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Issu d’une enquête financée notamment par le 6e Programme-cadre de l’Union européenne (ue), cet ouvrage ambitionne d’appréhender les perceptions extérieures que suscite l’ue en tant qu’acteur global, puis de dégager des recommandations pour améliorer ces perceptions.

Ce faisant, l’ouvrage entend remédier à une carence de la recherche qui s’est traditionnellement focalisée sur les spécificités de l’ue en tant qu’acteur international. Or, il devenait d’autant plus important de combler ce vide que l’ue est désormais un acteur « consolidé » sur la scène internationale qui ne peut plus négliger les attentes et les perceptions qu’il génère. De plus, les images extérieures contribuent à modeler l’identité politique de l’ue, comme le suggère la théorie des identités sociales qui inspire l’étude. Croisés avec ceux des Relations internationales, les apports de cette théorie débouchent sur un modèle à deux niveaux intégrant variables structurelles (identité sociale, mémoire historique, vision du monde) et facteurs relationnels contingents (effets de position, rapports de force, paramètres interactionnels).

L’ouvrage se décline en deux parties. La première s’intéresse aux perceptions qu’ont de l’ue un certain nombre de pays ayant des statures et des profils divers, appartenant à différentes régions et entretenant avec l’ue une variété de relations. Les États-Unis, Israël, la Palestine et le Mexique se voient réserver des chapitres séparés, tandis que les autres pays sont agrégés en trois catégories : grandes puissances (Russie et Chine) ; échantillon de pays musulmans (Iran et Liban) ; pays émergents et chefs de file du tiers-monde (Inde, Brésil, Afrique du Sud). Qu’il traite d’un seul cas ou de plusieurs, chaque chapitre s’efforce de retracer les relations entretenues avec l’ue, puis d’analyser les perceptions que se font de cette dernière quatre grands groupes : opinion publique, élites politiques et économiques, société civile et médias.

La seconde partie élargit l’analyse aux perceptions entretenues par d’autres types d’acteurs, ou en leur sein. Certains de ces acteurs sont intergouvernementaux, comme les représentants des pays acp (Afrique, Caraïbes, Pacifique), de la Banque mondiale, de l’onu ou de l’Union africaine. D’autres sont proprement étatiques (délégués d’États non européens à Bruxelles). Le seul acteur non étatique étudié est la chaîne arabe Al Jazeera.

Les contributions convergent dans leurs conclusions et recommandations. Quels que soient le type des acteurs sollicités, leur ancrage (national ou international) et leurs éventuels « contentieux » avec l’ue, l’image globale de cette dernière est duale. S’il y a convergence autour de l’idée que l’ue est désormais un véritable acteur dans les différents domaines de la vie internationale, un grand scepticisme demeure quant à sa crédibilité, son effectivité et son autonomie, notamment sur le plan politique. Sur le plan économique et sur ceux, connexes, de la coopération et du développement, l’image est celle d’un glissement conservateur : l’ue est perçue comme privilégiant la libéralisation des échanges au détriment du développement, tout en maintenant ses stratégies protectionnistes.

Un fossé existerait donc entre l’image que l’ue se fait d’elle-même et les perceptions des tiers, ce qui amène les différents auteurs à recommander la mise en cohérence des diverses politiques européennes et de ces dernières avec les valeurs prônées, puis le renforcement de la coopération entre États membres pour accroître la cohésion extérieure de l’Union.

S’il contribue à combler une lacune dans la littérature par la systématicité relative de son effort, cet ouvrage renouvelle assez peu notre savoir. En effet, la plupart des analyses et des conclusions transparaissent dans la littérature existante sur les relations de l’ue avec divers pays, régions ou institutions. À cet égard, la contribution la plus novatrice est sans doute celle relative à la chaîne Al Jazeera, et l’on peut regretter l’absence d’études sur des organes médiatiques comparables dans d’autres régions.

Par ailleurs, l’ouvrage reste parcellaire et se concentre sur un nombre réduit de cas assez convenus du fait de leur envergure internationale ou du fort degré d’interaction avec l’ue ces dernières années. Or, il n’est pas sûr que ces cas soient suffisamment représentatifs ni que certaines associations soient vraiment pertinentes, par exemple pour les cas libanais et iranien. En outre, certains chapitres semblent redondants, notamment ceux relatifs aux pays acp et à l’ua.

Si, sur le plan théorique, le cadre conceptuel n’est mobilisé que superficiellement, une assez grande cohérence de la démarche se décèle au niveau méthodologique, surtout dans la première partie. Mais on peut regretter, ici et là, la légèreté des explications quant au choix des organes ou supports censés réfléchir l’image de l’ue au sein d’un groupe d’acteurs. Par ailleurs, seule la contribution relative au Mexique sonde les différences de perceptions entre partis politiques ; or cette dimension aurait été intéressante dans d’autres contextes.

Mais la principale limite du raisonnement relève des perceptions des auteurs qui tiennent pour acquise l’adhésion des acteurs européens aux valeurs prônées. Partant, ils analysent les « incohérences » brouillant l’image de l’ue comme le résultat de facteurs incidents découlant de sa complexité institutionnelle. De tels facteurs affectent incontestablement l’action extérieure de l’ue. Mais il serait utile d’étudier si, au-delà, les acteurs européens n’auraient pas des intérêts, voire des échelles de valeurs variables, qui placeraient de facto certains pans de l’action extérieure européenne en porte-à-faux par rapport aux normes promues discursivement. Cette piste apporterait un éclairage nouveau sur une des observations majeures de l’ouvrage, à savoir que les images extérieures les plus favorables se situent au niveau politique, là où l’ue manque d’unité, tandis que les plus défavorables portent sur les domaines où l’Union a les moyens institutionnels d’une politique cohérente.