locale » des éléments du programme libéral ; une conséquence cette fois inattendue, qui est en fait une autre facette de la consolidation de la paix. Il semble en effet que la littérature prenne de plus en plus acte de ce phénomène que nous désignons comme la « capture » par les acteurs locaux des outils politiques introduits par les acteurs extérieurs dans les systèmes politiques visés. Notre étude se penche ainsi sur la façon dont les acteurs internationaux influencent le paysage politique, sans pour autant être en mesure de prévoir et de contrôler l’orientation du changement politique ; ce qui crée des entités « hybrides », assimilant certains éléments seulement du modèle libéral, parfois afin de légitimer et de reproduire des structures de pouvoir antérieures à l’intervention. Ainsi, cette étude fait état de la réintroduction dans les schémas de réflexion des variables locales et des forces politiques nationales ainsi que de leur interaction avec les actions internationales. Elle souligne également les dilemmes de l’intervention qui préoccupent la plupart des auteurs contribuant aux ouvrages recensés. Comme c’est le cas dans plusieurs programmes de recherche, l’étude des opérations de consolidation de la paix se transforme au gré des expériences politiques. L’idéalisme initial, tant politique qu’universitaire, à l’égard du transfert des institutions et des règles de la démocratie libérale vers les États fragiles ou des sociétés à la sortie d’un conflit violent a graduellement cédé le pas à une plus grande réserve. Cette posture idéologique originale est le produit du « triomphalisme libéral » d’après-guerre froide, appuyé par une lecture sélective des expériences passées de reconstruction ayant suivi la Seconde Guerre mondiale et des vagues successives de démocratisation en Europe du Sud (1960-1970) et en Europe centrale et sud-orientale (1989-1991). Elle a généré un consensus libéral qui a guidé les politiques des États occidentaux et des organisations internationales à partir du début des années 1990. Les éléments de ce consensus se traduiront ainsi dans la gestion internationale des crises et des conflits, une nouvelle préoccupation mondiale corollaire à l’effondrement du système de la guerre froide. L’Agenda pour la paix édicté par le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali en 1992 pose les nouvelles fonctions de l’onu dans le système d’après-guerre froide. Au coeur du programme se trouve la consolidation de la paix, symbolisant les nouvelles ambitions du Conseil de sécurité qui cherche à régler les causes profondes des conflits (Tardy 2009 : 82) et à éviter le retour de la violence. Ces ambitions tranchent avec les visées initiales de l’organisation, limitées à éviter l’escalade des crises locales en conflits internationaux par l’observation, la médiation et l’interposition. Ce programme d’intervention deviendra en fait une …

Parties annexes