Comptes rendus : Théorie, méthode et idées

Roger KEIL et Rianne MAHON (dir.), 2010, Leviathan Undone? Towards a Political Economy of Scale, Vancouver, UBC Press, 369 p.[Notice]

  • Jean-Marie Chenou

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  • Jean-Marie Chenou
    IEPI - CRII, Université de Lausanne, Suisse

La mondialisation et le mode de production postfordiste ont brouillé les repères géographiques et ont remis en question la prépondérance de l’échelle nationale dans la régulation du capitalisme. Pour faire face à ces phénomènes, l’économie politique internationale critique a pris un tournant spatial dans les années 1990, rejetant le nationalisme méthodologique pour conceptualiser l’espace comme une construction sociale et un enjeu de lutte. S’inspirant de la géographie critique, l’économie politique internationale a également pris en compte la question de l’échelle, poussant certains auteurs à parler de tournant scalaire. Cependant, la notion d’échelle, si populaire à la fin des années 1990, a été sévèrement critiquée, notamment par d’anciens théoriciens de cette notion. On lui a principalement opposé la notion de réseau en argumentant que les réseaux que peut mobiliser un acteur déterminent sa capacité d’action quelle que soit l’échelle sur laquelle celui-ci agit. On a également critiqué la hiérarchie qui transparaissait dans les études utilisant la notion d’échelle pour lesquelles le mondial déterminait souvent les échelons inférieurs. C’est dans ce contexte que paraît l’ouvrage collectif Leviathan Undone ? Cet ouvrage, qui réunit de nombreux chercheurs reconnus et spécialistes de la question des échelles, se place à l’intersection entre géographie et économie politique et se pose la question de savoir si la notion d’échelle est aujourd’hui utile dans une perspective critique en sciences sociales. Les éditeurs et les contributeurs défendent l’utilisation de ce concept tout en reconnaissant ses limites et le danger d’un « scalo-centrisme » réducteur. Ils articulent le concept d’échelle avec d’autres concepts liés à une perspective spatiale, tels que lieu, territoire et réseau. Il en résulte une défense pondérée de l’utilisation d’une perspective scalaire en sciences sociales et une excellente introduction tant aux débats théoriques autour de la notion d’échelle qu’à l’utilisation concrète de cette notion dans des études de cas variées. L’apport de cet ouvrage s’articule autour de quatre éléments clés. Premièrement, l’ouvrage présente dans son introduction et dans la première partie consacrée aux débats théoriques une revue de la littérature complète et particulièrement centrée sur les travaux les plus récents ainsi qu’une historiographie des débats autour de la notion d’espace dans l’économie politique. On notera par exemple la contribution de Neil Brenner qui reprend l’image du millefeuille de Rémi Lefebvre afin d’illustrer la multiplicité des échelons et leur imbrication dans la production d’un développement spatial inégal. Deuxièmement, l’ouvrage défend l’apport heuristique du concept d’échelle en insistant sur la (re)production sociale conflictuelle des échelles, l’aspect multiscalaire des phénomènes sociaux et la nécessaire articulation de la notion d’échelle avec d’autres concepts liés à l’espace. La partie théorique apporte également une réponse convaincante aux critiques en montrant que les réseaux ne constituent pas une voie alternative à la notion d’échelle. Selon les contributeurs, les réseaux ne flottent pas librement entre les échelles, mais y sont ancrés. La topologie horizontale des réseaux ne peut que compléter une perspective scalaire et non la remplacer. Troisièmement, la prudence des contributeurs et la prise en compte des limites du concept d’échelle en permettent une compréhension fine et constituent un guide méthodologique permettant d’éviter les écueils du « scalo-centrisme » et du « déterminisme scalaire » qui semblent avoir entaché une partie de la littérature de la fin des années 1990. En rapport avec ce dernier point, le chapitre de Bob Jessop est particulièrement prudent sur la notion d’échelle et rappelle les pièges thématiques, méthodologiques et ontologiques liés à son utilisation pour conclure qu’elle n’est qu’un aspect d’un programme de recherche spatiotemporel plus large. Enfin, fidèles à leur approche multiscalaire des phénomènes sociaux, les contributeurs abordent une grande variété de cas articulant le local au …