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Ce livre était attendu par tous ceux qui s’intéressent à la compétition économique internationale. Il replace l’État au coeur des marchés mondiaux. Il en fait l’un des grands acteurs du commerce international au même titre que les multinationales. Cette étude ne plaira pas aux tenants d’un libéralisme pur et dur qui dénie à l’État le droit de s’impliquer dans les affaires économiques. Pourtant, les faits que rapporte l’auteur sont têtus. Les archives et témoignages directs que réunit Laurence Badel montrent comment l’administration française, et plus particulièrement sa diplomatie, a soutenu les entreprises nationales dans la conquête des marchés extérieurs tout au long de ce 20e siècle.

Tout démarre à la fin de la Première Guerre mondiale. La diplomatie française a alors pour mission de vendre le savoir-faire des entreprises nationales. Les diplomates s’inspirent des expériences de leurs homologues étrangers. Leurs regards se tournent d’abord vers l’Allemagne qui, à la veille du premier conflit mondial, se prépare à mener la guerre économique en cas de victoire.

Par la suite, les diplomates français ont étudié le système national anglais, qui respecte l’équilibre des missions entre les fonctionnaires du Board of Trade et ceux du Foreign Office. Refusant de s’immiscer dans les affaires de leurs entreprises, les Anglais se limitent à la recherche de l’information commerciale, économique, scientifique et technologique. Ils la rassemblent, la trient et la mettent à la disposition des entreprises. Les Anglais font alors de la « commercial intelligence », ancêtre de l’intelligence économique.

Le modèle anglais n’a pas pris en France malgré les efforts de Jean Seydoux, considéré comme « le premier diplomate économique de l’histoire du quai d’Orsay ». L’échec de Seydoux aboutira au transfert des attachés commerciaux au ministère du Commerce et de l’Industrie.

Jusqu’en 1945, l’État français reste donc très actif sur le front économique extérieur, étendant son réseau d’information sur les marchés étrangers et créant l’assurance-crédit d’État. Pour accompagner les entreprises, il met à leur disposition le service des Attachés financiers et celui de l’Expansion économique. Cette politique dirigiste ne se fera pas sans difficulté, notamment sur la répartition des missions et des compétences entre la diplomatie, le ministère du Commerce et la Chambre de commerce de Paris.

Laurence Badel date la naissance de la diplomatie économique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est de Gaulle qui tranche la question des compétences : au ministère de l’Économie nationale la préparation des grands contrats internationaux, au ministère des Affaires étrangères le soin de mener les négociations. Les diplomates peuvent alors prendre leur envol et servir les intérêts économiques de la France à l’étranger. De son côté, le ministère de l’Économie ne reste pas inactif et peut s’appuyer sur la Direction des relations économiques extérieures (dree).

De 1945 à 1960, la période est faste et voit l’État multiplier les efforts et les initiatives pour soutenir ses entreprises à l’étranger. Accompagnement sur le terrain, observation de la concurrence, création de la coface, développement du soutien technique aux pays en développement… Bref, la diplomatie, de concert avec les fonctionnaires du ministère de l’Économie, déborde d’activité.

Les années 1960 amènent avec elles la concurrence. La compétition internationale est plus vive et la France doit se séparer de ses colonies. Sa stratégie évolue, la diplomatie française va jouer avec l’instrument du crédit. En mixant les crédits accordés à certains pays (Chili, Mexique, etc.), elle conditionne cet apport financier à l’achat de produits made in France. Crédits et prêts deviennent les instruments favoris de la diplomatie économique française.

Puis arrivent les années 1970 et la crise du pétrole. La France cherche alors l’équilibre et l’autonomie énergétique. Les hauts fonctionnaires mettent au point une politique de grands contrats à l’exportation. Ils les intègrent dans une stratégie de coopération internationale, un moyen d’éviter les contraintes imposées par une Europe communautaire en construction et celles de l’embargo de la Commission communautaire commune (cocom). Mais le libéralisme frappe déjà à la porte des pays de l’ocde. La question des aides publiques à l’exportation crispe les relations entre alliés. Les États-Unis exigent le démantèlement des systèmes d’aides publiques au nom du respect des règles de la concurrence pure et parfaite. La France va perdre peu à peu la main et devoir modifier de fond en comble son dispositif de soutien à l’exportation. La fin de la dree approche, l’extinction du corps de l’Expansion économique à l’étranger aussi. L’État est sommé de se retirer des affaires économiques. Ou de s’y faire plus discret.

La querelle qui a duré un demi- siècle entre les fonctionnaires du ministère de l’Économie et ceux du quai d’Orsay pour la maîtrise de la stratégie économique à l’étranger n’a plus vraiment lieu d’être. Un autre objectif tient en haleine les fonctionnaires : investir les lieux du pouvoir multilatéral. Il s’agit d’être présent au sein des institutions publiques internationales économiques, commerciales et financières qui dictent les règles au marché. Les administrations économiques et diplomatiques doivent y placer leurs hommes afin d’éclairer les organisations patronales chargées de partir à la conquête des marchés avec l’appui d’un chef de l’État qui transforme parfois ses déplacements à l’étranger en voyages d’affaires.

À l’arrivée, c’est à un voyage au coeur d’une histoire passionnante que nous entraîne l’auteur. Celle d’une France préoccupée par sa grandeur économique dans un monde où le commerce international devient l’alpha et l’oméga de la stratégie de puissance d’un État. Laurence Badel présente un travail exceptionnel, clair, fouillé et documenté sur le rôle de la diplomatie dans la conquête des marchés internationaux.