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Dans un contexte où l’on prend de plus en plus conscience de la complexité du processus d’intégration européenne et où l’on constate la diversité des instruments d’analyse qui en découle, la parution de cet ouvrage qui propose une synthèse claire et complète des réflexions sur ce processus tombe à point nommé. Phénomène complexe, en effet, parce que le système politique européen comporte des éléments relevant d’un État, d’une organisation internationale, voire d’une fédération, sans que l’on puisse classer l’ensemble des processus sous l’une de ces notions. Diversité des instruments d’analyse aussi, dans la mesure où néofonctionnalisme, intergouvernementalisme, fédéralisme, gouvernance, institutionnalisme, européanisation ne sont que quelques-unes des approches théoriques qui se côtoient pour penser l’intégration européenne. À la lecture de l’ouvrage, on comprend mieux comment l’intégration a pu avancer dans le cadre du respect relatif des souverainetés nationales.
Suivant un plan habilement conçu, l’ouvrage offre des éléments de réponse au pourquoi et au comment de l’intégration européenne. La première partie se focalise sur la question de savoir pourquoi les États acceptent d’abandonner partiellement ou complètement leur souveraineté afin de construire une organisation internationale, une structure supranationale ou une fédération d’États. C’est dans cette perspective que les approches du fonctionnalisme et du néofonctionnalisme, de l’intergouvernementalisme et du fédéralisme sont exposées. Quant à la deuxième partie, elle s’intéresse aux concepts et aux cadres d’analyse qui portent sur la manière dont l’intégration européenne se réalise. Contrairement aux théories de la première partie qui traite les raisons et la finalité de l’intégration européenne, les approches théoriques et conceptuelles de la deuxième partie apportent une contribution à la compréhension du système politique européen. C’est dans cette partie que sont abordés les constructivismes, les institutionnalismes, les approches de gouvernance, l’européanisation et le transfert des politiques publiques, les sociologies de l’intégration et la pensée politique. Enfin, dans la troisième et la dernière partie, Sabine Saurugger s’emploie à montrer comment l’Union européenne est pensée par les approches des relations internationales afin de problématiser des processus internationaux plus généraux que ceux de l’intégration européenne. Si les approches théoriques et conceptuelles permettent une analyse détaillée et nuancée de l’Union européenne et de son développement historique, force est de constater que cette évolution ne donne pas lieu à l’émergence d’une théorie englobante pour penser l’intégration dans son ensemble. Selon l’auteur, il s’agirait plutôt de la genèse d’une multitude de théories de moyenne portée qui n’ont pas comme objectif d’expliquer les raisons de l’intégration, mais de permettre de structurer les recherches de manière cohérente.
Quant à l’avenir des théories et concepts de l’intégration européenne, Saurugger se demande si une approche ou une théorie particulièrement pertinente se détache pour expliquer l’ensemble du processus. Selon elle, l’histoire des théories de l’intégration, ainsi que l’analyse critique figurant dans l’ouvrage, montre qu’aucune approche théorique ne permet seule d’analyser les phénomènes et les processus de la construction européenne. La démarche qui consiste à assigner un cadre conceptuel particulier à chaque niveau décisionnel semble se présenter comme une solution. L’approche la plus pertinente au niveau supersystémique, c’est-à-dire sur le plan des décisions d’une portée historique impliquant le Conseil européen, les gouvernements nationaux et la Cour de justice des Communautés européennes, serait l’intergouvernementalisme. Le néo-institutionnalisme s’appliquerait au niveau systémique qui a pour acteurs fondamentaux le Conseil des ministres, le Comité des représentants permanents et le Parlement européen. Enfin, l’analyse des réseaux serait mieux appropriée pour comprendre le fonctionnement du niveau sous-systémique impliquant la Commission, les groupes de travail du Conseil et des comités de travail au Parlement européen.
Mais cette différenciation entre les trois niveaux n’est pas évidente, et elle devient intenable lorsqu’on ajoute les différences entre les bases épistémologiques, en se plaçant sur un continuum allant du positivisme au postpositivisme. Alors, y aurait-il une méthode de recherche plus valable que d’autres pour analyser ce processus ? La réponse de l’auteur est nuancée. Celle-ci admet la nécessité d’exploiter la diversité méthodologique pour analyser l’intégration européenne. Mais elle ne manque pas de souligner l’inconvénient de cette démarche. Car il faudrait que chaque analyste maîtrise l’ensemble des travaux théoriques et conceptuels pour se distancer de ceux qu’il juge insuffisants, tout en évitant le raccourci qui consiste à les qualifier de superficiels ou de marginaux. Par ailleurs, toujours en mouvement, l’intégration européenne pose de nouveaux défis aux analystes. Car les approches et cadres conceptuels existants demeurent insuffisants pour répondre aux questions apparues depuis quelques années, notamment depuis l’échec du Traité constitutionnel en 2005. Comment expliquer les référendums nationaux qui influencent le cours de l’intégration européenne ? Quels sont les facteurs qui expliquent l’opinion publique et le jeu politique entre les partis politiques ? Pourquoi le processus décisionnel qui accorde davantage de pouvoir au Conseil des ministres aux dépens de la Commission européenne a-t-il changé ? Telles sont les questions qui semblent s’inscrire à l’agenda des réflexions futures.
En introduisant les concepts et les théories dans le cadre des débats de leur époque, l’ouvrage fait le point sur les instruments d’analyse de l’intégration européenne relatifs à la sociologie politique, aux politiques publiques et à la théorie politique, tout en prenant en compte la contribution des relations internationales. Il s’adresse à un large public, allant des étudiants aux enseignants, en passant par les professionnels de la politique.