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Depuis une décennie, l’intégration régionale strictement sud-américaine connaît plusieurs changements et une période de renouveau. Ce renouveau est le thème principal du livre de Christian Girault, intitulé Intégrations en Amérique du Sud. L’originalité de cet ouvrage réside – entre autres choses – dans la perspective interdisciplinaire et internationale adoptée : des auteurs de nationalités différentes et d’origines disciplinaires diverses (géographie, science politique, droit, sciences économiques et histoire) ont en effet contribué à sa réalisation.

Composé de treize chapitres, le livre se divise en deux parties. La première aborde les évolutions récentes et les structures des différents processus d’intégration régionaux et sous-régionaux. La seconde partie concerne les stratégies variées des acteurs régionaux en matière d’intégration et de coopération. Cette partie est plus spécifiquement consacrée à la place centrale qu’occupe le Brésil – tant sur le plan géographique que politique – dans le sous-ensemble sud-américain. En effet, tous les chapitres de cette partie traitent directement ou indirectement des politiques brésiliennes et de la place prépondérante de ce pays dans l’intégration régionale.

Plus spécifiquement, la première partie traite de l’histoire des processus d’intégration régionale en Amérique du Sud, des progrès et des limites des projets d’intégration actuels, des obstacles géographiques, culturels, économiques et des circonstances opportunes, notamment politiques, qui favorisent le développement de ces processus. Les auteurs soulignent pertinemment la présence d’une difficulté souvent oubliée : la supériorité du droit interne et de la constitution nationale de plusieurs États sud-américains sur le droit international. Cette prépondérance limite la transposition en droit interne des dispositions issues des traités et des conventions internationales, notamment celles qui concernent l’intégration régionale. Au-delà des processus institutionnels formels, les relations personnelles et idéologiques transnationales des différents acteurs et partis politiques à travers l’Amérique du Sud – qui constituent également un vecteur d’intégration – sont aussi abordées dans cette partie. À titre d’exemple, pensons aux réseaux politiques que la gauche – au pouvoir dans la plupart des États du sous-continent – a su générer. Enfin, la géopolitique des Amériques conclut cette partie par la présentation critique de la présence hégémonique des États-Unis dans la sous-région et de l’abandon relatif du Mexique et de l’Amérique centrale, pourtant tous deux latino-américains, au géant du nord.

Dans la seconde partie, les auteurs traitent des dynamiques internes et des stratégies utilisées pour renforcer l’intégration régionale. À ce titre, il faut mentionner le Brésil, qui tente de se rapprocher de l’« Hispano-Amérique » et de faire passer ainsi l’Amazonie de périphérie à centre géographique au moyen de l’Organisation du traité de l’Amazonie. D’autres stratégies sont aussi mises en lumière, comme celles des entités infraétatiques (États fédérés, provinces et municipalités) et de leur paradiplomatie afin de poursuivre les processus d’intégration par le bas et la décentralisation dont ils profitent. Les perspectives analytiques employées par les auteurs se concentrent aussi autour du droit à travers l’analyse de l’insécurité juridique des investisseurs dans le mercosur. La dimension économique est également interpellée à travers l’analyse de la compatibilité des politiques commerciales et des volontés d’intégration, que ce soit au sein de l’Amérique du Sud, à l’étranger (avec l’Union européenne notamment) ou bien encore par l’intermédiaire de l’Organisation mondiale du commerce.

Il s’agit donc d’un ouvrage à jour et fort intéressant dont la principale qualité est sans nul doute sa perspective multidisciplinaire critique issue d’une longue coopération universitaire transatlantique. Toutefois, l’absence de conclusion générale est regrettable : elle limite en effet la cohérence de l’ensemble. Certes, le thème de l’intégration régionale est unificateur à travers les chapitres, mais l’impression d’un manque de synthèse en conclusion demeure forte à la fin de la lecture. Plusieurs questions restent par ailleurs en suspens : l’avenir et la solidité de l’unasur par exemple ou encore l’asymétrie de puissance entre les partenaires et la logique des blocs commerciaux internationaux sont peu abordés. De plus, il convient de noter l’absence (à l’exception d’un chapitre) de sources scientifiques étasuniennes, et plus généralement nord-américaines, sur la question de l’intégration régionale. Cette absence est surprenante étant donné l’étendue de la production scientifique des programmes de recherche nord-américains sur l’intégration régionale dans les Amériques en général et plus particulièrement les analyses sur les sommets des Amériques et l’échec du projet de Zone de libre-échange des Amériques. Cela est peut-être dû à l’approche « fondé[e] sur la réflexion personnelle et désintéressée » des auteurs préconisée par le directeur de cette publication. Enfin, précisons – bien que cela ne constitue pas une faiblesse – que quatre chapitres n’ont pas été traduits vers le français : la maîtrise de l’espagnol et du portugais est donc conseillée pour aborder et apprécier l’entièreté de l’ouvrage. En dépit de ces dernières remarques, l’ouvrage offre une perspective pluridisciplinaire, sud-américaine et française au phénomène de l’intégration régionale et des relations internationales en Amérique du Sud et constitue en cela un apport scientifique pertinent.