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Cet ouvrage présente la discrète Organisation internationale de normalisation, plus connue par son acronyme iso et ses célèbres normes iso 9000. Les auteurs, spécialistes de relations internationales et de gestion, nous offrent une introduction bienvenue à l’univers institutionnel particulier des normes internationales iso, issues de procédures consensuelles et dont l’adoption est volontaire.

Il s’agit, à notre connaissance, du premier ouvrage qui traite de cette organisation non gouvernementale mal connue du public mais dont la relative discrétion ne trouble en rien l’importance, puisque son influence et ses compétences grandissantes la rendent désormais concurrente aux organismes du système des Nations Unies. Les auteurs montrent comment l’iso, en tant qu’elle exprime l’idéal d’une normalisation technique obtenue par un consensus des parties prenantes, est actuellement en compétition avec d’autres arènes de normalisation. Alors que le domaine de régulation de niche de l’organisation était originellement concerné par la création de normes d’infrastructures à caractère physique et technique, l’iso produit désormais des normes dans de nouveaux domaines tels que la gestion, l’environnement ou la responsabilité sociétale. Ce redéploiement, analysent les auteurs, exprime la compétition à laquelle l’iso doit faire face.

La structure de l’ouvrage de Murphy et Yates sert bien leur argument. Tout en décrivant le fonctionnement, les réalisations et les acteurs clés de l’organisation, les auteurs retracent l’évolution de l’organisation créée en 1947 à la suite des impulsions du mouvement transnational de normalisation constitué par des ingénieurs ayant foi en un type particulier de normes : celles issues d’une procédure consensuelle qui serait à même de servir au mieux le bien commun. Ainsi, dans sa première phase d’existence, l’iso est une organisation dominée par la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne ; elle a résolu les problèmes majeurs d’incompatibilité basiques en créant des normes de mesure, de terminologie ou de test de matériaux.

Durant une deuxième phase qui court jusqu’en 1987, l’iso étend son influence et devient une organisation véritablement mondiale tant sur le plan des acteurs que des domaines. En effet, par l’adhésion des pays en voie de développement ainsi que par une collaboration accrue avec d’autres institutions de régulation internationales, telles que les Nations Unies ou l’omc, l’organisme s’insère spatialement et légalement dans la mondialisation. Les auteurs montrent par exemple comment la norme iso sur le conteneur maritime, créée dans les années 1970, a révolutionné le transport des marchandises. Cette norme a en effet permis l’accélération de la mondialisation des échanges commerciaux tout en ouvrant à l’iso de nouvelles sphères d’activité dans d’autres domaines connexes.

Enfin, depuis 1987, la dernière phase de l’iso rend compte de son redéploiement dans des domaines nouveaux et moins techniques, comme le management ou la responsabilité sociétale.

La force de l’ouvrage réside sans conteste dans la discussion sur la légitimité du processus de normalisation consensuel que les auteurs réussissent à mener parallèlement à la description formelle et fonctionnelle de l’organisation. En effet, en insistant sur les clivages ainsi que sur les arènes de compétition à l’intérieur et à l’extérieur de frontières de l’organisation, Murphy et Yates discutent dans quelle mesure l’iso est légitimement une solution alternative viable dans la provision de biens publics globaux en analysant différents lieux où se joue le contrôle des normes techniques.

En effet, la suprématie de l’Europe de l’Ouest au sein de l’iso ainsi que l’influence de la Commission européenne sur la normalisation internationale depuis les années 1980 suscitent des désaccords sur la capacité des normes iso à dépasser les intérêts particuliers et à être légitimes vis-à-vis de l’ensemble des parties prenantes – les associations de consommateurs, les petites et moyennes entreprises, les pays en voie de développement, les États-Unis. Ces derniers, par exemple, sont préoccupés, nous disent les auteurs, par l’autonomie de l’iso relativement aux principes et aux politiques normatives de la Commission européenne. Concernant les pays en voie de développement, leur manque de participation à l’élaboration de normes interroge la légitimité des normes qu’ils sont amenés à adopter. Murphy et Yates considèrent néanmoins que l’iso est susceptible de créer des normes de biens publics mondiales.

De plus, la rapidité des changements techniques dans le domaine de la communication et de l’information a eu pour conséquence la concurrence grandissante d’autres arènes de normalisation : de nouvelles définitions du consensus volontaire ont émergé et rivalisent avec celle de l’iso. Ces arènes, à savoir celles des consortiums et du mouvement à code source ouvert, sont ainsi à même d’élaborer plus rapidement des normes qui étaient fabriquées dans les comités techniques de l’iso. Pris dans une double nécessité d’efficacité et de légitimité, le redéploiement de l’iso vers des normes moins techniques exprimerait une nouvelle conception consensuelle.

Au final, le lumineux ouvrage de Murphy et Yates réussit à être à la fois un manuel très concis pour les étudiants en relations internationales et en science politique ; une lecture agréable pour la personne éclairée ; une introduction appréciable pour le chercheur qui s’intéresse à la gouvernance de la mondialisation par les instruments techniques de l’iso. Au vu de l’importance des normes techniques volontaires de type iso dans la mondialisation, un tel ouvrage était attendu et il est sans conteste réussi, puisqu’il arrive à discuter de la spécificité institutionnelle de l’iso tout en mettant en lumière les interactions et les tensions que les normes iso entretiennent avec d’autres types techniques de normalisation. Le lecteur regrette presque la brièveté de l’ouvrage, qui ne fait qu’une centaine de pages.